Le Roman d’un enfant/42
XLII
À propos de Limoise, j’ai la vanité de conter un de mes actes, qui fut vraiment héroïque comme obéissance, comme fidélité à une parole donnée.
Cela se passait un peu avant ce départ pour le Midi, dont mon imagination était si préoccupée ; par conséquent, vers le mois de juillet qui suivit mes douze ans accomplis.
Un certain mercredi, après m’avoir fait partir de meilleure heure que de coutume, afin d’être sûr que j’arriverais avant la nuit, on se borna, sur mes instances pressantes, à me conduire hors de ville ; puis on me permit, pour une fois, de continuer jusqu’à la Limoise seul, comme un grand garçon.
Au passage de la rivière, je tirai de ma poche, déjà avec une indicible honte devant les vieux bateliers tannés par la mer, la cravate de sole blanche que j’avais promis de me mettre au cou, par précaution contre la fraîcheur de l’eau.
Et une fois sur les Chaumes, lieu sans ombre, toujours brûlé par un ardent soleil, j’exécutai le serment qu’on avait exigé de moi au départ : j’ouvris un en-tout-cas ! — Oh ! je me sentis rougir, je me trouvai amèrement ridicule, quand une petite bergère était là, tête nue, gardant ses moutons. Pour comble, arrivaient du village quatre garçons, qui sortaient de l’école sans doute et qui, de loin, me regardaient avec étonnement. Mon Dieu ! je me sentais faiblir ; aurais-je bien le courage vraiment de tenir jusqu’au bout ma parole !…
Ils passèrent à côté de moi, regardant de près, sous le nez, ce petit monsieur qui craignait tant les coups de soleil ; l’un dit cette chose, qui n’avait aucun sens, mais qui me cingla comme une mortelle injure : « C’est le marquis de Carabas ! » et ils se mirent tous à rire. Cependant, je continuai ma route sans broncher, sans répondre, malgré le sang qui m’affluait aux joues, me bourdonnait aux oreilles, et je gardai mon en-tout-cas ouvert !
Dans la suite des temps, il devait m’arriver maintes fois de passer mon chemin sans relever des injures lancées par de pauvres gens ignorants les causes ; mais je ne me rappelle pas en avoir souffert. Tandis que cette scène !… Non, ma conscience ne m’a jamais fait accomplir rien d’aussi méritoire.
Mais je suis convaincu, par exemple, qu’il ne faut pas chercher autre part l’origine de cette aversion pour les parapluies qui m’a suivi dans l’âge mûr. Et j’attribue aux foulards, aux calfeutrages, aux précautions excessives dont on m’entourait jadis, le besoin qui me prit, plus tard, quand vint la période des réactions extrêmes, de noircir ma poitrine au soleil et de l’exposer à tous les vents du ciel.