Le Roman d’un enfant/26
XXVI
Après le départ de mon frère, pendant l’hiver qui suivit, je passai beaucoup de mes heures de récréation dans sa chambre, à peindre les images du Voyage en Polynésie qu’il m’avait donné. Avec un soin extrême, je coloriai d’abord les branches de fleurs, les groupes d’oiseaux. Le tour des bonshommes vint ensuite. Quant à ces deux jeunes filles tahitiennes au bord de la mer, pour lesquelles le dessinateur s’était inspiré de nymphes quelconques, je les fis blanches, oh ! blanches et roses, comme les plus suaves poupées. Et je les trouvai ravissantes, ainsi.
L’avenir se réservait de m’apprendre que leur teint est différent et leur charme tout autre…
Du reste mon sentiment sur la beauté s’est bien modifié depuis cette époque, et on m’eût beaucoup étonné alors en m’apprenant quelles sortes de visages j’arriverais à trouver charmants dans la suite imprévue de ma vie. Mais tous les enfants ont sous ce rapport le même idéal, qui change ensuite dès qu’ils se font hommes. À eux, qui admirent en toute pureté naïve, il faut des traits doucement réguliers et des teints fraîchement roses ; plus tard, leur manière d’apprécier varie, suivant leur culture d’esprit et surtout au gré de leurs sens.