Paris Calmann Lévy (p. 51-52).


XI


Gaspard, un petit chien courtaud, lourd, pas bien de sa personne, mais qui était tout en deux grands yeux pleins de vie et bonne amitié. Je ne sais plus comment il avait été recueilli chez nous, où il passa quelques mois et où je l’aimai tendrement.

Or, un soir, pendant une promenade d’hiver, Gaspard m’avait quitté. On me consola en me disant qu’il rentrerait certainement seul, et je revins à la maison assez courageusement. Mais quand la nuit commença de tomber, mon cœur se serra beaucoup.

Mes parents avaient à dîner ce jour-là un violoniste de talent et on m’avait permis de veiller plus tard pour l’entendre. Aux premiers coups de son archet, dès qu’il commença de faire gémir je ne sais quel adagio désolé, ce fut pour moi comme une évocation de routes noires dans les bois, de grande nuit où l’on se sent abandonné et perdu ; puis je vis très nettement Gaspard errer sous la pluie, à un carrefour sinistre, et, ne se reconnaissant plus, partir dans une direction inconnue pour ne revenir jamais… Alors les larmes me vinrent, et comme on ne s’en apercevait point, le violon continua de lancer dans le silence ses appels tristes, auxquels répondaient, du fond des abîmes d’en dessous, des visions qui n’avaient plus de forme, plus de nom, plus de sens.

Ce fut ma première initiation à la musique, évocatrice d’ombres. Des années se passèrent ensuite avant que j’y comprisse de nouveau quelque chose, car les petits morceaux de piano, « remarquables pour mon âge », disait-on, que je commençais à jouer moi-même, n’étaient encore rien qu’un bruit doux et rythmé à mes oreilles.