A. Méricant (p. 153-219).
LE ROMAN DE LA DANSEUSE LIBERTINE
I
Le duc fait ses débuts dans le monde. — Tentations qui l’y attendent. — Impression qu’il y fait. — La « haute société » de Vienne. — Libertés galantes que prend la noblesse. — Le scandale du palais Kaunitz. — Autre modèle de viveur : Gentz. — Son sybaritisme. — Les Elssler. — Liaison de Fanny Elssler avec Gentz. — Son second amant. — Contradictions sur le physique de la danseuse. — Deux articles de Théophile Gautier. — Origine de la légende qui fait de Fanny la maîtresse du duc de Reichstadt. — La légende en France. — On en exploite la publicité pour les débuts de Fanny. — Démenti qu’elle reçoit du Journal des Théâtres. — Cette liaison a-t-elle été possible ? — Motifs qui tendent à la réfutation du roman galant. — Prokesch le nie ; Fanny aussi. — Notice complémentaire.

Devant les accusations de séquestration, d’étouffement qui, vers 1829 et 1830, deviennent de jour en jour plus précises et plus violentes, le gouvernement autrichien se décide à répondre avec une sorte d’éclat. Il ouvre la geôle à son prisonnier et lui fait faire ses débuts dans le monde. Il en choisit l’heure et l’endroit, et, le 25 janvier 1831, le duc de Reichstadt paraît au bal donné par lord Cowley, ambassadeur d’Angleterre[1]. À ce bal, on le sait, une rencontre a été ménagée à Marmont avec le duc et là s’ébauchent leurs relations. Le maréchal confesse la brillante impression faite par le fils de l’Empereur à ces débuts. Il y est venu en uniforme de lieutenant-colonel au régiment du prince de Nassau-Infanterie, grade auquel il a été promu en novembre 1830. Déjà en lui sourde la fièvre du mal qui l’emportera. Il en a aux yeux l’éclat, au visage la pâleur. Tel, à ceux qui ne l’ont point vu encore, qui l’ignorent, il apparaît conforme à l’image idéale qu’on se fait de lui. Aussi « tous les yeux se portèrent vers lui ». Et Prokesch complète : « Il était rayonnant de beauté et de jeunesse. Le ton mat de son visage, le pli mélancolique de sa bouche, son regard pénétrant et plein de feu, l’harmonie et le calme de ses mouvements, lui prêtaient un charme irrésistible[2]. » De fait, personne ne conteste l’impression favorable et sympathique faite par le jeune homme. Pour conquérir les cœurs féminins, n’en est-il pas assez de sa jeunesse et de ses malheurs ? Quand la légende aura à conter cette soirée et à décrire ce décor, elle en fera le théâtre des premières amours du duc de Reichstadt. Dans des salons écartés, au son de langoureuses « walses », il écoutera de tendres paroles, fera de charmants serments et recevra d’aventurières, pleines d’excellents sentiments, des propositions pour tous les trônes vacants d’Europe. Et tout cela ne sera qu’à moitié invraisemblable, car à ces soirées le duc semble avoir pris goût. Du moins on l’y voit fréquenter.

« Je lui conseillai, dit Prokesch, de solliciter de l’Empereur la permission de fréquenter les cercles diplomatiques et les autres salons importants de la haute société viennoise[3]. » La permission est accordée, car les sorties du prisonnier deviennent plus fréquentes. Il est recherché, et quoi de plus naturel ? C’est, en vérité, un bel ornement de salon autrichien, que le « petit Bonaparte », le fils de l’Empereur, vêtu de la

casaque militaire qui tourna le dos sur tous les champs de bataille de l’Europe. Ne point l’avoir là, en vainqueur, mais en invité chez soi, en personnage d’apparat, figurant de gloires éteintes, c’est un spectacle auquel les âmes raffinées peuvent trouver les plus délicates jouissances de l’ironie.

De ce brusque contact avec un monde insoupçonné, il est sorti enivré, éperdu, liqueur trop forte qui grise l’adolescent. Fleurs, lumières, parfums et nudités, tout cela lui a été prodigué, comme par surprise. La tentation se renouvelle de soir en soir, quand il lui plaît, car est-ce que les invitations lui manquent ? Ce dont la légende s’afflige, c’est de le croire l’habitué de tous ces bals et de toutes ces fêtes. Cette légende veille sur lui, attendrie et mélancolique. Des bribes de vérité qui lui sont parvenues, elle tire des conclusions qui font honneur à sa sensibilité. « Il recherchait, dit l’une d’elles, avec avidité, les plaisirs bruyants du bal, se laissait entraîner pendant des nuits entières aux tourbillonnements d’une valse plus fatigante que voluptueuse, car laissant de côté les danses allemandes, c’était aux bonds sautillants de la galoppe anglaise, ou à la rapidité des figures françaises qu’il donnait la préférence ; et ce n’était pas sans surprise qu’on voyait ce jeune homme, autrefois si grave, si occupé de travaux paisibles et sérieux, rentrer le matin pâle et harassé, après avoir passé une nuit de fatigues et d’épuisement au bal[4]. » Et la légende crée ainsi, à son tour, la légende du jeune viveur, livré à tous les plaisirs mondains, et ami de la danse au point de devenir l’amant d’une danseuse.

II

« Il aimait à fréquenter la société de Vienne », écrit-on au Temps, peu après la mort du duc[5]. Qu’est-ce donc cette société ? Quelles garanties de moralité offre-t-elle au jeune homme qui se trouve mis en contact avec elle sans préparation aucune, au sortir d’une éducation dogmatique, étroite et sans plaisirs ? Faut-il juger la noblesse et la haute société, sur ce que dit M. de Montbel du populaire ? « Nul peuple, écrit-il, ne pousse plus loin le goût des spectacles, des jeux, des fêtes, des amusements ; nul ne s’y livre avec une satisfaction plus évidente ; mais nulle part la joie n’a une expression aussi décente et aussi douce[6]. » M. de Montbel, on le conçoit, ne doit et ne peut pas être cru à la lettre. Va-t-il donc publiquement médire de la nation au foyer de laquelle il a cherché le refuge de l’exil ? On ne le pense pas. De ce qu’il dit, on ne peut retenir que le goût des spectacles et de la musique. Quoi de plus naturel dans une ville de 250.000 habitants qui possède soixante-cinq manufactures de pianos[7] ? Quant à la décence, que proclame l’ancien ministre de Charles X, on en peut douter d’après des témoignages aussi véridiques, mais moins obligés à la retenue de la reconnaissance. La baronne du Montet[8], par exemple, a laissé de cette société un portrait moins flatteur que Prokesch lui-même, Prokesch si réservé quand il s’agit de questions autrichiennes, vient confirmer en certains points. À plusieurs reprises elle reprend ce sujet des mœurs viennoises. Dans une de ses premières notes elle observe :


{{taille|La grande noblesse viennoise, c’est-à-dire les hommes, est la plus dissolue qui existe. Le prince Estherhazy, capitaine des gardes, a des maîtresses par centaines ; il fait publiquement élever des jeunes filles pour son harem, et il continue à jouir des faveurs de la cour ! Le prince de Kaunitz[9], ambassadeur d’Autriche à Rome, donne publiquement dans les excès les plus honteux. Toute la haute noblesse est dans le même cas, en proportion de sa fortune et de son crédit. Cette haute noblesse est tellement endettée, corrompue et légère, que si les majorats étaient abolis, on verrait avant dix ans les plus beaux noms de l’Autriche réduits à la mendicité... Ils jouissent dans leurs désordres d’une liberté que l’apathie de leurs concitoyens et la longanimité du souverain peuvent seules faire comprendre. On voit tous les jours à Vienne, sur les places et dans les rues les plus fréquentées, des ministres d’État, des princes occupant les premières charges de la cour et au moins sexagénaires, s’occuper pendant deux ou trois heures de la matinée, à examiner, la lorgnette à la main les filles publiques, les appeler, leur parler, les agacer et les suivre publiquement jusqu’à leur demeure. Personne ne les siffle, on ne songe pas à les huer, et ce scandale se répète chaque jour.|90}}


C’est peut-être cela que M. de Montbel appelle de la « décence » ? Si oui, à son heureuse périphrase Mme  du Montet fournit une pittoresque illustration. Elle poursuit :


{{taille|— Quel est ce superbe équipage qui efface tous les autres par son élégance ? Les panneaux portent les armes d’un prince, et les ordres qui en relèvent l’éclat indiquent les places éminentes qu’il remplit dans l’État. — Ne reconnaissez-vous pas le prince Kaunitz, neveu du grand ministre de ce nom, naguère ambassadeur d’Autriche près du Souverain Pontife ? — Cette dame brillante de jeunesse, de beauté, et de parure, est sans doute la princesse, son heureuse épouse ? — Non, Monsieur[10], me répondit tranquillement celui auquel j’adressais mes questions, c’est sa maîtresse. Ces princes sont souvent de grandes dupes ; pour cette fois, le prince Kaunitz a démenti cette opinion générale. Son choix est bon. Je connais cette jeune fille, elle est sage et d’un bon caractère ; une bagatelle, mais autre temps, autres mœurs. Sa fortune est faite et sa renommée établie. Dès qu’elle aura ruiné ce prince elle en prendra un autre. Elle mérite ce bonheur ; adieu, Monsieur[11].|90}}


Mais, à cela ne se bornent pas les exemples. La baronne du Montet en trouve d’autres encore à rappeler à l’appui de ses dires : la corruption des mœurs viennoises. Et elle finit par s’écrier : « Où sont donc les bonnes mœurs ? » On peut répéter la question après elle.

Or, ce sont là gens de cour et de salon, susceptibles de rencontrer le duc, de le fréquenter, d’entrer dans l’intimité de ses plaisirs. Il en est ainsi pour plusieurs, et dès lors on comprend les protestations de Prokesch contre les « traits injurieux par lesquels la jeunesse corrompue de Vienne et le monde railleur des salons profanaient la pureté du prince ». En pouvait-il être autrement de la part de ce Kaunitz, par exemple, arrêté en juillet 1822, pour viol de mineures ? Les mères, certaines mères, avaient pris l’habitude de venir se poster sur les marches de l’escalier de son palais, avec leurs filles. En descendant, Kaunitz avait le loisir de faire son choix. C’est ce que la police trouva mauvais. Quoi ! riposta le galantin, « vous m’accusez de séduire et de corrompre des jeunes filles innocentes chez moi ! Je vous prouverai que c’est moi qui suis séduit ; mon hôtel est assailli de mères corruptrices qui m’amènent leurs filles. Pourquoi la police ne met-elle pas un frein à cette séduction ? Non seulement j’en suis la victime, mais tous les grands seigneurs de Vienne éprouvent la même vexation[12] ». Que répliquer à cela ? Rien. Aussi relâcha-t-on Kaunitz, et avec des excuses. Ce n’était pourtant point là le premier de ses exploits, puisque ceux-ci avaient nécessité, en 1821, le licenciement des quadrilles enfantins au théâtre An der Wien. Quant à son mépris de la morale coutumière, il en avait, à diverses reprises, donné la preuve en public, au Prater[13]. Mais si Kaunitz n’apparaît pas dans l’intimité du duc, il n’en est pas de même d’un de ses frères du second lit, Gustave de Neipperg, le second fils du deuxième mari de Marie-Louise. Âgé de moins de six mois que le jeune Napoléon Gustave de Neipperg faisait partie alors de la jeunesse dorée de Vienne[14]. Il y suivait les traces de son frère Alfred, qui vendait les chevaux de son père, pour courir aux tripots. Lui, Gustave, courait les filles. Il donnait déjà dans les actrices. Plus tard il s’en alla les traquer à travers l’Italie[15]. C’est ce Neipperg que nous verrons tenter d’entraîner le duc dans de galantes aventures auprès d’une cantatrice. Ceci est dénoncé par Prokesch, mais Prokesch sait quelquefois se taire. Ainsi pour Gentz. Le chevalier de Gentz est passé sous silence et cette réserve se comprend alors qu’on songe au rôle joué par Gentz auprès de Metternich[16]. Prokesch s’est bien gardé de mettre le doigt entre l’arbre et l’écorce. Il a préféré se taire. Aussi bien pouvons-nous nous passer de son témoignage. Le portrait de Gentz a été crayonné avec esprit : « Il avait un goût effréné pour le jeu, pour les femmes, pour tous les raffinements de la sensualité et pour toutes les élégances qui embellissent la vie. Il passait dans les tripots des nuits terribles d’où il sortait ravagé par les émotions, anéanti par ses pertes, accablé de reproches qu’il s’adressait lui-même et qui ne l’empêchaient pas de reprendre, dès le soir suivant, sa place autour du tapis vert[17]. » De

fait, à cette silhouette, les témoignages contemporains ne contredisent aucunement. Gentz, partout, apparaît comme un viveur acharné, un jouisseur révolté contre l’âge qui lui met aux tempes des rides et aux reins des défaillances. Le poète Grillparzer qui fut lui rendre visite, en 1824, sortait ébahi de l’intérieur du publiciste de la Sainte-Alliance. Encore tout confondu de ce qui lui était apparu, il contait avec l’ingénuité de la stupeur : « Sur toutes les tables et commodes étaient placés des compotiers avec des fruits confits, afin qu’à tout moment le sybarite qui habitait là pût satisfaire sa gourmandise. Enfin, dans la chambre à coucher, il était étendu, en robe de chambre de soie grise, sur un lit d’une blancheur de neige. Il y avait là des bras mobiles qui lui avançaient l’encre et les plumes quand il en avait besoin, un pupitre qui se déplaçait automatiquement dans tous les sens ; je crois même que le vase de nuit, par une pression sur un bouton, venait offrir ses services. » La plaisanterie au ton allemand sauve le reste. Cependant, l’extérieur de Gentz ne répondait pas tout à fait, paraît-il, à son intérieur. Quelqu’un qui l’approcha le dépeint en petites touches précises : « Le corps était incliné en avant, la démarche fuyante et incertaine ; une perruque roussâtre couvrait la tête ; le vêtement était propre, mais non tout à fait à la mode. L’expression de sa physionomie était intelligente, mais le regard manquait de fermeté... Un grand lorgnon noir qu’il se plantait devant les yeux lui donnait de la contenance[18]. » Tel il apparaissait en 1823. Il touchait alors à la soixantaine. Les grâces passées, l’âge ne les lui rendit vraisemblablement pas, et, à la description de 1823, il faut certainement retrancher, pour s’imaginer, en 1829, l’homme à tout écrire de Metternich. Ce fut pourtant cette année-là, – et à soixante-cinq ans ! – qu’il fit la conquête de la grâce dans la jeunesse, de l’élégance dans la fraîcheur, d’une ballerine de dix-neuf ans : Fanny Elssler[19].

III

La danseuse était alors dans tout l’éclat de sa gloire à son aurore. Dernière née d’une nombreuse famille, elle avait vu le jour le 23 juin 1810, au n° 42 du faubourg de Gumpendorf, aujourd’hui n° 15 de la Hofmühlgasse. Les Elssler étaient originaires de Kieslingen, maigre bourgade de Silésie. Le père de Fanny, Jean Florian, né à Eisenstadt, le 3 mai 1769, eut le goût de la musique vif au point qu’il entra comme valet de chambre chez Haydn. Il portait à son maître un culte qui se traduisait par des encensements, à coups de brûle-parfum, devant le portrait du musicien, pendant son absence[20]. Ce domestique dévotieux se maria à Vienne, le 23 janvier 1800, avec une demoiselle Thérèse Prinster, dite « la belle Thérèse », fille d’un plâtrier et d’une marchande de farine. Ils furent vraisemblablement des plus heureux, puisqu’ils eurent six enfants. L’aîné, Joseph, né l’année même du mariage, se crut fait pour les ordres. Il entra dans les Franciscains, y prit le nom bénin de Frère Pacifique, et mourut quasiment en odeur de sainteté, vers 1856, au couvent de Maria-Enzersdorf. Le second fils, Jean, s’en alla musiquer à Berlin. On l’y trouve, sous le Second Empire, directeur des chœurs de l’Opéra royal. Il mourut en 1872. L’aînée des filles, Anna, fut pendant quelque temps mime au Kærnther-Thor, puis rentra dans la paix obscure de la vie privée. Le quatrième enfant mourut en bas âge. Les deux derniers seuls devaient laisser un nom. Ce fut Thérèse, née le 5 avril 1808, compagne inséparable de sa sœur ; puis Franziska, dite Fanny, la cadette et la plus illustre des Elssler. Son éducation artistique fut particulièrement surveillée, et les soins dont elle fut l’objet eurent des résultats heureux. Ils permirent à Fanny de recueillir, dès les premiers jours de ses débuts, ces lauriers charmants dont sa jeune image se pare pour les mémoires. De la gloire elle goûtait toutes les neuves ivresses au Kærnther-Thor, quand Gentz la remarqua, le lui dit et lui ouvrit des bras, où elle ne fit pas grande résistance pour tomber.

Ce faisant, la petite fille de la marchande de farine faisait preuve d’un sens pratique louable. Gentz, sans beauté, constituait néanmoins un amant d’importance. Ses ressources pécuniaires, aussi mystérieuses que considérables, lui permettaient d’être d’une appréciable utilité pour Fanny. Elle consentit à accepter ses services. Il les enveloppa d’un lyrisme assez habituel à ces vieillards retournant vers l’adolescence[21]. Fanny eut trois ans pour en tirer le plus utile parti, car Gentz mourut le 9 juin 1832. Cet amour ne lui devait pas tenir fort sérieusement au cœur, car un danseur de l’Opéra de Berlin, le sieur Stuhlmuller, en recueillit incontinent la succession. Il poussa même ses avantages au point de permettre à Fanny, d’accoucher à Londres, en mai 1833, d’une fille. Quelques jours plus tard, c’était le premier bout de l’an de Gentz, et deux mois à peine la séparaient de celui du duc de Reichstadt.

Ces quelques notes ont été indispensables pour indiquer, et la psychologie et la condition sociale des personnages que nous voyons figurer dans la vie du fils de Napoléon. Fanny est désignée comme ayant été sa maîtresse, et Gentz comme l’ayant jetée dans ses bras, par ordre de Metternich. Nous en aurons à discuter.

Il ne demeure plus qu’un mot à dire sur les grâces physiques de la ballerine. M. Henri Welschinger les lui conteste : « Cette danseuse très courtisée, dit-il, avait une figure plus spirituelle que jolie[22]. » Le dernier biographe de Fanny est assez loin de partager cet avis, et ce qui demeure de cette frêle image disparue, en estampes et en portraits, semble bien lui donner raison sur ce point. Ici on en peut appeler aux contemporains. Grillparzer, un compatriote de Fanny, disait d’elle : « C’est un corps plein de désirs qui danse, au lieu d’une âme avec des passions. » Ce blâme touche à l’art ; l’éloge vise le physique. C’est le seul argument à retenir. Mais, ici, la discussion ne devient-elle point inutile ? Sans utilité on la pourrait prolonger, opposant les amis de la danseuse à ses détracteurs. Le besoin de cela ? Et un exemple significatif nous en sera donné par un admirateur même. Il a un nom illustre : Théophile Gautier. Lors des représentations de Fanny Elssler à Paris, en 1838, il lui consacra deux articles, l’un dans le Figaro, l’autre dans le Messager, à sept mois de distance. Ce sont deux beaux morceaux de littérature lyrique, passionnés et contradictoires. Les commenter est superflu. En les reproduisant ici nous aurons démontré ce que ces discussions sur les charmes physiques d’une femme peuvent avoir de vain, – suivant les yeux dont on les regarde. L’article du Messager démontre à quel sommet la passion de Théophile Gautier était montée. Et c’est tant mieux. Les Lettres françaises y ont gagné une belle page.


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  Le Figaro, 19 octobre 1837 :

{{taille|Mlle  Fanny Elssler est grande, souple et bien découplée ; elle a les poignets minces et les chevilles fines ; ses jambes d’un tour élégant et pur, rappellent la sveltesse vigoureuse des jambes de Diane, la chasseresse virginale ; les rotules sont nettes, bien détachées, et tout le genou est irréprochable ; ses jambes diffèrent beaucoup des jambes habituelles des danseuses, dont tout le corps semble avoir coulé dans les bas et s’y être tassé ; ce ne sont pas ces mollets de suisse de paroisse ou de valet de trèfle qui excitent l’admiration des vieillards anacréontiques de l’orchestre et leur font récurer attentivement les verres de leur télescope, mais bien deux belles jambes de statue antique dignes d’être moulées et amoureusement étudiées... Autre sujet d’éloge : Mlle  a des bras ronds, bien tournés, ne laissant pas percer les os du coude, et

n’ayant rien de la misère de forme des bras de ses compagnes que leur affreuse maigreur fait ressembler à des pinces de homard passées au blanc d’Espagne. Sa poitrine même est assez remplie, chose rare dans le pays des entrechats, où la double colline et les monts de neige, tant célébrés par les lycéens et les membres du Caveau, paraissent totalement inconnus. L’on ne voit pas non plus s’agiter sur son dos ces deux équerres osseuses qui ont l’air des racines d’une aile arrachée. Quant au caractère de sa tête, nous avouons qu’il ne nous paraît pas aussi gracieux qu’on le dit. Mlle  Elssler possède de superbes cheveux qui s’abattent de chaque côté sur ses tempes, lustrés et vernissés comme deux ailes d’oiseaux ; la teinte foncée de cette chevelure tranche un peu trop méridionalement sur le germanisme bien caractérisé de sa physionomie : ce ne sont pas les cheveux de cette tête et de ce corps. Cette bizarrerie inquiète l’œil et trouble l’harmonie de l’ensemble ; ses yeux, très noirs, dont les prunelles ont l’air de deux petites étoiles de jais sur un ciel de cristal, contrarient le nez qui est tout allemand, ainsi que le front.|90}}

{{taille|On a appelé Mlle  Elssler une Espagnole du Nord, et, en cela on a prétendu lui faire un compliment. C’est son défaut. Elle est allemande par le sourire, par la blancheur de la peau, la coupe de la figure, la placidité du front ; espagnole par sa chevelure, par ses petits pieds, ses mains fluettes et mignonnes, la cambrure un peu hardie de ses reins. Deux natures et deux tempéraments se combattent en elle : sa beauté gagnerait à se décider pour l’un de ces deux types. Elle est jolie, mais elle manque de race ; elle hésite entre l’Espagne et l’Allemagne. Et cette même indécision se remarque dans le caractère du sexe : ses hanches sont peu développées, sa poitrine ne va pas au-delà des rondeurs de l’hermaphrodite antique ; comme elle est une très charmante femme, elle serait le plus charmant garçon du monde. Nous terminerons ce portrait par quelques avis. Le sourire de Mlle  Elssler ne s’épanouit pas assez souvent ; il est quelquefois bridé et contraint ; il laisse trop voir les gencives. Dans certaines attitudes penchées, les lignes de la figure se présentent mal, les sourcils s’effilent, les coins de la bouche remontent, le nez fait pointe, ce qui donne à la face une impression de malice sournoise peu agréable. Mlle  Elssler devrait aussi se coiffer avec plus de fond de tête ; ses cheveux placés plus bas rompraient la ligne trop droite des épaules et de la nuque. Nous lui recommandons aussi de teindre d’un rose moins vif le bout de ses jolis doigts effilés : c’est un agrément inutile.|90}}


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  Le Messager, 4 mai 1838 :

{{taille|Mlle  Fanny Elssler tient dans ses blanches mains le sceptre d’or de la beauté ; elle n’a qu’à paraître pour produire dans la salle un frémissement passionné plus flatteur que tous les applaudissements du monde ; car il s’adresse à la femme et non pas à l’actrice, et l’on est toujours plus fier de la beauté qui vous vient de Dieu que du talent qui vous vient de vous-même. L’on peut dire hardiment que Mlle  Fanny Elssler est la plus belle des femmes qui sont maintenant au théâtre ; d’autres ont peut-être quelques portions d’une perfection plus achevée, des yeux plus grands, une bouche plus heureusement épanouie, mais aucune n’est si complètement jolie que Fanny Elssler ; ce qui est séduisant chez elle, c’est l’harmonie parfaite de sa tête et de son corps ; elle a les mains de ses bras, les pieds de ses jambes, des épaules qui sont bien les épaules de sa poitrine ; en un mot, elle est ensemble ; qu’on nous passe ce terme d’argot pittoresque ; rien n’est beau dans elle aux dépens d’autre chose. On ne dit pas, en la voyant, comme de certaines femmes : « Dieu ! les beaux yeux ou les beaux bras ! » On dit : « Quelle désirable et charmante créature ! » Car tout étant élégant, joli, bien proportionné, rien n’accroche l’œil impérieusement, et le regard monte et descend comme une caresse au long de ses formes rondes et polies que l’on croirait empruntées à quelque divin marbre du temps de Périclès ; c’est là le secret du plaisir extrême que l’on éprouve à considérer Fanny Elssler, la danseuse ionienne qu’Alcibiade eût fait venir à ses soupers, dans le costume des Grâces, aux ceintures dénouées, une couronne de myrte et de tilleul sur la tête, et des crotales d’or babillant au bout de ses mains effilées.|90}}

{{taille|L’on a comparé souvent Fanny Elssler à la Diane chasseresse. Cette comparaison n’est pas juste ; la Diane, toute divine qu’elle soit, a un certain air de fille revêche ; l’ennui d’une virginité immortelle donne à son profil, d’ailleurs si noble et si pur, quelque chose de sévère et de froid. Quoique des mythologues à mauvaise langue prétendent qu’elle ait eu cinquante enfants d’Endymion, son bleuâtre amoureux, elle a dans le marbre neigeux où elle est taillée, un air de vierge alpestre e cruda, comme disait Pétrarque, qui ne se retrouve nullement dans la physionomie de Mlle  Elssler ; d’ailleurs, la grande colère qu’elle montra contre Actéon qui l’avait surprise au bain, fait voir qu’elle avait quelque défaut caché, la taille plate ou le genou mal tourné ; une belle femme surprise n’a point une pudeur si féroce : Mlle  Elssler n’aurait pas besoin de changer personne en cerf. Les jambes de Diane sont fines, sèches, un peu longues, comme il sied à des jambes de divinité campagnarde faites pour arpenter les taillis et forcer les biches à la course ; celles de Mlle  Elssler sont d’un contour plus nourri quoique aussi ferme, et à la force, elles joignent une rondeur voluptueuse de lignes dont la chasseresse est dénuée. Si Mlle  Elssler ressemble à autre chose qu’à elle-même, c’est assurément au fils d’Hermès et d’Aphrodite, à l’androgyne antique, cette ravissante chimère de l’art grec.|90}}

Ses bras admirablement tournés sont moins ronds que des bras de femme ordinaire, plus potelés que des bras de jeune fille ; leur linéament a un accent souple et vif qui rappelle les formes d’un jeune homme merveilleusement beau et un peu efféminé comme le Bacchus indien, l’Antinoüs ou la statue de l’Apolline ; ce rapport s’étend à tout le reste de sa beauté que cette délicieuse ambiguïté rend plus attrayante et plus piquante encore. Ses mouvements sont empreints de ce double caractère ; à travers la langueur amoureuse, la passion enivrée qui ploie sous le vertige du plaisir, la gentillesse féminine et toutes les molles séductions de la danseuse, on sent l’agilité, la brusque prestesse, les muscles d’acier d’un jeune athlète. Aussi Mlle  Elssler plaît-elle à tout le monde, même aux femmes qui ne peuvent souffrir aucune danseuse.


En réunissant ces articles aux œuvres complètes du chevelu Théo, l’éditeur n’oubliait que le titre : Variations sur la critique, ou Gautier démenti par Gautier.
IV

Telle est la première maîtresse attribuée au duc

de Reichstadt. De son blanc fantôme, cette image vive et légère demeure inséparable. Elle le complète dans le décor mélancolique où on situe la fin poignante de cette destinée. Qu’elle ait été de son siècle la plus artiste des danseuses, la révélatrice d’un art relevant jusqu’alors de la goguette, peu importe, on l’ignore, car à quoi bon ? Ce titre de maîtresse de l’impérial orphelin n’est-il pas singulièrement plus évocatoire et n’est-ce pas tout ce que la légende veut retenir d’elle et de sa fragile mémoire ? Cette légende d’où est-elle née ? Elle semble dater du vivant même du duc, puisque nous voyons Prokesch l’en défendre en 1832. Sur son origine Prokesch donne quelques détails, ceux-là même qui servent toujours de base aux réfutations qu’on entreprend de ce roman. « Ce qui avait donné naissance à ces commérages, dit-il, c’est qu’on avait quelquefois vu le chasseur [du duc] entrer dans la maison où demeurait Fanny Elssler ; mais le chasseur y venait parce que M. de Gentz et moi nous avions chez la danseuse une chambre qui nous servait de cabinet de travail ou de lecture, et que ce domestique, certain de m’y trouver le plus souvent, m’y apportait les courtes missives du duc ou venait me prier de passer chez lui[23]. » Ces explications sont vraisemblables. À l’époque où les donnait le chevalier elles étaient contrôlables pour tous ceux qui en pouvaient douter. Mais qui y fut voir ? La légende prit donc corps, se fortifia au point que vingt ans plus tard elle passait pour un fait historique indiscutable. Un de ceux qui l’admettent dit sans plus : « Toute l’Europe a retenti du bruit de ses amours pour une femme doublement séduisante par sa beauté et par les succès de sa danse gracieuse et légère. Fanny Essler (sic), cette ravissante sylphide qui charma les deux mondes et dont on peut encore se rappeler les triomphes en Amérique[24], Fanny Essler qui eut la gloire d’atteler à son char jusqu’aux plus graves personnages des États-Unis, fut la syrène (sic) qui enivra le plus inflammable adolescent, l’Armide qui sut enchaîner quelque temps ce moderne Renaud dans les délices de son palais de fée[25]. » Ce qui, au surplus, avait contribué à donner à la légende sa consistance, ce fut le voyage fait, en 1834, par Fanny Elssler, à Paris, où l’Opéra venait de l’engager. Cette renommée amoureuse, dont le libertinage se nuançait d’amertume, était à ce point accréditée en France que pour la venue de la danseuse « les bonapartistes concertèrent une manifestation en son honneur[26] ». On en jouait, et la direction de l’Opéra en tête, comme d’une utile et profitable publicité.

Ce fut un singulier gaillard, « Mandrin de la presse théâtrale, Cartouche du feuilleton », qui attacha le grelot. Il se nommait Charles Maurice, dirigeait le Courrier des Théâtres et mettait acteurs et auteurs en coupe réglée[27]. Pour le présent, le docteur Véron, directeur de l’Opéra, en avait fait le spadassin à ses gages. Il amorça donc le début de la danseuse par une petite note à sa manière, le 2 juin 1834 :


Quand cette artiste était au théâtre de Vienne, on voulait savoir qu’elle intéressait un prince bien cher à la nation française, et moissonné à la fleur de l’âge pour le désespoir de notre époque. Fondé ou non, ce bruit est entièrement de nature à exciter la bienveillance, à piquer la curiosité en faveur de Mlle  Essler (sic). Dut-on n’y trouver qu’un prétexte à de doux souvenirs, qu’une pensée liée à tant d’espérances si cruellement déçues, qu’une occasion (bien détournée sans doute) de témoigner les sentiments que gardent à d’illustres cendres des hommes sauvés du torrent de l’apostasie, on saisira cette occasion pour aller voir, applaudir et méditer.


Fanny qui, plus tard, devait démentir la fable, ne protesta point cette fois. Bien au contraire. Elle semble avoir été particulièrement sensible aux éloges de Charles Maurice. Jusqu’à la fin de son séjour en France elle demeura en termes excellents avec lui, et de ces termes un petit billet d’elle et de sa sœur, fait juger :


{{taille|Veuillez, nous vous en prions, Monsieur, nous protéger comme vous l’avez fait jusqu’à présent. Vous êtes si bon ! Vous rendez les artistes heureux par votre bienveillance ! Vous trouverez toujours les deux sœurs toutes dévouées.|90}}

11 août 1835.
Fanny et Thérèse Essler (sic)[28].

La note de Charles Maurice eut pour résultat de donner le ton à la presse. La critique se saisit avec empressement de cet heureux motif à faciles variations. C’était, sous la monarchie de Juillet, dans un Paris battu encore par les demi-solde désœuvrés de l’Immortelle, jouer de la corde sensible. Quel journaliste eût laissé échapper ce merveilleux et sympathique prétexte ? Aussi peu d’entre eux y manquèrent. La contagion gagna jusqu’au Journal des Débats où officiait Jules Janin. Le souvenir du duc de Reichstadt ouvre le prologue de son article. Quelques lignes suffiront à en juger :


{{taille|Il y avait à Vienne, il n’y a pas longtemps, autour de la demeure royale, dans le grand parc ombragé de vieux arbres où elle se glissait le soir, sous la fenêtre à ogive du jeune duc de Reichstadt, qui l’entendait venir de loin, elle, cette femme d’un pas si léger, il y avait Fanny Elssler, l’Allemande, dont le nom chez nous autres, la France de 1834, ira s’inscrire tout au bas de ces listes mystérieuses et charmantes que conservent dans leurs profonds tiroirs d’ébène et d’ivoire les vieux meubles incrustés d’or de Choisy, de Saint-Cloud, de Meudon, de Fontainebleau, de Chambord : cette femme qui a été le premier sourire et le dernier, hélas ! du fils de l’Empereur ! On la disait en outre si svelte, si élégante, si légère, si parfaite !...|90}}
Fanny Elssler n’était plus en Allemagne ; elle n’avait plus rien à y faire, hélas ! elle ne pouvait plus y danser, depuis que s’étaient fermés deux yeux si brillants et si vifs qui la regardaient avec amour. Maintenant que la loge du jeune prince est vide, maintenant qu’il ne doit plus venir là, à cette même place pour découvrir Fanny l’Allemande sur le théâtre et pour découvrir dans la salle quelques étrangers venus de France ; pour saluer à la fois du même regard Fanny et la France, ses deux amours ; depuis qu’elle était tombée de la couronne paternelle, cette dernière feuille de laurier impérial, Fanny n’avait plus rien à faire à Vienne. À présent elle appartenait à son beau royaume de France et à ses loyaux et enthousiastes sujets de sa bonne ville de Paris...


Et, sur le même ton pindarique, le prolixe et abondant Janin continuait. Il n’était point le seul et Charles Maurice avait fait école. Fanny laissa dire et imprimer. Comprit-elle l’inutilité d’une protestation publique ou se résigna-t-elle à voir tourner à son profit cette ingénieuse réclame, cette recommandation posthume du captif autrichien ? Mais ce qu’elle ne fit point, un autre le fit à sa place, et le démenti auquel elle se dérobait, fut donné publiquement par la Gazette des Théâtres, à propos de l’article de Janin :


{{taille|On a dit et on a répété, écrivait le journaliste, qu’un jeune prince, né sur les marches du plus beau trône de l’Europe et qu’une maladie de consomption a ravi, il y a trois ans, à bien des sympathies, on a dit que ce prince, épris d’une passion violente pour Mlle  Fanny Elssler, était mort en répétant le nom de la belle danseuse allemande[29]. On a dit bien d’autres choses que je ne rappellerai pas. Mais la vérité demande ici une petite place contre les suppositions des historiens auxquels je réponds. Je tiens d’un grand amateur de l’Opéra de Vienne, d’un fidèle et fervent admirateur des sœurs Elssler, que jamais le fils de Napoléon (puisqu’il faut le nommer) n’a vu, ni au théâtre ni ailleurs, l’artiste pour laquelle on lui a prêté de si tendres sentiments. Qu’on essaie de me réfuter, si l’on peut. J’ai mon Viennois sous la main, prêt à soutenir un démenti dont je ne suis que l’écho.|90}}


Mais de l’histoire ou de la légende, laquelle préfère le public ? À laquelle des deux va la curiosité et l’intérêt ? N’était-ce pas un joli rêve que celui d’évoquer, derrière la danseuse emportée par le tourbillon léger des figures, l’ombre lointaine et si proche encore de celui qui l’avait aimée ? L’imagination ne valait-elle pas mieux que la triste et morne réalité ? On le pensa. Il en fut ainsi et désormais la danseuse libertine entra dans la légende et dans le roman[30]. Gentz ne lui eût pas souhaité tant de bonheur.

V

Enfin, les pièces du procès étalées, il convient de se poser la question : Fanny Elssler a-t-elle été, a-t-elle pu être, la maîtresse du duc de Reichstadt ?

Aucun de ceux qui ont adopté la légende n’a fixé la date de ces relations. On sait bien en quelle année elles finissent, mais quand commencent-elles ? Elles ne peuvent point se placer avant 1830 ou le début de 1831, époque à laquelle le duc commence à paraître dans le monde. À cette date Fanny est, depuis un an, la maîtresse de Gentz. Ce n’est point là, évidemment, une raison péremptoire, surtout quand on voit Gentz accusé d’avoir servi les plans de Metternich en facilitant la liaison du prince et de la danseuse. Que cette liaison soit longue ou qu’elle « ne dura que peu de temps[31] », il n’importe. Ce qu’il faut c’est la situer. Or, de quelque côté qu’on l’envisage, elle s’enferme dans cette constatation : de 1829 à 1832 Fanny est la maîtresse de Gentz. Mais le galant Prussien a-t-il joué le rôle dont on l’accuse ? Pour le défendre comme pour l’accabler, tout manque. Une chose seule plaide en sa faveur : son amour pour Fanny. Il l’a aimée de toute la violence de sa vieillesse cabrée, de toute l’ardeur de désirs impérieusement réveillés, en vieillard enfin, – et Fanny avait dix-neuf ans. Sa correspondance avec elle est active, les dates y sont des points de repère précieux. Aucune d’elles ne se prête à une interprétation équivoque, et comment en serait-il autrement, puisqu’il n’y eut rien ? C’est la conclusion qui s’impose. Elle choque la sentimentalité populaire et légendaire, on le sait, mais qu’y faire ? L’aventure Camerata est incontestable, prouve la véracité des dires de Prokesch, et il en demeure des preuves écrites. Mais ici ? Prokesch, au cas où la liaison eût été réelle, l’aurait vraisemblablement passée sous silence. Pourquoi la nie-t-il ? Pourquoi conteste-t-il énergiquement tout rapport entre le duc et la danseuse ? « Le duc ne lui a jamais parlé », dit-il sans plus[32]. Pourquoi s’inscrirait-on en faux contre ce témoin qui, contrôlé, n’a point été surpris en flagrant délit d’inexactitude ? Et, au surplus, au nom de qui s’inscrire en faux contre lui ? Au nom de Charles Maurice, ce filou, et de Jules Janin, ce phraseur ? Eux qui, ni l’un ni l’autre, n’ont mis le pied au-delà des frontières de France ! Ce n’est point que publiquement que Prokesch a contesté le fait. Ayant appris que le cousin du duc, pour lors l’Empereur Napoléon III, désirait savoir la vérité sur ces relations, et la tenir de lui, Prokesch écrit, dans une lettre qui n’attendait rien de la publicité : « Je lui démontrerai la fausseté des prétendus rapports du duc avec Fanny Elssler[33]. » Mais, enfin, la danseuse elle-même a pu tirer vanité de la légende, s’en faire un titre de gloire, – et quelle femme de théâtre eût hésité à cueillir cet amoureux laurier ? Sans doute, Fanny, et nous l’avons déjà dit, n’a en rien démenti les fables des journaux. Elle a laissé imprimer tout vif ce roman sans protester publiquement. Craignait-elle d’y laisser des rames de papier et des grosses de plumes ? Cependant elle semble, dans le privé de ses relations, avoir dénié toute valeur au conte. Au bas d’une des lettres qu’elle adressa à Mme  de Mirbel, la miniaturiste qui fit son portrait[34], M. de Mirbel a écrit : « Mademoiselle Fanny Elssler est une célèbre danseuse et une fort bonne personne dont madame de Mirbel vient de faire le portrait. Elle passe pour avoir charmé les dernières années du fils de Napoléon, mais elle assure qu’il n’en est rien ; on doit l’en croire[35]. » Non, on ne la croira pas et contre elle le roman et la légende auront raison ! On ne la croira pas parce qu’un touchant tableau serait ainsi rayé et effacé de la vie du captif de la Sainte-Alliance. On ne la croira pas, parce qu’à ce Jeune Homme il faut la consolatrice que toutes les femmes sensibles de son temps ont rêvé être un jour pour lui, et parce qu’enfin l’amour d’une danseuse, ses voiles et ses gazes, enveloppent d’un nuage aérien et charmant, une ombre qui s’efface dans les limbes du souvenir[36]
'’'NOTICE COMPLÉMENTAIRE

{{taille|Au deuxième paragraphe de cette troisième partie de notre livre, nous avons cité la brève ligne d’un témoignage anonyme, mais contemporain, sur le goût du duc de Reichstadt pour les plaisirs du monde. Comme nous l’avons indiqué, cette ligne est extraite d’une lettre de Vienne adressée, le 23 juillet 1832, au journal le Temps. Il n’est pas superflu de la rééditer ici et de la tirer du recueil oublié où elle dort. Sur les derniers mois de la vie du prisonnier elle apporte des renseignements qui ne sont pas négligeables. L’éditeur la faisait précéder de cette note qui en éclaire la publication : « À propos de Napoléon, imprimait, le 3 juillet 1832, le Temps, son malheureux fils se meurt décidément : le duc de Reichstadt est attaqué d’une phtisie pulmonaire qui le détruit lentement. » Et, le 14 juillet suivant, le même journal consacrait à la maladie du duc de Reichstadt un long article circonstancié, dont s’émurent quelques Autrichiens. « Que si le poison n’est pour rien dans cette maladie, a-t-on du moins combattu ses causes, ses progrès ? Non, sans doute, et voilà où reposent de terribles responsabilités. » Pour protester contre ces assertions, un abonné écrivit la lettre qui suit et que le journal ne semble pas avoir accueillie. Le 14 août, il donnait les résultats de l’autopsie du duc de Reichstadt, mais nous y avons vainement cherché la lettre que nous reproduisons d’après l’original conservé à la Bibliothèque nationale, Cabinet des manuscrits, fonds français, n° 12.762, folio 139.|90}}


*
* *

Vienne, le 23 juillet 1832.

Monsieur le rédacteur, la feuille du Temps du 14 juillet vient de tomber entre mes mains. J’y ai trouvé une lettre de Vienne en date du 2 juillet. Je ne crois pas que par des récits contraires à la vérité les personnages historiques puissent acquérir de la célébrité. Le fils de Napoléon vient de succomber. Il ne me sera pas difficile de rétablir les faits que le correspondant du Temps a étrangement défigurés.

Le duc de Reichstadt a joui de toutes les apparences d’une santé parfaite jusqu’à sa quinzième année. C’est alors qu’une croissance extraordinaire a été accompagnée de symptômes alarmants pour sa poitrine. Un traitement éclairé et les soins les plus rigoureux parvinrent à l’écarter des risques instantanés d’une phtisie du larynx.

La cause immédiate du développement du mal auquel le duc vient de succomber semble pouvoir être attribuée à un refroidissement dont il a été saisi au mois de janvier dernier, à la chasse. Une fièvre s’est déclarée et elle ne l’a plus quitté. Sa longue maladie et sa mort ont été accompagnées de tous les symptômes de la phtisie.

Telle est la courte histoire de la fin prématurée du duc de Reichstadt. Tout ce que rapporte le correspondant du Temps est du roman. Pour constater le fait, il pourra me suffire de relever quelques circonstances que j’ai trouvées consignées dans la prétendue lettre de Vienne.

Le correspondant assure que « naturellement mélancolique et rêveur, le duc de Reichstadt s’est livré avec passion aux études abstraites et surtout à la composition musicale, dont il a su approfondir tous les secrets et les plus savantes combinaisons ». Le duc n’était ni mélancolique ni rêveur ; doué des plus heureuses qualités, bon et jovial, il prenait part aux plaisirs de son âge. Privé de tout talent pour la musique, il ne s’en occupait pas.

« Une fièvre d’imagination, délirante et contenue, précéda, provoqua la fièvre qui le tua ! Pour lui plus de repos ! Depuis deux ans, les yeux tournés vers la France, il ne songea plus qu’à se livrer aux exercices militaires. Sa voix jeune et grêle s’est brisée par les cris de commandement qu’il répétait dans une atmosphère de dix-huit degrés de froid. En un mot, quand à tant de nuits d’insomnies, à une crue tardive et immense, à tant d’agitations physiques et morales, se sont unies de navrantes déceptions... »

La Société tout entière de Vienne et que le duc de Reichstadt aimait à fréquenter peut rendre compte de la valeur de ce récit. Le duc aimait le service militaire et il se serait livré à tous ses détails, si des soins pour sa santé n’eussent mis un frein à son ardeur. Jamais le duc n’a été dans le cas de commander la troupe sous l’influence de dix-huit degrés de froid. Abstraction faite qu’une température aussi basse est très rare à Vienne, jamais les exercices n’ont lieu durant les froids des hivers, même les plus doux.

« Les plus célèbres praticiens de Vienne ont succombé à l’épidémie régnante. »

Vienne n’a jusqu’à cette heure à regretter la perte d’aucun de ses médecins célèbres, si j’en excepte le docteur Röhrig, élève de Malfatti.

« Malfatti restait seul. »

Le docteur Malfatti, médecin célèbre et universellement connu, a été choisi par Mme l’archiduchesse Marie-Louise et par le duc de Reichstadt lui-même immédiatement après le décès du docteur Standenheim.

Tout dans le récit est ainsi faux et jusqu’au rapprochement du traitement du duc de Reichstadt avec les consultations et le régime que le Dr Malfatti aurait prescrits à Mme la princesse de Metternich. Ce médecin n’a point été consulté par cette dernière. — Quant à l’anecdote de l’album, il est permis d’adresser à son propriétaire le défi de le produire et d’indiquer quel est l’artiste venu à Vienne.

Veuillez, monsieur le rédacteur, accorder une place dans votre journal à la présente lettre et recevoir l’assurance de ma considération la plus distinguée.

Un de vos abonnés.

Avec l’article du Temps, c’était la Légende qui prenait corps. Et pour ce qu’elle apportait de naïvement tendre et pitoyable, « l’abonné » de Vienne était mal venu à demander de superflues rectifications. En certains points de sa lettre, il avait pleinement raison cependant, et on pourra s’en convaincre en les confrontant avec le procès-verbal d’autopsie du duc, auquel nous aurons à recourir quelquefois. C’est le motif pour lequel nous donnons ici intégralement cette pièce :

PROCÈS-VERBAL DE L’AUTOPSIE DU CADAVRE DE SON ALTESSE
LE DUC DE REICHSTADT.

« Dans la section du cadavre de Son Altesse le duc de Reichstadt, laquelle a eu lieu à Schoënbrunn le 23 juillet 1832[37]les soussignés ont vu et constaté ce qui suit :

« A. Examen extérieur. — Le corps entièrement émacié ; outre les taches bleues particulières aux cadavres, on a trouvé les traces des sangsues appliquées au cou, et, sur le sommet de la tête ainsi que sur la poitrine, celles de frictions, instituées avec la pommade émétique ; aux deux bras, des taches de vésicatoires. La caisse de la poitrine était en proportion du corps étroite et longue ; le sternum aplati ; le cou long.

« La longueur de son corps était de cinq pieds neuf pouces. La peau rude à l’attouchement et facile à détacher.

« B. Dans la cavité de la tête. — La consistance du crâne était assez compacte ; cependant, le long des sutures, déjà entièrement fermées, il était transparent et adhérent sur plusieurs points à la dure-mère. En ôtant la partie supérieure du crâne, il est sorti une petite quantité d’humeur séreuse, à la suite d’une lésion de la dure-mère, occasionnée par la scie ; la dure-mère extraordinairement épaisse. Dans la direction du processus falciformis, elle était fortement attachée à la pie-mère par des filaments fibreux. Les vaisseaux sanguins du cerveau étaient remplis d’un sang foncé. Le cerveau, plus compact qu’il ne l’est généralement, et comme pressé par ses enveloppes. Dans le ventricule gauche du cerveau s’est trouvée près d’une demi-once de sérosité, et un drachme environ dans le ventricule droit ; à la base du crâne, après avoir ôté le cerveau, une once à peu près de sérosité. Le cervelet est aussi plus compact qu’à l’ordinaire ; au reste dans un état sain.

« C. Dans la cavité de la poitrine. — Le sternum n’avait que la largeur d’un demi-pouce et il était extrêmement court. Le poumon droit



, était attaché, en même temps, à la plèvre, au médiastinum et au diaphragme. Toute sa substance ne consistait que dans d’innombrables sacs de matières (vomiques), qui formaient une base squirrheuse, carcinomateuse et contenant une matière fluide, ichoreuse et de la plus mauvaise odeur. À la partie supérieure du poumon gauche, il y avait un gros tubercule, près de passer en suppuration ; le reste du poumon gauche était aussi normal que le cœur et le péricarde.
« La glande thymus, bien plus grande qu’à l’ordinaire, cartilagineuse et endurcie. La substance, grumeleuse à l’attouchement, offrait, dans l’intérieur, le même aspect que celle du poumon détruit lorsqu’il avait été délivré de la matière. La membrane muqueuse de la trachée-artère de tous côtés corrodée, probablement par le passage du liquide ichoreux qui sortait du poumon.

« D. Dans la cavité du bas-ventre. — Le foie gros ; sa substance cependant normale. La vessie du fiel petite, contenant peu de bile jaune ; le pancréas sain ; la rate extraordinairement grande et molle, l’estomac plus petit qu’à l’ordinaire, du reste normal ; l’omentum et le mésentère sans graisse ; les glandes mésentériques plus grandes et plus dures qu’à l’ordinaire. Rien d’anormal dans tout le canal intestinal. Les deux reins, particulièrement le gauche, plus grands que de coutume ; du reste, sains, ainsi que la vessie urinaire.

« Semlitsch, chirurgien de la Cour ;
« Joh. Malfatti, archiatre du prince ;
« François Wiehrer, docteur-médecin ;
« Jos. de Hieber, médecin de la Cour ;
« Dr  Rinna, médecin de la Cour ;
« Dr  Zungerl, médecin du château impérial. »

Toute cette vie étranglée et captive tient entre cette patente, qui masque l’enfant d’un titre sans gloire, et ce procès-verbal d’autopsie qui étale, à la publicité, les lamentables misères de sa déchéance physique, les pitoyables ruines de son être sacrifié et torturé...

  1. Cette date est donnée par Prokesch, Mes relations avec le duc de Reichstadt... ; déjà cit., p. 84. Elle est confirmée par M. Henri Welschinger, Le Roi de Rome... ; déjà cit., p. 381. — Marmont, cependant, dans ses Mémoires, tome VIII, p. 375, en place la date au mercredi 26 janvier. C’est évidemment Prokesch qui a raison contre le maréchal.
  2. Comte de Prokesch-Osten, Mes relations avec le duc de Reichstadt... ; déjà cit., p. 84.
  3. Comte de Prokesch-Osten, Mes relations avec le duc de Reichstadt... ; déjà cit., p. 41.
  4. Histoire populaire et complète de Napoléon II, duc de Reichstadt, publiée d’après des documents authentiques ; Paris, chez Maresq, libraire au Palais-Royal, passage de la Cour des Fontaines, n° 61, et chez les marchands de nouveautés ; 1832, in-12°, pp. 203, 204. — Ce volume est la première édition de l’ouvrage publié par la suite sous la signature du comte de Suzor. Voyez Ant.-Alex. Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes ; troisième édition ; Paris, 1882, gr. in-8°, tome II, col. 827, 828.
  5. Lettre d’un abonné au journal Le Temps ; Vienne, 23 juillet 1832. — Bibliothèque nationale, Cabinet des manuscrits, fonds français, n° 12762, folio 139. — Souvenirs et Mémoires, recueil mensuel de documents autobiographiques, souvenirs, mémoires, correspondances ; Paris, 1899, in-8°, tome II, p. 328.
  6. M. de Montbel, Le Duc de Reichstadt... ; déjà cit., p. 55.
  7. Franz Heinrich Bœckh, Wiens lebende Schriftseller, Künstler und Dilletanten in Kunstfache ; Wien, 1821. — Auguste Ehrhard, Une vie de danseuse : Fanny Elssler ; Paris, 1909, in-18°, p. 4.
  8. Née Alexandrine Prévost de la Boutetière de Saint-Mars, nièce de Mgr de la Fare, évêque de Nancy, agent de Louis XVIII pendant l’émigration, elle épousa en Autriche un officier français émigré, Joseph du Montet. Elle mourut en 1866.
  9. Il était de cette illustre famille de Kaunitz dont un membre fut, sous Marie-Thérèse, un des plus célèbres et plus fins chanceliers d’Autriche.
  10. La baronne du Montet fait observer que cette note sur les mœurs galantes de Vienne a été trouvée dans les papiers de son mari.
  11. Souvenirs de la baronne du Montet... ; déjà cit., pp. 206, 207.
  12. Souvenirs de la baronne du Montet... ; déjà cit., p. 228.
  13. À propos de cette célèbre promenade de Vienne, Méneval écrivait à sa femme : « C’est un immense jardin anglais, entretenu avec beaucoup de soin et où tous les amusements populaires sont rassemblés. Le Danube forme l’enceinte de ce beau jardin qui, je dois le dire, n’a pas son pareil dans aucune capitale. » Baron de Méneval, ministre plénipotentiaire, Marie-Louise et la cour d’Autriche entre les deux abdications (1814-1815) ; Paris, 1909, in-8°, p. 174.
  14. Gustave-Adolphe-Frédéric-Bernard-Léopold de Neipperg, était né le 10 septembre 1811. — Docteur Max Billiard, Les Maris de Marie-Louise, d’après des documents nouveaux ou inédits ; Paris, 1909, in-8°, p. 349.
  15. Lettre de la cantatrice Anna de La Grange à la comtesse de Castellane ; Milan, 1845. — Revue des autographes, des curiosités de l’histoire et de la biographie, n° 182, novembre 1895 ; pièce n° 157, offerte à 8 francs.
  16. Sur Gentz et son rôle politique, cf. E. Schmidt-Weissenfels, F. Gentz ; Prague, 1859, 2 vol. in-8° ; E. Guglia, F. von Gentz ; Vienne, 1901, in-8° ; Aus dem Nachlass Varnhagens von Ense, Tagebücher von F. von Gentz ; Leipzig, 1873-1874, 4 vol., in-8° ; F.-M. Kircheisen, Die Schriften von und über F. von Gentz ; eine bibliographische Ubersicht ; in : Mittheilungen der Instituts für osterreichische geschichts forschung; vol. XXVII, p. 91 et suiv. ; Wien, 1906, september abdr., in-8°, 56 pp. ; Frédéric M. Kircheisen, Bibliographie du temps de Napoléon comprenant l’histoire des États-Unis ; Paris, Genève, Londres, 1908, in-8°, tome I, p. XXXIII.
  17. Auguste Ehrhard, Une vie de danseuse... ; déjà cit., p. 38.
  18. Freiherr von Andlaw, Erinnerungsblatter aus den Papieren einer diplomaten, 1857. — Auguste Ehrhard, Une vie de danseuse... ; déjà cit., p. 46.
  19. « Elle inspira de vives passions, dit le docteur Véron, à des hommes distingués, célèbres, qui tenaient leur place déjà dans l’histoire de leur pays. » Il faut, pour souscrire à la vérité, ramener ces « hommes » au singulier. Cf. Docteur Véron, Nouveaux Mémoires d’un bourgeois de Paris, depuis le 10 décembre 1848 jusqu’aux élections générales de 1863 ; le Second Empire ; Paris, 1866, in-8°, p. 20.
  20. C.-F. Pohl, Joseph Haydn ; Berlin, 1875, tome I, p. 268. — Auguste Ehrhard, La Vie d’une danseuse... ; déjà cit., p. 10. — C’est au remarquable et définitif ouvrage de M. Auguste Ehrhard que nous empruntons les détails biographiques sur la famille Elssler dont nous faisons usage ici.
  21. Il ne faut évidemment point en juger d’après la correspondance amoureuse apocryphe de Gentz avec Fanny, publiée du vivant même de la danseuse : Briefe der Liebe an eine berühmte künstlerin von cinem hoch gestellten Manne ; aus dem Franzosischen über setzt von Dr F.-W. Wolff ; [Lettres d’amour à une artiste renommée par un homme haut placé ; traduit du français par le Dr F.-W. Wolff] ; Berlin, 1841, in-8°. — Voyez à cet égard Auguste Ehrhard, Une vie de danseuse... ; chap. II, passim.
  22. Henri Welschinger, Le Roi de Rome... ; déjà cit., p. 418.
  23. Comte de Prokesch-Osten, Mes relations avec le duc de Reichstadt... ; déjà cit., p. 129.
  24. Ceci était écrit en 1853. Depuis deux ans Fanny avait, à cette époque, fait ses adieux au public. Sa dernière représentation eut lieu à Vienne, le 21 juin 1851, dans le ballet de Faust. Elle avait alors quarante et un ans. Elle ne sortit plus de sa retraite dès lors, et mourut le 27 novembre 1884. Elle est inhumée au cimetière d’Hietzing. — Voyez Auguste Ehrhard, Une vie de danseuse... ; déjà cit., p. 413.
  25. Guy de l’Hérault, Histoire de Napoléon II, roi de Rome... ; déjà cit., p. 194.
  26. Auguste Ehrhard, Une vie de danseuse... ; déjà cit., p. 92.
  27. Sur ce curieux personnage, cf. notre volume Rachel intime, d’après ses lettres d’amour ; Paris, 1910, in-8°, p. 232 et suiv.
  28. Charles Maurice, Histoire anecdotique du théâtre, de la littérature et de diverses impressions contemporaines, tirée du coffre d’un journaliste avec sa vie à tort et à travers ; Paris, 1856, in-8°, tome II, p. 124. — Charles Maurice a mal déchiffré la signature de la danseuse, car dans le fac-similé qu’il reproduit plus loin, l’orthographe est exacte : Elssler.
  29. « Après la mort du duc il circula même à ce propos une anecdote assez amusante. L’on raconta qu’un jeune Anglais avait fait des propositions avantageuses à la belle danseuse afin qu’elle consentit à être aimée de lui. Après une proposition d’un prix plus ou moins fabuleux, celle-ci consentit à accorder ses faveurs. Mais le fils d’Albion, au lieu d’en profiter, examina le monocle à l’œil, les charmes de la danseuse, après quoi il lui dit : « Merci ; à présent j’avais viou le tiombeau du diouc de Reichstadt » ; puis il sortit de chez la courtisane lui laissant un portefeuille bien garni. » Docteur Cabanès, L’Aiglon ; comment est mort le duc de Reichstadt ; Gazette des Hôpitaux civils et militaires ; jeudi 15 mars 1900, p. 309.
  30. C’est de Fanny Elssler qu’Alexandre Dumas a fait, sous le nom de Rosenha Engel, l’héroïne des Mohicans de Paris, où elle tente, complice des bonapartistes de France, de faire évader le duc de Reichstadt de la geôle autrichienne.
  31. Jules de Saint-Félix, Histoire de Napoléon II, roi de Rome, d’après les documents officiels et les meilleurs renseignements ; Paris, 1853, in-18°, p. 76.
  32. Comte de Prokesch-Osten, Mes relations avec le duc de Reichstadt... ; déjà cit., p. 129.
  33. Lettres du comte de Prokesch-Osten (1849-1855) ; publiées par A. de Prokesch-Osten ; Vienne, 1896, in-8°, p. 456.
  34. Mme  de Mirbel, de son nom de jeune fille, Lizinska Rue, née en 1796, mourut en 1849.
  35. Revue rétrospective, recueil de pièces intéressantes et de citations curieuses ; Paris, 1er février 1892, pp.130, 131. — La lettre au bas de laquelle figure cette note, est banale et d’un texte insignifiant.
  36. Pour le reste de la vie de Fanny Elssler, nous renvoyons le lecteur au remarquable et pittoresque ouvrage de M. Auguste Ehrhard, Une vie de danseuse...  ; déjà cit., auquel nous avons emprunté les éléments de ce chapitre, et lequel conclut, comme nous, à la condamnation de la légende et du roman.
  37. Il est des dates enveloppées de quelque chose de fatidique et de lugubre. Le duc de Reichstadt mourut le 22 juillet 1832, et ce fut le 22 juillet 1818, qu’il perdit le nom de son père. À cette date, en effet, son grand-père signa les lettres patentes qui lui enlevèrent le titre de Roi de Rome et le reconnurent comme issu « de père inconnu ». Voici cette pièce, capitale pour la biographie du fils de Napoléon. On y remarquera que le nom de l’Empereur n’y fut point prononcé :

    Patente Impériale concernant S. A. le duc de Reichstadt

     « Nous, François, par la grâce de Dieu, Empereur d’Autriche, Roi de Jérusalem, de Hongrie, de Bohême, de Lombardie et de Venise, de Dalmatie, de Croatie, d’Esclavonie, de Gallicie, de Lodomérie et d’Illyrie, archiduc d’Autriche, duc de Lorraine, de Salzbourg, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, de la haute et basse Silésie, grand-prince de Transylvanie, margrave de Moravie, comte princier de Habsbourg et du Tyrol, etc., etc. ; savoir faisons :
      « Comme nous nous trouvons, par suite de l’acte du Congrès de Vienne et des négociations qui depuis ont eu lieu à Paris avec nos hauts alliés pour son exécution, dans le cas de déterminer le titre, les armes, le rang et les rapports personnels du prince François-Joseph-Charles, fils de notre bien-aimée fille Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, duchesse de Parme, de Plaisance et de Guastalla » (on remarquera que le nom du père est (volontairement) omis dans cette patente, ce qui faisait dire à Madame Mère, ainsi que le rapporte le baron Larrey, après avoir lu l’acte : — En vérité, nous voilà trop vengés de la Maison d’Autriche ! Jamais je ne me serais imaginé qu’en donnant Marie-Louise à mon fils on avait cru en faire, non son épouse, mais sa maîtresse…) « nous avons résolu à cet égard ce qui suit :
    « 1° Nous donnons au prince François-Joseph-Charles, fils de notre fille bien-aimée l’archiduchesse Marie-Louise, le titre de duc de Reichstadt, et nous ordonnons en même temps qu’à l’avenir toutes nos autorités et chacun en particulier lui donnent, en lui adressant la parole, soit de vive voix, soit par écrit, au commencement du discours et au haut d’une lettre, le titre de Duc sérénissime et dans le texte celui d’Altesse sérénissime ; 
      « 2° Nous lui permettons d’avoir et de se servir d’armoiries particulières, savoir : de gueule à fasce d’or, à deux lions léopardés du même, l’un en chef et l’autre en point, l’écu ovale posé sur un manteau ducal timbré d’une couronne de duc ; pour supports deux
    griffons de sable armés, bequés et couronnés d’or, tenant des bannières sur lesquelles sont répétées les armoiries de l’écu ;
      « 3° Le prince François-Joseph-Charles, duc de Reichstadt, prendra rang, tant à notre Cour que dans toute l’étendue de notre Empire, immédiatement après les princes de notre famille et les archiducs d’Autriche.
     « Il a été expédié deux exemplaires parfaitement semblables et signés par nous de la présente déclaration et ordonnance qui doit servir d’information à chacun, afin qu’il y ait à s’y conformer ; l’un des exemplaires a été déposé dans nos archives privées de famille, de Cour et d’État.
     « Donné dans notre capitale et résidence de Vienne, le 22 juillet de l’an 1818, de notre règne le vingt-septième.
    « FRANÇOIS (L. S.).

    « François, comte de Sauran,

    « grand-chancelier. »