Le Roi Mystère/Partie 2/08

Nouvelles éditions Baudinière (p. 157-164).
◄  VII
IX  ►
2e partie

VIII

LA GRANDE HOSTELLERIE DE LA MAPPEMONDE

Il pouvait être dix heures du matin. C’était un dimanche, quelques jours après les événements que nous venons de raconter. Deux hommes montaient bras dessus bras dessous la pente ardue de la rue des Moulins et se trouvaient non loin de l’endroit où le moulin de la Galette a été construit depuis, rue Lepic.

L’un de ces hommes, que l’on pouvait facilement reconnaître à sa silhouette juvénile et à sa belle barbe blonde en collier, pour notre Robert Pascal, disait à son compagnon, un grand gaillard aux fortes épaules, au torse bombé à l’allemande, à la démarche à la fois nonchalante et orgueilleuse :

— Mon bon Professeur, voici une enveloppe et voici un sifflet…

Le professeur prit l’enveloppe et le sifflet que lui tendait en souriant Robert Pascal et il lui demanda, en courbant sa haute taille et en fronçant un sourcil soucieux :

— Pourriez-vous me dire, mon cher Benvenuto Cellini, quel est ce mystère ?

— Cette enveloppe, fit Robert Pascal, que vous ne déchirerez que demain matin, contient un mot d’ordre. Vous recevrez par la poste une enveloppe pareille tous les jours, car tous les jours il y aura un nouveau mot d’ordre. Sous quelque prétexte que ce soit, dans votre trajet de l’hôtel à l’atelier de Raoul Gosselin, quand vous serez avec Mlle Desjardies, ne vous arrêtez pour parler à quiconque ignorerait ce mot d’ordre. Fût-ce votre meilleur ami, continuez votre chemin.

— Compris ! fit le professeur. Et le sifflet ?

— Si, dans ce trajet, vous vous trouviez aux prises avec une difficulté quelconque, que quelque chose vous semble louche et que vous ayez besoin d’un renfort ou d’un refuge, sifflez !… Renfort et refuge viendront à vous.

— Par la Butte sacrée ! s’exclama le Professeur. Par Montmartre ! Voilà qui est admirable !… Mais je ne peux pas le croire…

— Essayez ! pria Robert Pascal en riant.

— Que je siffle ? fit l’autre, interloqué, en regardant son sifflet. Et si je siffle, renfort et refuge viendront à moi ?

— Sans aucun doute, répliqua Robert Pascal.

— Écoutez ! vous m’avez bien raconté des histoires sur votre roi Mystère, sur votre monarque des catacombes, mais qu’il soit assez puissant pour, au son de ce petit instrument, peupler instantanément cette rue déserte de chevaliers qui seront prêts à se faire tuer pour moi, voilà qui me dépasse !

La langue du Professeur était la plus imagée du monde, et pour les plus petites choses. Il n’avait jamais rien professé du tout que la joie de vivre à Montmartre, parmi les artistes, les bohèmes et les pauvres poètes aux âmes retentissantes. La sienne — d’âme — était un véritable gong que le plus petit souffle ou zéphir, que le plus mince incident faisait résonner bruyamment, magnifiquement.

Le Professeur se promenait dans la vie comme dans un conte de fée. L’enthousiasme latent qui brûlait ses vastes artères rayonnait autour de lui et l’entourait d’une atmosphère d’épopée montmartroise.

Vers trois heures du matin, quand il sortait du cabaret des Trois-Pintes, et qu’il s’arrêtait un instant sur le seuil des ténèbres, piquées çà et là de la lueur vacillante des réverbères de la Butte sacrée, il fallait l’entendre dire Mons Martyrum, qu’il avait soin de prononcer à la romaine : Mons Martyroum. Et ce brave Professeur était si bon que souvent il se prenait à pleurer en songeant à tout le sang qui avait coulé autrefois dans cet endroit où devait couler un jour tant de bière.

Le Professeur était un ami désintéressé et fidèle. Il habitait depuis que Montmartre le connaissait, autant dire depuis toujours, la Grande Hostellerie de la Mappemonde, où il n’avait jamais payé un terme ni l’un des repas qu’il y prenait tous les jours, le patron s’y étant refusé absolument, à cause de la grande admiration qu’il avait pour son glorieux client.

C’est là qu’il avait connu Robert Pascal, et les allures un peu romantiques du jeune orfèvre l’avaient séduit tout de suite. Tous deux avaient lié une solide amitié d’abord à table d’hôte, où Robert Pascal venait quelquefois prendre ses repas, bien qu’on y fût consciencieusement empoisonné ; ensuite au cabaret des Trois-Pintes, qui était une dépendance de l’hôtel.

De son côté, Robert avait eu l’occasion d’apprécier certaines qualités du Professeur. Ainsi, le Professeur, en dépit d’un bavardage incroyable et tel qu’il eût étonné chez une femme, était l’homme le plus discret du monde. Ainsi, le Professeur, malgré l’apparente familiarité de ses manières, était un véritable sauvage avec les gens qu’il ne comptait point parmi ses amis, et vis-à-vis de ceux-ci, il se montrait toujours plein de tact, ne les provoquant point à des confidences gênantes, et ne leur demandant point, comme on dit encore à Montmartre, la couleur de leurs chaussettes. C’était un homme, bruyant et silencieux, familier et poli ! Le Professeur n’avait point laissé, par exemple, d’apercevoir, comme tout le monde dans l’hôtel, qu’une jolie femme était venue s’installer depuis quelques semaines sur le palier de l’orfèvre. Il avait même rencontré l’orfèvre dans l’escalier, dans le moment qu’il s’entretenait assez vivement avec elle. Et, cependant, pas un instant il ne lui était venu d’interroger son ami sur Mlle Desjardies. Il savait, comme tous les locataires, que la nouvelle venue s’appelait Mlle Derennes, et il se contentait de ce mensonge.

Et lorsque Robert Pascal lui demanda le service d’accompagner tous les jours Mlle Derennes à l’atelier de Raoul Gosselin qui se trouvait rue Cardinet, et où l’artiste faisait le portrait de la jeune fille, il eut encore l’esprit de ne marquer aucun étonnement ni de demander aucune explication. Le Professeur connaissait Raoul Gosselin, et c’est dans son atelier qu’il apprit que Mlle Derennes n’était autre que Mlle Desjardies, la fille du condamné à mort.

Un moment il se dit : « Dans quelle histoire me suis-je fourré ! Par Notre Saint-Père le Pape, ouvre l’œil, Professeur ! » Donc, il l’ouvrit l’œil, mais, le soir, quand son ami Robert lui eut confié les malheurs de Mlle Desjardies et l’innocence de son père, il dut fermer cet œil pour qu’on n’y vît point les larmes dont il était humide. Robert lui avait dit : « Mon vieux Professeur, maintenant que vous connaissez les malheurs de Mlle Derennes, vous allez être dans l’hôtel son chevalier servant. Ceci consistera à l’accompagner une fois par jour chez Raoul Gosselin. Mlle Derennes ne doit point sortir de l’hôtel sans vous, et sa seule promenade sera celle-là. Suivez toujours l’itinéraire que je vous ai tracé. C’est une promenade et, autant que possible, je vous serais reconnaissant de ne point prendre de voiture. »

— Il serait plus simple de suivre les boulevards extérieurs, avait fait observer le Professeur.

— Plus simple, mais plus dangereux.

Mlle Desjardies court donc des dangers ? avait tout de même osé demander cet excellent homme.

— Elle n’en courra aucun, si vous exécutez le programme.

— Soyez tranquille. Sufficit ! s’était exclamé le Professeur en agitant sa canne comme devant un ennemi imaginaire.

Robert Pascal l’avait remercié : le Professeur lui avait répondu qu’il était capable de se faire « hacher en morceaux » pour un ami qui était un si bel orfèvre. À quoi Robert Pascal avait répondu que le dévouement qu’il lui demandait à la cause de Mlle Desjardies était d’un prix inestimable pour son ami le roi Mystère.

— Le roi Mystère ! souffla le Professeur avec extase, vous êtes un ami du roi Mystère !

Et il était bien près de se moquer un peu du légendaire roi Mystère. Il osa, par bravade, une petite plaisanterie ; mais Robert en parut si cruellement atteint qu’il jura de faire désormais ce que lui demanderait son ami sans s’étonner de rien, et de croire tout ce qu’il lui dirait de son ami Mystère !

Ainsi, plusieurs jours, avait-il conduit Mlle Desjardies chez son peintre, et il n’était arrivé d’incident autre que celui qu’il fallait attendre de la curiosité de la concierge et des locataires.

Enfin, ce jour de dimanche étant venu, comme le Professeur était descendu place Clichy « prendre un petit quelque chose », il avait été rejoint, au moment où il remontait la rue des Moulins, par Robert Pascal qui, après l’avoir chaleureusement remercié de ses bons et loyaux services, l’avait mis en garde plus que jamais contre les aventures de la route.

Le Professeur et Robert Pascal étaient arrivés au coin de la rue des Moulins et de la rue Tholozé. Le Professeur tenait le petit sifflet, le regardait, et ne se décidait point à siffler.

— Mais sifflez donc, tête de mulet, reprit Robert Pascal.

Le Professeur leva les yeux au ciel, attestant les dieux de la folie de son ami.

Et il siffla. Le sifflet rendit un son strident, très particulier, très puissant et très aigu.

Mais comme la rue, qui était déserte avant qu’il ne sifflât, restait encore déserte après qu’il eut sifflé, le Professeur éclata de rire.

— Où donc est le secours ? Où donc est le refuge ? s’écriait-il, joyeux.

Alors, Robert Pascal lui montra sur le seuil de tous les immeubles, à partir de la Grande Hostellerie de la Mappemonde jusqu’au plus loin que le regard pouvait s’étendre, les concierges debout et attentifs.

Le Professeur fut évidemment très étonné d’apercevoir en quelque façon au port d’armes, tant de concierges à la fois, qu’il n’avait pas vus dès l’abord, parce que ceux-ci n’avaient point franchi le seuil de leurs demeures.

— Encore un coup de sifflet, fit Robert Pascal, et toutes ces bonnes gens vont se précipiter vers nous, nous apportant secours et refuge, le secours de leurs bras et le refuge de leurs loges.

— Diable ! s’étonna le Professeur. Voici qui est tout à fait bien trouvé et fort ingénieux !

— Le mérite n’en revient point à mon ami le roi des Catacombes, reprit Robert Pascal, mais à la police russe elle-même, qui a inventé ce moyen de se faire aider dans quelque circonstance qu’elle se trouve et à quelque heure que ce soit. C’est une institution — celle des concierges policiers — au-dessus de tout éloge, car elle permet au pouvoir d’avoir toujours à sa disposition, sans que la tranquillité de la rue en soit troublée, une véritable armée de secours. Mon ami Mystère s’est créé, d’après ce modèle, quelques bataillons de chevaliers du cordon, qui, sur certains points de la capitale qui l’intéressent particulièrement, sont toujours prêts à obéir au coup de sifflet de ses agents et à se jeter sur ses ennemis.

Les concierges, voyant qu’on ne sifflait plus, étaient rentrés dans leurs loges.

— C’est à peine si j’en crois le témoignage de mes yeux, fit le Professeur. Encore une fois, j’avais bien entendu parler du roi des Catacombes, mais par Notre-Dame-de-Lorette, j’avais cru à une blague.

— Je vous le présenterai un jour, cher ami.

Devisant de la sorte, Robert Pascal et le Professeur arrivèrent à la Grande Hostellerie de la Mappemonde.

C’était, sur la rue, un vaste bâtiment sans aucune architecture, aux murs nus et lisses, d’un jaune sale et culotté, regardant au-dehors par de hautes et larges fenêtres que ne reliaient entre elles aucune corniche, aucun agrément de plâtre ou autre.

Un vaste porche, comme on en voit aux anciennes auberges, permettait de pénétrer en voiture dans l’hôtel. Les portes en étaient ouvertes et ce porche était sombre. À droite, une petite porte ouvrait sur la loge du concierge. À gauche, une autre petite porte permettait de descendre par deux marches au grès usé dans la salle du cabaret des Trois-Pintes.

Le cabaret des Trois-Pintes avait également une porte donnant sur la rue. Au-dessus de cette porte particulière au cabaret était suspendue une antique enseigne qui menaçait à chaque instant de choir sur la tête des clients. Mais les clients, qui étaient pour la plupart des artistes, avaient défendu qu’on y touchât. Elle représentait un Alboche, un Bourguignon et un gars normand qui luttaient de jovialité et de boisson, armés chacun d’une pinte, qui de bière, qui de vin, qui de cidre, ce qui signifiait évidemment qu’il y en avait, aux Trois-Pintes, pour tous les goûts.

Quant à l’hostellerie elle-même, elle n’avait point d’enseigne, mais on avait peint en larges lettres noires, sur toute la largeur de son mur sale, à la hauteur du premier étage : « Grande Hostellerie de la Mappemonde », inscription qui, évidemment, en disait plus long que tout, puisqu’elle embrassait l’univers.

Le Professeur et Robert Pascal arrivaient sous le porche quand ils s’entendirent héler par une voix joyeuse ; et ils reconnurent Raoul Gosselin, le peintre, qui se tenait sur la porte de la loge.

— À propos, demanda tout de suite, bas, à son compagnon, le Professeur, est-ce que la mère Héloïse en est, de votre association des concierges ?

— Non, elle n’en est pas, répliqua Robert Pascal.

Et il s’avança vers Gosselin.

— Vous savez qu’il y a une demi-heure que je suis là, fit Gosselin, à vous attendre, mon cher Pascal.

— Eh ! fit le Professeur, n’aviez-vous point pour vous tenir compagnie la mère Héloïse ?

— Elle n’est point là, la sainte femme, répondit Gosselin.

Et le Professeur entra dans la loge.

— Oh ! oh ! fit-il, voilà qui est plus fort que tout… Par les dieux immortels, quel malheur nous menace ?

… Robert Pascal et Gosselin étaient entrés dans la loge derrière le Professeur. Ils la trouvaient comme ils l’avaient toujours connue, pleine à déborder d’objets de piété, de statuettes de la vierge, de saint Joseph et d’enfants Jésus, de chemins de croix et de chapelets pendus en guirlandes au long des murs. Sur le poêle de fonte, un miroton mijotait.

— Étrange ! Étrange ! murmurait le Professeur.

— Mais, quoi ? Que voyez-vous ?

— C’est ce que je ne vois pas qui m’épouvante ! D’abord, je ne vois pas la mère Héloïse, ce qui n’est rien, mais je ne vois pas Salomon, ce qui est bien quelque chose.

— Salomon ! En effet, où est Salomon ? demanda Robert Pascal.

— Où est Salomon ? répéta le peintre… Je ne m’étais pas aperçu de l’absence de Salomon !…

— Rien d’étonnant à cela pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de la maison. Salomon, quoique perroquet, ne parle pas ! fit le Professeur. Son silence ne saurait vous révéler son absence, mais nous autres qui avons coutume de le voir matin et soir sur son perchoir, qui lui demandons notre clef quand la mère Héloïse n’est pas là ; nous autres qui, pour la première fois, voyons la loge sans Salomon, comprenez que les pires pressentiments nous assiègent !

Le Professeur se rejeta sous le porche en criant :

— Où est Salomon ?… Personne n’a vu Salomon ?

À son appel, une demi-douzaine de locataires accoururent et s’émurent ensemble en constatant la disparition de Salomon ! Quelquefois, la mère Héloïse s’absentait, mais Salomon restait toujours pour garder la loge. C’était un concierge modèle que cet oiseau silencieux, connaissant tous les locataires, prêt à répondre d’un coup de bec habile à leur moindre appel, leur tirant le cordon la nuit, leur donnant leur clef le jour. Et, avec cela, d’une discrétion rare chez un concierge, mais unique chez un perroquet. Bref, le roi des pipelets. C’était la sagesse même, et voilà pourquoi les locataires de la Grande Hostellerie de la Mappemonde l’avaient appelé Salomon. Car, de son vrai nom, il s’appelait Jacquot, comme tous les perroquets.

— Salomon ? Où est Salomon ? Avez-vous vu Salomon ?…

Le Professeur prononçait des discours funèbres.

— Pauvre Salomon ! gémissait-il. Est-il vrai que nous t’ayons perdu ? Tu as connu cette vertu que le monde en général et que ces dames en particulier, qui m’entourent, ne connaîtront jamais : la vertu du silence !

Ces dames houspillèrent le malheureux Professeur, prétendant qu’il était plus bavard à lui tout seul qu’elles toutes réunies… Robert Pascal se dégagea tout doucement de la foule et fit signe à Gosselin de le suivre. Or, l’événement amusait le peintre et il dit à l’orfèvre : « Bah ! descendez-moi votre médaillon. Je vous attends ici… C’est trop drôle ! »

L’orfèvre prit le chemin de sa chambre. Dans le même moment, des cris retentirent sous le porche. C’était la mère Héloïse qui rentrait, et elle avait à la main une cage dans laquelle se trouvait Salomon.

Nul ne pouvait se vanter d’avoir vu la mère Héloïse été comme hiver, sans sa platine, sur laquelle elle croisait les mains comme pour la prière ; nul, bien entendu, excepté défunt son mari, qui l’avait connue lorsqu’elle était encore jeune et désirable ; mais puisque le brave homme était défunt, il ne pouvait pas se vanter plus que les vivants. Car cette vieille avait eu un mari, un ancien curé qui avait jeté le froc aux orties, et qui avait enlevé la future concierge de la Mappemonde à son couvent, où elle était sœur tourière. Voilà pour la concierge ; quant au pipelet mâle, je veux dire le perroquet, il ressemblait à la plupart des perroquets et il était d’un vert très ordinaire.

Quand la mère Héloïse fut assise dans sa loge et qu’elle eut replacé Salomon sur son perchoir, elle souffla un peu et consentit à donner des explications. On s’aperçut tout de suite qu’elle était rentrée « l’amour-propre froissé ». Elle ouvrit un journal et, montrant, en première page, un filet écrit en gros caractère, elle déclara : « C’est de là qu’est venu tout le mal ! » Le Professeur lit le filet à haute et vibrante voix : « Toutes les personnes en possession d’un ou de plusieurs perroquets sont priées de passer à l’hôtel du comte de Teramo-Girgenti ; se présenter rue de Ponthieu… Tous les perroquets sont achetés. Les personnes qui auraient un perroquet auquel elles seraient trop attachées pour vouloir s’en défaire, sont également priées de venir rue de Ponthieu. On leur louera leurs perroquets pour une période et pour un prix à débattre. »

Tout le monde comprit que cette annonce avait tenté la vieille Héloïse. Certes, elle eût été incapable de vendre Salomon, mais le louer était une autre affaire.

— Ah ! gémit-elle, je n’aurais pas eu le courage de m’en séparer plus de huit jours !

Oui, oui, cela on le comprenait ; mais, ce qu’on ne comprenait pas, c’était la raison que pouvait avoir un citoyen, fût-il comte de Teramo-Girgenti, à louer tous les perroquets qu’on ne voulait pas vendre.

— Que la Sainte Vierge me pardonne, fit la vieille ; mais vous me direz si je n’ai point raison d’être en colère ! Je vais vous raconter ce qui m’est arrivé. C’est indigne ! Ce matin, ayant lu l’annonce de ce journal et ayant pris ma résolution, je mis Salomon dans sa cage. Il se laissa faire sans rien dire, comme toujours…

La mère Héloïse avait commencé le récit des aventures de Salomon au milieu de l’attention anxieuse de tous ses auditeurs. Aussi n’était-il point étonnant que pas un de ceux-ci ne se fût aperçu de l’arrivée d’un nouveau personnage qui se prit à écouter de toutes ses oreilles, qu’il avait longues et fort décollées. À ce détail, et aussi à certain profil rappelant celui de ce petit mammifère carnassier du genre martre que l’on appelle fouine, profil qui apparaissait encore assez nettement malgré tout l’embroussaillement d’une barbe de sapeur destinée évidemment à déguiser sa véritable personnalité, nos lecteurs reconnaîtront notre vieil ami Dixmer.