Le Roi Louis XVII
Revue des Deux Mondes6e période, tome 55 (p. 110-133).
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LE ROI LOUIS XVII

III[1]
COMPLOTS

Si Paris vécut dans la stupeur cette sombre journée du 21 janvier, au troisième étage de la Tour du Temple, elle s’écoula dans l’angoisse et le désespoir. À six heures du matin, les prisonnières entendirent frapper à leur porte : on demandait « le livre de messe de Mme Tison pour la messe du Roi ; » plus tard elles perçurent le bruit d’un grand mouvement dans l’escalier et dans les cours ; à dix heures et demie, des salves d’artillerie lointaines et la clameur des rues dissipèrent leurs dernières illusions. On a quelque indice qu’en cet instant solennel et terrible, la Reine suffocante relevant son fils qui, dans une prière éperdue se serrait contre ses genoux, le salua Roi de France suivant l’antique usage, et tel fut, dans cette chambre close, toute retentissante de sanglots et de cris de douleur, le sacre de cet enfant dont la petite tête blonde ne devait jamais porter la couronne de France. Hors de France, tous les gouvernements le saluaient du cri traditionnel : le Roi est mort, vive le Roi ! et, à Paris même, un journal, le Véridique, osait imprimer : — « Il est certain que les communs vœux de la Nation et la majorité des peuples de l’Europe ne croient ni à la République française, ni à la possibilité d’une République en France. Ils croient que la mort de Louis XVI a fait un saint de plus et un roi nouveau. Nous nous occuperons un jour du saint ; allons au plus pressé, au roi… Ce roi est le fils de Louis XVI ; il n’est besoin que de lui chercher une régence. » Peut-être, de ce jour-là, l’alléchante perspective de cette régence commença-t-elle à fasciner quelques-uns des favoris de la Révolution qui, grisés de leur popularité, rêvaient déjà des destinées fabuleuses et entrevoyaient la tutelle du petit Roi du Temple comme un but accessible à leur mérite et à leur renommée.

Après le départ du Roi pour l’échafaud, Cléry en pleurs s’était réfugié dans sa chambre ; la Reine le réclama à plusieurs reprises ; mais on lui objecta que Cléry, étant « dans un état affreux, » ne pouvait se présenter devant elle. Pourtant, vers midi, il descendit à la Chambre du Conseil et déclara aux Commissaires que le Roi, en quittant sa chambre, lui avait remis plusieurs objets destinés à la Reine : Cléry les déposa sur la table des Commissaires : c’étaient l’anneau de mariage de Louis XVI, un cachet de montre en argent, enfin « un petit paquet, » sur lequel le condamné avait écrit : — « cheveux de ma femme, de ma sœur et de mes enfants. » À cinq heures du soir, les commissaires apposèrent les scellés sur les portes de l’appartement du Roi, non sans avoir auparavant autorisé Cléry à prélever dans les armoires le linge qui lui appartenait et celui du Dauphin. Puis on installa le valet de chambre, qui se trouvait sans logement, dans l’une des pièces de la petite Tour. Goret, l’un des municipaux de garde ce jour-là, après une courte visite à la Reine qui lui réclama des vêtements de deuil, — « les plus simples, » dit-elle, — alla, vers neuf heures du soir, convier Cléry à descendre souper dans la Chambre du Conseil ; Cléry consentit, non sans peine. Le général Santerre s’était invité à la table des municipaux avec quelques officiers de son état-major : il se plut à raconter l’exécution du tyran, donnant des détails et se flattant de son décisif roulement de tambour. Cléry se leva de table et sortit de la salle sur un signe de Goret qui le rejoignit dans sa chambre et passa la nuit auprès de lui.

Les seules modifications apportées, par suite de la mort de Louis XVI, au règlement du Temple furent la réduction à six du nombre des commissaires et la suppression des promenades dans le jardin, la Reine se refusant à descendre l’escalier et à passer devant la porte de l’appartement qu’avait habité son mari. On ne retourna donc point dans la petite salle à manger du second étage, sur laquelle, d’ailleurs, les scellés étaient apposés ; on continua de servir le dîner et le souper dans l’antichambre de la Reine, ainsi qu’on le faisait depuis que toute communication avait été interdite entre le Roi et sa famille. Les repas étaient aussi copieux et aussi soignés qu’auparavant, mais « moins splendidement servis. » La Reine et Madame Elisabeth « accordaient au jeune prince le rang et la prééminence » auxquels son « avènement » lui donnait droit. Soit qu’ils ne s’en aperçussent point, soit que les garçons servants, tous trois dévoués, comme on le sait, aux détenues, s’acquittassent de leur office avec discrétion, Tison et les commissaires laissaient faire ; un d’eux pourtant, Pierre Bernard, s’assit, un jour, sans façon, sur la chaise réservée au petit Roi, siège plus élevé que les autres et garni d’un coussin. Il fallut que Tison se chargeât de déloger le municipal, ce qui ne fut pas sans peine, ce rustre protestant « qu’il n’avait jamais vu de prisonniers faire usage de chaises et que la paille est assez bonne pour eux… »

Ainsi, des deux appartements superposés, primitivement destinés au logement de la famille royale, un seul lui restait dont elle ne sortait plus que pour prendre l’air, de temps à autre, sur l’étroite plate-forme crénelée qui régnait autour du toit de la Tour. Huit personnes vivaient en une promiscuité gênante et continuelle dans les quatre petites pièces du troisième étage : la Reine et ses deux enfants habitaient l’une des chambres, Madame Elisabeth occupait l’autre, les Tison faisaient ménage dans la troisième, et les deux commissaires de garde établissaient leurs lits dans l’antichambre où ils passaient toute la nuit et toute la journée. Quant à Cléry, malgré l’insistance de la Reine, il ne devait plus reparaître ; il resta confiné dans une chambre de la petite Tour, prenant ses repas à la salle du Conseil ; à la fin de février, on lui signifia l’ordre de quitter le Temple, et il dut partir le 1er  mars, sans avoir revu ni son jeune maître ni les prisonnières.


Durant les deux premiers mois de la captivité du Roi, la Commune s’était trouvée fort embarrassée pour subvenir à l’entretien de ses otages et à la transformation du Temple en geôle d’État. Dans la joie du triomphe, on n’avait pas lésiné sur les frais ; l’Assemblée législative n’avait-elle point, d’ailleurs, le 12 août, voté une somme de 500 000 livres, payable par huitièmes et imputable aux besoins de Louis XVI et de sa famille jusqu’à la réunion de la Convention nationale ? Au milieu d’octobre, la Commune n’avait pas encore touché un écu de ce demi-million ; le Roi non plus, bien entendu. Le Conseil insurrectionnel avait paré aux plus pressantes dépenses « en épuisant 15 000 livres trouvées dans les coffres ; » mais les fournisseurs, les entrepreneurs et les ouvriers réclamaient, et l’argent manquait pour les payer. Roland, ministre de l’Intérieur, plein de rancunes et d’animosité contre la Commune de Paris, se refusait à « donner un sou » et, par comble, le texte du décret ordonnateur demeurait introuvable. Dans cette extrémité, évaluant qu’elle payait cher la gloire d’être la geôlière du tyran, la Commune avait résolu de modérer l’architecte Palloy et ses collègues auxquels étaient confiés les travaux du Temple, et délégué une commission chargée de lui rendre compte de la situation. Cette commission était composée de deux membres : Antoine Simon, ce cordonnier, et Toussaint Charbonnier, ce bonnetier, dont on a déjà cité les noms.

Il ne paraît pas vraisemblable que, parmi ses deux cent quatre-vingt-huit membres, le Conseil général n’ait pu choisir, pour remplir cette mission difficile et délicate, des représentants plus qualifiés que ces deux personnages, incapables d’examiner un devis, de vérifier une addition et de rédiger un rapport. Si elle n’a pas un but inavoué, leur désignation ressemble à une mystification, et il serait précieux de connaître quel protecteur mystérieux entreprenait de pousser ainsi le savetier Simon sur la voie des honneurs et des profits. Comment expliquer, d’abord, que la section du Théâtre-Français elle-même, l’une des plus « remuantes » et des plus avancées de Paris, n’eût pas trouvé, dans la nuit du 10 août, pour la représenter à l’Hôtel de Ville, un commissaire plus intelligent et plus décoratif que ce besogneux borné et sans instruction ? C’était un pauvre hère qu’une vie d’entreprises avortées avait cahoté : en débarquant de Troyes où son père tenait un étal de boucher, il avait été d’abord apprenti, puis maître cordonnier ; ne trouvant pas à gagner sa vie, il monta, rue de Seine, une gargote où il donnait « à manger et à coucher ; » mais l’ordre et la compétence lui faisaient également défaut ; son livre de débit était tenu de telle sorte que, lors d’un inventaire, les experts se déclarèrent dans « l’impossibilité d’y reconnaître les articles à recouvrer, vu la confusion qui y règne. » Simon avait épousé, en 1766, Marie-Barbe Hoyau, veuve Munster, qui apportait en dot quelques nippes, peu de bijoux, et une fille mariée depuis lors à un tailleur de la rue des Mauvais-Garçons, maître Vanhemerlye. Après la faillite de sa gargote, l’ex-cordonnier reprit l’alène et la gouge et s’établit au deuxième étage d’une maison de la rue des Cordeliers : il vécut là d’expédients, mettant en gage les hardes de sa femme, empruntant à tout le quartier, s’endettant chez les fournisseurs et si dépourvu de ressources que, quand Barbe Hoyau mourut, à l’Hôtel-Dieu, le 11 mars 1786, il dut pour l’enterrer, ou simplement pour noyer son propre chagrin dans une sérieuse ribote, engager, pour 26 livres, le reliquat de la garde-robe de sa défunte : un jupon, une jupe et une camisole. Deux ans plus tard, perdu de dettes, il convolait avec Marie-Jeanne Aladame, une « femme d’ouvrage, » âgée de quarante-trois ans, dont le principal attrait consistait en une dot de 1 000 livres « tant en deniers comptants qu’en habits, linge et hardes à son usage, » et, — dit-on, — une petite rente que lui avait léguée une bourgeoise dont elle avait longtemps « fait le ménage » dans la maison même qu’habitait Simon. L’apport de celui-ci, d’après l’inventaire dressé postérieurement à la mort de sa première femme, consistait en 3 000 livres de dettes et « une somme de vingt sous en deniers comptants ; » son matériel de travail, d’une valeur de 38 livres, ne lui appartenait plus : il l’avait cédé, en s’en réservant l’usage, à un garçon savetier du voisinage.

Si un tel homme n’avait pas jugé la société mal faite, il faudrait renoncer à trouver des gens pour acclamer les révolutions. Au signal du branle-bas, il est de toute évidence que Simon s’évertua et s’efforça d’être remarqué : il n’en reste pas moins incompréhensible que dans la section de Danton, de Camille Desmoulins, de Brune, de Marat, de Chaumette, de Fabre d’Eglantine, de Legendre, de Momoro, un tel déclassé soit devenu un personnage et, plus encore, que, élu membre de la Commune, il ait été accueilli à l’Hôtel de Ville comme un renfort d’importance. Dès les premières séances, en effet, il est investi de la confiance générale : on lui réserve les missions délicates ; il sera, le 13 août, un des quatre commissaires chargés de présider à la translation du Roi au Temple : c’est lui qui, le lendemain, portera à la prison l’ordre de mettre en arrestation tous les serviteurs de Ia famille royale ; le 2 septembre, la Commune le dépêchera à Bicêtre et à la Salpêtrière pour tâcher d’arrêter les massacres : il en revient le 4 au matin déclarant « qu’il n’a rien pu gagner sur l’esprit du peuple. » Plus tard il présidera à l’inventaire des effets provenant des prisonniers égorgés à Versailles. Il est encore au nombre de ceux qu’on désigne, le 29 septembre, quand il s’agit de transférer Louis XVI dans la grosse Tour, et, de ce jour, le cordonnier ne quittera plus, pour ainsi dire, la prison royale : il y est délégué, par le Conseil général, avec le bonnetier Charbonnier, afin de confisquer aux prisonniers plumes, encre, papiers, crayons, jusqu’au carton à dessin de Madame Royale, jusqu’aux règles d’ébène ou de bois de rose dont le Dauphin fait usage pour ses cahiers d’écolier et c’est ainsi qu’il s’installe, toujours en compagnie du bonnetier, au rez-de-chaussée de la Tour, instituant à eux deux une commission dont Simon est élu présidan « ainsi écrit-il son nouveau titre ; par son collègue qu’il nomme aussitôt son secrétaire, inspectant les travaux de Palloy et de Poyet, vérifiant des comptes, — lui qui n’a jamais su tenir les siens, — prenant la haute main sur le Conseil des commissaires, ordonnant de murer des portes, de consolider des grilles, de combler des fossés, se démenant de cent façons et se transportant audacieusement, avec Manuel, chez le ministre de l’Intérieur, afin d’obtenir le paiement des 500 000 livres dont la Commune a besoin. Roland reçut les délégués plus que froidement : il ne lâcha pas un écu ; mais, le jour même, sur un rapport du Comité des Finances, la Convention » revotait » la somme déjà accordée par la Législative, et la Commune de Paris pouvait enfin payer ses dettes. Ses commissaires aux comptes du Temple, le médecin Verdier et le perruquier Profinel, se mirent aussitôt à la besogne et tentèrent un relevé des dépenses occasionnées par l’embastillement de la famille royale ; ils ne parvinrent qu’à ébaucher ce travail et la Commune dut nommer en décembre une nouvelle commission, composée de Cailleux, de Moelle et de Toulan. Celui-ci, — un méridional peu timoré et très franc, — ne se privait pas de proclamer que toutes ces commissions, sous prétexte d’examens de comptes qu’elles n’examinaient pas, « ne se rendaient au Temple que pour manger, comme dans une auberge. »

On en pouvait dire autant de celle que présidait Simon. Le cordonnier, dès le début d’octobre 1792, hébergé à la Salle du Conseil, pénètre à son gré chez les prisonniers, leur adresse la parole, sans que personne jamais s’étonne de ces dérogations à la consigne. C’est, au physique, un homme robuste, en dépit de ses cinquante-six ans, un peu dur d’oreille, aux traits brutaux à la fois et hébétés, aux yeux écarquillés comme sont ceux des gens qui ont de la peine à comprendre. Il a les cheveux plats, la tête toujours couverte d’un vieux chapeau rond et mou ; il est vêtu, quand il est endimanché, d’un habit de drap « couleur de la nation, doublé de rouge écarlate » que le ravaudeur Peigné a « raccommodé partout. » Au moral, le tableau n’est guère plus flatteur ; ses collègues, qui ne l’ont pas en aversion, s’accordent à le présenter comme un malheureux, sans éducation ni instruction, pas aussi méchant que les historiens l’ont voulu peindre, ayant « un bon fonds de sensibilité, d’honnêteté et même de générosité, » mais n’étant pas « fort spirituel, » enthousiasmé de la liberté et de l’égalité, jouissant avec délices des droits qu’elles confèrent et en usant envers tout le monde sans gêne ni nuance. » Le portrait diffère grandement de celui que la légende accepte comme authentique ; mais il est certainement ressemblant, car il concorde avec quelques épisodes recueillis par les contemporains. Ceux-ci nous montrent, par exemple, le cordonnier farouche, ému aux larmes du désespoir de la Reine et de sa fille le jour où, le Roi étant transféré à la Grosse Tour, elles redoutent une séparation définitive. — « Je crois que ces bougresses de femmes me feraient pleurer, » dit Simon en s’essuyant les yeux ; et, tout de suite, pour dissimuler son apitoiement : — « Ah ! vous pleurez ! Vous ne pleuriez pas, le 10 août, lorsque vous passiez la revue pour faire assassiner le peuple ! — Le peuple est bien trompé sur nos sentiments, » répondit simplement Marie-Antoinette. Il traite bientôt d’ailleurs « Mme Capet » en bon camarade ; un jour, comme elle lui demande des nouvelles de Mme Simon, malade à l’hôpital : — « Dieu merci ! elle va mieux… C’est un plaisir de voir actuellement ces dames de l’Hôtel-Dieu ; elles ont bien soin des malades… Elles sont habillées comme ma femme, comme vous, mesdames, ni plus ni moins… » Une autre fois, il pénètre tout courant dans les appartements, car il se démène et s’emploie en conscience du matin au soir ; la Reine, le voyant en sueur, dit : — « Vous avez bien chaud, monsieur Simon, voudriez-vous boire un coup de vin ? — Madame, riposte le savetier avec fierté, je ne bois pas comme cela avec tout le monde ! » Les princesses l’appellent souvent, le sachant très complaisant : il paraît devant elles d’un air délibéré : — « Que désirez-vous, mesdames ? » Et aussitôt il cherche à les satisfaire. Si ce qu’elles réclament ne se trouve pas dans les magasins du Temple, il court chez les marchands. La Reine dit un jour : — « Nous sommes fort heureuses de ce bon M. Simon qui nous procure tout ce que nous demandons. » Les prisonniers paraissent s’amuser de la naïveté de cet homme et il semble bien que tout le monde au Temple rit sous cape de sa bêtise et de son importance, qu’il inspire même à ses collègues une sorte de pitié ; mais on ne le redoute pas : il n’est ni faux, ni haineux ; comme beaucoup de ceux auxquels la vie n’a pas réussi, heureux de trouver sur le tard une place qui lui donne l’impression d’être indispensable, il prend au sérieux sa qualité d’élu du peuple et s’imagine incarner la Révolution.

Mais à qui, encore une fois, doit-il ce crédit que sa valeur personnelle ne justifie en rien ? Quelqu’un d’ambitieux et de puissant ne pousse-t-il pas de l’avant, afin de l’étudier et de s’en faire un instrument docile, ce comparse assez rigide pour être incorruptible et en même temps assez souple pour obéir aveuglément à qui lui commandera en maître au nom de ses devoirs d’intransigeant républicain ? Sans l’appui d’aucun texte, on a cité Marat au nombre des protecteurs de Simon ; mais on n’aperçoit pas le lien entre ce savetier borné et le théoricien de l’anarchie. Robespierre, dont on a également avancé le nom par simple hypothèse, paraît, lui aussi, être totalement étranger au rapide avancement de Simon. Comme il faut bien cependant en découvrir l’imprésario, ne doit-on point croire que Chaumette et Hébert, complices madrés et entreprenants, maîtres absolus au Temple et à la Commune, tiennent les fils de ce pantin auquel ils réservent un rôle de premier plan et dont il jouera inconsciemment les scènes périlleuses, alors qu’eux-mêmes se tiendront prudemment dans la coulisse ? Cette supposition a du moins sur les précédentes l’avantage d’une référence : le municipal Verdier qui, en sa qualité de médecin, surpassait en pénétration la grande majorité de ses collègues du Conseil général et qui, ayant été chargé de l’apurement des Comptes du Temple, était en situation de bien voir et de connaître le personnel de la prison, Verdier écrivait : — « L’un des substituts de la Commune, Hébert, voulut faire de Simon l’instrument de ses scélératesses par les louanges qu’il lui donnait sans cesse et qui lui persuadèrent qu’il était le premier des patriotes. » Quant à Chaumette, on discerne facilement les raisons de son emprise sur ce subalterne balourd : ils habitaient presque porte à porte et se retrouvaient fréquemment au local de leur commune section ; tous deux avaient été élus commissaires à l’Hôtel-de-Ville dans la nuit du 10 août ; nul doute que Simon n’eût conçu là une profonde admiration pour ce compère éminent, devenu en peu d’heures le ténor applaudi de la Commune et auquel il s’enorgueillissait de se frotter. Une autre circonstance les unissait encore : Chaumette était le fils d’un cordonnier de province, et quoiqu’il eût témoigné naguère une grande honte de cette origine, il s’en prévalait hautement maintenant que l’optique générale s’était démocratisée. Il avait lu dans Jean-Jacques qu’Émile « honore beaucoup plus un cordonnier qu’un empereur » et savait que le philosophe de Genève préférait voir son pupille « « savetier plutôt que poète : » toutes citations qui ravissaient Simon, plus habitué, par sa vie de mécomptes, aux bourrades qu’aux flagorneries. S’il est donc manifeste que le pauvre homme professait un culte pour Chaumette, celui-ci, en retour, le dominait entièrement, et l’exposé de certains incidents qui vont suivre homologuera de façon indiscutable cette constatation.


Depuis la mort du Roi la surveillance de sa veuve, de sa sœur et des deux orphelins s’était sensiblement desserrée. Le 26 janvier, l’un des commissaires de garde, Toulan, osa se compromettre au point d’apporter à la Reine des journaux relatant l’exécution de Louis XVI. Toulan passait pour être un ardent révolutionnaire : originaire de Toulouse, installé, en 1781, libraire et marchand de musique dans le quartier des Tuileries, il avait rapidement conquis une sorte de popularité : président du district du Louvre, puis membre de la Commune du 10 août, à trente-deux ans, en 1793, il était une manière de personnage. De taille moyenne, le visage rond, le front large, le nez légèrement camus, il parlait avec une facilité et un entrain communicatifs et l’ensemble de sa personne était séduisant. Ses fréquentes visites au Temple lui avaient fourni mainte occasion d’approcher les prisonniers. Comme beaucoup d’autres il se montrait indifférent à leur malheur et cette impitoyable attitude lui méritait la pleine confiance du Conseil général ; mais un mot de Marie-Antoinette prouve que Toulan, dès le premier abord, n’avait pris ce masque farouche que pour dissimuler sa respectueuse pitié. Le drame du Temple abonde en artifices de ce genre ; c’est ce qui le rend si complexe et, par instants, si obscur : l’Histoire, sur bien des points, est dupée comme l’était la Commune. Ce méridional était si adroit et si habile comédien, il affectait devant ses collègues un jargon si purement révolutionnaire, qu’il déroutait les plus soupçonneux ; il leur imposait aussi, car il avait de l’esprit et de l’aplomb. De l’aplomb surtout : il le prouva, lors de son tour de garde des 26-27 janvier, en forçant, dans la salle du Conseil, le tiroir de commode où avait été déposé, cinq jours auparavant, le paquet scellé contenant l’anneau de mariage du Roi, son cachet et les cheveux de la Reine et de ses enfants. Toulan s’empara de ces reliques et les rapporta à la Reine. Quand le Conseil du Temple, en grand émoi, s’avisa de la disparition des précieux objets, il jugea que leur valeur marchande avait tenté quelque voleur vulgaire, opinion renforcée, sans nul doute, par l’éloquence de Toulan lui-même, et l’on s’entendit prudemment pour « étouffer l’affaire. »

C’est aussi bien probablement à l’influence de Toulan que la Reine dut la visite d’une ouvrière mandée pour corriger les robes de deuil, mal bâties, faute d’essayage. Cette ouvrière, Mlle Pion, n’était autre qu’une ancienne couturière de la Reine, entrée au service de Mme de Tourzel ; elle vint deux jours de suite à la prison : — « Je ne puis dire, raconta-t-elle, tout ce que j’éprouvai en voyant ma chétive personne faire briller sur les visages de cette auguste famille un rayon de consolation… Mgr le Dauphin, dont l’âge excusait les étourderies, courait tantôt à moi, puis à la Reine, aux deux princesses et même au municipal : il en profitait pour me faire, sous l’apparence d’un jeu, toutes les questions que pouvait désirer la famille royale et jouait si bien son rôle qu’on ne pouvait se douter qu’il m’eût parlé. » Peut-être, vers la même époque, faut-il placer les visites du peintre Kocharsky, qui fit au pastel un portrait de Marie-Antoinette la tête couverte d’un voile de veuve. Incidents précieux à noter : si sévères que fussent les consignes édictées par la Commune, on parvenait à les éluder : le Temple n’était point une prison si fermée qu’on ne pût espérer y pénétrer. La Reine obtint aussi que le docteur Brunyer, ci-devant médecin des enfants de France, donnât des soins à Madame Royale qui souffrait d’une plaie à la jambe : comme le traitement se prolongea durant plus d’un mois, le docteur put largement approvisionner de nouvelles les prisonnières et leur communiquer les renseignements que lui transmettait Mme de Tourzel, alors de séjour à Paris. Le zèle soupçonneux des commissaires se fatiguait visiblement.

On constate, d’ailleurs, à ce même temps, dans la Commune, un relâchement singulier. Le Temple, malgré sa bonne cuisine, semble n’avoir plus d’attrait pour les municipaux. À la séance du Conseil général, le 28 janvier, un membre se faisant le porte-parole de ses collègues, proteste qu’il est ridicule de voir les élus du peuple de Paris servir « de valets à Mme Capet et vider ses pots de chambre. » En dépit des murmures qui accueillent ce mouvement oratoire, il poursuit : — « Il est temps qu’on délivre la Commune de ce fardeau ; il est temps que notre responsabilité cesse ; qu’on mette la ci-devant Reine à la Conciergerie ou à la Force ! » La proposition soulève un long débat où intervient Real, l’un des substituts de Chaumette, et qu’il clôt en quelques phrases grosses de prévisions menaçantes : — « Ce n’est pas pour la femme de Capet que vous allez au Temple, mais pour son fils. Vous croyez cette garde inutile ?… Moi, je la crois plus importante que jamais. Louis n’était presque plus à craindre ; mais son fils, cet enfant intéressant, encore appuyé sur une antique prévention, ne le comptez-vous pour rien ? Croyez-moi, c’est un otage qu’il faut conserver avec soin. Craignez qu’en feignant de mettre peu d’importance dans sa garde, vous ne fussiez soupçonnés d’en mettre peu dans son évasion. » L’ardeur des municipaux n’en est pas stimulée : huit jours plus tard, Dorat-Cubières, secrétaire de la Commune, remarque avec mélancolie le petit nombre d’assistants qui siègent au Conseil ; il se plaint avec amertume de la négligence de ses frères « et de leur refroidissement à servir la chose publique. » Le général Santerre lui-même est d’avis de réduire la garde militaire du Temple ; au lieu de trois cents hommes, d’un commandant, d’un porte-drapeau, il propose de ne plus mobiliser quotidiennement que cent gardes nationaux commandés par un adjudant et un sergent. La motion va être votée quand Real, qui semble très renseigné, proclame que « jamais la vigilance n’a dû être plus active, » et la demande du général est renvoyée au Parquet. La milice parisienne montre pour ce service si peu d’empressement qu’il faudra, deux mois plus tard, envisager les moyens de payer trois livres par jour ceux des citoyens qui consentiront à occuper les postes du Temple, ou de les y nourrir aux frais de la nation. L’insouciance au sujet de la prison royale, la désertion des membres du Conseil seront bientôt si générales que certain soir, à l’heure ordinaire de la séance, le maire se trouva « presque seul » pour recevoir une pétition des ouvriers de Paris.

Real pourtant était bien informé : depuis que les portes du Temple s’étaient refermées sur la famille royale, jamais ses fidèles n’avaient encore travaillé avec plus d’activité à sa délivrance. Des complots d’enlèvement se tramaient à Paris, en province, à l’armée, à l’étranger, et quoique plusieurs, restés sans doute à l’état de projets, — voire de rêves, — ne nous soient connus que par de trop vagues indices, ceux qui prirent forme demeurent assez nombreux pour qu’il soit permis de constater qu’une évasion, même collective, n’était pas considérée comme irréalisable par ceux qui se trouvaient le mieux placés pour en évaluer les risques et les éventuels malencombres. Qu’un émigré français, le comte Louis de Noailles, ait conçu le dessein de venir de Londres à Paris afin d’arracher le Dauphin à ses geôliers, sans autre moyen d’action qu’un faux passeport et deux pistolets à vent, cela prouve plus en faveur de sa résolution que de son discernement. Mais d’autres, beaucoup mieux avertis, n’y mettaient guère plus de circonspection : témoin Dumouriez qui, de son quartier général de Flandre, donna l’ordre au marquis de Frégeville, colonel des hussards de Chamborant, à Montjoye, adjudant général, et à Nordmann, colonel des hussards de Berchiny, de se diriger vers Paris avec trois cents de leurs hommes choisis parmi les plus sûrs et les plus braves. Ces officiers, porteurs d’une dépêche pour le ministre, ce qui eût servi de prétexte à leur mission au cas où ils eussent été contraints de la justifier, « devaient pousser jusqu’à la forêt de Bondy, s’y cacher, pénétrer dans Paris par le boulevard du Temple, enfoncer la garde de la prison en donnant plusieurs fausses alertes dans différents points, enlever en croupe les quatre prisonniers et les conduire à fond de course jusqu’à Pont-Saint-Maxence où se serait trouvé un autre corps de cavalerie pour les recevoir. » L’entreprise était hardie ; mais elle présentait des chances de réussite : il est certain qu’un escadron de hussards, barrant les rues, forçant les portes du Temple, aurait eu raison, en quelques coups de plat de sabre, des paisibles gardes nationaux qui jouaient aux boules ou aux palets dans le jardin de la prison et des commissaires attablés à la salle du Conseil.

La tentative, moins expéditive, perpétrée par certains municipaux, mérite plus d’attention ; ceux-ci, du moins, connaissaient par longue expérience les chances de succès aussi bien que les risques qu’ils allaient affronter. On n’a pas oublié peut-être Toulan, ce jeune Gascon qui, de service au Temple le 26 et le 27 janvier, ne craignit pas de soustraire les objets laissés par Louis XVI partant pour l’échafaud et les remit clandestinement à la Reine. Soit que ce coup d’audace lui eût donné la mesure de l’ineptie ou de l’indolence de ses collègues, soit que, tout fougueux républicain qu’il fût, il eût été touché des malheurs de la souveraine captive, il lui soumit, le jour même, un plan d’évasion qu’elle consentit à examiner sous la seule condition qu’un de ses fidèles, resté en correspondance secrète avec elle depuis le début de sa captivité, en aurait connaissance et l’approuverait. Ce dévoué royaliste était M. de Jarjayes ; ayant reçu du Roi l’ordre formel de ne pas quitter Paris, il s’était chargé de plusieurs missions délicates et périlleuses ; il était, d’ailleurs, toujours en fonctions et employé, en qualité de son grade, au Dépôt général de la guerre.

Toulan n’hésite pas : il se présente chez Jarjayes et demande à l’entretenir en secret. Son costume, ses manières, tout annonce un révolutionnaire et la surprise du royaliste est grande lorsqu’il entend son visiteur annoncer qu’il est membre de l’odieuse Commune régicide et quand il le voit à ses genoux, « témoignant un repentir profond de la conduite qu’il a tenue jusqu’alors, et sollicitant une entière confiance. » Toulan, pour preuve de sa sincérité, remet au général de Jarjayes un billet de la Reine garantissant son dévouement. Il n’expose pas en cette première entrevue son plan d’évasion, mais se contente d’indiquer que, pour le mener à réalisation, la complicité d’un de ses collègues partageant ses fonctions au Temple lui est indispensable : ce collègue est le municipal Lepitre : celui-ci consent à se compromettre ; mais comme il dirige, au faubourg Saint-Jacques, une maison d’éducation prospère, il exige une grosse somme : deux cent mille francs, dont moitié payée d’avance, pour compenser la perte éventuelle de sa situation. Jarjayes écrit à la Reine, protestant de son absolu dévouement ; Toulan qui, comme membre de la Commission des Comptes, pénètre au Temple quand il lui plaît, se charge de remettre la lettre et, quelques jours plus tard, il rapporte au général la réponse de la prisonnière : elle prie Jarjayes de recevoir « le nouveau personnage, » — Lepitre ; — » son extérieur ne revient pas ; mais il est absolument nécessaire et il faut l’avoir. » Marie-Antoinette ajoute que, pour la somme à verser, il convient de s’adresser à M. de Laborde qui a de l’argent à elle.

Lepitre, en effet, ne payait pas de mine : âgé de vingt-neuf ans, il était court de taille, obèse et boiteux. Si son concours paraissait indispensable, c’est parce que, à cette époque encore, six commissaires, relevés, de deux jours l’un, par moitié, montaient continuellement la garde au Temple ; chaque soir les trois arrivants mêlaient dans un chapeau trois billets pliés : deux portaient le mot Nuit, l’autre le mot Jour ; celui des trois municipaux qui tirait Jour dormait tranquillement jusqu’au matin dans l’un des lits de la salle du Conseil ; les deux autres que le hasard désignait pour la Nuit montaient dans l’antichambre des prisonnières et s’y installaient sur les lits de sangle. Or Toulan avait trouvé le moyen de corriger ce hasard : il écrivait jour sur les trois billets, présentait le chapeau à l’un de ses collègues et quand celui-ci, dépliant le papier, lisait ce mot jour, les deux autres jetaient les leurs au feu sans les ouvrir. Le succès de cet ingénieux stratagème restait, il est vrai, subordonné à la désignation faite par le Conseil Général des Commissaires du Temple ; mais, on l’a vu, les municipaux désertaient l’Hôtel de Ville ; par suite de leur petit nombre, ce choix était rendu si difficile que, « pendant plusieurs mois on cessa de les tirer au sort ; » on nommait qui s’offrait ; Toulan et Lepitre s’offraient souvent ; le troisième collègue qu’on leur adjoignait ne les gênait guère puisqu’ils avaient le moyen de se débarrasser de lui pour toute la nuit ; et c’est ainsi qu’ils étaient parvenus, grâce à la ruse du Gascon, à passer de longues heures avec les détenues et à les entretenir sans crainte des fâcheux, quand les Tison, dont on se méfiait, étaient endormis.

Toulan fit mieux encore : il introduisit au Temple le général de Jarjayes. Comment travesti ? On ne l’a jamais su ; mais du fait on ne peut douter, puisqu’on possède l’aveu de Jarjayes lui-même, et deux billets de la Reine faisant allusion à cette visite. Le général avait, sans recourir à Laborde, payé, de sa bourse, cent mille francs à Lepitre ; mais il voulait se rendre compte des possibilités de l’évasion projetée : il reconnut après examen, que si la sortie de toute la famille royale était « chimérique, » celle de la Reine seule paraissait « très praticable, » les Commissaires, écrivait-il, « pouvant l’emmener pendant la nuit sans aucun danger, sous le même déguisement qu’ils m’avaient fait prendre pour m’introduire… » On sait que Marie-Antoinette refusa de quitter son fils et sa fille, et Jarjayes qui, nommé à l’armée des Alpes, ne pouvait différer son départ de Paris, l’implora en vain de se laisser convaincre. Il dut se contenter d’emporter du Temple le cachet et l’anneau de Louis XVI qu’il envoya au comte de Provence, avec une lettre de la Reine, de Mme Elisabeth et un court billet portant les signatures de Mme Royale et du Dauphin.

L’illusion avait été courte : conçu vers la fin de février, le projet était abandonné au début de mars ; mais déjà une autre tentative d’enlèvement se préparait. La famille royale en était-elle avisée ? C’est possible ; car le dévouement de Turgy ne se décourageait pas et, à défaut de commissaires complaisants, il entretenait avec le dehors une correspondance suivie. Il semble bien cependant que les nouveaux conspirateurs se passaient, cette fois, de l’assentiment de la Reine. À leur tête se trouvait le baron de Batz, bien connu par son ardeur et ses entreprises contre-révolutionnaires : il avait recruté toute une compagnie, trente royalistes entreprenants, sous le commandement de l’épicier Cortey, capitaine de la Garde nationale : cette compagnie devait occuper les postes du Temple un soir où le municipal Michonis, affilié au complot, serait commissaire à la Tour. Il se chargeait d’ouvrir les portes et de prévenir les détenues qui, couvertes de chapeaux et de manteaux militaires, armées d’un fusil, sortiraient, vers minuit, dans une fausse patrouille ; les deux enfants, bien entourés par les soldats, devaient passer inaperçus. Au dehors, nombre de fidèles apostés, recevant les évadés, les auraient conduits, sans perdre un instant, à une maison isolée des environs de Brie-Comte-Robert où ils seraient demeurés cachés. On disposait de toute la nuit pour effectuer ce court trajet, car le Conseil du Temple ne pouvait s’alarmer qu’au matin seulement, en ne voyant pas la Reine sortir de sa chambre comme à l’ordinaire pour souhaiter le bonjour à sa belle-sœur.

Une telle combinaison peut sembler bien hasardeuse ; pour la juger acceptable, il faut savoir ce qu’était cette force armée qui tenait les postes du Temple : la garde nationale de 1793 n’était plus la milice bourgeoise des premiers temps de la Révolution : Santerre et la Commune avaient collaboré à sa désorganisation et à son indiscipline. Hébert, aussi puissant au Conseil général que l’était Chaumette lui-même, avait, pour sa part, déclaré une guerre sans merci aux grenadiers : sans doute l’exiguïté de sa taille expliquait-elle cette haine féroce contre ces beaux hommes, honneur et luxe des cohortes parisiennes. Un soir, à la Commune, il donna libre cours à ses rancunes, s’élevant contre ces favorisés « qui n’ont, au-dessus de leurs concitoyens, d’autre mérite que la taille » et qui bénéficient de « ces distinctions funestes imaginées par le traître La Fayette pour opprimer les patriotes et empêcher l’égalité de naître ! » Et, pris d’une soudaine fureur, il demande qu’un factionnaire grenadier, « placé à la porte de la salle où siège la Commune, soit relevé sur-le-champ. » Conformément à ce réquisitoire, la sentinelle est congédiée, les compagnies de grenadiers sont dissoutes et les quelques municipaux qui siègent ce soir-là, faisant assaut de complaisance et de servilité envers le substitut de Chaumette, décident d’inviter les gardes nationaux à renoncer à l’uniforme, « autre distinction destructive de l’Egalité. » On juge de ce que pouvaient être le zèle et la cohésion d’une troupe enrôlée au service de pareils hâbleurs. On signalait, en diverses localités de Paris, des bandes de gardes nationaux qui, conduits par des officiers municipaux munis de leur écharpe et décorés de la cocarde nationale, pénétraient dans les fermes, garrottaient maîtres et domestiques, les jetaient dans la cave et dévalisaient la maison. Pour l’honneur de la Commune, il fut établi que ces malfaiteurs n’étaient autres que des déserteurs de l’armée travestis en soldats citoyens ; mais la réputation de la garde nationale n’en fut pas améliorée. Le désordre y était de règle ; il arrivait que des sectionnaires se présentaient au Temple cinq ou sept heures après le midi réglementaire sans billets de garde, sans convocation, sans cartes d’entrée, si bien qu’il fallait ouvrir une enquête, afin de discerner si ces miliciens étaient des « malintentionnés, » cherchant à enlever les prisonniers, ou de bons citoyens soucieux d’accomplir leur devoir. On imagine donc ce qu’était cette « formidable » garnison du Temple, composée de trois cents hommes disséminés dans les corps de garde et dans les annexes de la prison, ces sentinelles insouciantes auxquelles il suffisait, pour entrer ou pour sortir, « de montrer de loin sa carte et qui ne se dérangeaient pas pour l’examiner, » et l’on comprend qu’un aventureux comme de Batz n’ait pas hésité à lutter d’astuce et surtout de zèle, contre ces garnisaires indolents.

Il échoua, d’ailleurs, dans son entreprise ; non point faute d’étude et de précautions, car, d’après une note manuscrite laissée par Senar, l’un des policiers des Comités de la Convention, le hardi baron était venu en personne étudier les localités. La nuit fixée, Michonis est à son poste dans l’antichambre de la Reine ; le capitaine Cortey occupe avec ses trente royalistes le corps de garde de la Tour ; de Batz s’est enrôlé parmi eux, voulant partager les dangers auxquels il expose ses compagnons : les commissaires dorment à la salle du Conseil, les soldats dans les communs du Palais ; tout marche à souhait ; Cortey va mettre ses hommes en mouvement quand, soudain, le cordonnier Simon arrive, tout courant. Il vient de la Commune qui siège en ce moment : — « Ah ! te voilà, dit-il à Cortey ; si je ne te voyais pas ici, je ne serais pas tranquille. » Il se fait ouvrir la chambre des prisonnières, constate leur présence, communique à Michonis un ordre du Conseil Général lui enjoignant de se rendre sur-le-champ à l’Hôtel de Ville. Michonis obéit, Simon prend sa place, donne l’alarme ; tandis que Cortey, sous prétexte d’assurer la sécurité des abords du Temple, conduit sa patrouille dans la rue pour permettre à de Batz de s’esquiver. L’affaire n’eut pas de suite, — et c’est bien singulier. Arrivé à la Commune, Michonis répondit avec tant d’aplomb et de bonhomie aux questions qui lui furent posées qu’il dissipa tous les soupçons ; le lendemain, quand Simon vint, à son tour, exposer que, prévenu par un billet anonyme ainsi conçu : — « Michonis trahira cette nuit. Veillez ! » il avait cru devoir assumer l’honneur de sauver une fois de plus la République, tous ses collègues furent persuadés qu’un loustic l’avait berné et s’était amusé à mystifier cet imbécile.

En quoi l’on se trompait ; car, si la Commune n’était pas mieux informée, c’est parce que quelqu’un ne voulait pas qu’elle le fût. Il semblait qu’il fût interdit de considérer comme possible toute tentative d’enlèvement du jeune Roi et qu’un protecteur anonyme, — le même qui poussait en toute circonstance le naïf Simon à l’avant-scène, — accordât, par une sorte de prudence jalouse, l’impunité du silence à qui tenterait ce coup de fortune. Même tacite neutralité quand Toulan et Lepitre sont dénoncés : le 26 mars, à la Commune, un membre les signale comme ayant eu fréquemment des entretiens secrets avec la Reine et Madame Elisabeth, Le tailleur Léchenard, — l’ivrogne, — appuie l’accusation : — Lepitre est « un faux frère pour qui les détenues sont prodigues de politesses et d’amabilités ; » Toulan, lui, s’ingénie à les amuser « par des plaisanteries qui dégradent la dignité d’un magistrat du peuple. » Toulan et Lepitre assistent à la séance : celui-ci se contente de nier les faits ; l’autre s’en tire en facétieux qui aime à rire, si bien que la dénonciation n’eut aucune suite : quinze jours plus tard, à peine, Lepitre et Toulan osaient de nouveau se présenter pour prendre la garde à la prison !

Mais, le 15 avril, la fille Tison, étant venue au Temple afin d’embrasser ses parents, fut fouillée par les commissaires : on trouva sur elle « différentes choses, » entre autres une pièce de bassin marquée de caractères louches. Les municipaux l’empêchèrent de pénétrer dans la Tour : fureur des Tison qui n’ont au cœur qu’une passion, leur Pierrette. Tison s’emporte, fait un tel bruit que les commissaires l’invitent à descendre au Conseil ; justement Pache, le maire de Paris, est là. Tison l’apostrophe : comment ! on lui défend de voir son enfant et on laisse approcher des prisonniers certaines gens peu sûres par l’intermédiaire desquelles elles entretiennent au dehors des correspondances ! Pache questionne. Tison raconte tout : il est certain « d’un complot ; » un soir, à souper, la veuve Capet, en tirant son mouchoir, a laissé tomber un crayon de sa poche et, chez Elisabeth, en furetant, il a découvert des pains à cacheter et de la cire à clore les lettres. La Tison, sachant son mari aux prises avec le maire, descend, elle aussi, fort émue : elle défile tout ce qu’elle sait et nomme les municipaux suspects : Toulan, Lepitre, d’autres encore, et aussi le garçon servant Turgy… Elle crie, elle se lamente, réclame sa fille. Elle et son mari signent leur déclaration.

L’affaire vint à la Commune le 21 ; elle y fit grande sensation ; sans doute Lepitre et Toulan sont perdus : la plus sommaire enquête va dévoiler que le premier s’est vendu pour cent mille livres aux ennemis de la République, que l’autre a introduit au Temple un agent royaliste : leur prévarication à tous deux est manifeste ; le tribunal révolutionnaire qui siège depuis quinze jours est institué pour punir les crimes de ce genre… Rien de tel : on se contente d’ordonner que les scellés seront apposés sur les papiers des commissaires incriminés, et comme on n’y trouvera rien de suspect, ils ne seront même pas rayés du nombre des membres de la Commune ! Seules, les prisonnières seront châtiées : une minutieuse perquisition dans leur appartement permettra d’y saisir leurs livres de prières, une Consécration de la France au Sacré-Cœur de Jésus, et un chapeau d’homme trouvé dans la chambre de Madame Elisabeth et qu’elle dit être un souvenir de son frère. Stupéfait, plus encore que d’autres, de cette incompréhensible indulgence, Lepitre parvenait plus tard à se l’expliquer par la rivalité qui commençait alors à mettre aux prises la Commune et la Convention ; celle-ci n’avait que mépris pour les petits représentants de l’Hôtel de Ville, couramment traités de boueux, de buveurs de sang, de massacreurs de septembre… par les députés modérés, bourgeois dédaigneux de ces petites gens. La Commune, de son côté, ne souffrait pas la moindre atteinte à son prestige et, pour le préserver des fêlures, dissimulait de son mieux l’imperfection de ses membres. Voilà ce qui, durant un temps, sauva tant de municipaux louches ou véreux ; « voilà pourquoi on fit évader Toulan sur lequel il existait des charges assez fortes pour qu’il fût difficile de l’absoudre. »

L’histoire de la captivité et des malheurs du fils de Louis XVI restera incomplète et indéchiffrable si on l’isole de la politique ambiante en négligeant d’étudier les sourdes intrigues suscitées par sa royale investiture ; on ne les connaît pas toutes, certes ! Elles furent ignorées de la plupart des contemporains ; mais le temps en a démasqué quelques-unes. Il faut d’abord poser en principe que nous ne savons encore presque rien des « dessous de la Révolution ; » ceux qui nous l’enseignent l’ont trop souvent réduite à l’étroite mesure de nos préventions ou de leur partialité ; elle fut bien différente de ce qu’ils nous la montrent et si quelque Robespierre, quelque Barras ou quelque Fouché, revenait par miracle, nous la raconter sans réticence ni omission, leur récit paraîtrait absurde aux professeurs officiels qui ont pris à tâche de nous endoctriner. Or, « rien, a priori, n’est absurde dans cette terrible histoire de la Terreur, si mystérieuse par tant de côtés » écrit un érudit, bien informé et qui ne passe pas pour se plaire au romanesque. En appliquant ce sage précepte à la captivité du Dauphin, on reconnaîtra peut-être qu’elle ne fut point un simple épisode du grand drame révolutionnaire, mais qu’elle en forma le fond et la contexture, à l’insu même de ceux auxquels étaient distribués les rôles.

Le 6 avril 1793, la « Convention décrétait la création d’un comité de neuf membres chargés de concentrer tous les pouvoirs et de donner l’impulsion au Conseil exécutif. La chose n’avait pas été votée sans oppositions et l’une des plus prophétiques fut celle de Biroteau disant : — « N’est-il pas permis à un ami de la liberté de craindre qu’il ne s’élève dans ce comité un ambitieux qui, sous le masque du patriotisme, usurpe le pouvoir suprême ? » Le décret constitutif ordonnait que les délibérations du nouveau comité seraient secrètes et consignées sur des registres. Les neuf se réunirent dès le lendemain, dimanche 7 avril ; ils décidèrent de tenir deux séances par jour, à neuf heures du matin et à sept heures du soir et « de n’admettre aucun citoyen pendant leurs discussions. » Ainsi naquit le Comité de Salut public. Parquet prodige se trouva-t-il un homme assez audacieux et assez adroit pour braver cette interdiction et s’insinuer en intrus, en habitué aux entretiens des redoutables commissaires ? C’est, parmi bien d’autres énigmes, l’une des plus déroutantes et des plus discutées.

Lorsque furent publiés, il y a vingt-cinq ans en Angleterre, sous la direction de Mr J. J. Cortwight, secrétaire de l’Historical manuscripts commission, les papiers de Lord Grenville, conservés dans les archives de Dropmore Lodge, les curieux de l’histoire de la Révolution française demeurèrent ébahis à la constatation que Francis Drake, ministre britannique à Gênes au temps de la Terreur, envoyait à Lord Grenville, alors ministre des Affaires étrangères, des rapports d’un agent secret qu’il entretenait à Paris et où les hommes et les choses de la Révolution étaient présentés sous un aspect qui paraissait absolument fantaisiste.

Comme Francis Drake, au cours de sa carrière diplomatique, fut soumis à de rudes épreuves de la part de nos jacobins qui le bernèrent parfois avec aplomb, on pouvait croire que, une fois de plus victime de son zèle antirévolutionnaire, il avait été grossièrement mystifié. Tel fut l’avis des plus réputés spécialistes. Comment ! au nombre des secrétaires du Comité de Salut public, se serait glissé un espion, admis aux délibérations les plus secrètes et les plus compromettantes ? Première invraisemblance : et il se rencontrait, par surcroit, que cet espion, demeuré anonyme, avait communiqué à celui qui le payait des renseignements en complet désaccord avec ce que nous savons de cette mémorable époque ! Par exemple, il représentait le Comité de Salut public partagé en deux camps ennemis, dont l’un tenait ses séances hors des Tuileries, siège officiel, et tramait ses complots à Choisy, à Charenton, à Vanves, à Issy et ailleurs… Il citait au nombre des personnages prenant part à ces réunions clandestines des hommes tels que Hébert, Pache, Chaumette et d’autres qui, n’étant pas membres de la Convention, ne firent jamais partie du Comité et lui avaient déclaré guerre ouverte. Il y avait là de quoi justifier, dès l’abord, une récusation sans appel de ces bulletins qui, lors de la publication, furent traités de « grotesques niaiseries. »

D’autre part, il semblait tout de même bien étonnant que sir Drake écrivit à son ministre : « qu’il pouvait avoir toute confiance dans l’authenticité de ces rapports émanant d’une personne employée comme secrétaire par le Comité et qui dissimule ses véritables sentiments sous les dehors du jacobinisme le plus exalté. » Et, dans une autre dépêche, il précise encore : « Il faut que vous sachiez qu’il est impossible qu’on nous abuse sur ce qui se dit de plus secret dans le Comité de Salut public. » Cette affirmation revient avec tant d’insistance qu’il serait téméraire de la traiter de hâblerie.

Or, quelques sondages permettent d’affirmer que certaines de ces stupéfiantes allégations de l’espion sont conformes aux réalités : oui, il y eut une période où le Comité de Salut public se scinda en deux partis adverses, et l’on possède à ce sujet le témoignage de plusieurs de ses membres : en octobre 1794, la Terreur finie, Cambon fit, du haut de la tribune de la Convention, des révélations inattendues ; membre du Comité depuis la création jusqu’au 10 juillet 1793, il avait surpris alors que « Robespierre, Danton, Pache et la Commune se réunissaient à Charenton. » « Le fait est prouvé, dit-il, il fut constaté qu’il y avait des repas… Voyant qu’on créait là un Comité de Salut public, alors que vous en aviez créé un autre à Paris, nous fîmes chercher le ministre ; nous appelâmes les membres dénoncés ; Danton dit : « Il est vrai, nous avons été diner ensemble ; mais ne crains rien, nous sauverons la liberté. » Dans le même temps on nous dénonçait que, dans des conciliabules, il était question de proclamer le jeune Capet roi de France… » Et Cambon ayant déclaré qu’il existait un registre secret que lui et cinq de ses collègues « avaient eu le courage de signer, » où étaient signalées ces réunions irrégulières, Barère rappela que, « à l’époque même où elles avaient lieu, il les avait dénoncées à la tribune de la Convention. »

Ces conférences clandestines entre conventionnels et membres de la Commune ont été également constatées par Courtois dans son Rapport sur les événements du 9 thermidor ; on y lit que « Auteuil, Passy, Vanves, Issy étaient successivement les lieux « choisis par les conspirateurs ; » à Maisons-Alfort, ils se réunissaient « dans une maison d’émigré louée par Deschamps, l’aide de camp d’Hauriot ; Pache, les frères Payan, Fleuriot-Lescot assistaient à ces conciliabules criminels. Quant aux assemblées de Choisy, où figuraient Robespierre, Lebas, Danton, Hauriot et ses aides de camp, Dumas et Fouquier-Tinville du Tribunal révolutionnaire, de nombreux témoignages, recueillis après thermidor dans le bourg même, en attestent la réalité. Elles n’y sont même pas tout à fait oubliées actuellement, puisque, il y a quelques années, une inscription commémorative fut solennellement posée sur la maison où Danton avait son logement, chez son compère et agent Fauvel. C’est le long des berges de la Seine, au lieu dit, du temps des Rois, « le port aux gondoles, » endroit jadis écarté, favorable aux assemblées secrètes et où, sans doute, fut agité souvent, en acerbes et orageuses discussions, le sort du petit Roi du Temple.

Donc l’espion anglais ne ment pas : les membres du Comité de Salut public se rapprochaient des membres de la Commune et d’autres révolutionnaires influents, en certains colloques furtifs ; l’agent de sir Drake avait trouvé le moyen de s’insinuer dans ces réunions extra-parisiennes, et c’est de celles-ci et non des délibérations officielles des Tuileries qu’il rend compte à son correspondant. Voilà, sur ce point, sa véracité établie, puisqu’il rapporte des incidents qui furent révélés postérieurement à thermidor, c’est-à-dire longtemps après l’envoi de son dernier bulletin. Quant à la proclamation du jeune Capet comme roi de France, c’était là, en cette époque trouble, une accusation si banale et si courante qu’elle était devenue un lieu commun. Le Comité de Salut public s’en arma contre les Girondins ; on l’utilisa contre Hébert, « ce partisan couvert de la Royauté ; « contre Danton ; on la formulera contre Chaumette et contre Robespierre ; elle enverra à la guillotine des centaines de suspects et on la retrouve si fréquemment dans les réquisitoires de Fouquier-Tinville qu’elle semble un refrain obligé. Or, — c’est un dilemme : — ou bien les protagonistes de la Révolution sont de cyniques bandits, dénués de conscience et d’imagination, qui ne prennent même pas la peine d’inventer, pour chaque hécatombe, un prétexte inédit d’égorger leurs adversaires, — ou bien l’accusation sous laquelle ils succombent tour à tour est fondée, et il en faut conclure que tous, sans oser le proclamer publiquement, considéraient un retour à la royauté constitutionnelle en la personne du fils de Louis XVI comme le dénouement sauveur et la solution salutaire. Ce n’est pas user de paradoxe ni offenser la mémoire des Girondins, de Danton ou de Robespierre de prétendre que, aux heures où la France était en péril, ils sacrifiaient leur sentiment démocratique à l’intérêt de la Patrie et envisageaient l’éventualité d’une restauration monarchique dont ils espéraient, comme immédiats résultats, le recul de l’étranger, la pacification de la Vendée et la fin des discordes civiles. Par malheur pour l’enfant captif, aucun n’osa préconiser ouvertement ce moyen sûr de réconciliation ; chacun l’élaborait en secret et le méditait isolément, escomptant pour son parti la tutelle du petit Roi dont on parlait d’autant moins qu’on pensait à lui davantage. Oui, dans l’année, lourde d’angoisse, qui suivit la mort de Louis XVI, où la France, désorganisée et égarée hors de sa tradition séculaire, pressentait imminent l’effondrement final, il se trouva, parmi les responsables du grand désarroi, des patriotes sincères qui, venus à résipiscence, firent effort pour endiguer le torrent ; d’autres s’y employèrent par visée personnelle, prévoyant que celui qui mettrait la main sur l’otage de paix, de concorde et de puissance qu’abritait le Temple, deviendrait le maître du pays ; plusieurs n’y travaillaient que par peur, sachant bien que l’enfant-roi serait pour son libérateur un gage d’impunité, et il faut compter aussi les aventuriers dont les grossiers instincts s’exaspéraient de convoitise à la pensée de ce « louveteau » dont la possession assurerait, à qui aurait la chance de se l’attribuer, la vie sauve, l’argent, l’influence, les honneurs et la renommée. Il ne faut pas attribuer à de mesquines rivalités les luttes farouches et les sanglantes « fournées » qui rougissent l’histoire de notre Révolution : elles furent les épisodes de la bataille acharnée livrée pour la conquête de l’orphelin vers lequel convergeaient toutes les ambitions et que la Commune geôlière gardait étroitement dans la seule crainte de se voir frustrée d’une proie qui valait cher. C’est pourquoi l’évocation de cet enfant aimable, gracieux et attachant, qui, encore à l’âge de l’insouciance, objet de tant de passions, d’intrigues, de vœux, de manœuvres, de soupirs, de brigues et d’appétits, joue au ballon sous l’œil de ses gardiens dans l’antichambre de sa prison, ou, agenouillé près de sa mère, épèle, dans son Histoire de France, les exploits de ses aïeux, demeure, parmi les images dont s’illustrent les annales du monde, l’une des plus suggérantes et des plus pensivement contemplées.


G. LENOTRE.

  1. Voyez la Revue des 1er  et 15 décembre 1919.