Le Roi Georges de Podiebrad, épisode de l’Histoire de Bohême/03

Le Roi Georges de Podiebrad, épisode de l’Histoire de Bohême
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 41 (p. 118-163).
◄  II
LE
ROI GEORGE DE PODIEBAD
EPISODE DE L'HISTOIRE DE BOHÊME

III.
L'ANATHEME CONTRE LE ROI GEORGE ET SA MORT.


I.

Les entreprises du roi George ont échoué, l’empire ne se relèvera pas sous sa forte main, le parlement des souverains n’opposera pas son veto à l’absolutisme de Rome. Jusqu’ici, pour sauver ce trône que la libre élection lui a donné, il a dû chercher son point d’appui hors de la Bohême, dans l’empire, dans l’Europe, à l’aide des grandes institutions qu’il rêvait, à l’aide des réformes audacieuses accomplies déjà dans sa pensée, et qui, en protégeant son royaume, eussent transformé le vieux monde. Aujourd’hui le voilà réduit à ses seules forces et aux sympathies toutes personnelles qu’il s’est faites chez les princes ses voisins. On le verra bien encore, aux heures tragiques de sa vie, concevoir des plans hardis, gigantesques, et se tourner vers l’Orient, puisque l’Occident ne peut lui prêter assistance ; mais ce seront des expédiens héroïques plutôt que des créations durables. C’est par la Bohême désormais qu’il doit défendre la Bohême. Or, si la Bohême est forte, l’inconnu est redoutable. Contre tant d’ennemis qui peuvent se lever contre lui à l’appel du souverain pontife, les ressources du royaume suffiront-elles ? Peut-être, si rien ne les divise. Dans l’obscurité qui l’entoure, il entrevoit de nouveaux périls, il pressent de nouveaux ennemis qui s’approchent, et déjà sur son propre sol la guerre civile a commencé.

George de Podiebrad était bien un souverain du XVe siècle : il voulait chez lui une royauté forte et débarrassée des liens du système féodal ; seulement il n’avait pas eu besoin de ruser comme Louis XI, de faire et défaire mille trames dans les ténèbres, comme l’empereur Frédéric III. Porté au trône par une révolution, investi de la dictature au nom de la patrie en danger ; il avait eu de pleins pouvoirs dès le premier jour. Chaque atteinte portée par lui à l’ancien régime aristocratique était un coup frappé sur l’anarchie qu’il avait mission de vaincre. Une fois son œuvre accomplie, le roi George fut le premier des souverains modernes. Plus de privilèges féodaux entravant la libre action de l’état, plus de morcellement de territoire ; d’un bout du royaume à l’autre, une même administration, une même loi faisait régner cet ordre, cette sécurité, cette vie régulière et puissante qui avaient excité, nous l’avons vu, l’admiration de Martin Meyr, et qui firent la force de la Bohême au milieu des troubles de l’empire. Les parlemens convoqués dans les circonstances graves étaient des assemblées nationales qui pouvaient diriger le roi, l’éclairer, l’avertir, mais non affaiblir son pouvoir et servir l’ambition de la noblesse. Les seigneurs n’y dominaient plus : même avant l’élection de Podiebrad, la révolution hussite, brisant les portes des anciens conseils, y avait poussé les représentans des villes et du peuple. Les grands du pays, qui se considéraient naguère comme les ministres-nés de la couronne, avaient désormais besoin d’autres titres pour prétendre à la direction des affaires. Le roi George choisissait ses conseillers selon ses vues. Il n’avait pas craint d’appeler à lui des étrangers, des Allemands, et de braver les préjugés nationaux, dans l’intérêt de l’état. En un mot, il régnait, il gouvernait sans autre contrôle que celui de l’opinion : système bien incomplet sans doute, mais qu’il ne faut pas juger d’après les droits que nous ont acquis tant de progrès, tant de luttes et de victoires, tant de révolutions légitimes ; système nécessaire dans une période de transition, et non-seulement nécessaire, mais glorieux, tant que le chef chargé de cette dictature reste en communauté de sentimens et d’idées avec le peuple qui abdique entre ses mains. Tel était le prestige du roi George ; jamais dictateur n’avait mieux senti battre au fond de son cœur le cœur de la patrie.

On ne s’étonnera pas cependant qu’il eût encore plus d’un adversaire à redouter. La noblesse, réduite à l’impuissance, n’avait pas abjuré ses rancunes, et la guerre déclarée au roi par le pape venait réveiller ses espérances. Quelle occasion propice aux rebelles ! quel moyen de cacher des haines politiques sous le drapeau de la foi, et de transformer de petits tyrans dépossédés en martyrs de la religion catholique ! Quelques mois après l’élection du nouveau pape, un sujet révolté du roi de Bohême, un seigneur de Moravie nommé Hynek de Lichtenburg, arrive à Rome, obtient une audience du souverain pontife, se donne pour une victime de sa cause, et le supplie d’évoquer l’affaire à son tribunal. C’était simplement un seigneur qui, protestant dès le premier jour contre l’élection du roi George, s’était mis à guerroyer aux environs de ses domaines, c’est-à-dire à piller les partisans du roi. Il possédait plusieurs châteaux-forts, dont l’un entre autres, nommé Zornstein, était défendu par sa position autant que par ses murailles, vrai nid de vautours dans les rochers. Assez riche d’ailleurs pour payer quelques-uns de ces mercenaires, moitié soldats, moitié bandits, dont les guerres civiles avaient infesté la contrée, il faisait la guerre à distance en lâchant ses pillards dans la plaine. Le roi investit ses forts pour mettre fin à ce brigandage, confisqua provisoirement une partie de ses domaines et le cita comme rebelle devant les états de Moravie. L’affaire intéressait si peu la religion que les évêques aussi bien que les communes se déclarèrent contre lui. Les états l’ayant condamné comme perturbateur de la paix publique, on vit les catholiques aussi bien que les hussites se réunir en corps d’armée et faire régulièrement le siège de Zornstein pour en finir une bonne fois avec l’ennemi. Cette petite guerre éclatait en Moravie au moment même où Pie II venait d’expirer à Ancône. Hynek de Lichtenburg avait plusieurs fois invoqué son assistance contre le roi de Bohême ; mais Pie II, loyal et juste, quoique passionné, avait bien vu que la religion n’était pas en cause, et, refusant de se mêler d’une telle affaire, avait recommandé au rebelle de reconnaître l’autorité du roi. Il faut se rappeler que Pie II, à l’époque où il tenait ce langage, n’avait pas encore perdu l’espoir de ramener le roi hussite à l’obédience de Rome. La rupture de la Bohême et du saint-siège, la citation du roi George devant le tribunal du pape, créaient une situation toute différente ; Hynek pensa que le moment était bien choisi pour renouveler sa requête, surtout s’il la renouvelait en personne, comme représentant de la noblesse catholique. C’est alors que, s’échappant de Zornstein, il passa en Autriche et de là en Italie, où un nouveau pape venait de remplacer Pie II.

Quel était ce nouveau pape ? Un Vénitien nommé Pietro Barbo, cardinal de Saint-Marc. Il était neveu d’Eugène IV, et, s’il reprit bientôt la politique altière et dominatrice de son oncle, il ne rachetait pas, comme lui, la dureté de sa conduite par des qualités éminentes. Ne lui demandez ni le goût des arts et des lettres qui honora le règne de Nicolas V, ni la douceur de Calixte III, ni l’intelligence brillante de Pie II. Il était faible et violent, capricieux et entêté, frivole et implacable. Son premier acte fut de violer sa parole vis-à-vis du conclave. Tous les cardinaux, avant de procéder à l’élection, s’étaient mis d’accord sur certains articles que le pontife élu devait transformer en décrets ; le point le plus important était la convocation immédiate d’un concile œcuménique. Dans quelle vue cette convocation d’un nouveau concile de la part de cardinaux si hostiles presque tous aux doctrines de Constance et de Bâle ? Il serait difficile de le dire avec précision ; mais enfin c’était chose décidée par un engagement solennel. À peine élu, et, résultat extraordinaire, presque à l’unanimité des suffrages, il déclara, qu’il ne voulait pas de concile. Il était beau et très vain de sa beauté. Le soin de sa personne paraissait une de ses préoccupations les plus vives. Il aimait à se farder le visage, à se couvrir de pierres précieuses ; on sait qu’il dépensa des sommes énormes pour faire de sa tiare le plus splendide des écrins ; diamans, perles, rubis, émeraudes, gemmes merveilleuses, éblouissantes, avaient été achetés pour lui dans tous les pays de la terre, et quand il officiait dans les grandes cérémonies, on voyait qu’il était heureux de montrer à la foule émerveillée le plus beau des pontifes. Au moment de son exaltation, il avait voulu prendre le nom de Formose ; ce ne fut pas sans peine que les graves cardinaux l’empêchèrent d’afficher ainsi sa vanité, et que le fastueux Formose consentit à se nommer Paul II. L’évêque de Bénévent, d’après un vieil usage qui rappelait une triple souveraineté attachée jadis à ce siège, portait une triple couronne sur sa mitre ; Paul II en fut jaloux et confisqua la mitre pour lui. Il voulait d’ailleurs que les cardinaux fussent richement costumés et scrupuleusement fidèles à l’étiquette. Les princes de l’église à cette époque ayant coutume d’aller par les rues de la ville à cheval ou sur des mules, il leur donna de magnifiques housses de pourpre pour l’ornement de leurs montures. Ce fut lui enfin, et ce souvenir protégea longtemps sa mémoire auprès de la populace romaine, ce fut lui qui déploya dans la grande rue du Corso les somptueuses folies du carnaval.

Il est possible que le roi de Bohême eût été assez promptement informé.des changemens survenus à Rome, car il se regarda comme en sûreté du côté du Vatican ; à la déclaration de guerre de Pie II, il crut que le hasard du scrutin faisait succéder une trêve. Il oublia même, faute assez grave, d’envoyer une ambassade à Rome pour féliciter le nouveau pape suivant l’usage du temps. Son illusion ne fut pas de longue durée. Paul II, en satisfaisant ses vanités, n’entendait point passer pour un monarque imbécile. Le goût des futilités brillantes chez ce bizarre esprit s’alliait à la froide cruauté d’un patricien de Venise. La première fois qu’on lui parla des affaires de Bohême, il remit la cause aux mains des vieux cardinaux qui avaient été les collaborateurs de Pie II, et ces cardinaux lui ayant dit qu’il y avait là une hérésie opiniâtre, qu’il fallait l’extirper à tout prix que l’honneur du saint-siège y était engagé, il se jeta dans l’arène avec violence. Il n’y a rien de tel que ces indifférens, quand le fanatisme les prend à faux et à froid. Craignant de ne pas faire assez, ils ne connaissent plus ni règle ni mesure. L’évêque de Breslau, bien peu suspect de tiédeur assurément, — car il était le fils de ce baron Ulrich de Rosenberg qui avait été si longtemps l’adversaire de George de Podiebrad, et l’ardeur religieuse était irritée chez lui par la passion politique, — l’évêque Jost de Rosenberg avait fait dire à Rome que les mesures projetées par Pie II seraient plus nuisibles qu’utiles à la cause catholique, que le roi George n’était pas du tout un sectaire, comme on se le représentait, qu’il n’avait nul goût de prosélytisme, nulle ardeur de persécution mais que si on le poussait à bout par des violences, il pourrait en arriver malheur aux catholiques de Bohême, Il conseillait donc de suspendre la citation du roi, sinon de la supprimer, tout à fait. C’était aussi l’avis du pape ; mais les cardinaux chargés de la question ne lui permirent pas de s’endormir. En répondant à l’évêque de Breslau, ils avaient écrit ces paroles qui devaient aiguillonner Paul II : « Celui qui règne en Bohême aurait tort de s’imaginer qu’avec Pie II, de sainte mémoire, toute la puissance du siège apostolique est descendue au tombeau. » De telles paroles sont faites pour déchaîner les plus mauvaises passions dans une faible et mauvaise nature. « Pourquoi l’homme qui se dit roi de Bohême, n’a-t-il pas envoyé d’ambassadeur à Paul II ? » disaient encore les cardinaux, car ils savaient tous les moyens d’irriter la vanité du pape ; Ils ajoutaient : « La force du saint-siège ne s’est pas amoindrie avec l’évêque Paul, au contraire elle s’est accrue. Les habitans de Breslau ont tort de redouter la lutte ; Paul II saura les défendre plus énergiquement que son prédécesseur. Il a des ressources auxquelles Pie II ne songeait pas. Est-il donc, si difficile de diviser en deux parties l’armée qui se rassemble contre les Turcs, et d’en envoyer la moitié au secours des fidèles de Silésie ? » C’était tout un programme tracé au souverain pontife ; après avoir excité sa fureur, on lui mettait le glaive à la main. Remarquez aussi ces formules : « celui qui règne en Bohême, celui qui se dit roi de Bohème. » Le cardinal Carvajal, le cardinal Bessarion, le cardinal Guillaume d’Ostie, — car ce sont eux qui allumaient ainsi l’aveugle fureur du pontife, — avaient déjà prononcé, comme on voit, la déposition du roi George.

C’est à ce moment-là que le baron Hynek de Lichtenburg arrive à Rome et invoque la justice du pape contre George de Podiebrad, oppresseur des catholiques. Le pape se déclare juge suprême entre le roi et le baron ; mais d’abord, avant toute procédure, il ordonne au roi de lever le siège de Zornstein et d’indemniser le baron pour les pertes qu’il a subies : sans cela, toute négociation est rompue entre Podiebrad et le saint-siège. Telle était l’impartiale justice qu’on promettait au roi de Bohême. L’évêque Rodolphe de Lavant venait d’être nommé légat auprès de l’empereur et chargé de surveiller à Vienne les affaires de Bohême. Le 21 janvier 1465 ; avant de partir de Rome, il écrit aux catholiques de Moravie et leur enjoint, au nom du saint-père, de rappeler immédiatement leurs troupes employées au siège de Zornstein. Le loyal Protas, évêque d’Olmütz, qui avait condamné Hynek comme ennemi du bien public, ne reçoit pas seulement une sommation du même genre, mais une réprimande hautaine et menaçante. « Chargé de défendre les catholiques, il s’est uni à leurs persécuteurs. Le pape, dans sa juste colère, voulait informer contre lui et châtier sa trahison des instances du légat Rodolphe ont pu seules obtenir un sursis. Qu’il se hâte donc de rentrer dans le devoir, s’il veut détourner le bras du pontife déjà levé sur sa tête. » À ces injonctions du pape et de son légat les prélats catholiques du royaume de Bohême répondirent simplement par le récit des faits : le baron Hynek n’était pas un catholique persécuté, mais un rebelle, un chef de bandes, qui avait ravagé la Moravie, et que la magistrature nationale avait justement condamné. Le roi de Bohême écrivait la même chose à Paul II dans une lettre respectueuse et digne où il s’excuse de ne pas avoir encore envoyé ses ambassadeurs au Vatican. Le pape ne répondit pas au roi ; il s’adressa aux prélats et barons du royaume. « Je regrette, disait-il, qu’un zélé catholique comme le baron Hynek ait manqué à ses devoirs envers ses concitoyens ; mais l’homme qui le poursuit à main armée n’a sur lui aucun droit de justice étant sorti de l’église. Cessez donc d’assiéger le château du baron, hâtez-vous de lui restituer ses domaines ; sa cause sera jugée devant le siège apostolique, et nous le condamnerons à réparer tous les dommages particuliers dont il sera reconnu coupable. Quant au crime qu’on lui fait d’avoir refusé obéissance au persécuteur de la foi, le baron Hynek est innocent. » Le roi répondit en roi. Le château de Zornstein, après un siège de dix mois, ayant été obligé de se rendre (9 juin 1465), Podiebrad le fit raser jusqu’au sol.

C’était le commencement de la guerre. Podiebrad l’avait évitée avec la prudence du politique et la longanimité du chrétien. Pouvait-il hésiter davantage ? Déjà plus d’un baron excité par les appels de Rome se préparait a suivre l’exemple d’Hynek. Il était urgent de faire étinceler l’épée de justice et de terrifier la rébellion. Paul II sentit le coup qui le frappait. À la première nouvelle de la prise et du sac de Zornstein (2 août), il lance, la grande menace préparée déjà sous Pie II, la citation de George de Podiebrad, se disant roi de Bohême, devant le saint-siège apostolique. Le pape ne se contentait pas de le citer à son tribunal comme hérétique, relaps, blasphémateur, spoliateur des biens de l’église, afin qu’il eût à se justifier de ces accusations et de bien d’autres encore ; il le tenait pour juge sans nulle forme de procès, et le condamnait par avance. Un décret pontifical, publié quatre jours après la citation, dégageait de tout devoir envers le roi de Bohême ceux qui tenaient à lui par quelque lien que ce fût, parens, alliés, sujets, et frappait d’anathème quiconque lui porterait secours.

Ce fut une heure sombre pour le roi, quand il entendit retentir cette clameur impie. Alliés, sujets, tous ces hommes si chèrement conquis à force de labeur et d’héroïsme, le pape leur faisait un devoir de la révolte ! Ces amitiés scellées du sang le plus pur, cette autorité recueillie avec tant d’efforts dans le naufrage public et qui avait sauvé la patrie, elles étaient maudites au nom de Dieu par la voix qui trouble les consciences ! Le roi George crut sentir la cognée dans les racines de l’arbre. Il lui sembla qu’un tremblement de terre secouait son édifice. Tout près de lui, dans les hauts rangs de l’état, il devinait déjà des âmes ébranlées. Aux ressentimens des ennemis vaincus allaient se joindre les perfidies des serviteurs jaloux. Les faux amis, qui s’étaient inclinés devant le succès, mais qui enviaient secrètement la fortune du parvenu, s’empresseraient de saisir le prétexte fourni par la cour de Rome à leur félonie toute prête. Ces pressentimens du roi ne tardèrent pas à se réaliser. Pendant toute l’année 1465, le péril va croissant de jour en jour. La ligue des barons s’organise. Que faire ? Essayer encore de calmer la fureur du pape avant que la guerre civile ne rende toute négociation impossible ; tenter un compromis sans abandonner les principes de la révolution. Si Podiebrad n’était qu’un soldat, il courrait aux armes avec ses fils ; il est roi, il a charge d’âmes, une immense responsabilité pèse sur lui ; son devoir est de négocier avant de combattre. Il offrira donc à Paul II la restitution des biens de l’église confisqués depuis un demi-siècle dans la guerre des hussites ; il lui demandera pour la ville de Prague un archevêque catholique, pourvu que cet archevêque, Bohémien ou Morave de naissance, s’engage à considérer les calixtins comme une partie de son troupeau, à respecter leur culte, à ordonner les prêtres de l’une et de l’autre communion, à se conduire en pasteur chrétien et non en chef de secte. Mais par quel intermédiaire adresser ces offres au souverain pontife ? L’empereur a été sauvé d’une ruine certaine par George de Podiebrad, le roi de Hongrie Mathias Corvin est le gendre du roi de Bohême. Ils ont tous les deux des titres à se faire écouter du pape, le premier par l’autorité dont il est revêtu, le second comme défenseur de la chrétienté contre les Ottomans. Malheureusement la mort vient de frapper le duc Albert d’Autriche, frère de l’empereur, celui dont la turbulence séditieuse inquiétait sans cesse Frédéric III et l’obligeait à réclamer les secours du Bohémien. L’égoïste Frédéric, n’ayant plus besoin de son généreux voisin, se croit dégagé envers lui. Quant à Mathias Corvin, il vient de perdre sa femme, la fille de Podiebrad. Lui aussi, le voilà dégagé des liens qui l’attachaient au roi de Bohême ; il peut enfin lever le masque et suivre sans scrupule sa farouche ambition. Au moment où les conseillers du roi George s’adressaient au généreux Vitèz, archevêque de Gran et primat de Hongrie, pour obtenir sa médiation auprès de Paul II, Mathias Corvin écrivait au pape qu’il était prêt à ouvrir la croisade contre l’hérétique.

Ainsi chaque jour amène un danger nouveau. La ligue des seigneurs étend ses ramifications au dedans et au dehors. Vainement le roi redouble d’activité pour empêcher la guerre, vainement le légiste Martin Meyr, prêté à la Bohême par son maître le duc de Bavière, écrit au nom de George Podiebrad un exposé des faits qui doit toucher l’âme du pontife ; les démarches les plus humbles, les tentatives les plus conciliantes du vaillant monarque ne servent qu’à fournir à Paul II des occasions de violences. On ne croirait pas que ces brutalités fussent possibles, si elles n’étaient attestées par des écrivains de tous les partis. L’envoyé bohémien Jaroslaw, chargé de porter à Rome la lettre du roi de Bohême, se trouve sur le passage du pape au moment où il vient d’officier, et lui présentant sa missive : « Très saint père, lui dit-il humblement, voici ce qu’adresse à votre sainteté votre fidèle et loyal fils le roi de Bohême, mon gracieux seigneur. » Paul II prend la lettre, la jette à terre avec fureur et s’écrie : « Comment, brute que tu es, oses-tu en ma présence appeler du nom de roi un hérétique condamné par l’église ? Va-t’en au gibet qui t’attend, toi et ton hérétique ! » La lettre fut ramassée pourtant et remise au cardinal Carvajal. Jaroslaw attendait la réponse depuis plusieurs semaines. Comme il assistait à la messe de Noël à Sainte-Marie-Majeure, l’empereur, qui se trouvait alors à Rome, le reconnut dans la foule, et lui envoya un héraut d’armes pour le châtier publiquement. L’officier impérial, armé du bâton d’argent, l’en frappa deux fois sur la nuque et l’obligea de sortir de l’église. Un chroniqueur silésien, témoin du fait et qui le raconte, dit que son cœur bondissait de joie en voyant la honte du Bohémien. Il est inutile d’ajouter que ce fut la dernière missive de Podiebrad à Paul II. En ce même mois de décembre 1465, le pape avait renouvelé avec plus de développemens et de force sa bulle du 6 août : « Au nom du Dieu tout-puissant et de ses apôtres Pierre et Paul, toute la noblesse, barons et gentilshommes, toutes les communes, villes, châteaux, villages, en un mot tous les habitans du royaume de Bohême ainsi que des margraviats de Moravie et de Silésie, sont déliés et affranchis de tous sermens et hommages prêtés au nommé George, jusqu’au jour où un roi chrétien sera placé sur le trône. Si quelqu’un ose rendre à l’hérétique, à l’impie, à l’ennemi de Dieu, les devoirs qui ne sont dus qu’aux rois chrétiens, qu’il soit anathème ! »

C’est alors qu’une pensée extraordinaire, une pensée où l’enthousiasme se mêle au désespoir, traversa un instant l’imagination du roi George. Il savait bien qu’il était chrétien de cour et d’âme. Puisque le saint-siège, sur un point de détail, et sur un point consacré par les représentans de toute l’église, s’obstinait à le chasser de la grande communauté chrétienne, qu’il serait beau d’obliger la chrétienté à juger de sa foi par ses services ! Le pape Pie II, malgré son héroïsme, n’a pu entraîner l’Europe à la croisade ; s’il partait, lui, avec ses vieilles bandes chrétiennes, s’il levait un homme sur dix dans sa Bohême guerrière, s’il lançait sur l’Ottoman cette formidable masse, s’il détournait contre les barbares de l’Asie, cette guerre qu’on l’oblige à soutenir contre ses frères d’Europe, s’il allait conquérir dans Constantinople une couronne plus éclatante que celle des Ottocar, la couronne d’Orient, la vraie couronne du saint empire, car c’est dans Byzance régénérée que siégerait à l’avenir, le défenseur des chrétiens… Quels rêves pour une âme chevaleresque ! Mais quoi ! renoncer à la Bohême, à cette patrie tant aimée, à ce trône où l’ont appelé les acclamations du peuple aux heures les plus belles de sa vie ! Non, l’Europe récompenserait son libérateur en assurant la couronne de Bohême à l’un de ses enfans ; un autre de ses fils serait archevêque de Prague ; le pape, heureux de l’expulsion des Turcs, se prêterait aux concessions mutuelles qui éteindraient à jamais les vieilles haines.

Tel était le rêve grandiose du roi George. Ce fut plus qu’un rêve. Il est certain que ces conditions inattendues furent soumises à Paul II par l’entremise du duc de Bavière. Dans l’absence de documens directs, c’est par la réponse du pape que l’histoire a retrouvé cet épisode. Pie II, avec son imagination si vive, aurait senti à la lecture de ce projet une sorte d’éblouissement ; il aurait été ravi, touché, il eût cédé peut-être. Paul II, on le pense bien, n’y verra qu’une ruse diabolique, les cardinaux souriront avec dédain : « Demander une récompense, quand nous lui ordonnons la soumission et le repentir ! Demander la direction de la croisade, le commandement de la chrétienté, la couronne de l’empire d’Orient ! Autant vaudrait confier au diable l’explication de l’Évangile, autant vaudrait mettre le poignard aux mains du meurtrier. Il y aura, grâce à Dieu, d’autres moyens de vaincre le Turc que de placer l’Antechrist à la tête des armées du Christ. » Quant à la nomination du fils de George comme archevêque de Prague, le sacré collège n’a pas de peine à démontrer que le prétendu roi de Bohême ignore tous les règlemens canoniques. Ajoutez quelques avertissemens ironiques, au duc de Bavière sur sa simplicité d’esprit ; vous aurez en substance ; la pédantesque et injurieuse réponse des théologiens de Rome.

En vérité, cette réponse était facile à prévoir. Qu’on ne se hâte pas cependant de signaler, un acte insensé dans le projet du roi de Bohême. Il faut se reporter au XVe siècle, le grand siècle des aventures, le, siècle des royautés qui se fondent. Dans l’enfantement confus du monde moderne, tous les pouvoirs se déplacent. De là, par tout pays, des ambitions déchaînées et comme une chasse ardente aux couronnes. C’est l’époque du grand Sforza, de Charles le Téméraire, des York et des Lancastre. Au milieu de ces compétitions furieuses, dans la mêlée des entreprises et l’essor désordonné des rêves, on s’explique mieux, ce semble, le noble songe du roi de Bohême. Au reste, folie ou non, la physionomie morale de George de Podiebrad s’éclaire d’une lueur nouvelle. Ce ne sont pas ici, comme sur d’autres scènes du XVe siècle, les jeux de la violence et de la muse. Quoi de plus beau que cette candeur héroïque chez un souverain menacé d’une guerre impie, et qui, ne voulant ni trahir la foi de son peuple, ni tirer l’épée contre les catholiques, essaie de tout concilier par une combinaison grandiose dont profitera la chrétienté tout entière ?


II

Un chef comme le roi George ne s’abandonne pas longtemps à ses rêves : C’est l’heure de veiller et d’agir. Le roi est à son poste. La ligue des seigneurs, quoique bien organisée dès la fin, de 1455, est tenus en échec par une main de fer. Podiebrad a réfuté leurs griefs devant l’assemblée des états, il les réduit à ronger leur frein derrière les murailles de leurs burgs. Entourés, gardés à vue, chacun dans son domaine, les seize barons n’osent rien entreprendre. Ce n’est pas tout : en maintenant l’ordre à l’intérieur, il faut conjurer l’orage qui peut se former au dehors. Au moment où l’empereur vient de se déclarer pour le pape, ce serait une imprudence de compter sur les anciennes sympathies des princes allemands. Ces sympathies, il faut les entretenir, les conquérir sans cesse ; il faut prouver que la cause du roi de Bohême est la cause de tous les souverains ; il faut opposez le droit national au droit théocratique. Or en ce moment-là même, au commencement, de 1466, un nouveau lutteur entre en scène et vient se placer auprès du roi.

C’est un vieillard, un intrépide vieillard, théologien et légiste, savant et orateur. Nous l’avons déjà signalé ; il se nomme Grégoire de Heimbourg. Né avec le siècle, il a joué un rôle dans toutes les grandes discussions qui, ont tenu la chrétienté en suspens. Il était au concile de Bâle, et le brillant Sylvius, le futur pape, dans son ardeur d’opposition contre les abus de la cour romaine, n’avait pas alors de plus fidèle compagnon d’armes. Æneas Sylvius, séduit par les dignités de l’église, entraîné aussi sans doute par la raison politique et par le génie de la race italienne, abandonne les principes du concile pour revenir à la théocratie. Grégoire de Heimbourg reste fidèle aux généreuses inspirations de sa jeunesse. Quand le concile est dissous, Grégoire le représente encore en Allemagne. Les propositions hardies qui furent pour l’église germanique ce qu’avait été pour l’église gallicane la pragmatique sanction du concile de Bourges, c’est Grégoire de Heimbourg qui les fait voter à Mayence le 26 mars 1438. La pragmatique de Bourges, les propositions de Mayence, les compactats d’Iglau, naissent du même mouvement général à quelques mois de distance. Depuis ce jour, chaque fois que la politique romaine essaie de reprendre à l’Allemagne ses libertés religieuses, l’invincible lutteur est sur la brèche pour la défense du droit nouveau. Nous n’avons plus l’idée de ces grandes existences dévouées à un principe, de ces combats de doctrines et de paroles où le soldat d’une croyance ne craint pas de rester seul contre tout un monde. Il y a des heures où la cause de Grégoire semble vaincue ; Grégoire est toujours debout. À Rome, à Vienne, à Nuremberg, à Francfort, partout où s’engage la guerre de la théocratie contre les églises nationales, on voit arriver l’intrépide orateur. C’est le tribun de la religion émancipée, le prophète du christianisme viril. Diplomate maladroit, il perd toutes les causes où il faut procéder avec art ; apôtre aux lèvres de feu, il gagne toutes les batailles où peut se déployer librement l’enthousiasme de sa foi. Il enseigne aux souverains d’Allemagne leurs droits et leurs devoirs, leurs droits vis-à-vis du saint-siège, leurs devoirs envers l’église de la patrie. Un jour il réprimande l’empereur Frédéric III, et avec quelle souveraine éloquence ! Si l’archevêque de Mayence est persécuté pour son attachement aux principes du concile, il accourt auprès de lui afin de l’aider à soutenir l’orage. Si le duc Sigismond d’Autriche est excommunié pour avoir empêché le cardinal Nicolas de Cuse de troubler ses états, Grégoire de Heimbourg rédige un appel au futur concile, le signe de son nom et va l’afficher lui-même aux portes des églises de Florence[1]. Par ses écrits comme par ses discours, il entretient d’un bout de l’Allemagne à l’autre l’horreur de la théocratie, comme s’il prévoyait le mal que la théocratie va faire au christianisme éternel. Grégoire de Heimbourg en 1466, c’est véritablement le génie de l’Allemagne avant les déchiremens funestes, son génie encore catholique, mais anti-romain, cinquante années avant Luther.

On voit ce que signifiait l’arrivée d’un tel homme à la cour du roi George l’esprit germanique, si longtemps hostile au pays de Jean Huss, venait généreusement à son secours. Le premier acte de Grégoire de Heimbourg est un manifeste adressé à tous les princes de la chrétienté pour la justification du roi de Bohême. Amis et ennemis, au XVe siècle, y virent un modèle d’éloquence et de raison. Le grand publiciste, faisant parler son maître, exposait ainsi les faits et les droits : « Depuis le commencement de notre règne, l’agriculture et le commerce, si longtemps étouffés, ont repris leur essor. Les forteresses d’où sortait la dévastation sont renversées ; les bandes qui désolaient le pays, devenues une armée régulière, sont employées aujourd’hui à le défendre. Les tribunaux sont rouverts, l’état a recouvré sa puissance pour garantir l’ordre et la paix. Cependant au sein de la paix la plus florissante des germes funestes peuvent se glisser : il y a dans notre royaume des Catilina qui, sous le voile d’un zèle ardent pour l’unité de l’église, sous le masque de leur dévouement au saint-siège, cachent des desseins pervers. Le pape, prêtant une oreille trop facile à la calomnie, nous a intenté un procès indigne ; il nous refuse notre titre royal et nous appelle de notre nom de famille, nous qui avons été sacré au pied des autels, nous qui avons été reconnu roi par l’empereur, par les princes, et même par les prédécesseurs du pontife qui occupe aujourd’hui le siège de Rome. Il est manifeste que le saint-père, en se servant de ces formes captieuses, a voulu nous tendre un double piège. Obéir à une citation où nous sommes traité en simple particulier, c’eût été une abdication volontaire, et comment nous justifier d’être retombé dans l’hérésie sans avouer implicitement que nous avions mérité une première fois d’être appelé hérétique ? Mais la plus révoltante des injustices contre lesquelles nous protestons, la voici : le pape, avant l’expiration du terme qu’il a fixé lui-même, exécute un jugement qui n’existe pas et délie nos sujets de l’obéissance qu’ils nous doivent ! » C’est ainsi que le roi, des les premiers mots, reprenait sa couronne et déchirait la citation du pape. Il continue royalement, avec autant de noblesse que de force. Il prouve que le saint-siège a violé lui-même le droit qu’il s’arroge, qu’il a usurpé sur son propre tribunal, et que, par ce seul fait, il a détruit à jamais sa juridiction sur la Bohême. Puisque le pape exécute la condamnation avant que le procès soit commencé, quelle justice peuvent espérer la Bohême et son roi ? Quand les juges sont liés d’avance, il n’y a plus de tribunal. D’ailleurs la juridiction de Rome fût-elle possible, est-ce donc à Rome, au milieu de ses ennemis, au milieu d’accusateurs prévenus et opiniâtres, qu’il conviendrait au roi de produire sa défense ? Où seraient les témoins pour démentir ou confirmer ses paroles ? et comment la vérité se ferait-elle jour à travers les ténèbres amassées par tant de calomnies ? Il a proposé une grande réunion des souverains du monde et des princes de l’église dans une contrée voisine de la sienne, une réunion où la Bohême pourrait parler, où la vérité serait visible à tous, où les choses crieraient d’elles-mêmes. C’était la lumière qu’il appelait ; le pape n’en a point voulu. Cette lumière dont on ne veut pas, cette vérité qu’on repousse à Rome, la voici. Le royal accusé reprend alors en quelques mots l’histoire de sa vie et de son gouvernement. Il expose et maintient le droit public de la Bohême, fondé à jamais sur les décrets du concile de Bâle. Il ose dire enfin que la manière dont il a pacifié cette Bohême indisciplinable, après trente ans de révolutions et de guerres civiles, pourrait servir d’exemple aux autres royaumes de l’Europe. Et devant qui se rend-il un si fier témoignage ? Devant les princes ses voisins, devant les rois, les ducs, les margraves, qui l’ont vu naître et grandir, qui l’ont initié à leurs propres affaires, qui l’ont pris pour arbitre, qui ont échangé leurs enfans avec les siens, devant des hommes qui l’ont vu à l’œuvre, et qui, s’il trahissait la vérité, se lèveraient pour le confondre.

Ils se lèvent, ces princes de l’empire, et tous, excepté l’empereur, qui lui doit le plus, tous viennent solennellement confirmer ses paroles. Le manifeste de Grégoire de Heimbourg, cette œuvre supérieure au génie de l’époque, comme dit l’historien du droit impérial, était un appel irrésistible à la conscience publique. Les princes, sans s’inquiéter de l’anathème du pape, répondirent à ce cri de l’âme avec une loyauté hardie. « Il a rétabli l’ordre en Bohême, disait le duc Louis de Bavière, et nous a aidé nous-même à pacifier nos états, à augmenter nos revenus, à diminuer le nombre de nos troupes. » Le prince-électeur, archevêque de Cologne, et son frère le comte palatin, ce Frédéric le Victorieux, qui avait battu la moitié de l’Allemagne, s’empressent aussi de glorifier les services du roi George dans une adresse qu’ils signent tous les deux et qu’ils envoient à Rome. » Prenez garde, écrivaient à Paul II les ducs Albert et Guillaume de Saxe, prenez garde de réveiller la férocité bohémienne, si heureusement domptée par la ferme sagesse et la haute humanité du roi. » Le margrave de Brandebourg ne donne pas seulement au pape un avis respectueux, il lui adresse une plainte qui est une protestation. Il a consulté des légistes hommes de vaste science et de raison profonde, il a conféré longuement avec eux sur ce sujet, et tous ont déclaré que la condamnation du roi de Bohême était une violence inouïe stupendum facinus. Louis XI, dans sa lettre à Paul II, n’est pas moins explicite : il appelle la procédure du saint-siège un acte de rébellion, et lui conteste absolument le droit de traiter ainsi un souverain. Il faut entendre surtout les catholiques de Bohême, ceux que des ambitions personnelles n’ont pas entraînés dans la ligue, et qui représentent l’intérêt général dans les assemblées de la patrie. Par un bref envoyé aux quatre principales villes de la Moravie : Olmütz, Brunn, Znaïm, Iglau, le pape leur avait ordonné de se détacher du roi ; le loyal évêque d’Olmutz ; Protasde Boscowic, répondit avec une liberté toute chrétienne que ce serait une action inique et funeste. Il vanta la mansuétude de George, son esprit de tolérance, sa fidélité à ses engagemens ; il montra combien il serait dangereux pour l’église et pour le bien commun que les catholiques de Bohême trahissent leurs sermens envers leur souverain, et comme la ville de Pilsen a déjà levé l’étendard de la révolte, il supplie Paul II, au nom des autres villes, de les autoriser à s’unir au roi George pour étouffer l’insurrection. Le conseil des princes de Moravie tint le même langage. Les ducs de Silésie ajoutèrent que le seul auteur du mal était le légat Fantin de Valle avec ses violences d’énergumène. Dans les affaires de religion, disaient-ils, le roi a toujours été si doux, si tolérant, que le plus zélé catholique n’a rien à redouter d’un tel maître ; ils suppliaient donc le pape de supprimer le procès, de le suspendre au moins jusqu’à meilleure information, et déclaraient enfin que leur parti était pris : quelle que fût la décision de Rome, ils ne se sépareraient pas du roi. Les ducs Henri de Glogau, Conrad d’Oels, Nicolas d’Oppeln, Premislaw de Tost, Frédéric de Liegnitz, avaient signé cette déclaration.

Quelle impression produisirent sur l’esprit de Paul II tant et de si imposans témoignages ? Il n’y vit qu’une seule chose, c’est que le bras séculier dont il avait besoin pour l’exécution de sa sentence ne se trouverait pas chez les princes de l’empire. Il fallait chercher fortune ailleurs. Le roi de Hongrie avait offert son épée au pape des le commencement de la lutte, c’est-à-dire à une époque où le saint-siège ne voulait pas encore en venir aux dernières extrémités ; on renoua les négociations, mais déjà Grégoire de Heimbourg était sur le terrain et combattait avec vigueur l’influence des légats. Pendant toute l’année 1466, le grand diplomate est en correspondance avec l’archevêque de Gran, primat de Hongrie. Il espérait que ce prélat, esprit sage, âme généreuse, pourrait dominer le fanatisme de son maître, et il s’efforçait de lui prouver que la Hongrie et la Bohême devaient faire cause commune, ayant dans l’avenir un intérêt semblable. On voit par une de ses lettres avec quelle ardeur il désirait cette alliance, puisque cette ardeur même avait éveillé des scrupules dans la conscience de l’archevêque. Ne serait-ce pas une conspiration contre l’empire ? se demandait le prélat. Ce n’est pas une conspiration, répond Grégoire ; c’est l’exercice d’un droit naturel. Grégoire de Heimbourg avait raison : le roi de Bohême et son ministre, en poursuivant l’union des Tchèques et des Magyars, obéissaient à une inspiration de génie. Les deux peuples, étrangers de race et de langue au milieu du monde germanique, n’étaient-ils pas nécessaires l’un à l’autre ? La ruine de la Bohème, provoquée par la fureur du pape, ne devait-elle pas profiter surtout à la maison d’Autriche ? Une fois les Bohémiens abattus, les Hongrois n’auraient-ils pas leur tour ? Grégoire, sans s’exprimer avec cette précision, a eu pourtant le mérite de pressentir ces choses avec une sagacité supérieure, et l’histoire, on le sait trop, a consacré ses vues. L’archevêque paraissait accueillir favorablement ses idées ; il est douteux cependant qu’il les eût fait triompher, et, sans les événémens qui appelèrent Mathias Corvin du côté de l’Orient, on peut croire que le pape eût trouvé son soldat des l’année 1466. Une nouvelle invasion des Turcs obligea le roi de Hongrie à porter ses forces sur le Danube. D’ailleurs une autre guerre, et toute différente l’empêchait de répondre aux appels de Paul II ; c’est le moment où le fils d’Hunyade, réveillant les plus mauvais instincts de la race d’Attila, exécute contre les soldats chrétiens de la Roumanie les attentats horribles qu’il commettra bientôt contre la Bohême.

Il n’y avait plus que deux princes à qui le saint-siège pût s’adresser, le roi de Pologne et l’empereur ; mais comment vaincre, les irrésolutions de l’empereur ? Comment entraîner dans une telle lutte le doux et pacifique souverain de la Pologne ? L’empereur ne se déclarait jamais, il préparait dans l’ombre le fil de ses intrigues, agissait en faisant agir ses alliés, s’appliquait à ne point se compromettre, et n’avait qu’une visée dans toutes les questions : l’agrandissement de l’Autriche. Le roi de Pologne était dégoûté de la guerre, bien qu’il la fit alors très bravement contre les ordres teutoniques ; il y avait épuisé ses ressources malgré de nombreuses victoires, et n’était pas homme à courir de folles aventures. La chasse, le repos, une cour brillante et somptueuse, voilà ce qu’il fallait au roi Casimir, et non cette couronne de Bohême que lui offrait Paul II. Il aimait d’ailleurs le roi de Bohême et trouvait sa cause juste. Le légat, Rodolphe de Lavant, essaya en vain des menaces et des promesses ; il eut beau imposer la paix aux ordres teutoniques pour rendre à la Pologne sa liberté d’action : Casimir profita de cette paix et refusa de s’engager à rien. Craignant même que le traité conclu en son nom par le légat ne donnât lieu à de fausses rumeurs, il envoya des ambassadeurs en Bohême pour tout révéler au roi George et l’assurer de sa loyale amitié. Ainsi ni la Hongrie, ni l’Autriche, ni la Pologne n’étaient en mesure de soutenir la cause de Rome, et les princes de l’empire donnaient à Podiebrad l’appui de leur témoignage unanime. Il fallait pourtant que la sentence pontificale fût exécutée. « Notre situation devenait ridicule, écrit le cardinal de Pavie, Jacques Piccolomini, dans le récit qu’il a tracé des délibérations du saint-siège. Quoi ! prononcer la déchéance d’un roi qui continuerait à régner ! attaquer à coups de paroles un ennemi qui répondrait par les armes ! Indécis, troublés, nous hésitions, quand le cardinal Carvajal, homme d’une haute sagesse et inflexible adversaire de l’hérétique, raffermit subitement les courages. Voyant le sacré collège ébranlé, il s’écria : « Pourquoi mesurer tout à la mesure des choses humaines ? Ne laisserons-nous aucune part à Dieu en des affaires si graves ? Puisque ni l’empereur, ni le Hongrois, ni le Polonais ne nous viennent en aide, le ciel même, croyez-moi, combattra pour nous et renversera l’impie. Faisons notre devoir, Dieu fera le sien[2]. »

D’après le témoin que nous venons de citer, l’impression de ces paroles fut immense au sein du sacré collège. On craignit sans doute de la laisser s’affaiblir. C’est le 21 décembre que le vieux cardinal imposait à Dieu le devoir de servir la politique romaine ; deux jours après, la condamnation définitive du roi de Bohême était prononcée par le pape en consistoire extraordinaire. Environ quatre mille personnes étaient réunies dans l’enceinte. Toutes les formes solennelles furent minutieusement observées. Après le discours de l’avocat du consistoire, après le rapport du procureur de la foi, le pape envoya un archevêque et trois évêques sur les balcons du Vatican, avec ordre d’appeler à haute voix George de Podiebrad ou son représentant et de l’amener dans la salle. Les prélats rentrèrent bientôt, annonçant que personne n’avait répondu à l’appel. Alors le pape prit la parole ; malgré tous les témoignages contraires produits par les princes de l’empire, par les évêques et les fidèles de Bohême, il accusa le roi d’avoir opprimé les catholiques de ses états, et chargea le cardinal vice-chancelier de proclamer le jugement. Nous savons d’avance ce que ce jugement va contenir, nous savons aussi dans quels termes il sera conçu. George de Podiebrad, qui se dit roi de Bohême, y est appelé fils des ténèbres, hérétique, relaps, protecteur d’hérétiques, parjure, brigand, spoliateur de l’église, et déclaré digne de toutes les peines que la loi pontificale inflige à de pareils crimes. Tous ses titres de roi, de margrave, de prince, toutes ses dignités, tous ses pouvoirs, tous ses droits lui sont enlevés à jamais. Ses descendans sont déclarés incapables de revêtir aucune dignité, de recueillir aucun héritage ; ses sujets sont déliés de tous leurs sermens envers lui. Telle était la sentence, formulée déjà au mois d’août, prononcée illégalement dans la précipitation de la colère, et renouvelée dans toutes les formes le 23 décembre 1466. Trois mois après, aux fêtes de Pâques, l’anathème sera confirmé d’une manière plus solennelle encore. C’est le jeudi saint, le grand jour de la bénédiction urbi et orbi ; le pape est porté sur son trône au balcon de la vieille, basilique de Saint-Pierre ; cardinaux et prélats lui font un éclatant cortège ; sur la place, dans les rues, une foule immense, accourue de toutes parts, vient recueillir les paroles d’amour que le vicaire du Christ doit envoyer à la ville, et de la ville à l’univers. Or, avant de bénir et Rome et le monde entier, Paul II, les mains levées au ciel, commence par jeter des clameurs, de malédiction : « Anathème sur George, de Podiebrad, anathème sur ses amis, ses partisans, ses alliés, anathème sur quiconque lui prêtera obéissance ! » Et chaque année, pendant les luttes que nous avons encore à décrire, ce même cri retentira du haut de la basilique ; chaque année, avant la bénédiction universelle, le nom des Bohémiens maudits sera signalé à l’exécration de la chrétienté ; chaque année enfin on verra s’allonger la liste, car les amis du roi ne seront pas tous, désignés en masse, quelques-uns seront apostrophés directement : un jour ce sera son conseiller Grégoire de Heimbourg, une autrefois ce seront les princes ses fils. La reine elle-même, la pieuse reine Jeanne, aura sa place dans ces litanies de la haine.

Le siècle de George de Podiebrad n’est pas le siècle des Innocent III et des Boniface VIII. Après la période des. schismes, après l’opposition des conciles, dans un temps qui avait vu se déployer avec vigueur l’esprit des églises nationales, les condamnations du saint-siège n’avaient plus le pouvoir de bouleverser l’Europe. Ne croyons pas cependant que ce fussent des armes impuissantes. Si les politiques souriaient, avec dédain, plus d’un cœur simple était troublé. Des prédicateurs fanatiques commentaient les bulles papales dans maintes contrées allemandes, et prêchaient la croisade contre le Bohémien. À Leipzig, à Erfurth, les étudians délibérèrent en tumulte sur la conduite qu’ils devaient tenir ; ils voyaient déjà en imagination recommencer les guerres de Ziska, et, tout en blâmant les témérités de Paul II, ils se demandaient s’il ne fallait pas frapper la Bohême avant l’explosion de sa colère. Malgré les sympathies des princes pour le roi George, des corps francs s’organisèrent sur plusieurs points de l’Allemagne. C’est alors que Grégoire de Heimbourg conseilla au roi de suspendre l’effet du jugement par une mesure hardie, mesure bien conforme d’ailleurs à l’esprit du XVe siècle et à l’inspiration secrète du pays de Jean Huss : l’appel au futur concile œcuménique.

Le 14 avril 1467, le roi George rassembla subitement dans son palais tous les chefs catholiques qui se trouvaient alors à Prague. Assis sur son trône, il lut un manifeste où étaient dévoilées les iniquités et les violences du pape. C’était l’œuvre de Grégoire de Heimbourg. Paul II n’ayant pas obéi à la justice, mais à la haine, le roi en appelait au saint-siège lui-même, car ce n’était pas contre l’institution et le droit d’un pontificat suprême que protestait le roi George, c’était contre la personne de celui qui occupait alors le trôné de saint Pierre, personne mortelle, faillible, passionnée. Et si ce premier appel ne suffisait pas, il en appelait en second lieu au futur concile général, à ce concile qui aurait dû être réuni depuis longtemps, et qui n’était retardé ou supprimé que par l’indifférence ou l’usurpation de Paul II. Enfin si cette seconde protestation devait aussi demeurer sans effet : « J’en appelle, disait-il, aux successeurs de Paul II, j’en appelle à tous les corps de la chrétienté, j’en appelle à quiconque aime le droit et la justice ! »


III

Ce n’était pas une vaine tentative que cet appel du roi, puisqu’il suspendait la condamnation prononcée à Rome, et qu’il rassurait maintes consciences indécises. Il est vrai qu’une pareille protestation allait aussi exaspérer les fanatiques. À dater de ce moment, la fureur de Paul II ne connaît plus de bornes : bulles, décrets, sentences, renouvelés de mois en mois, tombent sur la tête du roi de Bohême avec une sorte de régularité monotone et sinistre. La ligue des seigneurs devient une ligue catholique, et ce n’est plus contre le destructeur des privilèges de la noblesse, c’est contre l’hérétique frappé d’anathème que les barons, poussés par les légats du pape, se décident enfin à commencer la guerre. Pendant toute l’année 1467, ce pays, naguère encore si florissant, ce royaume enrichi par la paix, et qui faisait envie aux contrées allemandes, n’est plus que le théâtre d’une immense bataille. Point de journée décisive, point de stratégie savante ; on se bât partout et sans cesse. Les ligueurs étant dispersés dans toutes les parties de la Bohême, le roi est obligé de disséminer aussi ses troupes : Les principaux faits d’armes sont des prises de châteaux. Un des grands événemens de la campagne ; ce fut l’avantage obtenu par les soldats du roi qui emportèrent d’assaut dans la même journée six châteaux-forts du baron de Sternberg. Le roi avait réussi pourtant à concentrer deux petites armées sous le commandement de ses deux fils, les princes Victorin et Henri, qui se portaient rapidement partout où le danger les appelait. Le prince Victorin fut plusieurs fois vainqueur en Silésie. Le 16 juin, à Frantenstein, il fit quatre mille prisonniers à l’ennemi, et les dirigea sur Prague. Des armes, des drapeaux, maints trophées, quatre cents pièces d’artillerie prises en différens combats défilèrent aux yeux de la foule. Au milieu des nouvelles contradictoires qui arrivaient chaque jour de tous les points du royaume, il importait de rassurer les esprits. Ces prisonniers montrés au peuple de Prague, le roi les renvoya dans leurs foyers, comme autant de témoins qui devaient attester à la fois et la magnanimité du fils des ténèbres et la force confiante du roi dépossédé.

Pendant que la guerre civile mettait le pays en feu, une armée de prédicateurs populaires, lancée par les légats pontificaux, s’efforçait de soulever l’Allemagne contre la Bohême. La confusion était si grande dans les contrées germaniques que, malgré les sympathies des princes de l’empire pour le roi George, on vit s’organiser une espèce de croisade, croisade grossière, impie, où se déchaînaient les plus mauvaises passions. « Ces croisés, dit un contemporain, portaient une croix en drap rouge cousue par-dessus leurs vêtemens. Ils n’avaient d’autre solde que le pillage. Dans leur fureur contre la sainte coupe, ils tuaient indistinctement tous les Bohémiens qui se trouvaient sur leur passage ; les enfans eux-mêmes n’échappaient pas à la rage de ces forcenés. Innocentes créatures ! ces soldats de la croix les massacraient, et se jetaient en jouant leurs têtes coupées comme des pommes de choux[3]. Ils égorgeaient aussi les vieillards et les femmes en couche dans les hôpitaux puis ils exprimaient le sang de leurs victimes et s’y lavaient les mains, persuadés que cette ablution effaçait tous leurs péchés. C’était le pape avec ses bulles qui les avait poussés à ces actes sauvages en leur ordonnant de se baigner dans le sang des Bohémiens. Ils croyaient fermement qu’il suffisait de tuer un Tchèque et de se laver avec son sang pour devenir tout à coup aussi pur devant Dieu que l’enfant qui vient de naître. Quiconque mourait dans la bataille après avoir tué un ennemi était sûr d’entrer au paradis sans traverser le purgatoire. Aussi, dès qu’un Bohémien était frappé de mort, voyait-on les croisés se précipiter sur lui pour recueillir le sang de ses blessures. Ils étaient souvent quatre ou cinq acharnés sur un cadavre et se laissaient massacrer par nous plutôt que de manquer leurs ablutions infernales. Évitant de se battre en soldats, ils se glissaient ténébreusement dans les hameaux, et c’était sur des enfans, des femmes, des vieillards qu’ils essayaient leur courage. Malheur au paysan attardé qui n’avait pas rejoint avant la nuit le camp de ses camarades ou l’asile retranché du cimetière ! les fanatiques le guettaient dans l’ombre, impatiens de se frotter le corps avec le sang de ses veines. Mais qu’ont-ils fait de plein jour et sur les champs de bataille ? Où sont les burgs qu’ils ont escaladés, les villes qu’ils ont prises ? »

Quand on a déchaîné les fureurs du fanatisme, sait-on bien où elles s’arrêteront ? C’est en ce sens que Paul II et ses agens sont responsables devant l’histoire de tout ce que renferme cet horrible tableau. Quant au roi George, il grandit avec le danger. Il contient les passions de son peuple, il organise des troupes régulières, et l’ordre qu’a établi depuis quinze ans son génie pacificateur se maintient et se développe jusqu’au sein de ce tumulte effroyable. C’est dans les lieux écartés, dans les vallées désertes, dans les défilés des montagnes que les croisés allemands exercent leurs abominables fureurs ; partout où leurs bandes isolées se réunissent, partout où ils osent affronter la bataille au grand jour, ils sont pris ou taillés en pièces. Le 22 septembre 1467, le chevalier Janowski, à la tête d’un détachement des troupes royales, en fait quatre mille prisonniers. Les deux princes Victorin et Henri tiennent de leur côté en échec la ligue des barons révoltés. Si les rebelles demandent une trêve, le roi, au lieu de poursuivre ses avantages, essaie de les vaincre par la générosité. Il les tenait divisés, chacun dans son domaine et sa forteresse ; il leur permet de se réunir à Breslau, la capitale de l’insurrection, et de conférer ensemble sur la conduite à suivre, tant il a confiance en son droit, tant il est heureux de faire luire sur ce pays désolé l’esprit de conciliation et de paix. Ainsi s’accroît son autorité morale en même temps que se déploient ses forces militaires ; ainsi le roi se révèle à tous plus grand, plus généreux que jamais, au moment même où le pape a rayé son nom du livre des souverains. Chose digne de remarque, les évêques des deux pays où s’agitait surtout la rébellion les deux chefs spirituels de la Silésie et de la Moravie, l’évêque de Breslau, Jost de Rosenberg, et l’évêque d’Olmütz, Protas de Boscowic, furent touchés de cette grandeur toute chrétienne ; en dépit des injonctions de Paul II, ils proposèrent de faire la paix avec le roi. L’évêque de Breslau, fils du plus ancien ennemi de Podiebrad, ne craignit pas d’affronter les fureurs de la populace pour faire triompher son opinion. Il mourut peu de temps après, et ce fut à grand’peine que les habitans de Breslau le laissèrent ensevelir dans sa cathédrale.

Si le noble cœur du roi triomphait des préventions les plus opiniâtres, on pense bien que son prestige ne diminuait pas chez ces princes de l’empire, accoutumés depuis tant d’années à respecter ses vertus royales. N’oublions pas un événement où éclatent les sympathies qui l’entouraient. On a vu que la fille du margrave Albert de Brandebourg avait été fiancée en 1460 au prince Henri, fils du roi George. La princesse n’avait que dix ans au moment des fiançailles ; quand elle atteignit sa dix-septième année, le roi de Bohême venait d’être mis au ban de l’église par les imprécations de Paul II. Le margrave de Brandebourg oserait-il bien donner sa fille au fils de l’hérétique, au fils de celui que le pape avait exclu de la bénédiction universelle, et qu’il vouait en termes outrageux à la haine de la chrétienté ? La diplomatie pontificale s’agita beaucoup autour du margrave ; on l’avertit, on employa les menaces, et comme le margrave inflexible persistait dans son dessein, ses états furent frappés d’interdit le 15 octobre 1466. Les agens de la politique romaine essayèrent aussi d’effrayer la conscience de la jeune princesse. Violences publiques, violences secrètes, tout fut inutile. Le mariage fut célébré dans la ville d’Egra le 10 février 1467, c’est-à-dire au moment même où des bandes de croisés allemands, sans autres chefs que des moines fanatiques, se glissaient furtivement dans les défilés de la Bohême.

Les victoires du roi, la fermeté de son administration au milieu des désordres de la guerre civile, les hautes sympathies qui de jour en jour se manifestaient pour lui, commençaient à décourager ses adversaires. Le roi n’avait pas craint d’accorder une trêve de six mois aux barons de la ligue catholique, et en même temps qu’il dédaignait ainsi les nouvelles entreprises de ses sujets rebelles, il déclarait la guerre à celui qui les soutenait, à l’empereur Frédéric III en personne. Le prince Victorin venait d’envahir l’Autriche à la tête d’une petite armée, et, profitant des divisions du pays, il marchait victorieusement sur Vienne (1468). Cette trêve accordée aux ligueurs par un double sentiment d’humanité et de dédain, cette invasion audacieuse des états de l’empereur, attestent la solide puissance du roi de Bohême. George de Podiebrad recueillait le fruit de ses longs efforts ; grâce à l’ordre qu’il avait établi, aux institutions qu’il avait mises en vigueur, et pour ainsi dire au peuple nouveau qu’il avait créé, il pouvait mener de front une double guerre sans avoir à déchaîner la révolution. Pendant que les ligueurs se réunissent en parlement à Breslau, envoient une ambassade au pape, implorent le secours du roi de Pologne, se cherchent partout des alliés ; pendant que le prince Victorin s’avance sur Vienne et porte la terreur dans le palais de Frédéric III, le roi de Bohême continue de gouverner son peuple dans le même esprit de sagesse et de modération. Attentif aux nécessités de la guerre, il n’oublie pas les devoirs de la paix. Il s’applique surtout à réprimer le fanatisme des anciens jours, afin que nulle violence ne vienne déshonorer la sainte cause qu’il défend. Sous le coup des provocations du pape, les calixtins ont été entraînés à affirmer leurs doctrines avec une plus virile énergie, et une secte nouvelle vient de se former. Ce sont ces frères de l’unité, chrétiens pratiques et mystiques à la fois, qui, se détournant des choses mondaines, repoussant toute alliance du spirituel avec le temporel, abandonnant toute église constituée, même celle des hussites, parce que les églises de leur temps sont trop mêlées aux intérêts politiques, ne reconnaissent d’autre loi que l’Évangile, d’autre pontife que JésusChrist. Ces doux esséniens du monde moderne, qui n’ont succombé ni aux luttes de la réforme, ni aux violences de la guerre de trente ans, ni à la léthargie morale de la période suivante, et qui, ranimés au XVIIIe siècle par le comte Zinzendorf, se retrouvent encore aujourd’hui dans maintes contrées de l’Europe, ont pris naissance au XVe siècle, l’année même où le roi George, frappé d’anathème par le pape, déjouait si énergiquement les efforts de la rébellion. On comprend que le roi n’ait pu juger en toute liberté d’esprit cette singulière entreprise. Était-ce l’ancien esprit qui se levait ? Était-ce le fanatisme qui allait répondre aux outrages de Rome, comme il avait répondu, soixante-trois ans plus tôt, aux fureurs des théologiens de Constance ? Une telle apparition en pleine guerre civile devait effrayer une âme aussi profondément humaine que celle du roi George. Notez bien que ces frères de l’unité, devenus plus tard si humbles, si détachés du monde, déployaient alors une liberté de paroles et de doctrines que n’ont jamais connue les disciples du comte Zinzendorf. Avant de se détacher du monde, ils ne se faisaient pas faute de le maudire ; en cherchant les voies de l’humilité évangélique, ils parlaient souvent comme d’orgueilleux sectaires. Le roi n’hésita pas à les ranger parmi ces fauteurs d’hérésies que son serment l’obligeait à extirper de la Bohême. À peine organisés en communauté religieuse, les frères avaient écrit au roi : « Nous désirons que votre majesté le sache : le jour où seront rassemblés les représentant de toute l’église chrétienne, nous produirons des textes certains, irréfutables, dictés par Dieu lui-même, où l’on verra qu’il est juste de refuser obéissance à l’église romaine, que l’autorité des papes n’est pas fondée sur l’esprit divin, que leurs bénédictions ou leurs anathèmes sont sans force, n’étant soutenus ni par la parole du Christ ni par la puissance des apôtres, que leur empire au contraire est un monstrueux scandale devant Dieu, qu’ils ne possèdent pas la lumière à l’aide de laquelle on distingue le bien du mal qu’ils ne peuvent ni lier ni délier… » C’était le commencement de la réforme ; mais le roi de Bohême, en lutte avec le pape Paul II, ne voulait pas rompre avec le catholicisme. Il appelait de ce nom l’église des premiers temps, l’église du haut moyen âge, celle qui présentait l’image d’une grande fédération et non pas d’une monarchie absolue. Les frères auraient pu gagner sa faveur en ne frappant que Paul II ; ils avaient offensé ses croyances en dirigeant leurs coups sur le saint-siège lui-même. Attaquer le saint-siège de Rome et lui refuser toute vertu divine, c’était, aux yeux du roi George, attaquer la présidence consacrée de la fédération chrétienne universelle. Il espérait toujours obtenir des concessions de Rome, ou du moins limiter ses usurpations, comme ces barons d’Angleterre qui avaient arraché une charte à leurs souverains sans ébranler leur trône. La secte des frères de l’unité lui parut une complication funeste dans une situation déjà si périlleuse, et il résolut de sévir contre les perturbateurs. Un grand nombre d’entre eux furent jetés en prison, Le roi cependant ne tarda pas à s’apercevoir que c’étaient de nobles âmes, des âmes altérées de Dieu, et il essaya de les ramener à l’église nationale, au lieu de les aliéner à jamais par la violence. Au mois d’avril et de mai 1468, les prédications et l’emprisonnement des frères de l’unité ayant produit une vive agitation parmi le peuple, le roi convoqua dans la ville de Beneschau une sorte de concile hussite chargé de pacifier les esprits et de rétablir la concorde religieuse. Déjà les membres de ce concile, prêtres et laïques, avaient répondu à l’appel, déjà on délibérait sur les moyens de détourner l’effervescence mystique des sectaires, quand tout à coup arrive une lettre du roi, ordonnant de laisser là ces questions et de courir aux armes pour la défense de la patrie et de la foi, car un danger les menaçait, le plus grand, le plus terrible danger qui eût jamais éclaté sur la Bohême. Ce même cri : aux armes ! la patrie est en danger ! Retentit en quelques jours aux deux extrémités du royaume.

Que se passait-il ? quel était ce danger ? sur quel point venait de fondre l’orage ? Le pape, on l’a déjà vu, avait longtemps et inutilement cherché un chef pour sa croisade, un chef assez hardi pour exécuter la sentence du saint-siège, assez fort pour détrôner le roi George et s’asseoir à sa place. Ni l’empereur Frédéric III, ni le roi de Pologne, ni aucun des princes allemands n’avait voulu accepter cette mission. La ligue des barons catholiques venait de l’offrir au duc de Bourgogne, à celui que dévoraient de si vastes pensées et que l’Europe appellera bientôt Charles le Téméraire ; tout entier à sa lutte avec le roi de France, le duc de Bourgogne a dû ajourner ses desseins sur l’empire. Mathias Corvin, il est vrai, dès la rupture du roi George avec la cour de Rome, avait sollicité l’honneur de porter les premiers coups à celui qui avait été son bienfaiteur et son père ; mais son offre à cette date était prématurée, et depuis qu’on avait eu recours à ses armes, ses guerres avec les Turcs ou les Roumains ne lui permettaient plus de songer à la Bohême. Le roi George était donc parfaitement rassuré ; il ne croyait même pas aux projets ambitieux que la voix publique prêtait au chef des Magyars. Était-ce bien au fils de Jean Hunyade de faire cause commune avec l’empereur contre les Bohémiens ? était-ce à l’adversaire des Ottomans de démanteler le boulevard de l’Europe ? D’ailleurs ce soldat de la chrétienté, ce fils du glorieux Hunyade, c’était aussi le fils du roi de Bohême ; la fille de Podiebrad s’était assise avec le jeune Magyar sur le trône de Hongrie. La mort de la reine avait-elle donc rompu tous les liens entre le gendre et le beau-père ? Mathias Corvin pouvait-il ne plus se souvenir qu’il devait la liberté, la vie, le pouvoir souverain, à l’intervention du roi George ? « Non, non, disait le loyal hussite, jamais l’homme que j’ai sauvé ne se fera l’exécuteur des vengeances du pape. » Qu’on juge de sa douleur lorsqu’une dépêche du prince Victorin lui annonça que l’armée hongroise, commandée par Mathias Corvin en personne, s’avançait, enseignes déployées, pour exterminer les hérétiques de Bohême.


IV

Cette guerre en effet, provoquée par les clameurs de Paul II et entreprise par un homme tel que Mathias Corvin, devait être une guerre d’extermination. La Hongrie a trop vanté le fils du grand Hunyade. Ses luttes contre les Turcs, ses victoires sur l’empereur, sa conquête de l’Autriche, le chef des Magyars trônant à Vienne dans le palais de Frédéric III et y terminant en paix sa carrière, ce rude soldat devenu le protecteur des arts, des lettres, des sciences, ce second Attila rêvant le rôle d’un Charlemagne dans l’Europe. orientale, toutes ces choses ont ébloui longtemps les imaginations, et il s’est formé sur Mathias Corvin une légende dont l’histoire a grand’peine à déchirer les voiles. Au fond, malgré son amour de la gloire, c’était un barbare avec les vices de la civilisation. Appelons-le un autre Attila, puisqu’il l’a voulu lui-même, mais ajoutons que cet Attila joignait le fanatisme d’un inquisiteur à la férocité du sauvage. Les documens nouveaux mis au jour par l’historien de la Bohême ne laissent aucun doute sur ce point. Dira-t-on que M. Palacky est suspect ? M. Palacky cite les faits et laisse au lecteur le soin de les apprécier. Interrogeons d’ailleurs les Allemands ; entre les Tchèques et les Magyars, les écrivains de la Saxe et de la Prusse sont des juges désintéressés. M. Wilhelm Jordan et M. Clément Brockhaus, le premier dans son livre sur George de Podiebrad, le second dans l’étude excellente qu’il a consacrée à Grégoire de Heimbourg, ont flétri sans hésiter le fanatisme de Mathias Corvin. L’incorruptible histoire, à mesure qu’elle pénètre les secrets de l’Europe orientale, commence à démasquer ce faux grand homme. Tous ceux qui ont éclairci de nos jours une partie de ces arcanes ont rencontré sur leur route l’odieux Mathias Corvin frappant autour de lui les meilleurs soldats de la chrétienté, les plus héroïques adversaires des Turcs. C’est ainsi que M. Edgar Quinet, dans ses belles études sur les Roumains, nous montre le grand chef moldave, saint Etienne le Bon, obligé de disputer le sol de sa patrie à l’ambition du roi magyar, à l’époque même où il défend si énergiquement la ligne du Danube contre les bandes furieuses de Mahomet II[4].

Face à face avec Mathias Corvin, la figure de George de Podiebrad apparaît plus grande que jamais. Nul contraste n’est plus saisissant. Mathias Corvin a pris des mains d’un pontife haineux le glaive d’extermination ; George de Podiebrad ne tire l’épée que pour la défense de sa patrie. Mathias a les passions d’un conquérant, George a le cœur et les vertus d’un roi. Mathias est cruel perfide, George est loyal et clément. Leur vie même répond à leur politique : Mathias Corvin aime le faste dans l’intérêt de son pouvoir, et les sciences, les lettres, les arts, qu’il a eu l’incontestable honneur d’encourager, devaient être l’instrument de ses desseins ; George de Podiebrad, dans son foyer domestique, était un modèle de bonté auguste et de simplicité vénérable. Il y a quelque chose de saint Louis chez ce représentant couronné des nouveaux hussites.

Le commencement de la guerre ne fut pas favorable aux armes des Bohémiens. Le roi George avait recommandé à ses lieutenans. de respecter, les lois de l’humanité autant que celles de l’honneur militaire, de se battre noblement, chevaleresquement, sans obéir jamais à ces conseils de haine qui font les ressentimens éternels. « Mon plus grand soin au milieu des ardeurs de la guerre, écrit un des généraux du roi George, le sire Kostka de Postupic, c’était de prévenir tout incident qui aurait pu exaspérer les deux souverains. Tout en faisant la guerre, je songeais à la paix future, et je ne voulais pas qu’il y eût un jour entre les rois et les peuples réconciliés quelque souvenir plus amer, plus irritant, que celui des nécessités naturelles de la lutte. » On voit que l’humanité du roi avait passé dans l’âme de ses lieutenans. Quelle distance entre les hussites de George de Podiebrad et les hussites exterminateurs que commandait le grand Ziska ! On dirait les soldats de l’Évangile succédant aux soldats de la Bible. Mais pendant que le roi de Bohême faisait prévaloir l’esprit chrétien sur les fureurs guerrières, le pape ne négligeait aucun moyen d’enflammer la rage des croisés. Après avoir renouvelé ses anathèmes au jeudi saint de l’année 1468, après avoir maudit Podiebrad, sa famille, ses amis, ses alliés, jusqu’à la quatrième génération, il s’adressait dans les termes les plus véhémens à ceux des catholiques de Bohême qui ne s’étaient pas encore détachés de leur souverain. ’Nous nous étonnons, s’écriait-il, qu’après tant de bulles et d’anathèmes, il y ait encore des catholiques qui soient favorables à George, qui lui prêtent assistance, qui s’engagent à son service, qui fassent le commerce avec ses sujets. Quiconque ne rompt pas tout rapport avec lui, quiconque vend et achète aux sujets de l’hérétique est banni de la communauté des fidèles et frappé des malédictions de l’église. Vous tous qui résistez à nos ordres, soyez infâmes, incapables de tout acte légal, incapables d’hériter et de tester en justice. Nous déclarons vos débiteurs libérés de toute dette envers vous. Nous ordonnons que vos biens soient confisqués. Déchus de tous les droits de l’homme libre, vous serez esclaves du croisé qui s’emparera de votre personne, et vos enfans, esclaves comme vous jusqu’à la quatrième génération, naîtront et mourront dans le même opprobre. Vous, prêtres catholiques de Bohême et de toutes les contrées allemandes, vous lirez cette bulle chaque dimanche dans vos églises, vous prononcerez nominativement et publiquement l’anathème contre ceux qui ne se soumettront pas sans délai, et s’il en est un seul parmi vous qui néglige d’exécuter cet ordre, la même malédiction est sur lui ! » Une seconde bulle, en date du même jour (20 avril) octroyait des indulgences plénières à tous ceux qui prendraient les armes contre George, ou qui, ne pouvant combattre eux-mêmes, équiperaient un soldat à leur place. Ces deux bulles avaient été répandues dans toute la chrétienté et particulièrement en Allemagne. Aussitôt de nouvelles bandes de croisés allemands se jetèrent sur la Bohème, mais ce furent surtout les Hongrois de Mathias Corvin, qui, absous d’avance de leur férocité par l’horrible impiété du pontife, portèrent en tout lieu le pillage et la mort. Les catholiques eux-mêmes n’échappèrent point à leurs fureurs. Contre nous ou pour nous, telle était leur devise. On faisait un crime aux laboureurs, aux pâtres des montagnes, de ne pas s’être soulevés contre l’homme qui depuis vingt années assurait le travail et le repos de leurs familles. Bien plus, des couvens, des hôpitaux, longtemps à l’abri sous la main paternelle du roi George, furent souillés par d’effroyables attentats. Les religieuses violées, les vieillards massacrés, les autels pillés, attestaient que les haines de race se joignaient au délire du fanatisme, et, que toutes les passions déchaînées à la fois transformaient les soldats magyars en bêtes fauves. « Est-ce là une guerre de Dieu ? s’écrie un des amis du roi dans un dialogue célèbre[5]. Ah ! plût au ciel que ce fût une guerre de Dieu ! On ne verrait pas tant de brigandages, d’assassinats, d’incendies, de saintes maisons détruites, de saintes filles outragées. Était-ce une guerre de Dieu, quand les abbayes de Choteschau, de Tepler, respectées jadis dans les plus horribles tempêtes des guerres civiles, ont été mises par vous à feu et à sang ? Les taborites, en leurs fureurs, n’ont jamais rien accompli de pareil. Et que dire des nobles femmes livrées toutes nues à la risée de vos soldats, des enfans égorgés à la mamelle, des villages catholiques abandonnés aux flammes, de tous les malheureux qui, survivant à la mort ou au déshonneur des êtres les plus chers, se sont tués de désespoir ? Voilà ce que vous appelez la guerre de Dieu ! voilà ce qui a été fait dans notre Bohême par l’ordre du vicaire de Jésus-Christ ! »

Quelles étaient les ressources du roi George contre ce fanatisme féroce ? Plus ses ennemis s’acharnaient à irriter les passions religieuses, plus il s’efforçait de les contenir au sein de son peuple. Il aurait pu, lui aussi, donner à ses soldats ces armes empoisonnées. En poussant le cri de guerre au nom du divin calice, il eût aisément déchaîné les vieilles colères. Pour défendre la coupe sainte, Ziska lui-même serait sorti de son tombeau ; les taborites auraient bientôt reconstitué leur farouche république, et tuant, saccageant, entraînant sur leurs chariots la terreur et la mort, ils auraient enseveli l’armée de Mathias Corvin dans le même sépulcre où gisaient par milliers les soldats de Sigismond. Le roi George ne voulut pas de ce secours. Sa prudence politique, autant que sa haute humanité, lui interdisait les violences révolutionnaires ; n’était-ce pas s’aliéner à jamais les catholiques qui le soutenaient encore et répondre à leur loyauté par une trahison ? D’ailleurs, quand une fois on a démuselé le fanatisme, l’autorité cesse d’appartenir au plus digne, c’est le plus furieux qui est roi. On aurait vu reparaître les tribuns qui avaient mis la patrie à deux doigts de sa perte, et l’œuvre de restauration nationale, si vaillamment accomplie par George et les siens, eût été frappée à la base. Le roi, écartant la question religieuse, appela tous ses sujets, catholiques ou calixtins, à défendre la patrie en péril. Il ne s’agissait pas d’opposer des fanatiques à des fanatiques, mais d’expulser l’invasion hongroise qui souillait le sol de la Bohême. Noble et grande politique ! On ne s’étonnera pas cependant qu’à une époque où la foi, aveugle ou non, tenait plus de place au cœur des hommes que le sentiment de la patrie, la généreuse armée du roi George ait été pourvue de ressources moins redoutables que les fanatiques Magyars de Mathias Corvin.

Une autre cause encore explique les premiers échecs de la Bohême, je veux dire l’absence forcée du roi, appelé souvent par la politique loin du théâtre de la guerre. Podiebrad, qui avait montré les talens d’un capitaine dans les campagnes de sa jeunesse, avait toujours une âme guerrière dans un corps alourdi par les infirmités. Dès le début de la lutte, il avait pris le commandement, s’était porté en Moravie à la rencontre de l’armée hongroise, et l’avait obligée de battre en retraite. Enfermé près de la ville de Laa, dans une position inexpugnable, Mathias refusait la bataille, et George, qui ne voulait pas user l’ardeur de ses soldats dans les ennuis prolongés d’un blocus, était pourtant forcé d’attendre, l’épée au poing, que le Magyar quittât ses retranchemens. Plusieurs fois, pressé d’en finir, il attaqua l’ennemi, le provoqua, essaya de l’attirer dans la plaine et de le prendre corps à corps : tentatives inutiles, Mathias ne bougea point. Tant de journées perdues au camp auraient pu être activement employées dans les conseils de Prague, car bien des intrigues s’agitaient autour de la Bohême, et la sagesse du roi paraissait encore plus nécessaire au milieu des négociations que son habileté stratégique sur l’échiquier des combats. Son armée d’ailleurs commençait à manquer de provisions ; il reprit donc le chemin de Prague, à petites journées toutefois, et toujours prêt à se retourner contre les Hongrois, si l’ennemi se décidait à le suivre. Mathias le suivit en effet, mais à la première attaque des Bohémiens il courut s’enfermer de nouveau dans son camp de Laa. Le roi revint donc à Prague, laissant le commandement à ses fils. C’étaient deux chevaliers, deux héros, d’une bravoure aussi folle que brillante, qui compromettaient les troupes par leur témérité. Le roi avait ordonné au prince Victorin de s’établir solidement dans la ville de Trebisch pour y observer les mouvemens de l’ennemi ; Mathias, qui avait fui devant George, concentre aussitôt toutes ses forces sur ce point. Le jeune prince, impatient de se battre, s’élance à sa rencontre, se jette sur les Hongrois ; mais, obligé de céder à des forces bien supérieures en nombre, il rentre dans la ville, où, enveloppé de toutes parts avant d’avoir pu se retrancher, il va subir un formidable assaut. La ville est prise, brûlée, saccagée, et Victorin rallie les débris de ses bataillons derrière les créneaux d’un couvent de Saint-Benoît, espèce de forteresse immense adossée aux montagnes ; les habitans de Trebisch y avaient déjà cherché un asile au moment où s’approchaient les Hongrois. Informé de ces nouvelles, le roi se hâte d’envoyer au secours de son fils aîné les escadrons du prince Henri, qui essuient à leur tour une sanglante défaite aux environs de Trebisch. Mathias Corvin faillit payer cher sa victoire, une grave blessure le jeta sur le terrain. Cependant les souffrances des assiégés étaient de jour en jour plus cruelles. Pressés par la famine, ils commençaient à manger leurs chevaux, quand tout à coup le bruit se répand qu’on a vu se déployer dans la plaine la bannière du roi George. Le roi, en effet, instruit par ses courriers de la situation critique des deux princes, était monté à cheval avec ses hommes d’armes, et venait d’apparaître sur les flancs de l’ennemi. Les Bohémiens, enflammés par sa présence, se précipitent hors de la forteresse sur trois points à la fois, et, faisant à l’armée hongroise d’effroyables trouées, ils brisent le cercle de fer et de feu qui les entoure. Deux colonnes sur trois passent à travers ces grandes brèches humaines ; la troisième, après une lutte sanglante, est forcée de regagner son asile. Lorsque Mathias Corvin apprit que le prince Victorin avait échappé, il eut un véritable accès de fureur contre ses soldats et, dédaignant les derniers défenseurs de la place, il ne tarda pas à lever le siège.

Cette bataille de Trébisch, qui, sans l’activité du roi George, aurait pu être bien plus désastreuse encore pour les Tchèques, fut saluée par les ennemis de la Bohême comme un présage de l’infaillible triomphe des Magyars. À Rome, dès la levée d’armes de Mathias Corvin, on avait poussé des cris de joie. Plus on avait craint de ne pas trouver un bras pour exécuter la sentence pontificale, plus on exaltait le soldat du saint-siège avec une sorte de délire. C’était Daniel dans la fosse aux lions, c’était le missionnaire de Dieu, c’était l’archange qui allait écraser la tête de Satan sous son brodequin de fer, et balayer comme la poussière le royaume des pécheurs. « Nous demanderons au Dieu des batailles d’assister le pieux souverain, écrivait le cardinal Jacques Piccolomini au cardinal Carvajal, nous le prierons de lancer sur les Bohémiens une pluie de feu et de soufre pendant que le roi Mathias les percera de son glaive. » On l’exalta si bien, on le pressa si fort de marcher en avant, que l’empereur en devint jaloux. Le Hongrois, déjà si redoutable à l’Autriche, allait donc conquérir un nouveau royaume ! Frédéric III, pour écarter ce péril, s’avisa de convoiter la Bohême pour son fils Maximilien, et résolut de s’en ouvrir à Paul II. L’idée était trop singulière à cette date pour qu’il la confiât à un ambassadeur : il fit lui-même un pèlerinage auprès du saint-père afin de traiter l’affaire en personne. Essayer de soustraire à Mathias Corvin la proie que lui avait désignée le Vatican, vouloir lui dérober la récompense promise au triomphe de ses armes, et cela au moment où Mathias maniait si rudement ce glaive de l’église que Frédéric avait repoussé, c’était là une prétention si extraordinaire, que l’empereur ne pouvait arriver à ses fins sans mettre l’empire aux pieds du saint-siège. C’est précisément de qu’on vit à Rome au mois de décembre 1468. Jamais pape n’avait été si arrogant en face de l’autorité impériale, jamais empereur n’avait été si humble sous la main de la théocratie. Remarquez. en effet qu’il n’y a pas ici de luttes à soutenir, de vengeances à exercer, comme au temps de Grégoire VII ; c’est en pleine paix, sans motifs de colère, comme la chose la plus naturelle du monde, qu’on voit l’empereur d’Allemagne obligé de rendre publiquement au pontife de Rome un hommage de vassalité et soumis aux plus humiliantes prétentions de l’orgueilleux Italien. Ce spectacle est le dernier du même genre que le moyen âge ait donné à l’Europe, et les contemporains en furent si frappés, qu’ils en consignèrent les moindres détails. Quand Frédéric III fut admis auprès de Paul II, il dut se jeter deux fois à ses genoux, et c’est à la troisième seulement qu’il put lui baiser le pied. Le trône de Frédéric III était placé à côté du trône de Paul II, à côté, mais fort au-dessous, de façon que la téte de l’empereur fût au niveau des pieds du pontife. À la messe, tandis que le pape officiait avec la triple couronne, l’empereur, en simple costume de diacre, lisait modestement l’épître. Si le pape montait à cheval, l’empereur lui tenait l’étrier. On peut lire tous ces détails et bien d’autres dans le programme du maître des cérémonies, messire Augustin Patricio, de Sienne, qui le publia en latin pour l’édification de son temps. La chose fit si grand bruit, que Mathias Corvin, au milieu de son camp, ne tarda point à l’apprendre. Il devina ce qui se tramait contre lui, et bien qu’il n’eût pas à redouter une trahison de Paul II au commencement de la guerre, il voulut que Frédéric III s’éloignât de Rome au plus tôt. Frédéric, avec ce mélange de bonhomie et de ruse qui est le trait dominant de son caractère, lui avait confié le gouvernement de l’Autriche pendant son pèlerinage à Rome ; une insurrection des états, excitée sous main par le redoutable coadjuteur, obligea l’empereur de regagner précipitamment ses états. Digne couronnement de cette singulière campagne : Frédéric III avait humilié l’empereur sans rien obtenir pour le duc d’Autriche.

Cependant la guerre continuait toujours avec des chances diverses. Au milieu des villes prises et reprises, des pillages, des coups de main, des embuscades, au milieu des mille détails d’une lutte où chaque jour la tuerie recommence, il y a un fait qui domine tout, c’est la résistance obstinée de la Bohême. Mathias Corvin, si fier de sa victoire de Trébisch, et qui avait promis à Paul II d’aller saisir le roi George, dans son château de Prague, commençait à s’effrayer d’une entreprise qui lui coûtait tant d’hommes et d’argent. Chaque fois que le roi George pouvait quitter la ville pour le théâtre de la guerre, Mathias était obligé de battre en retraite. Le roi de Bohême était cependant en proie aux infirmités les plus graves. Son corps, fait pour l’action, s’était alourdi dans les travaux de la paix ; depuis qu’il avait cessé de vivre à cheval et l’épée à la main, son sang épaissi avait enflé ses membres, et une obésité maladive semblait condamner le héros à ne déployer désormais que l’ardeur de son esprit ; mais l’âme, maîtresse du corps, le forçait d’obéir. Une fois transporté en face de l’ennemi, George faisait son métier de capitaine sans se soucier de la fatigue. Son coup d’œil était toujours aussi sûr, ses combinaisons aussi justes, et l’armée, se sentant aux mains d’un chef supérieur, courait au feu avec un enthousiasme irrésistible. Un jour il réussit à enfermer Mathias dans une gorge de montagnes près de la petite ville de Wilimow. Le froid était des plus vifs, la neige couvrait les monts, et le roi avait fait occuper toutes les issues du défilé. Tandis que Mathias cherchait vainement à se dégager, les Bohémiens arrivaient de toutes parts, et l’armée royale, déjà très forte sur ce point, grossissait d’heure en heure. George n’avait qu’un signe à faire, et pas un des Hongrois de Mathias Corvin n’aurait revu ses plaines natales. Le roi eut-il horreur de cette boucherie trop facile ? Croyait-il toucher l’âme impie du Magyar en lui tendant une main si généreuse ? Persistait-il à vouloir unir la Hongrie et la Bohême contre les projets de l’empire ? Tous ces motifs se combinèrent peut-être dans sa pensée ; ce qui est certain, c’est que, Mathias Corvin lui ayant demandé la paix, c’est-à-dire la vie de ses soldats et la sienne, le roi George n’eut pas le courage de frapper. « Les nôtres sont furieux, dit un témoin dans un écrit qui semble daté du camp de Wilimow ; ils espéraient écraser enfin l’antique ennemi, ils espéraient briser pour toujours les cornes du taureau, et voilà un traité de paix qui leur arrache des mains la victoire. Ah ! si le prince Victorin n’était pas arrivé un jour trop tard, il aurait bien empêché son père de commettre une telle faute ! On crie terriblement dans l’armée, et il n’est pas de reproche qu’on n’adresse au roi. » On voit quelle est la candeur du roi George : il brave sans hésiter le mécontentement de ses amis pour accomplir son œuvre jusqu’au bout.

Une fois les préliminaires arrêtés, les deux rois se donnent rendez-vous au petit village d’Auhrow. Ils arrivent chacun avec son escorte, se saluent amicalement et entrent dans une pauvre cabane à moitié détruite par les flammes (27 février 1469). C’est là qu’ils délibérèrent seul à seul et posèrent les bases du traité. Le roi Mathias, pour prix de la générosité du vainqueur, s’engageait à réconcilier le pape et le roi de Bohême sur le terrain des compactats. De son côté, le roi de Bohême promettait obéissance au saint-siège pour tout ce qui ne concernait pas la coupe sainte et la doctrine établie à ce sujet par les pères du concile de Bâle. Il fut convenu que les deux rois se réuniraient le 24 mars à Olmütz avec leurs conseillers, afin d’y conclure une paix éternelle entre les Tchèques et les Magyars. À ces conditions, un armistice général fut proclamé jusqu’au lundi de Pâques (3 avril), armistice qui devait être prolongé, si les négociations relatives à la paix n’étaient pas terminées à cette date. Le surlendemain (1er mars), le roi George licenciait son armée ; le même jour, Mathias écrivait aux barons de la ligue, aux villes de Silésie et de Lusace, que la paix était faite, et leur donnait l’ordre de suspendre immédiatement les hostilités.


V

Le roi de Bohême faisait-il sagement de se fier ainsi à Mathias Corvin ? Le XVe siècle est le siècle des traités rompus, des paroles violées, le siècle des perfidies et des impudences diplomatiques en tout genre. À l’époque des Louis XI, des Sforza, des Warwick, il est convenu que, vis-à-vis d’un ennemi, l’engagement le plus sacré n’oblige point la conscience. Mathias Corvin, qui avait tant de fois trompé le roi George, était mieux pourvu de ces dispenses d’honneur qu’aucun des princes de son temps. Dès que le légat de Paul II apprend les événemens de Wilimow, il délie le Magyar de tout engagement envers le Bohémien, et si le Magyar hésite à violer sa parole, il le menace, lui aussi, de la grande excommunication. Ce légat, nommé Novarella, chargé des affaires de Rome dans l’empire et sur le théâtre de la guerre, était le digne agent des fureurs du pape. « Si Mathias Corvin, disait-il, a conclu sincèrement ce traité avec George de Podiebrad, il tombe sous le coup de la sentence qui a frappé l’hérétique et tous les alliés de l’hérétique. » En même temps, joignant la séduction à la menace et pour rompre plus sûrement l’amitié de Mathias et de George, la ligue catholique des barons, réunie dans Olmütz, proposait au roi de Hongrie la couronne de Bohême. Il n’était pas besoin de tant de manœuvres pour triompher des scrupules de Mathias, car le Hongrois, en donnant sa parole pour échapper au glaive du vainqueur, était bien décidé à reprendre sa liberté d’action aussitôt que le péril serait passé ; il voulait seulement, par son hésitation, se faire payer d’un plus haut prix le secours qu’il apportait au saint-siège. C’était surtout de l’argent qu’il réclamait au pape. « Comment faire la guerre avec ses seules ressources à cette nation opiniâtre ? Était-il donc si aisé de vaincre l’hérésie hussite ? Sigismond n’y avait-il pas épuisé en pure perte les forces de l’Autriche et de l’empire ? » Il demandait encore si un simple roi de Hongrie pouvait exécuter ce que n’avait pu l’empereur d’Allemagne. Combien la situation changerait, si le défenseur du pape était nommé roi des Romains et coadjuteur de l’empire ! De toutes ces prétentions altières, une seule réussit : Mathias Corvin, élu roi de Bohême par les barons de la ligue catholique, accepta ce vote insolent quelques semaines après cette entrevue d’Auhrow, où le Bohémien, tenant sous la pointe du fer le Hongrois terrassé, l’avait relevé d’une main si généreuse (17 avril 1469).

N’oubliez pas que ces intrigues s’agitaient au moment même où les deux rois, George et Mathias, devaient se rencontrer à Olmütz et y signer définitivement la paix. Ils se virent en effet le 7 avril, non pas à Olmütz, où s’étaient rassemblés tous les ennemis des Tchèques, mais sous une tente dressée dans la campagne. Entrevue inutile, on le pense bien ; quand même le roi de Hongrie eût voulu rester fidèle à la parole jurée, les chefs de la ligue et le légat romain auraient bien su empêcher la conclusion de l’alliance. Les conseillers du roi George s’étant rendus à Olmütz pour conférer avec les représentans de Mathias Corvin, Novarella mit l’interdit sur la ville aussi longtemps que les hérétiques séjourneraient dans ses murs ; ils se retirèrent aussitôt, évitant comme leur maître tout ce qui pouvait envenimer les passions. George, toujours fort de sa loyauté, demanda une entrevue au légat ; le légat, décidé à ne rien entendre, rejeta la demande de George. Tel fut le résultat de la convention de Wilimow, telle fut la récompense du roi de Bohême et le prix de sa généreuse imprudence. Nous pouvons nous représenter sa colère quand il sut peu de temps après que Mathias Corvin violait si effrontément sa parole et qu’il avait accepté la couronne des Tchèques. On prétend que d’abord il se contenta de sourire avec dédain. « Il y a des princes, disait-il, qui prennent le titre de roi de Jérusalem, et qui de leur vie ne mettront le pied en Palestine ; c’est de cette façon-là que Mathias sera roi de Bohême. » Bientôt cependant, mieux informé des perfidies de Mathias Corvin, il reprit l’offensive avec une vigueur terrible. Le temps des ménagemens était passé. Saisi de cette indignation que toute félonie inspire aux âmes de race noble, il était impatient de se venger. Était-ce un sentiment de vengeance personnelle ? Non, certes, mais le sentiment de la justice publique. Après les condescendances du roi chrétien, le grand justicier se réveillait.

Avant de recommencer la guerre, il prit une résolution digne de son cœur héroïque et véritablement royal. Il avait désiré l’autorité souveraine pour sauver sa religion et sa patrie. Simple chef de fédération, lieutenant du royaume, coadjuteur de Ladislas, roi élu par les états et consacré par l’acclamation populaire, il n’avait eu qu’une pensée, le salut de tous, la restauration religieuse et politique de la Bohême. Cette œuvre accomplie après vingt années de travaux, il la voyait menacée de ruine aujourd’hui par toutes les passions que le souverain pontife déchaînait contre sa personne. Le patriotisme qui lui avait fait désirer le pouvoir ne lui conseillait-il pas maintenant de céder la place à un chef plus heureux ? Il serait beau pour lui de descendre du trône aussi généreusement qu’il y était monté. S’il avait pu servir la Bohême en lui donnant une dynastie de rois nationaux, avec quelle joie il eût laissé le sceptre à ses fils ! L’établissement de cette dynastie devenant au contraire une source de malheurs pour la chose publique, son devoir était d’y renoncer. Le sort de ses enfans était assuré : sa fille était mariée à l’un des plus nobles princes de l’empire ; ses fils, rentrés dans le sein de la nation tchèque, y seraient toujours honorés en souvenir de leur père. Ainsi parlait dans son héroïque candeur ce Washington du XVe siècle, et après avoir religieusement délibéré avec lui-même, après avoir informé sa famille, ses amis, les conseils de l’état, de la résolution qu’il venait de prendre, il donna la couronne de Bohême au fils du roi de Pologne. Il la lui légua du moins après sa mort, car il voulait mourir debout, sur le trône, à son poste de combat, espérant bien poursuivre son œuvre jusqu’au terme, et avec l’aide de Dieu châtier la trahison du Magyar.

La résolution du roi fut adoptée par les états du royaume convoqués solennellement à Prague (juillet 1469). Il est inutile d’ajouter que le roi et les états réglèrent d’un commun accord les conditions de ce grand acte, et que le prince polonais appelé à régner sur les Tchèques devait s’engager à maintenir les. droits religieux, véritable charte nationale, pour laquelle un si noble sang avait coulé. Ce vote extraordinaire simplifiait la situation ; le roi de Pologne Casimir, circonvenu depuis quelque temps par les intrigues de Mathias Corvin, et qui semblait disposé à embrasser sa cause, était intéressé désormais au triomphe des Bohémiens. Quelques semaines après, toute la Bohême est en armes ; Mathias Corvin, qui venait de se faire couronner roi de Bohême à Breslau en présence du légat, des barons et des évêques de Silésie, apprend tout à coup que l’armistice est rompu. Il avait espéré que ces fêtes de Breslau vaudraient pour lui une victoire décisive ; il croyait George réduit au désespoir en le voyant offrir son trône à un prince étranger, il croyait le peuple tchèque ébranlé, incertain, et il trouvait en face de lui toute une nation plus résolue que jamais. Il convoque aussitôt le ban et l’arrière-ban de la Hongrie. Les Bohémiens avaient pris les devans ; les premiers avantages sont pour eux. En Moravie, en Silésie, dans les deux Lusaces, les catholiques, pris au dépourvu, sont obligés de fuir ou de se rendre. Sur bien des points d’ailleurs, les sujets révoltés du roi de Bohème se préparent mollement à la lutte. Les habitans de Breslau, naguère les plus implacables ennemis du roi, commencent à parler de conciliation et de paix. Ils ont vu de trop près leur nouveau maître, ils savent trop bien quel est ce défenseur de la foi ; l’arrogance, la dureté, les débauches de Mathias Corvin leur ont inspiré des réflexions un peu tardives, et ils se demandent, malgré leur fanatisme, si le souverain hérétique avec sa douceur, ses vertus, son respect de la justice, ne valait pas mieux que le prince orthodoxe avec sa brutalité farouche. Ces sentimens, qui se répandent de proche en proche, assurent le triomphe des Bohémiens. Les barons de la ligue eux-mêmes voient leurs rangs s’éclaircir. La lutte n’est vive et terrible que, sur les champs de bataille où Tchèques et Magyars sont aux prises. Un jour, entraîné par son courage aveugle, le prince Victorin, qui se conduit toujours en chevalier bien plus qu’en général, se laisse attirer dans une embûche, et c’est vainement qu’il brise les lignes ennemies à coup d’estoc et de taille ; errant dans la campagne avec un de ses lieutenans, il fut bientôt pris par les hussards hongrois et conduit à Mathias Corvin, qui, tout fier d’une telle capture, la fit publier partout comme un triomphe (27 juillet 1469). Le prince, disait-il, était la main droite de son père ; privé d’un tel appui, l’hérétique était incapable de résister bien longtemps. Ces fanfaronnades, répétées jusqu’à Rome par des imaginations impatientes, furent bientôt démenties par les faits. En réalité, le prince Victorin, malgré son éclatante bravoure, était plutôt un embarras qu’un appui pour la cause nationale. Le roi, dans sa tendresse imprudente, ne pouvait se décider à lui retirer le commandement général des troupes, et il laissait au second rang des hommes de guerre formés à son école, des chefs aussi expérimenté qu’intrépides, dont tous les conseils venaient échouer contre la folle témérité du jeune prince. « Si le roi, écrivait Grégoire de Heimbourg, avait confié ses soldats à de véritables capitaines, la guerre qu’il fait depuis trois ans eût été plus heureuse. La bravoure ne suffit pas à qui prétend conduire une armée. À part la douleur du roi, la captivité du prince Victorin n’est donc pas un malheur pour l’état, et, grâce à Dieu, le roi, malgré l’affliction qu’il éprouve, est plus confiant que jamais. » Grégoire de Heimbourg avait le droit de prononcer ces sévères paroles sur le fils de son maître, car il avait redouté dès le début de la guerre les entraînemens irréfléchis du prince, il avait même essayé de lui apprendre son rôle de capitaine dans un recueil de conseils expressément composé pour lui[6], leçons excellentes que l’impétueux jeune homme oubliait toujours au bruit du clairon et au cliquetis des armes. On vit bientôt que le malheur du fils de George n’avançait en rien les affaires de Mathias. Tandis que le prince Victorin, prisonnier de son beau-frère, était enfermé dans une forteresse au bord du Danube, les Bohémiens poursuivaient leurs avantages sur les Hongrois. Du mois d’août à la fin d’octobre, les opérations de l’armée royale se concentrent autour de la ville de Hradisch, assiégée par les Hongrois. Enfin le 2 novembre, les Bohémiens, sous la conduite du roi, ayant réussi par une fuite simulée à faire sortir l’ennemi d’une position inexpugnable, le second fils du roi, le prince Henri, exécutant avec autant de précision que de vigueur les ordres de son père, se retourne brusquement contre Mathias, bat l’un après l’autre ses cinq corps d’armée, les culbute, les écrase, et poursuit les fuyards l’épée dans les reins jusque sur le territoire de la Hongrie. Mathias demande une suspension d’armes ; le roi George ne faiblira pas cette fois, il veut profiter de sa victoire, et nul doute qu’il eût achevé la destruction de l’armée magyare, si un hiver terrible, un hiver tel que de mémoire d’homme il n’y en avait jamais eu dans ces contrées, n’était venu placer les troupes décimées de Mathias à l’abri des coups du vainqueur.

Pendant cette inaction forcée, le roi de Bohême ne perdit pas son temps : il avait à combattre Mathias Corvin sur le terrain de la politique comme sur les champs de bataille ; là encore, ainsi que dans les plaines de Hradisch, il fallait le déloger des positions qu’il avait prises et mettre ses plans en déroute. On a vu que le Magyar convoitait hardiment le titre de roi des Romains, et qu’il avait déjà entamé des négociations à ce sujet, soit avec les légats du pape, soit avec les princes de l’empire ; le roi George s’adresse aussi aux princes de l’empire, et, reconnaissant avec eux qu’il importe de donner un coadjuteur à Frédéric III, il cherche un candidat qui fasse échouer les projets de Mathias. Il y a beaucoup d’obscurité sur le détail de cette affaire ; une chose certaine, c’est qu’un envoyé du roi, le sire George de Stein, alla trouver Charles le Téméraire à la fin de l’année 1469, et le pressa vivement, au nom de son maître, de solliciter ce vicariat de l’empire d’Allemagne. Déjà le sire de Stein par ses négociations personnelles, et Grégoire de Heimbourg par ses manifestes, avaient préparé les voies à cette compétition ; le duc n’avait qu’à parler, à payer de sa personne ; entre le farouche Magyar et le brillant duc de Bourgogne, les électeurs n’hésiteraient pas. L’attitude de Mathias Corvin semblait justifier d’avance ces promesses du roi de Bohême. Au moment où Podiebrad faisait ainsi appel à Charles le Téméraire, Mathias Corvin allait trouver l’empereur à Vienne, et, lui demandant sa fille en mariage, essayait de s’imposer à l’Allemagne comme un protecteur dont elle ne pouvait se passer. N’était-il pas le seul souverain, depuis l’empereur Sigismond, qui eût osé combattre l’hérésie bohémienne ? Frédéric III eut l’air de consentir à tout ; il avait pourtant de bien autres projets, et il n’avait pas eu besoin de considérer d’aussi près l’arrogance du Hongrois pour écarter sa demande. On ne sait pas exactement ce qui se passa entre eux ; il est avéré seulement que la fin de ces fêtes de Vienne ne ressembla guère au début. Pendant tout le mois de février 1470, l’empereur et le roi de Hongrie ne s’étaient pas quittés un instant ; l’empereur appelait le roi son fils, le roi donnait le nom de père à l’empereur ; tout semblait réglé entre Frédéric et Mathias, et le Magyar allait recommencer la guerre à l’hérétique avec une autorité nouvelle qui doublerait ses forces. La double comédie, car on se trompait des deux côtés, finit aux derniers jours du carnaval. Le 10 mars, Mathias Corvin quitta Vienne la fureur dans l’âme et la menace à la bouche. Il devait y revenir vingt et un ans plus tard après en avoir chassé Frédéric ; mais c’est là un épisode qui n’appartient plus à notre histoire, et l’échec de Mathias auprès de l’empereur en 1470 confirmait la politique du roi de Bohême.

La lutte de Mathias et de George, interrompue par l’hiver, est reprise avec furie aux premiers jours du printemps. Le roi de Bohême a profité de l’armistice pour établir une armée permanente et organiser une sorte de landwekr. Le roi de Hongrie, moins assuré de ses forces, puisqu’il combat en pays ennemi, est obligé de faire appel aux plus féroces passions de la soldatesque. Jamais peut-être, en ces luttes sans merci, on ne vit plus de cruautés que dans cette dernière campagne. L’armée hongroise comptait des régimens irréguliers qui n’avaient d’autre solde que le pillage, et comme si cela n’eût pas suffi pour irriter leurs instincts féroces, il y avait une récompense particulière pour chaque tête coupée qu’apportaient ces bandits. Le 29 juin 1470, après la sanglante bataille de Goding, dont le succès demeura indécis, un corps d’armée hongrois, ayant surpris un convoi de Bohémiens, les massacra jusqu’au dernier. Cinq cent quatre-vingt-cinq têtes coupées furent présentées le soir même au roi de Hongrie. Mathias ordonna de les placer sur des balistes et de les jeter dans le camp des Bohémiens. O grande spectaculum ! s’écrie sans autre émotion le chroniqueur silésien Pierre Eschenloer, historien et complice des fureurs de Breslau.

L’indignation qui soulevait le cœur du roi George s’emparait cependant peu à peu des catholiques eux-mêmes. En face de ces barbares qui frappaient amis et ennemis avec une fureur égale, les plus fanatiques champions du saint-siège commençaient à éprouver des remords. Ils s’accusaient d’avoir mal jugé les choses ; l’anathème qu’ils avaient appelé sur le roi n’était-il pas retombé sur leur tête ? Ces hordes féroces déchaînées par eux contre les schismatiques de Bohême n’étaient-elles pas le fléau de Dieu qui châtiait leurs propres iniquités ? Le même chroniqueur que nous venons de citer, Pierre Eschenloer, nous a conservé sur ce point des détails singulièrement expressifs. Le 26 décembre 1469, en installant un nouvel abbé dans un des monastères de la Silésie, le légat Rodolphe de Lavant, naguère l’intraitable ennemi du roi de Bohême, se mit à parler des affaires publiques, et confessa, les larmes aux yeux, que le saint-père avait été mal informé sur le compte de George de Podiebrad. « Moi-même, ajoutait-il, si j’avais su dès mon arrivée à Breslau tout ce que j’ai su plus tard, jamais je n’eusse permis cette guerre abominable. Ceux qui en ont la responsabilité devant Dieu et devant les hommes ont charge leur âme du plus grand des péchés. » Il fit ensuite tout un discours animé d’une tristesse éloquente pour prouver qu’il était non-seulement permis, mais ordonné de vivre fraternellement avec les hérétiques ; l’œuvre la plus urgente à ses yeux, et il engageait tous ses auditeurs à y travailler sans relâche, c’était de préparer au plus tôt la conclusion de la paix. Parmi ces auditeurs se trouvait le docteur Tempelfeld, un des prédicateurs populaires qui avaient le plus soufflé le feu de la haine au cœur des Silésiens. Accablé par les reproches du légat, il gardait un morne silence. On l’entendit. seulement prononcer ces mots, où il y avait encore plus de fureur que de repentir : « Mon Dieu ! mon Dieu ! qui aurait pu penser que ces hommes fussent si forts ? » La pensée de tous se reporta bientôt sur le prudent évêque, de Breslau, Jost de Rosenberg ; on rappela sa charité prévoyante, ses efforts pour le maintien de l’union, les outrages qu’il avait subis de la part d’une populace aveugle, et chacun s’empressait de faire réparation à sa mémoire. Dans une autre assemblée du même genre à laquelle assistait un des barons de la ligue, comme on évoquait le souvenir des jours heureux où George de Podiebrad gouvernait pacifiquement son royaume, un des seigneurs s’avisa de dire, suivant les superstitions de l’époque, que ces effroyables malheurs avaient été prédits depuis longtemps par la conjonction de deux planètes sinistres. « Eh ! que parles-tu des planètes du ciel qui ne fort de mal à personne ? s’écria le ligueur repenti ; s’il n’y avait pas eu dans Breslau deux planètes infernales (et il nommait par leurs noms les deux boute-feu de la ligue, Duster et Tempelfield), cette guerre n’aurait pas éclaté. Pourquoi Satan ne les a-t-il pas rappelés à lui il y a une vingtaine d’années ? Si nous sommes réduits à prendre un jour le bâton du mendiant, nous le devrons à ces planètes du diable. »

Catholiques et ligueurs avaient raison de se frapper la poitrine ; les férocités qui leur arrachaient de tels aveux se renouvelaient de jour en jour. Mathias Corvin, presque toujours vaincu en bataille rangée, évitait les actions décisives ; solidement établi dans son camp ou se portant d’un point à l’autre avec sa cavalerie rapide, il allait faire ses coups de main dans la plaine et revenait s’appuyer aux montagnes. Sa tactique se composait de surprises, d’embuscades, car il ne voulait que prolonger la guerre, espérant lasser à la fin la patience du peuple tchèque et désoler l’âme paternelle du roi. Mathias avait visé juste ; atteint dans son pauvre peuple, le roi de Bohême était frappé au cœur. Ce noble George voulut en finir, et loyalement, chevaleresquement, il adressa un cartel à Mathias. Plusieurs de ses barons, munis de saufs-conduits, pénétrèrent dans le camp du Magyar et lui parlèrent en ces termes : « Sire, notre roi et seigneur, pour arrêter cette horrible effusion de sang chrétien, vous provoque à un duel à mort en présence des deux armées. Équipés de la même façon, les mêmes armes à la main, les deux champions auront à combattre sur un terrain circonscrit dont nul ne pourra sortir, car vous êtes plus agile que le roi notre maître, et ce n’est point à la course qu’il prétend vous défier. Si Dieu condamne notre maître et vous donne la victoire, vous disposerez de son sort ; si vous êtes vaincu, il aura le même droit sur vous. » Le roi de Bohême, prévoyant le cas où Mathias Corvin n’accepterait pas ce cartel, demandait au moins une grande bataille entre les deux armées, une bataille décisive et suprême, qui mît fin à cette épouvantable guerre, qui arrêtât cette lente extermination d’un peuple. Mathias Corvin ne répondit que par des outrages et n’accepta ni le duel ni la bataille. Retranché aux environs de Brunn, dans les montagnes de Moravie, il ne songeait qu’à lancer partout ses pillards, et il eût pu continuer longtemps ses féroces incursions, si un incident imprévu n’eût terminé tout à coup la lutte par une scène à jamais mémorable.

Le roi George, n’ayant pu attirer Mathias hors de ses retranchemens, se dirigea au nord vers la Silésie. Était-ce une feinte ? On ne sait ; en tout cas, le piège était bien tendu, car l’armée royale s’éloignait à grands pas du principal théâtre des hostilités et semblait laisser la Bohême à découvert. Voyant cela, Mathias Corvin pense qu’il aura le temps de frapper un grand coups sur la ville de Prague. Il quitte son campement de Moravie et fait irruption en Bohême. Ce fut alors qu’on admira la prévoyance du roi, la force et la fécondité de ses instructions. Cette landwehr organisée depuis quelques mois se trouva sur pied au premier péril. En quelques jours, une armée fut réunie dans les murs de Prague. La reine Jeanne monte à cheval, et tout ce peuple la salue de ses acclamations ; chacun est impatient de se battre. En même temps le roi, informé des projets de l’ennemi, revient à marches forcées. Ses courriers, qui le devancent, ont déjà porté ses ordres sur tous les points de la landwher : « Les Hongrois vont se trouver pris entre deux feux, Qu’on creuse partout des tranchées, qu’on ouvre des fondrières pour arrêter la cavalerie magyare ; l’infanterie de la landwher en aura bon marché. » Mathias Corvin devine le péril ; il a peur de cette nation qui se lève altérée de vengeance, et qui se prépare à l’immoler comme on immole un criminel ; il a peur de George, qui menace de lui couper la retraite. Entre la ville hérissée de défenseurs sans nombre et l’armée du roi toute prête à l’envelopper, il craint de ne pas trouver d’issue. Il part donc aussi rapidement qu’il est venu ; il part, fuit de toute la vitesse de ses chevaux et laisse sur la route une partie de ses hussards, qui, exténués de fatigue ou précipités dans les fondrières, tombent sous les coups du paysan : terrible revanche de tant de férocités commises en des embuscades ténébreuses ! Cette victoire gagnée sans coup férir était le digne couronnement des opérations du roi George. Ce chef si noble, si humain, grand surtout par la prévoyance politique et la sagesse de ses lois, méritait de terminer la guerre sans tirer l’épée et de mettre l’ennemi en déroute par la seule efficacité de ses institutions civiles et militaires.

Tant d’activité, de sagesse, de courage, de vertus royales, tant d’épreuves si héroïquement souffertes et si glorieusement terminées devaient finir par désarmer les ennemis du roi George. Déjà, dans les derniers mois de la guerre, au moment où les cruautés de Mathias Corvin désolaient toutes les contrées de la Bohême, où les Hongrois ne respectaient pas plus les catholiques que les hussites, où les églises et les couvens étaient la proie des pillards aussi bien que les villages du peuple tchèque, on avait vu les deux légats du pape s’accuser eux-mêmes de ces horreurs et en demander pardon à Dieu. Ces plaintes, ces cris avaient retenti jusqu’à Rome. On assure que Paul II commençait à éprouver des remords. Le plus inflexible des ennemis du roi de Bohême, le plus redoutable de tous par les vertus sévères qui se mêlaient chez lui à un fanatisme outré, le cardinal Carvajal, venait de mourir (1470). Un autre membre du sacré collège, dont l’histoire malheureusement n’a pas conservé le nom, avait osé prendre la défense de George dans les conseils du pape. George, vivement ému, s’était empressé de l’en remercier en le suppliant de poursuivre son œuvre et d’obtenir le rappel d’une sentence inique. Enfin de tous, côtés, chez les barons de la ligue et parmi les populations catholiques, en Silésie, en Moravie, à Rome même, une réaction éclatait, favorable au roi de Bohême et hostile à l’arrogant Magyar. Les catholiques ne voulaient plus d’un défenseur tel que Mathias Corvin, et lui-même, obligé bientôt de repousser une nouvelle invasion de Mahomet II, ne se souciait plus de recommencer une guerre où il sentait bien qu’il n’avait moissonné que de la honte. Un rayon de l’éternelle justice semblait dissiper les ténèbres des passions. Sur ce théâtre si longtemps désolé, la figure de George de Podiebrad reprenait son éclat, tandis que la situation de Mathias Corvin s’assombrissait d’heure en heure. On admirait ce roi qui, au milieu des plus tragiques infortunes, n’avait cessé de remplir les devoirs sacrés de sa charge, toujours juste, toujours dévoué au bien public. « Que me faisaient et l’aigle impériale, et les menaces de Rome, et les violences du Magyar ? Le monde avait beau me maudire, j’ai toujours vécu en roi. »

Nil aquilœ, nil Roma minax, nil arma valebant
Pannonis ; invito sceptra vel orbe tuli.

Ces vers qu’un poète du XVIe siècle mettait dans la bouche du roi George résument nettement l’opinion qui commençait à se former dans l’empire sur le généreux modérateur de la révolution de Bohême. On était ému de ses malheurs et de sa gloire ; la sympathie succédait à la haine. Peut-être allait-il recueillir le fruit de ses prodigieux labeurs. « La Providence en décida autrement, s’écrie M. Palacky ; au moment où le héros, après avoir épuisé le calice d’amertume, entrevoyait l’aurore des jours heureux, elle le retira de la scène qu’il avait si vaillamment occupée. Dieu ne lui avait pas assigné ici-bas le rôle d’un roi vainqueur et triomphant ; il fallait qu’il restât dans notre histoire comme l’image du roi martyr. »

Atteint des infirmités les plus graves, accablé par tant de travaux et de fatigues, le roi George rendit son âme à Dieu le vendredi 22 mars 1471. Son corps resta exposé le samedi et le dimanche dans la grande salle du palais, transformée en chapelle ardente ; tous les habitans de Prague purent contempler une dernière fois sur son lit de mort le grand justicier, l’inflexible défenseur du droit national. Il fut enseveli le 25 mars dans les caveaux de Saint-Vite, où dorment les Prémysl et les Ottocar, les saints et les héros. Ce ne furent pas seulement les calixtins qui l’accompagnèrent en pleurant jusqu’à la tombe : catholiques et hussites, confondant leurs sanglots, rendaient le même hommage au père du peuple. Son grand compagnon d’armes dans les combats de la foi, maître Ptokycana, était mort quelques semaines auparavant ; son autre ami, son intrépide lieutenant dans les luttes politiques et religieuses, le docteur Grégoire de Heimbourg, expira l’année suivante. Ainsi disparaissaient à la fois les principaux acteurs de ce douloureux drame. Tous les trois furent grands par le dévouement de leur vie entière à ce qu’ils croyaient la vérité ; le plus grand, parce qu’il fut le plus simple d’esprit, le plus large de cœur, le plus dégagé de toute passion étroite, le plus dévoué au droit commun et au christianisme universel, le plus grand, ce n’est ni le prêtre ni le docteur, c’est le roi, le roi puissant et bon, le roi qui a maintenu sa puissance tutélaire au milieu de son royaume déchiré, le roi qui est resté bon, humain, chrétien sous le coup des malédictions du saint-siège.


VI

Le roi George, tel qu’il se relève aujourd’hui devant nous à la lumière de l’impartiale histoire, est une des plus nobles figures de son siècle et de tous les siècles. Ce qu’il a fait en Bohême est admirable : tout jeune encore, membre obscur de la petite noblesse, il veut sauver son pays d’une anarchie meurtrière, et, après un hardi noviciat sur les champs de bataille de la révolution hussite, il rallie à vingt-quatre ans tous les hommes chez qui bat encore le cœur de la patrie. De 1444 à 1448, il affermit ce parti, ou, comme on disait, cette fédération d’où sortira un jour la Bohême ressuscitée. En 1448, devenu maître de Prague, il établit un gouvernement né de la force des choses, et que soutient tout un peuple. Il règne, il administre, il unit les citoyens, divisés, il fonde l’ordre public, il relève les travaux de la paix, il est le sauveur et le père d’une nation. Dégagé de toute ambition mesquine et ne songeant qu’au succès durable de son œuvre, il. va chercher en Autriche le fils des anciens rois, en lui imposant le respect des libertés religieuses et des franchises politiques du royaume. Tuteur du prince comme il a été le tuteur du peuple, il accomplit sa tâche avec le même dévouement au bien général, le même oubli de ses intérêts et de sa personne ; il est si bien le représentant de la chose publique qu’au moment où le jeune souverain est emporté par la peste, l’acclamation universelle le fait roi, écartant sans hésiter les compétiteurs les plus puissans, l’empereur et le roi de France. La féodalité germanique essaie vainement de le rejeter de son sein ; ces fiers seigneurs s’inclinent bientôt devant la haute sagesse du parvenu, et, le prenant pour juge de leurs querelles intestines, ils reconnaissent en lui une sorte de coadjuteur de l’empire. Arbitre des princes allemands, il est aussi leur modèle. Rois, ducs, margraves imitent à l’envi ses institutions, si bien qu’en sauvant son pays, ce grand homme n’a pas moins servi l’Allemagne et l’humanité. Pour accomplir de telles choses sur un sol qu’avaient bouleversé si longtemps les hideuses fureurs du fanatisme, il avait pris son point d’appui dans la conscience nationale et la sienne propre ; cette base, ce roc, c’était le droit religieux établi par le concile universel. Un pape veut détruire cette charte sainte, le roi justicier la protège, et voyez l’originalité de son rôle : il n’agit pas en sectaire, mais en catholique ; il n’invoque pas la raison individuelle, il se rattache aux traditions de l’église ; il met le concile au-dessus du pape, sans nier l’autorité morale du saint-siège ; il proteste contre les usurpations des souverains pontifes sans attaquer le principe de l’unité ; au lieu d’un catholicisme qui va se rétrécissant et qui retranche du tronc antique les rameaux où circule la sève, il a le sentiment d’un catholicisme à qui l’esprit de Dieu communique une fécondité immortelle ; il combat en un mot l’absolutisme latin et lui oppose dans sa pensée l’immense république chrétienne, dont le successeur de saint Pierre n’est que le premier magistrat. Soutenu par cette foi, dont il ne sait pas se rendre compte, mais qui est pour nous la clé de ses contradictions apparentes, il lutte contre le souverain pontife avec une constance que ne souillent jamais ni l’opiniâtreté de l’orgueil ni les violences de la haine. Vigilant, actif, à la fois énergique et humain, songeant à la paix tout en faisant la guerre, il continue de veiller sur l’état au milieu des horreurs de la lutte, et garde sous les outrages de Rome sa sérénité royale et chrétienne. Il oblige enfin ses ennemis eux-mêmes à regretter les violences qu’ils ont commises ; quand les barbares que le pape a lancés sur ce royaume chrétien : reprennent en fuyant le chemin de leur contrée, les catholiques, honteux et repentans, ne peuvent retenir un cri de joie. N’y a-t-il pas une grandeur épique dans cette série d’épreuves et de victoires ? Plus l’homme est grand par le cœur, plus il est condamné à souffrir ici-bas ; n’y a-t-il pas une majesté religieuse dans les viriles souffrances du roi George ?

George de Podiebrad n’est pas moins grand au point de vue de l’histoire politique de son siècle. C’est surtout cette partie de sa gloire que M. Palacky s’attache à mettre en lumière. L’éminent historien lui attribue l’honneur d’avoir introduit dans le monde le principe fondamental de la société moderne, l’affranchissement de l’état vis-à-vis de l’église, c’est-à-dire, en d’autres termes, d’avoir porté le premier coup à ce pouvoir temporel inconnu et contraire à l’Évangile. « Si dans les bouleversemens du XVIe siècle, ajoute-t-il, la cour romaine ne s’est pas laissé entraîner à combattre ses adversaires par les armes théocratiques, c’est qu’elle avait bien senti dans sa lutte avec George l’impuissance de ces armes et la marche irrésistible des idées. » M. Palacky, dans son patriotisme, oublie que bien d’autres champions avant le roi de Bohême avaient soutenu ce principe, il oublie les hommes qui, du sein même du moyen âge, ont protesté contre cette confusion des deux pouvoirs, il oublie Dante condamnant Boniface VIII, il oublie notre saint Louis résistant aux empiétemens du saint-siège. Et que fait-il de cette suite de rois qui ont préparé depuis saint Louis la transformation du monde moderne ? Il suffisait de dire que sur cette liste glorieuse une place immortelle était réservée à George de Podiebrad. Quant à l’influence que le roi de Bohême aurait pu exercer sur les affaires orientales de l’Europe, les conjectures de l’historien sont aussi légitimes que douloureuses. On disait au XVe siècle, en maintes contrées de l’empire, que le roi George, si on lui eût laissé sa liberté d’action, aurait replanté la croix sur Sainte-Sophie de Constantinople. M. Palacky rappelle ces témoignages avec un juste orgueil, et bien qu’il n’ose les ranger parmi les titres incontestables de son héros, il affirme du moins que la guerre impie faite aux chrétiens de Bohême a favorisé l’établissement de la puissance ottomane sur le sol de l’Europe. Qu’on se figure George de Podiebrad et Mathias Corvin, au lieu de s’entre-déchirer, unissant leurs armes contre les hordes de l’Asie à l’époque où ces barbares, campés encore en terre conquise, étaient organisés pour l’attaque bien mieux que pour la défense. Ah ! la Providence a des justices sévères. Quels sont les hommes qui ont le plus ardemment travaillé à l’expulsion des Ottomans ? Deux surtout, Æneas Sylvius et Jean Capistran. Tous les deux ont été sans pitié pour les dissidens de Bohême, et ce sont précisément ces fureurs qui, précipitant les Hongrois sur les Tchèques, c’est-à-dire détruisant l’armée chrétienne en face de l’ennemi, ont fait le triomphe des soldats de Mahomet. Mathias Corvin, l’exécuteur des vengeances de Paul II, recevra aussi son châtiment, sinon dans sa personne, au moins dans son œuvre, dans son peuple, et pour être différée la punition n’en sera que plus terrible. De mauvais jours viendront pour la Hongrie ; attaquée par l’empereur, elle sera délaissée par le pape ; où sera-t-elle alors, cette alliée généreuse que le roi George voulait lui assurer à jamais ? Au seul nom de Hongrie, de hideux souvenirs se dresseront d’un bout de la Bohême à l’autre, et il faudra que les Magyars soient purifiés à leur tour par deux siècles de souffrance et d’héroïsme pour que ces haines s’évanouissent enfin à la lumière du XIXe siècle.

Est-ce assez de montrer la grandeur du roi George sur la scène de son temps ? Je ne le pense pas ; maintes réflexions se pressent dans notre esprit au récit de ces tragiques aventures, et nous manquerions à notre tâche, si nous ne cherchions pas à dégager quelques-unes des leçons qu’elles renferment. L’historien de la Bohême ne voit ici que la Bohême ; pour nous, moins touché des intérêts d’un peuple que des destinées de l’humanité, moins préoccupé des malheurs du passé que des inquiétudes de l’avenir, ce qui nous frappe particulièrement dans cette noble histoire, c’est la naïve et loyale hardiesse du prince chrétien. Bon gré, mal gré, des rapprochemens involontaires s’imposent à nous à la vue de ces luttes d’un autre âge. Au moment où une science courageuse exhume du tombeau d’une nation l’adversaire d’Æneas Sylvius et de Paul II, le pouvoir temporel des papes, occasion de tant de fautes, source de tant de misères pour la divine église de Jésus, est menacé d’une déchéance inévitable. Or, que demandait le roi George, et par quelles nouveautés avait-il attiré sur sa tête les foudres du saint-siège, lui qui ne repoussait aucun des dogmes internes du catholicisme, lui qui avait foi aux mystères, à tous les symboles consacrés par les siècles ? Ce n’était pas sans doute une question de forme dans l’administration de l’eucharistie qui justifiait les fureurs dont il fut la victime ; que voulait-il donc, encore une fois, et d’où venaient contre lui tant d’implacables haines ? Il voulait quelque chose d’analogue à ce qui s’accomplit sous nos yeux, la destruction de la théocratie. Or, si la Providence gouverne l’histoire, il faut bien reconnaître qu’elle a donné raison au roi George, car les faits dont nous sommes témoins ne sont pas une explosion inattendue ; voilà plus de trois cents ans que cette théocratie, circonscrite d’abord, puis démantelée pièce à pièce, a été peu à peu réduite à ce douloureux état, où elle n’est plus protégée que par sa faiblesse même. Mais poussons plus avant l’analyse des pensées du roi George. En désirant la fin de la théocratie, le roi de Bohême faisait-il des vœux contre l’unité de l’église ? Non, certes ; il prétend rester catholique malgré ceux qui le repoussent. Il vénère, même chez son ennemi, le représentant de l’unité chrétienne, et c’est pour cela qu’au lieu de ruser avec lui comme Louis XI, il le supplie sans cesse, il lui demande la paix, il voudrait le voir, lui parler, lui ouvrir son cœur, tant il a conscience de la sincérité de sa foi. Seulement cette unité qu’il aime est l’unité vivante qui admet la diversité des phénomènes ; cette suprématie qu’il reconnaît est la haute magistrature d’une confédération et non pas le pouvoir arbitraire d’une monarchie absolue. Qui sait si ce vœu du roi de Bohême ne sera pas une des réalités de l’avenir ? Elle ne mourra point, cette grande magistrature sacrée ; les événemens qui se préparent lui donneront au contraire une existence nouvelle, si elle en accepte les conditions. Il ne disparaîtra pas, ce grand catholicisme, qui a eu l’honneur d’organiser la vie chrétienne et d’en tracer les cadres ; l’esprit nouveau, qui dissout les choses caduques, le transformera sans le détruire, car il répond à un besoin éternel de notre esprit, et où trouver ailleurs une plus grande école de respect, d’humilité, de sanctification ? Si l’église catholique, fidèle à ses préceptes, reçoit avec une soumission entière les terribles avertissemens de la Providence, si elle se dépouille de toute convoitise humaine et de tout orgueil pharisaïque, quelle grandeur surpassera la sienne ? Un profond et religieux penseur, Alexandre Vinet, disait, il y a quelques années : « Je puis avoir comme protestant des pensées catholiques, et qui sait si je n’en ai pas ? » Le jour où le catholicisme agrandi pourrait parler avec la même largeur de sentiment, où il pourrait embrasser toutes les libres aspirations dont le principe est l’Évangile, où il mériterait enfin son admirable nom et s’écrierait avec le pape saint Grégoire le Grand : Ubi umus colitur Christus, nihil efficit rituum varietas ; » ce jour-là peut-être, la grande attente qui agite en sens divers les meilleurs esprits de notre âge serait enfin satisfaite.

Il est impossible de ne pas se rappeler ici les sublimes paroles que l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg met dans la bouche du sénateur russe. « Examinez-vous, dit l’ardent schismatique au catholique altier, examinez-vous dans le silence des préjugés, et vous sentirez que votre pouvoir vous échappe ; vous n’avez plus cette conscience de la force qui reparait souvent sous la plume d’Homère lorsqu’il veut nous rendre sensibles les hauteurs du courage. Vous n’avez plus de héros, vous n’osez plus rien, et l’on ose tout contre vous. Contemplez ce lugubre tableau, joignez-y l’attente des hommes choisis, et vous verrez si les illuminés ont tort d’envisager comme plus ou moins prochaine une troisième explosion de la toute-puissante bonté en faveur du genre humain. Je ne finirais pas si je voulais rassembler toutes les preuves qui se réunissent pour justifier cette grande attente… Vous, mon cher comte, vous, apôtre si sévère de l’unité et de l’autorité, vous n’avez pas oublié sans doute tout ce que vous nous avez dit au commencement de ces entretiens sur tout ce qui se passe d’extraordinaire dans ce moment. Tout annonce, et vos observations mêmes le démontrent, je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas. Vous ne pouvez donc pas, sans vous mettre en contradiction avec vous-même, condamner ceux qui saluent de loin cette unité, comme vous le disiez, et qui essaient, suivant leurs forces, de pénétrer des mystères si redoutables sans doute, mais tout à la fois si consolans pour vous. » Et plus loin : « Quant aux manifestations futures, j’ai mille raisons pour m’y attendre, tandis que vous n’en avez pas une pour me prouver le contraire. L’Hébreu qui accomplissait la loi n’était-il pas en sûreté de conscience ? Je vous citerais, s’il le fallait, je ne sais combien de passages de la Bible qui promettent au sacrifice judaïque et au trône de David une durée égale à celle du soleil. Le Juif qui s’en tenait à l’écorce avait toute raison, jusqu’à l’événement, de croire au règne temporel du Messie. Il se trompait néanmoins, comme on le vit depuis ; mais savons-nous ce qui nous attend nous-mêmes ?… »

Ces paroles, quand on les relit aujourd’hui, prennent une signification extraordinaire. L’unité dont parle ici Joseph de Maistre, ce ne peut pas être évidemment l’étouffante unité qui comprime l’esprit de chaque nation ; c’est l’unité vivante et libre qui admettrait la variété des formes et qui prouverait l’immortelle fécondité du christianisme. Telle était la société chrétienne que George de Podiebrad semblait appeler de ses vœux. Quand les siècles à venir auront résolu ces périlleuses questions, ceux qui liront l’histoire de la Bohême au XVe siècle ne seront pas seulement frappés de la grandeur du drame politique, ils admireront surtout les idées naïvement audacieuses et les sublimes pressentimens du roi George.

On demandera sans doute ce qu’est devenue la Bohême après la mort de George de Podiebrad. Il est consolant de penser que tant de douloureux labeurs n’ont pas été accomplis en vain. Les suprêmes résolutions du roi furent sanctionnées par la nation et par l’Europe ; Wratislas, fils du roi de Pologne Casimir, devint roi de Bohême, et ces compactats pour lesquels on se battait depuis plus de trente ans, restèrent la loi fondamentale du royaume, Paul II abandonna cette guerre impie. Si la Bohême succomba plus tard, ce ne fut pas sous les coups du saint-siège. Après le prodigieux accroissement de la maison d’Autriche au XVIe siècle, l’autonomie des Tchèques était condamnée à disparaître ; mais, tant qu’il y eut une Bohême indépendante, les Tchèques ont recueilli le fruit de la politique de George de Podiebrad.


SAINT-RENE TAILLANDIER.

  1. On peut consulter sur la vie et les œuvres de Grégoire de Heimbourg la savante et complète étude publiée récemment par M. Clément Brockhaus : Gregor von Heimburg. Ein Beitrag zur deutschen Geschichte des XV, Jahrhunderts, 1 vol. Leipzig 1861.
  2. Scriptum grave et quantum genius sœculi paliebalur, imo supra sœculi ingenium elegans. Müller, Reichstags-Theatrum, t. II, p. 250-258.
  3. Denen sie die Köpfe abschnitten und diese dann einander wie Kohlhäupter zuwarfen. Palacky, t. IV, deuxième partie, p. 617.
  4. Ces études ont paru ici même. Voyez les Roumains, par M. Edgar Quinet, dans les livraisons du 15 janvier et du 1er mars 1856.
  5. Disputatio baronum Behemioe : Zdenkonis de Sternberg, Wilhelmi de Rabie, Johannis de Schwanberg et Johannis Rabensteinii, de bello contra regem Georgium 1467 moto, scripta a Johanne de Rabenstein anno 1459. Cette dispute, qui eut lieu pendant une trêve entre des amis et des adversaires du roi George, fut rédigée immédiatement par un des interlocuteurs, Jean de Rabenstein, catholique resté fidèle à sa patrie. C’est un des plus curieux documens que nous possédions sur l’état de la Bohême pendant les premières années de la guerre. M. Wilhelm Jordan en a publié le texte latin ; M. Palacky en a donné deux traductions, l’une en tchèque, l’autre en allemand.
  6. De Mihtia et de re publica ad ducem Victorinum, auctore Gregorio Heimburgiensi. Cet ouvrage, qui n’a pas été imprimé, fait partie d’un recueil de documens manuscrits connu dans les archives de Bohême sous le titre de Cancellaria régis Georgii.