Le Roi (1900)
Flammarion (p. XIII-np).

INTRODUCTION


La Poésie Épique


L’acte d’un homme qui, abdiquant sa personnalité, se sacrifie à une volonté plus générale que la sienne ; les phénomènes généraux de la vie des armées, des foules, des peuples ; les phénomènes généraux de la nature, comme les tempêtes, l’éruption des volcans, les phases de la création, le mouvement des astres, toutes ces choses sont des sujets épiques.


Le Roi


La notion de Roi est donc une idée épique. Mais la poésie épique étant la poésie des phénomènes généraux du monde, pour que l’idée de Roi constitue un sujet essentiellement épique, il faut que ce roi soit un Roi d’Action ayant un objectif général.

Épopée du Roi d’Action


Elle comprend ici quatre divisions, correspondant aux quatre phases de la vie du Roi :

1o — La phase où il développe son corps, son cœur, son intelligence, son être entier.

2o — La phase où, développé, il prend une pleine conscience du milieu où il est appelé à évoluer.

3o — La phase où, ayant pris conscience de ce milieu, il développe autour de lui la force nécessaire pour le dominer.

4o — La phase où, ayant développé cette force dominatrice, il s’en sert pour sauver le milieu.

Les quatre divisions de l’épopée du Roi d’Action seront donc l’Enfant, l’Homme, le Capitaine, le Roi.

Mais dans chacune de ces divisions, pour que le tableau de la vie du Roi conserve son caractère épique, il convient de montrer, de chacune des actions du Roi, l’esprit général, extra-individuel qui les rend épiques ; il faut, pour que le Roi d’Action soit vraiment épique, qu’il vive, individu, d’une vie générale, et que tous les phénomènes de sa vie soient des phénomènes généraux.

Par suite, l’enfant ne sera pas un enfant ordinaire, mais un Prince, c’est-à-dire un enfant épique ;

L’homme ne sera pas un homme ordinaire, mais un Français, c’est-à-dire un homme épique ;

Le capitaine ne sera pas un capitaine ordinaire, mais un Héros, c’est-à-dire un capitaine épique ;

Et le roi ne sera pas un roi ordinaire, mais un roi agissant, un Sauveur, c’est-à-dire un roi épique.

Sans cesse, tandis que la vie de cet enfant, de cet homme, de ce capitaine, de ce roi se déroulera, il faudra que l’idée de patrie jette sur chacun des phénomènes de la vie de cet être vivant la lumière générale qui doit les rendre épiques. Et c’est ce but du salut national posé sans cesse comme objectif de l’action royale qui doit donner à l’œuvre son unité.


Quel personnage, dans l’histoire, a réalisé ce Roi ?

Quand on présente l’un à l’autre deux corps, l’un combustible et l’autre comburant, ils rayonnent avec violence. La combinaison de l’idée du Roi d’Action et de l’image du prince de Navarre est éblouissante. Henry IV est la réalisation historique du Roi d’Action théorique.

Le merveilleux se posait comme question accessoire. Il devait réunir les conditions suivantes :

1o — Ne pas appartenir à la théogonie chrétienne. Henry IV n’est pas un héros chrétien.

2o — Être dans le génie religieux des temps modernes.

Les Tisseuses réunissent ces conditions nécessaires pour que le merveilleux du poème soit une chose vivante, susceptible d’émouvoir les âmes.