Lettre vingtième-unième
Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour.
XV
Où l’on voit quelle est la figure de rhétorique dont le bon Dieu use le plus volontiers
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Le coq chanta une seconde fois. Son chant partait de la basse-cour du château. Ce coq, dont la voix venait de faire écrouler autour de Pécopin le palais plein de vertiges des chasseurs nocturnes, avait peut-être cette nuit même becqueté les miettes qui tombaient chaque soir des mains bénies de Bauldour.

O puissance de l’amour ! force généreuse du cœur ! chaud rayonnement des belles passions et des belles années ! A peine Pécopin eut-il revu ces tours bien-aimées que la fraîche et éblouissante image de sa fiancée lui apparut et le remplit de lumière, et qu’il sentit se dissoudre en lui comme une fumée toutes les misères du passé, et les ambassades, et les rois, et les voyages, et les spectres, et l’effrayant gouffre de visions dont il sortait.

Certes, ce n’est pas ainsi, avec la tête haute et le regard enflammé, que le prêtre couronné dont parle le Speculum historiale émergea du milieu des fantômes après qu’il eut visité le sombre et splendide intérieur du dragon d’airain. Et puisque cette figure redoutable vient d’apparaître à celui qui raconte ces histoires, il convient de lui jeter une malédiction et d’imposer ici un stigmate à ce faux sage qui avait deux faces, tournées l’une vers la clarté, l’autre vers l’ombre, et qui était à la fois pour Dieu le pape Sylvestre II et pour le diable le magicien Gerbert.

Vis-à-vis les traîtres et les personnages doubles la haine est devoir. Tout parisien doit en passant une pierre à Périnet Leclerq ; tout espagnol au comte Julien, tout chrétien à Judas, et tout homme à Satan.

Du reste, ne l’oublions pas, Dieu met invariablement le jour à côté de la nuit, le bien auprès du mal. l’ange en face du démon. L’enseignement austère de la Providence résulte de cette éternelle et sublime antithèse. Il semble que Dieu dise sans cesse : Choisissez. Au onzième siècle, en regard du prêtre cabaliste Gerbert il plaça le chaste et savant Emuldus. Le magicien fut pape, le saint docteur fut médecin. En sorte que les hommes purent voir sous le même ciel, parmi les mêmes événements et à la même époque, la science blanche dans la robe noire et la science noire dans la robe blanche.

Pécopin avait remis son épée au fourreau et marchait à grands pas vers le manoir dont les fenêtres, déjà égayées d’un rayon de soleil, semblaient rendre à l’aube son sourire. Comme il approchait du pont, duquel il ne reste qu’une arche aujourd’hui, il entendit derrière lui une voix qui disait : — Eh bien, chevalier de Sonneck, ai-je tenu ma promesse ?

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