Le Retour du Roi en 1815

Le Retour du Roi en 1815
Revue des Deux Mondes5e période, tome 24 (p. 481-509).
LE RETOUR DU ROI
EN 1815[1]


I

Paris avait capitulé après trois jours de combats partiels ; Pendant cette feinte résistance, la population s’était de plus en plus divisée. Le grondement du canon exaltait les uns, désespérait ou tout au moins dépitait les autres. « On va donc se défendre ? » disaient les impulsifs, qui sentaient plus qu’ils ne raisonnaient. « Comment ! on se défend ? » pensaient les gens d’esprit rassis en qui l’intérêt dominait tout. Au reste l’appréhension des violences et du pillage n’était pas bien sérieuse. Les belliqueux n’avaient pour la plupart rien à perdre. Les pacifiques, s’ils déclamaient volontiers sur les dangers auxquels une défense exposait Paris, ne croyaient guère à la réalité du péril. Ils avaient trop de confiance en M. Fouché ! Ils pensaient bien que cet habile homme trouverait le moyen d’arrêter l’action avant qu’elle ne pût avoir des conséquences redoutables. L’année précédente, on s’était aussi battu tout proche, le combat s’était même étendu jusqu’à la barrière de Clichy, et l’armée alliée n’en avait pas moins eu « la plus louable conduite » à son entrée dans Paris. Wellington ne voudrait point saccager la bonne ville de son ami Louis XVIII ; il saurait imposer la modération au farouche Blücher. Bien plus que les excès des Prussiens, la haute société et la bourgeoisie redoutaient les colères des fédérés et des soldats à l’heure inévitable de la capitulation. C’était le réel motif d’une inquiétude qui, chez quelques-uns, devenait de la terreur. Encore ces craintes allaient-elles en diminuant, car, depuis que l’on se battait, Paris avait recouvré un certain calme. Plus de clameurs, plus d’attroupemens menaçans, plus de bandes criant : Vive l’Empereur ! Mort aux traîtres ! Les tirailleurs fédérés, principal élément de tumulte, et toutes les troupes étaient partis pour occuper aux avancées leurs emplacemens de combat ; et bien que la fermeture de toutes les boutiques et la suspension de tous les travaux eût désœuvré la population, il y avait relativement peu de monde dans les rues. Les cafés, les cabarets même étaient désertés. La curiosité de voir quelque épisode du combat, l’impatience de renseignemens entraînaient la foule aux barrières de la Villette, de Clichy, de l’Etoile, de Vaugirard, de Montrouge, sur les buttes Chaumont, sur les hauteurs de Chaillot. Comme pendant la bataille de Paris en 1814, on disait parmi le peuple que l’Empereur arrivait pour battre les Alliés, qu’il était là, qu’on l’avait vu.

Les troupes brûlaient de combattre. Une même ardeur animait les fédérés. Partout où on les avait employés, à Aubervilliers, au Drancy, aux retranchemens du canal de l’Ourcq, ils s’étaient conduits avec l’entrain et la fermeté de vieux soldats qu’ils étaient. Même dans la garde nationale, il y avait des gens qui souhaitaient la résistance et voulaient y contribuer. Nombre de miliciens sortirent volontairement de Paris pour aller faire le coup de feu aux avant-postes. Dans la nuit du 2 juillet, le capitaine, de Martimprey envoya ce billet à Davout : « Mes soixante gardes nationaux volontaires ont combattu avec les troupes au village d’Aubervilliers contre des forces quintuples. Nous avons eu des tués et des blessés. Aujourd’hui vous allez à Montrouge. C’est là qu’est le danger, nous demandons à vous y suivre. »

L’arrêt subit du combat, le matin du 3 juillet, commença d’alarmer tous ces braves. Ils comprenaient qu’on allait les empêcher de se battre. « On est en train de nous vendre, » disaient-ils. La journée entière, puis la nuit et la matinée du lendemain se passèrent dans une attente irritante. Les hommes bivouaquaient en ligne, derrière les faisceaux. Chaque heure qui s’écoulait augmentait l’inquiétude, le trouble, l’indiscipline. Vers midi, le 4 juillet, la nouvelle de la capitulation arriva aux troupes. Elles devaient abandonner leurs positions, fuir devant l’ennemi, et, sans un coup de fusil ni un coup de sabre, lui livrer Paris et trente lieues de pays jusqu’à la Loire. La colère saisit l’armée. Les rangs sont rompus. Au milieu des murmures et des clameurs, on entend : « — Nous sommes toujours trahis ! — C’est comme dimanche soir. — Combien le maréchal Davout a-t-il reçu pour livrer Paris ? — On nous vend comme des bêtes à cornes ! — Restons ici. Nous nous battrons pour notre compte. — Que les Prussiens viennent nous faire partir ! — Si l’Empereur était là ! — Vive l’Empereur ! — Paris est rempli de royalistes et de brigands. — Faisons-nous justice ! — Brûlons cette ville de traîtres… Ne nous en allons que quand tout sera brûlé. » Pour s’exalter plus encore, on décharge les fusils en l’air. Un convoi chargé de pain débouche de la barrière d’Enfer. On crie : « C’est pour les Prussiens ! » Des soldats arrêtent les chevaux, coupent les traits, culbutent les voitures, jettent tous les pains dans les fossés. Au nord de Paris, c’est le même tumulte. Soldats et fédérés déclarent qu’ils ne quitteront point leurs postes. Tout le jour, des artilleurs en révolte canonnent les positions ennemies. Des commissaires anglais qui se présentent aux avant-postes avec un officier français sont insultés, menacés, frappés à coups de sabre par des lanciers et des fédérés.

Les officiers de troupes et nombre de généraux sont aussi indignés, aussi furieux que les soldats. On veut retirer à Davout le commanderont dont on le juge désormais indigne. Exelmans, Fressinet et plusieurs de leurs camarades abordent Vandamme et l’adjurent de se mettre à la tête de l’armée pour marcher contre l’ennemi. Mais Vandamme est converti depuis deux jours aux idées de Davout. Il révèle qu’au conseil de guerre de la Villette, il a fini par se rallier à l’avis de la majorité ; il déclare que la capitulation était une nécessité. « — D’ailleurs, conclut-il philosophiquement, je me suis assez battu comme cela ! » Ainsi éconduits, les généraux ne sont ni convaincus, ni découragés. Ils délibèrent sur le choix d’un nouveau chef à prendre parmi eux.

A la Commission de gouvernement, l’inquiétude est grande. On multiplie les dépêches à Davout, à Masséna, commandant la garde nationale, au nouveau préfet de police Courtin. Il faut apaiser la sédition militaire, faire filer les troupes par les boulevards extérieurs, de façon qu’elles ne traversent point Paris. Il faut surveiller Daumesnil et Hullin, dénoncés comme prêts à se mettre à la tête de l’armée en révolte. Il faut prendre toutes les mesures de sûreté, assembler la garde nationale, lui distribuer des cartouches, doubler les postes, renforcer les patrouilles, dissiper les rassemblemens, former aux Tuileries une réserve de miliciens et de gendarmes municipaux « afin de mettre hors d’atteinte de toute entreprise le siège du gouvernement. » Davout hésite à se montrer aux troupes ; il préfère leur adresser un ordre du jour portant que l’armée par son attitude imposante a sauvé Paris et sera la sauvegarde de l’honneur français et des couleurs nationales. Sur la prière de Caulaincourt, Carnot accourt à Montrouge. Il raisonne les généraux, il harangue les soldats. De tous les gens du gouvernement et des Chambres, c’est le seul qui ne soit pas suspect. Pour l’armée, il est encore le grand Carnot. Sa présence, ses paroles impressionnent. L’intervention de Drouot est peut-être plus efficace encore. Ce noble soldat, l’ami de l’Empereur, son compagnon à l’île d’Elbe, a conservé son autorité entière sur la Garde. Il parcourt les rangs de cette troupe d’élite, il la rappelle au devoir militaire, à la discipline ; il invoque l’esprit de corps, le passé d’honneur et de gloire, l’exemple à donner à l’armée. Sous sa parole ferme, les vieux soldats refrènent leur colère et, tout en grognant, se résignent à obéir. La conduite de la Garde que l’on connaît bientôt détermine celle des autres troupes. L’armée paraît disposée à évacuer Paris docilement.

Une nouvelle crise menace. Malgré les promesses, les avis officiels, les ordres du jour, on n’a pas encore reçu la solde arriérée dans un assez grand nombre de régimens. A l’instigation de certains officiers, qui espèrent ainsi faire renaître le tumulte sans en être responsables, les soldats déclarent qu’ils veulent bien partir, mais qu’ils ne s’en iront qu’après avoir été payés. Nouvelle émotion au gouvernement. Il n’y a ni argent au Trésor ni crédit chez les banquiers. Davout, qui comprend le péril, propose de faire une réquisition à la Banque de France. La Commission, toujours sans volonté, recule devant l’illégalité d’une pareille mesure. On s’adresse enfin à Jacques Laffitte, qui consent à avancer la somme nécessaire contre la garantie d’une inscription sur le Grand-Livre. C’est un bon emploi pour les trois ou quatre millions en or que Napoléon, huit jours auparavant, lui a fait remettre en dépôt. Encore une fois, le trésor privé de l’Empereur sert à la solde de l’armée. Mais la journée s’avance. Davout qui espérait mettre l’armée en marche le soir même n’en a plus le temps. Toutes les troupes passent la nuit sur leurs emplacemens de combat, dominées, mais non encore résignées, toujours frémissantes, prêtes à suivre le chef qui voudra les entraîner.

Tandis que le danger diminue aux approches de Paris, il s’accroît à l’intérieur. Sur la fin de la journée, les tirailleurs fédérés se sont enfin décidés, pour la plupart, à évacuer les positions de Montmartre, de La Villette, du canal de l’Ourcq. Mais c’est en désordre, par petits groupes, sourds à la voix des officiers, qu’ils rentrent dans Paris. Ils s’y mêlent à des soldats de Vandamme et de Reille qui, furieux ou désespérés, ont abandonné leurs drapeaux ; ils parcourent les rues, les boulevards, les quais, tirant des coups de feu en l’air et vociférant : « Vive l’Empereur ! À bas les royalistes ! Mort aux traîtres ! » Une de ces colonnes, de plus de quatre cents hommes, porte un buste de Napoléon ceint d’une couronne de feuillage. À l’approche de ces bandes, les cafés ferment ; chacun rentre chez soi, et clôt portes et fenêtres. Les patrouilles de gardes nationales se replient sur les postes principaux. Mais, là, les miliciens très nombreux se rangent en bataille et barrent le chemin. On parlemente, on s’exalte, on tiraille. Sur vingt points de Paris, faubourg Saint-Martin, boulevard du Temple, chaussée d’Antin, rue Saint-Denis, sur le Pont-Neuf, au carrefour de l’Odéon, la fusillade s’engage. Il y a des blessés. Par bonheur, les mutins n’ont ni plan ni chef. Après quelques heures de promenades tumultueuses, où, d’ailleurs, il n’y a point une seule tentative de pillage, ils se dispersent d’eux-mêmes. L’émeute menaçante passe en clameurs, l’orage se dissipe sans éclater.

Le lendemain, 5 juillet, et le surlendemain, l’armée tout entière évacua Paris, farouche et furieuse, « en rugissant. » Les soldats disaient que ce n’était pas fini, qu’ils reviendraient avec Napoléon. En défilant, ils contraignaient, sabre levé, les passans à crier : « Vive l’Empereur ! » et menaçaient de la parole et du geste les postes de la garde nationale. Ils n’étaient pas si méchans qu’ils en avaient l’air. Rue de la Harpe, une marchande d’oubliés criait sans songer à mal : « Voilà le plaisir, mesdames, voilà le plaisir ! » Un vieux sergent s’arrêta, les traits convulsés par la colère. — « Est-ce que tu te f… de nous, avec ton plaisir ? » Puis, se mettant à rire : « — Allons ! crie : Vive l’Empereur ! » La marchande se hâta d’obéir, et tous les hommes de la section achetèrent ses oublies en faisant tourner les aiguilles de la boîte. C’étaient « ces forcenés » qui épouvantaient les honnêtes Parisiens !


II

L’armée partie avec Davout, la Chambre de plus en plus absorbée dans la discussion de l’Acte constitutionnel, la Commission de gouvernement de plus en plus asservie à son président, Fouché était la seule autorité qui subsistât effectivement. Il était le maître de Paris et de la France. Il avait pleins pouvoirs pour traiter avec Louis XVIII à ces conditions : le Roi sur le trône, lui au ministère. Ce marché, Fouché eut l’élégance de ne le point proposer. Il se le fit offrir. Il avait manœuvré de telle sorte qu’il passait dans tous les partis pour l’homme nécessaire. Lui seul semblait capable de donner à la crise l’issue la moins mauvaise. La bourgeoisie parisienne le regardait comme son sauveur, car c’était à lui qu’elle devait « cette capitulation inespérée. » Malgré des suspicions intermittentes, les Chambres lui maintenaient toute leur confiance. Les royalistes comptaient sur lui pour faire rentrer sans affront et sans tumulte Louis XVIII aux Tuileries. Les constitutionnels, les modérés, les bonapartistes, les régicides espéraient qu’il les garantirait contre les vengeances des jacobins blancs et les prétentions du parti des émigrés. Wellington, enfin, qui était royaliste et modéré, tenait Fouché pour un bon auxiliaire dans la circonstance présente comme dans les occurrences futures.

Dès le lendemain de la capitulation de Paris, le 4 juillet, Wellington fit dire à Fouché par le colonel napolitain Macirone qu’il le recevrait le jour suivant à son quartier général[2]. Le duc d’Otrante se garda d’aller au rendez-vous en secret, comme un conspirateur vulgaire. Il mit ses collègues du gouvernement dans la confidence, presque dans la complicité. En même temps que l’invitation verbale de Wellington, Macirone avait apporté un mémorandum où le général en chef de l’armée anglaise déclarait que « les Chambres élues sous le règne de Bonaparte et la Commission créée par ces Chambres n’avaient qu’à se déclarer dissoutes après avoir esprimé au Roi, dans une adresse respectueuse, leurs sentimens et leurs vœux. » Pouvait-on se soumettre à de pareilles prétentions sans saisir l’offre qui était faite de les aller discuter ? Et qui mieux que le duc d’Otrante, grâce à l’autorité dont il était temporairement revêtu, à son habileté consommée, à ses relations, qu’il n’avait point cachées, avec les Alliés et les royalistes, était en situation de faire entendre raison à ces gens-là ? D’ailleurs Fouché, pour endormir tout soupçon, décida qu’il n’irait pas seul à l’entrevue. Mais c’est lui qui désigna les personnages qui devaient l’accompagner, et il les choisit bien : Manuel, son âme damnée ; Molé, tout disposé à rester sous Louis XVIII directeur des ponts et chaussées, ou même à redevenir ministre ; le général de Valence, qui, pendant les négociations d’armistice, avait profité d’un court entretien avec Pozzo di Borgo pour se recommander au Roi. Ces trois compères ne pouvaient trahir Fouché.

L’entrevue eut lieu dans la soirée du 5 juillet, à Neuilly, où Wellington avait transféré son quartier général. (En vertu de la capitulation, ce faubourg, ainsi que Saint-Denis, Clichy et Montmartre, venait d’être occupé par l’armée anglo-prussienne.) Talleyrand, Pozzo, Goltz et sir Charles Stuart se trouvaient avec Wellington. Fouché, très froid, resta sur la réserve. Il ne voulait pas se livrer sans engagement réciproque. Il parla de la mauvaise impression produite par les menaces de la proclamation de Cambrai, de l’opposition universelle au drapeau blanc, et affecta de représenter la Chambre, qui, il le savait mieux que personne, n’était plus qu’un fantôme d’assemblée, comme une puissance dont il fallait tenir compte. Il concéda en principe le retour de Louis XVIII, mais sous cette condition qu’auparavant le Roi donnerait une amnistie générale et prendrait la cocarde tricolore. Talleyrand objecta que le Roi avait déjà pardonné par la proclamation du 28 juin à toutes les personnes qui avaient été entraînées à servir le gouvernement usurpateur. « — La réserve déférée aux Chambres, insinua-t-il, est limitée uniquement aux fauteurs du retour de Napoléon. Le nombre en est réellement très petit, et les preuves sont difficiles à établir. Cette clause est plutôt un moyen moral de conserver le respect de l’autorité qu’un dessein d’inquiéter et de punir. » Sur la question du drapeau, Talleyrand prit Wellington à témoin de la nécessité où se trouvait le Roi de ne point céder. « — Si l’on m’avait consulté l’an dernier, dit Wellington, j’aurais conseillé de garder la cocarde tricolore. Mais ces couleurs sont devenues celles de la rébellion. Le Roi ne peut accepter un drapeau sous lequel a combattu son armée en révolte contre lui. De plus, beaucoup de provinces ont déjà pris la cocarde blanche. On s’exposerait à de grandes difficultés en contraignant les fidèles sujets du Roi à abandonner cet emblème. » On causa jusqu’à quatre heures du matin sans conclure sur rien. Fouché, en se retirant, s’invita à dîner pour le soir chez Wellington afin de reprendre la conférence. « — D’ici là, dit-il, je m’assurerai de ce que l’on peut faire dans les Chambres en faveur du Roi. » Fouché n’avait nulle intention d’intriguer dans les Chambres dont il se souciait autant que du Grand Turc, mais il représentait les circonstances comme difficiles et périlleuses afin de donner le plus haut prix à son concours et d’obliger le Roi à compter avec lui. Il pensait, que si, pour Henri IV, Paris valait bien une messe, pour Louis XVIII, Paris valait bien un ministre régicide.

Ce ministère tant convoité, Talleyrand avait, dès cette nuit-là, le désir et le pouvoir de l’offrir à Fouché. Mais l’attitude ferme, défiante, presque hautaine du duc d’Otrante, et aussi la présence de Molé, de Valence, de Manuel surtout, l’avaient déconcerté et retenu. Le lendemain matin, Talleyrand disait à Vitrolles avec un certain dépit : « — Eh bien ! votre duc d’Otrante ne nous a rien dit du tout ! » Et, dans l’après-midi, Fouché répondait au même Vitrolles, revenu d’Arnouville à Paris : « — Que voulez-vous dire à des gens qui ne vous disent rien ? »

On devait finir par s’entendre. Le plus difficile était fait : on avait le consentement du Roi. Parti de Cambrai le 30 juin, sur un avis de Wellington, qui jugeait utile qu’il fût aux portes de Paris, Louis XVIII était arrivé dans l’après-midi du 5 juillet au château d’Arnouville. C’est là que fut donné l’assaut pour Fouché. Le Roi répugnait à cette nomination. Aux premières ouvertures, pendant un arrêt du voyage, il avait déclaré qu’il ne la ferait jamais. Il estimait même contraire à sa dignité de « recevoir des mains avilies de Fouché les rênes du gouvernement. » Il aurait préféré un autre Monk. Il imagina cette combinaison : Fouché remettrait ses pouvoirs à Macdonald, qui les transmettrait respectueusement au souverain légitime. On verrait ensuite à récompenser le duc d’Otrante. Mais, dans les conseils du Roi, on avait moins de scrupules. Tout le monde, à quelques exceptions près, regardait l’entrée de Fouché au ministère comme une nécessité ; quelques-uns y voyaient même un bien. Le baron Louis était pour Fouché, Jaucourt était pour Fouché, Talleyrand était pour Fouché, le Comte d’Artois lui-même était pour Fouché. Des royalistes accouraient de Paris, Macdonald, Hyde de Neuville, le bailli de Crussol, la comtesse de Narbonne, Pasquier, Vitrolles, pour conjurer Louis XVIII d’utiliser la bonne volonté, les talens, l’autorité de M. Fouché[3]. « Il était le pire et le plus utile des hommes que le Roi pût trouver dans tout son royaume. » Vitrolles, à la vérité, disait qu’il serait suffisant de le créer pair de France. Mais Louis XVIII répondit avec bonhomie : « J’aime mieux nommer un ministre que je puis renvoyer qu’un pair inamovible. » Wellington arriva sur ces entrefaites. Le but de sa visite était d’obtenir pour Fouché le ministère de la Police. Louis XVIII voyait en Wellington, et avec raison, son plus sûr appui dans la coalition, et son conseiller le meilleur et le plus désintéressé ; il céda. Wellington imposa Fouché, comme, à Cateau-Cambrésis, il avait imposé Talleyrand. Après le dîner, Wellington et Talleyrand partirent pour Neuilly, où ils devaient rencontrer Fouché. Au moment du départ, Louis XVIII donna en ces termes carte blanche à Talleyrand : « — Vous allez voir le duc d’Otrante. Faites tout ce que vous croirez utile à mon service. Seulement ménagez-moi. Pensez que c’est mon p… ! »

La réserve où se tint Fouché contraignit Talleyrand à ménager plus qu’il ne l’aurait voulu la pudeur du Roi. Mais, résolu le lendemain à en finir le soir même, il dit négligemment à Beugnot de rédiger une ordonnance rétablissant le ministère de la Police et en nommant titulaire le duc d’Otrante. Il était désireux de donner à la parole arrachée au Roi une forme plus définitive. Beugnot présenta aussitôt la pièce à la signature. Louis XVIII prit la plume avec un gros soupir, la déposa, la reprit, dit : « — Il le faut donc ! » et signa[4].

Sur la fin de l’après-midi, pendant que le Roi quittait Arnouville pour aller s’établir à Saint-Denis, Talleyrand retourna à Neuilly. Il y trouva Wellington en conférence avec Fouché. Celui-ci continuait de tenir la dragée haute. A l’entendre, il n’avait rien pu faire depuis la veille pour aplanir les difficultés. Le retour à Paris de la mission envoyée aux souverains alliés compliquait même les affaires, car La Fayette et ses collègues déclaraient avoir reçu à Haguenau « les assurances les plus positives » des plénipotentiaires que « les souverains annonçaient l’intention la plus prononcée de n’imposer à la France aucune forme de gouvernement et de la laisser parfaitement libre à cet égard[5]. »

Wellington, qui venait de recevoir une dépêche de lord Steewart, savait de quelle façon insolente les plénipotentiaires français avaient été éconduits. Il dit à Fouché que les assertions de La Fayette étaient de tout point inexactes, et, pour le convaincre, il lui mit sous les yeux la dépêche de Haguenau. Fouché, très vraisemblablement, était tout convaincu en venant à Neuilly ; il suspectait de beaucoup d’optimisme le rapport des plénipotentiaires et il n’y attachait sans doute d’autre importance que celle d’un nouvel argument à invoquer dans la discussion. Toutefois, il résistait encore, s’appuyant sur l’hostilité du populaire, l’opposition des Chambres, les divisions de la garde nationale. Pour en finir, Talleyrand lui dit que le Roi l’avait nommé ministre de la Police et lui remit l’ordonnance. Ce fut un changement à vue comme dans les féeries du Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Il n’y eut plus de La Fayette, d’opinion publique, de Chambre, de Commission de gouvernement, de garde nationale. Il n’y eut plus que Son Excellence le duc d’Otrante, ministre de Sa Majesté très chrétienne.

Aussitôt Fouché détermina et exposa à Talleyrand les mesures qu’il comptait prendre le lendemain : lettre de la Commission de gouvernement au Roi pour lui annoncer qu’elle se regardait comme dissoute ; message de la Commission aux Chambres pour déclarer sa dissolution ; dissolution de la Chambre ; enfin, et ceci regardait le Roi, remplacement de Masséna par le général Dessolles comme commandant en chef de la garde nationale. Fouché, en veine d’inspiration, écrivit même sur-le-champ la minute de la lettre que la Commission était censée devoir adresser à Louis XVIII[6]. Cela fait, on alla dîner, et, au sortir de table, Talleyrand emmena Fouché à Saint-Denis pour qu’il prêtât serment au Roi. Ils entrèrent tous deux dans le cabinet de Louis XVIII, « le vice appuyé sur le bras du crime, » dit Chateaubriand avec l’emphase permise au génie. Le Roi, qui avait pris son parti, accueillit bien Fouché ; il parut même comprendre les idées de modération et de libéralisme respectueusement conseillés dans le projet de lettre que Fouché venait d’écrire et qu’il lui soumit. Mais il resta inébranlable sur la question du drapeau et celle de l’amnistie. Fouché d’ailleurs ne les avait abordées sans doute qu’avec une extrême discrétion, estimant moins hasardeux, pour cette première entrevue, de se tenir dans les généralités spéculatives. Le duc d’Otrante rentra à Paris sans avoir obtenu aucune concession d’intérêt public, mais il avait celle qui lui importait le plus, sa nomination de ministre.


III

Fouché avait donné aux royalistes la croyance qu’il était indispensable à la restauration de Louis XVIII. Tout n’était pas illusion dans cette opinion, comme le prétendirent plus tard, en s’accusant mutuellement de s’être laissé duper par le duc d’Otrante, ceux-là mêmes qui l’avaient soutenue avec le plus d’ardeur. Les événemens firent la Restauration de 1815 comme ils avaient fait la Restauration de 1814. Mais, de même que Talleyrand avait si bien aidé à la première qu’il put s’en proclamer l’auteur, de même Fouché contribua puissamment à la seconde. Et si Talleyrand n’avait eu que la peine d’un raisonnement au Tsar et d’une facile manœuvre dans le Sénat, Fouché dut multiplier, pendant quinze jours d’intrigues, toutes les ressources de son exécrable et merveilleux génie. Quand Fouché, le 6 juillet, reçut sa nomination de ministre, il avait tout préparé pour la restauration, mais tout n’était pas accompli. Grâce à lui, la rentrée du Roi dans Paris allait s’opérer pacifiquement, sans contrainte apparente et sans affront. Mais si, au lieu d’avoir Fouché pour soi, Louis XVIII l’avait eu contre soi, son retour aux Tuileries fût devenu, sinon incertain, du moins périlleux et scandaleux. Il aurait dû attendre, ou qu’une révolution royaliste dont le succès était très douteux lui ouvrît les barrières de Paris ensanglanté à son profit, ou que les souverains alliés se décidassent à le réinstaller aux Tuileries manu militari, sous la protection de leurs canons et de leurs baïonnettes. Mal pour mal, humiliation pour humiliation, honte pour honte, il était préférable de nommer Fouché ministre.

Même après le départ de l’armée française, il s’en faut bien que Paris soit converti au royalisme. Non seulement les fédérés et tout le peuple, encore frémissant de colère, s’emportent contre les traîtres qui ont livré la ville aux détestables alliés de Louis XVIII, mais même dans la bourgeoisie et le petit commerce, où la crainte de pis a fait accueillir la capitulation comme un soulagement, on n’est pas disposé à recevoir le Roi sans garanties. On lit à haute voix, au milieu des groupes enthousiastes, l’extrait du Moniteur contenant la déclaration, d’ailleurs très platonique, de la Chambre, que « tout gouvernement qui serait imposé par la force, n’adopterait pas les couleurs nationales et ne garantirait pas les libertés constitutionnelles, n’aurait qu’une existence éphémère. » En même temps, on arrache les affiches de la proclamation : Le Roi aux Français, qui évoque de rouges visions d’échafauds et de fusillades. On ne veut ni représailles, ni retour à l’ancien régime. On dit que l’armée de la Loire suffira à sa propre défense, que tous les individus menacés iront s’y réfugier, que Napoléon en reprendra le commandement. Onze chefs de légion, sur les douze dont se compose l’état-major de la garde nationale, déclarent dans une lettre publique « qu’ils tiennent à honneur le conserver à jamais, la cocarde nationale[7]. » Dans Paris, pas une cocarde blanche. Les plus audacieux se bornent à porter une cocarde où le blanc domine sur le bleu et le rouge. Les royalistes qui vont à Arnouville ou à Saint-Denis ont dans leurs poches des cocardes blanches qu’ils mettent fièrement au chapeau quand ils ont passé les barrières et qu’ils retirent avec prudence quand ils rentrent à Paris. Ceux qui au retour oublient cette précaution sont accueillis par les cris : « A la lanterne les royalistes ! » maltraités par la populace, arrêtés par la garde nationale ou même chargés furieusement par la gendarmerie à cheval. Les déclarations abusives des plénipotentiaires français, insérées au Moniteur, que les souverains entendent laisser la France libre de choisir son gouvernement, raniment les espérances. On aura Napoléon il ou le Duc d’Orléans, ou encore Eugène de Beauharnais, le roi de Saxe, l’archiduc Charles, un prince anglais même. Si grande est la crainte de la réaction qu’il se trouve des gens pour préférer un étranger à un Bourbon !

Le 5 juillet, le 6 encore, on parle d’un mouvement royaliste pour le lendemain. La Chambre s’inquiète, Masséna s’alarme, le populaire murmure, montre les poings et se dispose à faire justice lui-même de ces bourbonistes trop impatiens[8]. La présence des troupes alliées aux portes de Paris, l’occupation même de la ville par les Prussiens n’imposent pas aux colères de la foule. Le 6 juillet, on rejette hors de la barrière de Saint-Ouen des royalistes à cocarde blanche et on les poursuit l’espace d’une demi-lieue. Le 7 juillet, six grenadiers de la Maison du Roi, entrés à Paris dans leur bel uniforme, sont assaillis sur la place de la Concorde et contraints de se réfugier dans l’hôtel où loge Wellington. Trois gardes du corps sont maltraités dans le jardin du Palais-Royal. Même aventure advient, place du Louvre, à des gardes du corps de Monsieur qui s’avisent de crier : « Vive le Roi ! » Le peuple se rue contre eux en criant : « Vive l’Empereur ! Vive la nation ! A l’eau ! à l’eau ! » La Seine, en effet, n’est pas loin. Ils se dégagent à coups de sabre, et s’enfuient au plus vite.

De toutes ces défiances, de toutes ces colères, de toutes ces énergies sans direction, Fouché aurait pu former contre le Roi une redoutable opposition. C’est ce que comprirent à ce moment critique les conseils de Louis XVIII ; c’est ce qu’ils s’empressèrent d’oublier quand la restauration fut accomplie.

Le 7 juillet, la Commission de gouvernement se réunit comme de coutume aux Tuileries. Elle ignorait que cette séance dût être la dernière. Fouché l’apprit à ses collègues par l’exposé qu’il fit de sa seconde entrevue avec Wellington. « Le rapport de La Fayette survies conférences de Haguenau, dit-il en substance, est tout à fait inexact. Les alliés sont déterminés à restaurer Louis XVIII. L’ennemi occupe Paris, le Roi y fera sa rentrée demain. Nous n’avons donc d’autre parti à prendre que de nous dissoudre et d’en informer les Chambres par un message. » Fouché, naturellement, se garda bien de révéler qu’il avait en poche sa nomination de ministre de la Police. Caulaincourt parut approuver les paroles de Fouché, mais Carnot, Grenier et Quinette protestèrent. Déjà ils avaient proposé de rejoindre l’armée et de transférer derrière la Loire le siège du gouvernement ; les Chambres seraient invitées à se réunir à Blois ou à Tours. Fouché, soutenu par Caulaincourt, combattit ce projet dont l’adoption, dit-il, ne pourrait qu’ajouter aux maux du pays en provoquant la guerre civile. Le tambour des Prussiens mit fin à la discussion. Un détachement d’infanterie avec deux pièces de canon débouchait dans la cour des Tuileries.

Le corps de Zieten était entré dans Paris à huit heures du matin par la barrière de la Cunette[9]. Ce n’était pas, comme en 1814, un lent et solennel défilé ; c’était une marche de guerre, par échelons tactiques, fusils chargés et mèches allumées. Arrivée devant l’Ecole Militaire, la colonne se fractionna. La 1re division alla prendre position sur la rive gauche de la Seine, entre le Pont-Neuf et le pont d’Austerlitz ; la 2e division, au Luxembourg ; la 4e division place de la Concorde, aux Tuileries et au Louvre. La 3e division occupa le Champ-de-Mars. L’artillerie et la cavalerie de réserve s’établirent aux Champs-Elysées. A chaque tête de pont et devant le jardin du Luxembourg, dans la cour des Tuileries, sur la place du Louvre, deux pièces de canon étaient en batterie, les servans tenant à la main écouvillons et boute-feu. C’était l’occupation militaire dans son effrayant appareil. Au défilé de l’ennemi et autour de ses bivouacs, pas un cri, pas un murmure ; des passans consternés, des regards mornes, un silence de tombeau. Boutiques fermées et logis clos, Paris était dans l’effroi, la stupeur et le deuil.

La présence des Prussiens dans la cour des Tuileries, à dix mètres de la salle des délibérations, donnait trop raison à Fouché. Tout était consommé. On n’avait plus qu’à s’en aller. Fouché rédigea un message où, pour alléger la responsabilité de la Commission, il attribuait le prochain retour du Roi à la volonté unanime et formelle des souverains alliés[10]. Ses collègues abattus se résignèrent à signer cette pièce dont le ton dégagé jurait impudemment avec l’humiliant aveu d’impéritie, d’aveuglement et d’impuissance qu’elle avait pour objet. Ce pitoyable testament, ou plutôt cette déclaration de faillite était ainsi conçue : « Jusqu’ici nous avions dû croire que les souverains alliés n’étaient point unanimes sur le choix du prince qui doit régner en France. Nos plénipotentiaires nous ont donné les mêmes assurances. Cependant les ministres et les généraux des puissances alliées ont déclaré hier, dans les conférences qu’ils ont eues avec le président de la Commission, que tous les souverains s’étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône[11] et qu’il doit faire ce soir ou demain son entrée dans la capitale. Les troupes étrangères viennent d’occuper les Tuileries. Dans cet état de choses, nous ne pouvons plus que faire des vœux pour la patrie, et, nos délibérations n’étant plus libres, nous croyons devoir nous séparer. »

Le message fut accueilli par la Chambre sans trouble, et sans émotion, du moins sans émotion apparente. Aucune voix ne s’éleva pour accuser Fouché, ni pour renouveler la proposition que l’assemblée se retirât sur la Loire au milieu de l’armée. On demanda l’ordre du jour, qui fut voté à l’unanimité. Manuel dit philosophiquement que : « tous avaient prévu ce qui arrivait et que la Commission exécutive s’était trouvée dans une position à ne pouvoir se défendre. » Il jugea cependant utile à sa réputation d’orateur et à son bon renom de citoyen d’ajouter cette déclaration emphatique : « — Quant à nous, nous devons compte à la patrie de tous nos instans, et, s’il le faut, des dernières gouttes de notre sang ! Il n’est pas si loin peut-être le moment qui nous rendra tous nos droits et consacrera la liberté publique. Ce moment, nous ne pouvons l’attendre qu’avec le calme et la dignité qui conviennent aux représentans d’un grand peuple… Achevez votre ouvrage (la Constitution) en continuant vos délibérations. Disons comme cet orateur célèbre dont la parole a retenti dans l’Europe entière : Nous sommes ici par la volonté du peuple ; nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes ! » La Chambre applaudit par quatre fois les vaines paroles du complice de Fouché ; après quoi, elle reprit tranquillement la discussion de l’Acte constitutionnel. Sur les six heures, Lanjuinais, estimant que la comédie avait assez duré (il était déjà tout converti à la cause royale), déclara la séance levée. Mais nombre de députés, grisés par la rhétorique de Manuel, aspiraient à manifester un héroïsme facile en se retirant sous la menace des baïonnettes. Ils protestèrent bruyamment : « — Vous avez toujours paralysé les dispositions de la Chambre ! — Vous ajournez l’assemblée à demain parce que vous pensez que demain la force nous défendra l’entrée de cette enceinte. — Restons en permanence ! — Il faut achever la Constitution ! — Continuons de délibérer ! — Attendons l’ennemi ! — L’histoire nous jugera… Le président prend une responsabilité terrible. » Indifférent à cette responsabilité terrible, Lanjuinais descendit du fauteuil et gagna la porte.

Dans la soirée, il fut annoncé au Roi que son entrée dans sa bonne ville de Paris pourrait se faire le lendemain après-midi. Comme il signait la nomination du général Dessolles au commandement de la garde nationale, en remplacement de Masséna, celui-ci sollicita une audience. Le prince d’Essling venait de Paris pour adjurer le Roi, au nom de la garde nationale, de maintenir le drapeau tricolore. Louis XVIII lui épargna l’embarras d’aborder la question. « Ces couleurs-là sont bien vieillies, » dit-il en désignant du doigt la cocarde qui ornait le chapeau du maréchal. « Ce sont celles qu’on porte à Paris, répondit résolument Masséna. Si Votre Majesté prenait le parti de les prendre pour rentrer dans sa capitale, elle serait très bien accueillie. » Le Roi frappa du pied : « Non ! non ! monsieur le maréchal. Je ne prendrai jamais les couleurs d’une nation rebelle. »

C’était l’opinion dominante dans l’entourage royal. Marmont déclarait que « ce serait se déshonorer. » Le Comte d’Artois disait : « J’aimerais mieux prendre de la boue et la mettre à mon chapeau. »


IV

Le 8 juillet au matin, le comte de Boisgelin, chef de la 10e légion, vint occuper le Palais-Bourbon avec un détachement de trente gardes nationaux. Il avait l’ordre d’en fermer grilles et portes, et d’en interdire l’entrée aux représentans. Quand il donna cette consigne, ses hommes se récrièrent. Il renvoya les plus mutins, raisonna les autres, et finit par leur faire crier : Vive le Roi ! Peu d’instans après, arrivèrent les députés au nombre d’une cinquantaine. Ils parlementèrent avec les factionnaires en déclinant leurs qualités. On leur répondit qu’il y avait ordre formel de ne laisser entrer personne. « Nous allons protester ! » s’écrièrent-ils. Et ils se rendirent aussitôt chez le président Lanjuinais, qui se fût très volontiers passé de cette visite (il s’en excusa dans une lettre à Talleyrand). Là, ils rédigèrent une sorte de procès-verbal constatant simplement qu’on leur avait refusé « les portes du lieu ordinaire de leur séance, » puis ils rentrèrent chacun chez soi[12]. Ainsi l’assemblée qui avait abattu l’Empereur était dispersée par un piquet de vingt-cinq gardes nationaux ! Cette misérable Chambre des Cent-Jours méritait une telle fin. Elle n’avait eu d’énergie que pour seconder l’étranger en désarmant de l’épée napoléonienne la France envahie. Ce coup d’Etat l’ayant mise en possession du pouvoir souverain, elle l’avait abandonné à des mains débiles ou traîtresses. Toujours ardente en paroles et toujours lâche à l’action, elle avait déclamé sans oser agir. Foncièrement hostile aux Bourbons, elle avait préparé leur retour par ses déclarations ambiguës et ses votes incohérens. Elle avait oublié la détresse nationale dans de stériles discussions sur une constitution mort-née. Dupe des promesses hypocrites des alliés, dupe des protestations mensongères de la Commission de gouvernement, dupe des grands mots et des phrases à effet des orateurs inféodés au duc d’Otrante, elle n’avait su rien voir, rien prévoir, rien empêcher. Enfin, après la capitulation de Paris, elle avait elle-même, par lassitude et par peur, proclamé honteusement sa déchéance en repoussant la proposition, digne d’une assemblée patriotique, de suivre l’armée vers la Loire.

Pendant une partie de la matinée, Paris resta dans l’ignorance du grand événement qui se préparait. Des rassemblemens, des discussions dans les groupes, quelques rixes, mais pas une cocarde blanche aux chapeaux, pas un drapeau blanc aux fenêtres. Vers dix ou onze heures, le Moniteur parut ; des extraits, décorés des armes royales, en furent affichés par les agens de la préfecture de police et colportés par les vendeurs ambulans. La feuille officielle, imprimée en caractères plus gros que de coutume, avait été rédigée sous la direction de Vitrolles. Peu de mots, pas de phrases ; des faits et des actes : « La Commission de gouvernement a fait connaître au Roi, par l’organe de son président, qu’elle venait de se dissoudre. — Les Chambres sont dissoutes. — Le Roi entrera à Paris vers trois heures après-midi. » En même temps, les drapeaux tricolores qui flottaient au faîte des monumens, aux Tuileries, aux Invalides, à l’Ecole Militaire, à l’Hôtel de Ville, sur les mairies et les ministères, furent remplacés par des drapeaux blancs. À cette vue, à ces nouvelles, les royalistes crient : « Vive le Roi ! » mettent leurs cocardes, agitent leurs mouchoirs, chantent Vive Henri IV, et des drapeaux blancs apparaissent aux croisées, aux balcons. Sous l’action toute-puissante du fait accompli, les indifférens, nombre de gens même qui, la veille encore, juraient par les trois couleurs, se montrent heureux du retour de Louis XVIII. Plus des trois quarts des gardes nationaux changent de cocarde, les uns avec joie, les autres sans trop de répugnance. Il n’y a stupeur, irritation, murmures que chez le populaire. Encore se contient-il. C’est seulement chez lui, dans les faubourgs, loin des bandes royalistes et des patrouilles prussiennes qu’il crie : « Vive l’Empereur ! Vive la nation ! » Trahi, livré, terrassé, le peuple de la Révolution abandonne Paris aux triomphateurs du jour. Le terrain est déblayé, Louis XVIII peut faire son entrée.

Dans la crainte de quelque manifestation offensante, Fouché avait fait conseiller au Roi de se rendre aux Tuileries par la rue de Clichy, la rue du Mont-Blanc et la place Vendôme[13]. Louis XVIII maintint avec hauteur l’itinéraire qu’il avait fixé : le faubourg Saint-Denis et les grands boulevards. Il estimait contraire à sa dignité de rentrer à Paris pour ainsi dire furtivement. Le sentiment était louable, bien qu’en réalité il eût peut-être été plus digne d’un roi de France de se refuser une entrée solennelle dans Paris occupé par l’ennemi. Louis XVIII partit à deux heures. En quittant la maison de la Légion d’honneur où il avait logé pendant son séjour à Saint-Denis, il fit remettre à la surintendante, Mme Dubouzet, des dragées et des sucreries pour les élèves. Il s’était fort amusé de l’attitude frondeuse et des petites mines colères de ces filles de soldats. C’est à peine si, à son arrivée, elles n’avaient pas crié : « Vive l’Empereur ! » et quand il avait très gentiment demandé une garde d’honneur de douze jeunes filles, pour remplacer ses gardes du corps, huit seulement sur plus de quatre cents s’étaient présentées ; les quatre autres avaient dû être désignées par la surintendante sous peine de sévère punition.

On se met en route. Quelques centaines de gardes nationaux, accourus à Saint-Denis pour acclamer le Roi les premiers, marchent en tête du cortège avec plus d’entrain que d’ordre, des lys dans les canons des fusils. Après les miliciens qui pressent le pas pour ne pas être bousculés par la cavalerie, s’avancent, les uns à cheval, d’autres à pied faute de monture, des gardes du corps, des gendarmes rouges, des grenadiers de La Rochejaquelein, des chevau-légers, des mousquetaires ; puis, en grand uniforme, les maréchaux Gouvion Saint-Cyr, Macdonald, Marmont, Oudinot, Victor, et les généraux retour de Gand, Maison, Reiset, Rochechouart, Bordessoulle, Beurnonville, « tous les héros sans peur et sans reproche, » selon l’expression du Journal des Débats. Le Comte d’Artois et le Duc de Berri chevauchent aux portières de la voiture royale, un vaste carrosse fermé, attelé de chevaux blancs, qu’escortent sabre au poing deux pelotons de gardes du corps. C’est ensuite, à perte de vue, une file de véhicules de toutes formes, cabriolets, fiacres, berlines, calèches, diligences, où s’entassent plus d’un millier de Parisiens et de Parisiennes arrivés à Saint-Denis depuis quelques heures. Des gardes nationaux, des bourgeois, des enfans et des femmes, des officiers et des soldats anglais en permission, toute une cohue disparate, cheminent couverts de sueur et de poussière sur les côtés de la route. Ce cortège pour une entrée triomphale donne l’impression d’un exode en désarroi.

Après une station à la grille de l’octroi où Chabrol, réinstallé le matin même à la préfecture de la Seine, harangue Louis XVIII, la colonne s’engouffre dans l’étroite rue du Faubourg Saint-Denis en criant : « Vive le Roi ! « D’abord ces cris ont peu d’écho. Les passans paraissent réfractaires à l’enthousiasme. Quand on débouche sur les boulevards où la garde nationale forme la haie, la foule, qui devient assez nombreuse, accueille le Roi par quelques acclamations. Elles se multiplient à mesure que le cortège avance vers la place Vendôme. On agite les mouchoirs ; en guise d’étendards royaux on pavoise avec des nappes et des serviettes. Aux abords des Tuileries, c’est un délire On crie, on chante, on s’embrasse, « on pleure de joie. » Dans le jardin, de belles dames en belles toilettes prennent par la taille des Anglais et des Prussiens et les entraînent à la danse. Elles valsent, elles polkent, elles font des rondes en chantant : Vive Henri IV ! et le refrain à la mode : Dieu nous rend notre Père de Gand ! et un bon royaliste s’écrie : « Les Parisiens sont comme le roi David ; ils dansent devant l’arche. » Le soir, la ville est illuminée, on a peine à circuler sur les boulevards en fête : les théâtres sont remplis. Sans penser à la cruelle ironie, le Moniteur ne craignit point d’imprimer le lendemain : « Les étrangers, témoins de ce beau spectacle, ont reconnu le caractère français sous ses traits véritables. » Le capitaine Mercer, de l’artillerie anglaise, nous jugeait moins sévèrement. Il écrivit dans son journal : « Je ne puis croire que des Français soient si heureux de leur défaite. »


V

Dès le lendemain, on déchanta. Le Roi était aux Tuileries, mais Paris était sous l’autorité prussienne. « — Moi et Wellington, disait Blücher, nous sommes les seuls maîtres. » Et il pensait qu’il était plus encore « le maître » que Wellington. Pour lui, le Roi n’existait pas. Quand Louis XVIII était rentré en pompe, la voiture royale avait dû passer dans la cour des Tuileries, transformée en bivouac, sur la paille et le fumier des chevaux d’artillerie. Les Prussiens n’avaient pas pris les armes, les factionnaires n’avaient même pas rendu les honneurs. Si les pionniers de Blücher eussent été plus diligens ou plus habiles, Louis XVIII aurait eu comme feu d’artifice, pour sa première soirée dans son palais, l’explosion du pont d’Iéna. Blücher trouvait que ce nom sonnait mal ; il avait donné l’ordre de faire sauter le pont. L’article 11 de la capitulation portait : « Les propriétés publiques seront respectées. » Mais Blücher y avait fait ajouter : « sauf celles qui ont rapport à la guerre. » Il y avait un Escobar en ce capitaine. Par cette cauteleuse restriction, il entendait rester libre de détruire tous les monumens dont le nom ou l’origine rappelait des victoires françaises : le pont d’Iéna, le pont d’Austerlitz, l’arc de triomphe du Carrousel, l’arc de triomphe de l’Etoile qui s’élevait déjà jusqu’à l’imposte, et la colonne de la Grande Armée.

Les travaux de mine avaient commencé le jour même de l’entrée des Prussiens. Talleyrand venu secrètement à Paris fut instruit de ces préparatifs. Il s’empressa d’écrire un billet au comte de Goltz, ministre de Prusse, qui le transmit à Blücher, à Saint-Cloud. Le vieux maréchal y fit cette réponse digne de mémoire : « Le pont sera détruit, et je souhaite que M. de Talleyrand vienne s’y installer préalablement. »

Il est présumable que Goltz ne communiqua point à Talleyrand la lettre de Blücher, mais il lui fit savoir le résultat négatif de la réclamation. Le lendemain, Talleyrand en instruisit le Roi. Celui-ci écrivit de sa main et donna à son ministre, pour en faire tel usage qui conviendrait, une lettre dont les derniers mots sont : « Quant à moi, s’il le faut, je me porterai sur le pont ; on me fera sauter si l’on veut[14]. » Belle parole, mais d’un héroïsme sans risques. Louis XVIII ne pensait en aucune façon à se faire porter sur le pont d’Iéna, et, l’engagement pris l’y obligeât-il, il savait bien que les Prussiens s’opposeraient à sa tentative. Cette lettre n’avait donc que la valeur d’une très noble protestation et non celle d’un acte.

Talleyrand, sans doute, montra l’autographe royal à Wellington[15], qui intervint auprès de Blücher à trois reprises, par écrit et verbalement, le 8 juillet dans la nuit, le 9 juillet dans la matinée et le 9 encore dans la soirée. Il représenta au feld-maréchal l’injustice, les inconvéniens, les dangers même de cette destruction, et le pria d’y surseoir au moins jusqu’à la décision des souverains qui allaient arriver. Mais Blücher ne voulait rien entendre. « Je ne puis changer ma résolution, écrivît-il. La destruction du pont d’Iéna est une affaire nationale. Je m’attirerais les reproches de la nation et de l’armée. » Sur le conseil de Bignon qui avait rédigé la capitulation de Paris, Talleyrand invoqua auprès du ministre de Prusse, Goltz, l’article 11 de cette convention[16]. Goltz n’osait prendre une décision de lui-même. Il différa de répondre à Talleyrand jusqu’à l’arrivée du roi Frédéric-Guillaume. Pendant ce temps, les Prussiens chargeaient les fourneaux de mines.

Le 10 juillet, on fit jouer successivement trois mines, mais ces explosions eurent pour tout résultat d’écorner un chapiteau, de fendiller quelques pierres du cintre et de renverser un sapeur dans la Seine. Sans se décourager, les pionniers établirent une mine sous une autre pile du pont[17]. Mais dans la journée arriva le roi de Prusse avec le Tsar et l’empereur d’Autriche[18]. Goltz soumit à son souverain la lettre de Talleyrand. Bien impressionné par les raisons qui y étaient exposées, Frédéric-Guillaume fit donner l’ordre à Blücher de cesser les travaux ; à mieux dire, il l’y fit inviter, car avec ce fougueux soldat, le roi de Prusse lui-même se sentait obligé à d’infinies précautions. Blücher résista encore, obstiné à sa fureur vengeresse. « L’honneur de l’armée prussienne, dit-il, commande cette représaille pour le viol du tombeau de Frédéric II. » Il fallut que le Tsar s’interposât à son tour et déclarât à son frère de Prusse sa ferme volonté de ne souffrir dans Paris la destruction d’aucun monument[19]. Le pont d’Iéna fut sauvé à la condition de perdre son nom ; il devint le pont des Invalides. Par attention pour le Tsar qui, lui, n’avait rien demandé, le même arrêté du préfet de la Seine donna au pont d’Austerlitz le nom de pont du Jardin du Roi.

Ce fut encore sur l’intervention de Wellington, de Castlereagh et, vraisemblablement aussi de l’empereur Alexandre, que Blücher dut renoncer à la contribution de cent millions dont il prétendait frapper la ville de Paris. Déjà il avait menacé de faire transporter en Prusse le préfet de police et un certain nombre de notables ; un officier occupait comme garnisaire l’hôtel du banquier Laffitte. On finit par faire entendre au vieux maréchal que la levée d’une si grosse taxe de guerre devait être préalablement soumise à l’examen des ministres alliés et que, en tout cas, tous les profits résultant d’opérations militaires entreprises en commun ne devaient point aller aux seuls Prussiens. C’est ce que Blücher, dans une lettre à sa femme, appelait « être martyrisé. » Il se consolait en faisant des dîners fins chez Very, et en jouant très gros jeu au n° 113 du Palais-Royal[20].

Ses soldats, qui ne peuvent s’offrir ces plaisirs coûteux, trouvent d’autres distractions. Ils forcent les portes du Muséum au Jardin des plantes, y saccagent tout et boivent l’alcool des bocaux contenant des pièces anatomiques. Rue Mouffetard, ils s’amusent à charger des ouvriers à coups de sabre et en blessent une dizaine. A la barrière Rochechouart, ils bâtonnent méthodiquement six individus. Aux barrières d’Ivry et d’Italie, ils contraignent les passans à donner leurs montres et leurs souliers. La nuit, quai Saint-Bernard, ils tuent un cocher. Aux faubourgs Saint-Jacques et Saint-Marceau, ils pillent les maisons, dévalisent les caves, volent des voitures et des chevaux et s’en retournent vendre linge, nippes, vivres et objets de toutes sortes à leur bivouac du Luxembourg, sous les yeux mêmes de leurs officiers. Dans la banlieue, c’est pire. Au sud de Paris, c’est le pillage continu ; au nord, où les villages ont été abandonnés à l’approche de l’ennemi, c’est la dévastation. Tour à tour, les Prussiens, les Belges, les Brunswickois, les Hanovriens ont passé là. A Garges, au Bourget, à Aubervilliers, à La Chapelle, on marche dans les rues sur une litière de linge en charpie, de vaisselle en miettes, de meubles en morceaux ; par les ouvertures béantes des maisons dont les portes et les fenêtres sont arrachées, on voit des chambres toutes vides, avec des glaces brisées et des tentures en lambeaux. Alentour, non loin de granges incendiées et d’amas de cendres, vestiges de meules brûlées, les chevaux anglais sont au piquet dans des champs de blé mûr.

Chabrol et Decazes se plaignent à Talleyrand qui réclame auprès des ministres alliés. Wellington lui-même déclare à Castlereagh qu’il est prudent d’arrêter les violences, le pillage et « la destruction pour le plaisir. » C’était peine perdue. Si les Anglais observent une certaine discipline, les Prussiens continuent leurs affreux exploits avec l’approbation de Blücher. « Ils n’ont fait que ça, dit-il gaiement ; ils auraient dû faire bien davantage ! »

Les soldats alliés ne sont pas les seuls à faire lourdement peser leur joug. Les royalistes ultras, émigrés à Gand et « émigrés à l’intérieur » prétendent aussi traiter Paris en ville prise d’assaut. Ils se veulent venger des bonapartistes, et ils englobent dans cette catégorie les libéraux, les constitutionnels, les indifférens, tous ceux qui ne partagent point leurs opinions exaltées. Dès Arnouville, les gardes du corps ont montré leur frénésie par d’odieuses violences contre le général de Lagrange, capitaine des mousquetaires gris, coupable à leurs yeux de n’avoir pas suivi le Roi à Gand ; ils l’ont insulté, frappé, lui qui est amputé d’un bras ; ils lui ont arraché son épée, ses croix, ses épaulettes. Le soir du retour du Roi, le 8 juillet, ils saccagent le café Montansier, au Palais-Royal, en criant : « Vive le Roi ! Vive la paix ! A bas les jacobins ! A bas le boucher ! A bas les buveurs de sang ! » Le lendemain, à l’Ambigu, ils sifflent un acteur qui leur est désigné comme s’étant battu avec une valeur particulière à la défense d’Aubervilliers sous l’uniforme de tirailleur fédéré ; ils prétendent le forcer à se mettre à genoux et à demander pardon d’avoir tiré sur les alliés du Roi. Le 10 juillet, les royalistes s’en prennent à Mlle Mars, qui, pendant les Gent-Jours, paraissait dans tous ses rôles avec des violettes à la main ou au corsage. Quand elle entre en scène, on l’accueille avec des huées et des sifflets, et, sur l’ordre du public, elle doit crier : « Vive le Roi ! » Quelques minutes après, le vers de Mme Pernelle à Elmire :


Votre conduite en tout est tout à fait mauvaise


provoque des applaudissemens outrageans. Derechef on veut forcer l’actrice à crier : « Vive le Roi ! » Elle s’y refuse, proteste qu’elle l’a déjà fait. Le tumulte s’accroît ; on crie, on brandit les tabourets, on brise les banquettes. Mlle Mars cède, et revient à la réplique en dévorant ses larmes. Pour le surlendemain, on prépare contre elle une nouvelle cabale. Mais, à son entrée en scène, toute la salle se lève et l’applaudit cinq minutes de suite. Cette ovation ardente et résolue impose aux manifestans.

Après la guerre aux violettes, la chasse aux œillets rouges, cette fleur passant à tort ou à raison pour un nouvel emblème napoléonien. Les gardes nationaux de service ont l’ordre d’inviter les promeneurs qui portent des œillets à les jeter à l’instant sous peine d’arrestation. Du moins, ils exécutent poliment leur consigne ; mais les gardes du corps font cette police-là, dont ils ne sont nullement chargés, avec une brutalité de goujats, arrachant rudement les fleurs séditieuses, ou prétendues telles, de la boutonnière des hommes et du corsage des femmes. S’ils aperçoivent un pot d’œillets à quelque fenêtre, ils entrent dans la maison, montent l’escalier, forcent l’huis et jettent les fleurs par la fenêtre en menaçant les gens de leur faire prendre le même chemin. Chaque jour, dans les cafés, les spectacles, les promenades, ce sont des querelles, des duels, des rixes, des batailles. Quand la garde nationale intervient, les soldats du Roi la chargent à coups d’épée, comme au bon vieux temps où l’on rossait le guet. Dans une seule de ces échauffourées, six miliciens sont blessés. Le mécontentement contre les gardes du corps, gardes de la Porte, gendarmes rouges, chevau-légers et autres mousquetaires devient si grand qu’un rapport de police attribue une légère hausse de la rente au bruit que le Roi va supprimer sa Maison militaire.

Le poids odieux de l’occupation étrangère et les provocations vexatoires des gardes du corps ont pour effet immédiat de refroidir l’enthousiasme royaliste que Paris a montré ou paru montrer pendant les premiers jours. Louis XVIII serait encore à Gand que les alliés n’en seraient pas moins à Paris, mais la coïncidence de ces deux faits : l’entrée de l’ennemi, la rentrée du Roi, frappe l’esprit et impose au raisonnement. Ceux des Parisiens qui étaient le mieux disposés pour Louis XVIII trouvent que le plaisir de savoir le Roi aux Tuileries est chèrement payé par l’embarras, l’humiliation et le danger de loger chez soi un, deux, trois, jusqu’à dix soldats ennemis, de subvenir à leur nourriture à raison de cinquante sous par homme, et de vivre jour et nuit sous le tranchant du sabre. Dès le 12 juillet, les rapports de police mentionnent que le nombre des cocardes blanches diminue beaucoup à la suite des excès des troupes alliées. « Notre bon Roi, dit-on, aurait mieux fait de rester en Flandre que de faire venir des esclaves du Nord pour asservir la nation française. » Des jeunes gens répondent à des mendians : « — Allez trouver votre bon Roi. Les Prussiens ne nous ont rien laissé. » Aux Tuileries, on intercepte cette lettre d’une femme à Louis XVIII : « Notre Roi très chrétien qui va à la messe tous les jours nous amène ses compagnons de voyage, les Prussiens et les Cosaques, pour coucher avec nous. » On colporte des caricatures où le Roi est figuré, les pieds dans un baquet de sang, entre un Anglais et un Prussien. Au faubourg Saint-Marceau, le 19 juillet, on promène de cabaret en cabaret un cochon avec une fleur de lys sous la queue et l’on boit « à la santé du gros papa. »

En moins de quinze jours, du 10 au 23 juillet, le tribunal correctionnel prononce quarante-cinq condamnations pour paroles ou manifestations séditieuses. Cris de : Vive l’Empereur ! ou de : A bas le Roi ! quinze jours de prison ; port d’un œillet rouge : deux jours ; avoir chanté la Marseillaise : quinze jours ; ne s’être pas découvert sur le passage du Roi : quatre jours ; avoir crié : A bas les gardes du corps ! huit jours ; avoir dit que Bonaparte est à l’armée de la Loire : un mois. Une femme du peuple dit que si elle avait des Prussiens à loger chez elle, elle les empoisonnerait : huit jours de prison.

Paris opprimé ne se borne pas à fronder ; il s’emporte, il se défend, il attaque. Les cavaliers de la Maison du Roi ne peuvent se montrer isolément sans être hués et souvent assaillis. Un soir, à la Gaîté, deux gardes du corps s’enfuient par les derrières du théâtre. Telle est l’exaspération contre eux qu’il leur est donné, bien inutilement, car ils se font un point d’honneur de n’y point obéir, l’ordre secret de ne plus porter leur uniforme en dehors du service, afin de ne point provoquer de troubles. A toute heure, en maint endroit, il y a des rixes, parfois sanglantes, entre les habitans et les soldats alliés. Le jour, ceux-ci finissent par avoir le dessus, car ils sont armés et leurs patrouilles les secourent. Mais la nuit, on se venge. Malheur au soldat ivre qui se hasarde sur les quais déserts ! Le lendemain on repêche son cadavre dans la Seine. Wellington s’alarme : « Nous entrons dans une phase très critique, écrit-il à Castlereagh ; nous pouvons compter que, si un seul coup de fusil est tiré dans Paris, tout le pays se lèvera en masse contre nous. »


HENRY HOUSSAYE.

  1. Documens des Archives nationales, des Archives de la Guerre et des Archives des Affaires étrangères, Papiers de Carnot, Mémoires inédits, Correspondances et Mémoires des contemporains.
  2. Macirone apporta aussi une note qui lui avait été dictée par Talleyrand, présent à son entretien avec Wellington. Dans cette note, Talleyrand déclarait que le Roi accorderait l’ancienne charte, y compris l’abolition de la confiscation, l’appel immédiat des collèges électoraux pour la formation d’une nouvelle Chambre, l’unité du ministère, l’initiative réciproque des lois par message du Roi et par proposition des Chambres. Mais Talleyrand ne disait rien d’une amnistie ni du drapeau tricolore.
  3. Tous les gens qui poussèrent le Roi à prendre Fouché comme ministre s’en défendent à l’envi dans leurs Mémoires, — Talleyrand lui-même ; — mais chacun d’eux en accuse formellement les autres.
  4. Beugnot ajoute que le Roi dit : « — Ah ! mon malheureux frère, si vous me voyez, vous m’avez pardonné ! » C’est possible, mais il semble que le Roi jouait la comédie. La sensibilité de Louis XVIII et son souvenir attendri de Louis XVI inspirent des doutes.
  5. Étrange façon de rapporter les choses ! La vérité, c’est que dans leur mission, La Fayette et ses collègues n’avaient obtenu aucun engagement, aucune promesse, aucune déclaration de nature à les renseigner, sauf celle-ci, qu’il n’y aurait point de paix si Napoléon n’était pas livré aux alliés. Promenés de quartiers généraux en quartiers généraux, les plénipotentiaires avaient fini par joindre celui des souverains, à Haguenau, dans la matinée du 30 juin. Les ministres alliés refusèrent de les recevoir. Ils consentirent seulement à les faire entendre par une commission composée de Walmöden, de Capo d’Istria, de Knesebeck et de lord Steewart. Deux conférences furent tenues dans la journée. Aux ouvertures de La Fayette et de La Forest sur la conclusion d’un armistice qui donnât le temps de traiter des conditions de la paix et pendant lequel la Chambre pût choisir librement le nouveau souverain de la France, Steewart répondit insolemment : « — Quel droit une pareille assemblée peut-elle avoir de déposer et de choisir des rois ? » Les trois autres commissaires ne soufflaient pas mot ; ils semblaient laisser à Steewart, le seul qui n’eût point de pouvoirs réguliers, la tâche de répondre aux plénipotentiaires français. A un moment pourtant, Capo d’Istria ayant paru approuver ces paroles de Sébastiani : « Nous sommes prêts à demander de nouveaux pouvoirs, nous écouterons même vos conseils : le peuple français ne demande que paix et amitié avec les nations voisines…, » Steewart se leva brusquement. « Messieurs, s’écria-t-il, si vous traitez avec ces Français, ce sera sans l’Angleterre, car je déclare que je n’en ai pas le pouvoir. » Le lendemain, les plénipotentiaires furent congédiés. Un piquet de cavalerie les escorta jusqu’à Bâle, d’où ils rentrèrent à Paris. Avant leur départ, les ministres alliés leur avaient fait remettre cette déclaration : « D’après le traité d’alliance qui porte qu’aucune des parties contractantes ne pourra traiter de paix ou d’armistice que d’un commun consentement, les trois cours qui se trouvent réunies déclarent ne pouvoir entrer dans aucune négociation. Les cabinets se réuniront aussitôt qu’il sera possible. »
  6. La lettre que Fouché soumit ce soir-là à Louis XVIII était post-datée : 7 juillet, et était censée adressée au Roi par le duc d’Otrante comme président et au nom de la Commission de gouvernement. Après ce préambule : « La réponse de Votre Majesté ne laisse plus aux membres du gouvernement d’autre devoir à remplir que celui de se séparer, » Fouché, prenait la parole personnellement et, « pour l’acquit de sa conscience, » exposait les sentimens des Français, leur attachement à leurs droits, leur passion pour la liberté. Il faisait ensuite le procès de la première Restauration en en attribuant toutes les fautes au parti de la Cour. « Tout le monde sait que ce ne sont ni les lumières ni l’expérience qui manquent à Votre Majesté. Elle connaît la France et son siècle, elle connait le pouvoir de l’opinion, mais sa bonté lui a trop souvent fait écouter les conseils de ceux qui l’ont suivie dans l’adversité. » Il concluait ainsi, reprenant la parole au nom de la Commission : « Nous vous en conjurons, Sire, daignez cette fois ne consulter que votre propre justice et vos lumières… »
    Cette lettre où les formes courtisanesques tempéraient la hardiesse des conseils était fort habile. D’une part, elle satisfaisait Louis XVIII en témoignant la soumission de plein gré du gouvernement de fait au gouvernement de droit et en constatant implicitement que les Alliés n’étaient point intervenus dans cette transmission du pouvoir. D’autre part, elle devait excuser aux yeux des libéraux la nouvelle volte-face de Fouché. S’il devenait ministre du Roi, il ne semblait point renoncer pour cela aux principes constitutionnels ; c’était même dans le dessein de les faire triompher qu’il acceptait un ministère. Enfin (car même lorsqu’il s’agit de Fouché, il ne faut pas faire l’homme pire qu’il n’est), le duc d’Otrante pouvait espérer que ses conseils feraient en un pareil moment quelque impression sur Louis XVIII et le détourneraient plus ou moins de l’esprit de réaction. C’était l’intérêt du pays, de la monarchie, et par conséquent de Fouché lui-même puisqu’il était ministre du Roi.
    Fouché ne parla pas à ses collègues de cette lettre qu’ils étaient censés avoir écrite. Mais il fit insérer à leur insu dans le Moniteur du 8 juillet, une note ainsi conçue : « La Commission de gouvernement a fait connaître au Roi, par l’organe de son président, qu’elle venait de se dissoudre. » (Cette publication motiva une réclamation des membres de la commission (à Fouché, 8 juillet. Papiers de Carnot), qui resta non avenue.) La lettre même ne fut pas publiée, mais il en circula clandestinement des copies qui produisirent sur l’opinion l’effet cherché par le duc d’Otrante. Le texte qui en est donné dans le Supplementary Dispatches of Wellington (X, 669) ne semble pas être celui qui fut soumis au Roi le 6 juillet. Il est probable que, le 7 juillet, Manuel revit cette lettre et la modifia dans un sens plus énergique.
    La vive irritation de Wellington, de Pozzo, et du parti royaliste contre Fouché eut pour cause non point, comme on l’a dit, sa lettre au Roi, mais son message du 7 juillet aux Chambres dont il sera parlé plus loin.
  7. Le seul qui ne signa point fut le chef de la 10e légion, Alexandre de Boisgelin. C’est lui que Dessolies allait, en conséquence, désigner pour interdire aux députés l’entrée du Palais législatif (Boisgelin à Fouché, 8 juillet. Arch. nat. F. 7, 3153).
  8. Depuis le 23 juin, des royalistes pensaient à faire un mouvement dans Paris. On envahirait la Chambre, on arrêterait les membres du gouvernement provisoire, et on constituerait une Commission de gouvernement qui proclamerait Louis XVIII. Vitrolles, plus confiant dans les intrigues de Fouché que dans les armes des royalistes, combattit à maintes reprises ces projets chimériques.
  9. Seules les troupes de Zieten occupèrent Paris le 7 juillet. Le corps de Thielmann y entra le 8 juillet, ainsi qu’une partie de l’armée anglaise, et le corps de Bülow le 9. Thielmann et Bülow ne firent en quelque sorte que traverser la ville, car ils repartirent, celui-là le 9, et celui-ci le 12, pour suivre l’armée française vers la Loire. Le corps de Zieten ne bougea pas jusqu’au 22 juillet, jour où il fut remplacé à Paris par la garde royale prussienne, qui avait quitté Francfort seulement à la fin de juin. — Les Prussiens, et plus tard les Autrichiens et les Russes, furent logés chez l’habitant. Les Anglais, à l’exception de quelques détachemens, bivouaquèrent au bois de Boulogne.
  10. Cette déclaration était inexacte en plusieurs points : 1° les porte-paroles des souverains, Wellington, Pozzo, Stuart, avaient exprimé l’avis que le meilleur parti pour la France serait de rappeler Louis XVIII, qu’autrement l’Europe serait dans l’obligation de prendre des garanties territoriales. Mais ils n’avaient point intimé l’ordre de proclamer le Roi ; 2° Fouché et Davout par leurs intrigues avaient beaucoup aidé au vœu des souverains. Ces intrigues étaient parfaitement connues de la Commission de gouvernement ; elle s’y était prêtée plusieurs fois ; elle en était complice.
  11. Fouché altérait gravement les paroles de Wellington sinon dans l’esprit, du moins dans la lettre. Celui-ci s’en montra fort irrité, car en lui attribuant publiquement un pareil langage, le duc d’Otrante le compromettait aux yeux du gouvernement anglais qui avait plusieurs fois déclaré que la guerre n’était point faite pour Louis XVIII. Les royalistes ne furent pas moins surpris ni moins mécontens. Il avait été promis par Fouché que la Commission de gouvernement transmettrait le pouvoir au Roi comme agissant de son plein gré. Au lieu de cela, elle déclarait dans son message agir à regret et sous la pression des puissances. « Rien, dit Pozzo, ne pouvait être plus funeste au service et à la personne du Roi. » Fouché s’excusa en disant qu’il fallait avant tout faire signer le message à ses collègues du gouvernement et qu’il n’y avait moyen de les y déterminer qu’en le rédigeant de cette façon-là.
  12. La veille, la Chambre des pairs s’était séparée sans la moindre opposition, après avoir entendu le dernier message du gouvernement et appris qu’un détachement prussien venait d’occuper le jardin et les cours du Luxembourg.
  13. Les royalistes ultras ont plus tard accusé Fouché d’avoir donné ce conseil « afin d’envelopper le Roi dans un nuage de craintes vagues dont lui seul était capable de le préserver. » C’est inexact. La lettre de Fouché à Wellington du 8 juillet (Supplementary Dispatches, XI, 16) témoigne qu’il redoutait quelque manifestation hostile sur le passage du Roi. De danger d’attentat ou de sédition, il n’y avait point, le cortège devant être nombreux et la garde nationale sous les armes, et les Prussiens occupant la ville ; mais on pouvait prévoir des clameurs, des huées, des insultes.
  14. Louis XVIII à Talleyrand, samedi (8 juillet dix heures du soir), lettre entièrement autographe reproduite en fac-similé dans les Mémoires de Talleyrand, I, 32.
    Cette lettre ou plutôt la phrase essentielle de cette lettre (car la lettre même n’est connue que depuis la publication des Mémoires de Talleyrand), a suscité des controverses. Des historiens l’ont niée. Selon Beugnot, c’est lui-même qui suggéra à Talleyrand de dire que le Roi irait plutôt se placer sur le pont ; mais Talleyrand ne goûta point d’abord l’avis, et ce fut seulement quand l’affaire fut terminée qu’il s’avisa d’attribuer le mot à Louis XVIII, lequel en accepta l’honneur sans aucun scrupule.
    Désormais on ne saurait plus douter que la lettre ait été écrite. Peut-on admettre qu’elle l’a été après coup, pour donner corps à la légende qui se créait sur « l’héroïsme de Louis XVIII ? » A première vue, le texte des Mémoires de Talleyrand où elle est datée, par erreur de l’éditeur sans doute, samedi 15 juillet, le donnerait à croire. Mais l’hypothèse est hasardeuse. Il n’est guère possible qu’un roi de France ait commis, de gaité de cœur, cette espèce de faux. En fait, quel intérêt Louis XVIII y aurait-il eu puisque cette lettre ne fut point publiée et resta enfouie soixante-dix ans dans les papiers de Talleyrand ? Ce qui pourtant déconcerte un peu, c’est que, s’il est question des paroles du Roi dans les journaux et les écrits du temps et dans les Mémoires des contemporains, il n’y est pas fait la moindre allusion dans les lettres échangées ces jours-là entre Talleyrand, Wellington, Blücher, Goltz. — Quoi qu’il en soit, il n’est pas vrai de dire que la lettre du Roi sauva le pont d’Iéna, puisque cette lettre fut écrite le 8 juillet et que les travaux de mine continuèrent jusque dans la nuit du 10 au 11 juillet.
  15. C’est du moins très supposable, car puisque la lettre avait été écrite, c’était apparemment pour que l’on en fit usage. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, dans les lettres relatives au pont d’Iéna il n’est fait aucune mention du billet de Louis XVIII. Wellington dit seulement dans une de ses lettres à Blücher : « La destruction du pont d’Iéna est infiniment désagréable au Roi. »
  16. Talleyrand à Goltz. Paris, 9 juillet (Arch. Affaires étrangères, 691).
    Cette lettre avait été minutée par Bignon. En même temps, les commissaires français pour l’armistice adressaient aux commissaires alliés une note dénonçant le projet de faire sauter le pont d’Iéna comme une violation de l’article XI (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 22).
  17. Rapport de l’inspecteur Paques à Fouché, 10 juillet (Arch. nat., F. 7, 31533. Rapport à Carnot, 11 juillet (Papiers de Carnot). — Les travaux cessèrent seulement dans la nuit du 10 au 11 juillet ; ils ne furent point repris.
  18. De Haguenau où ils étaient arrivés le 30 juin, les trois souverains étaient venus à Paris à petites journées. Ils avaient dû marcher militairement, car il fallait qu’ils se gardassent contre les nombreux corps francs qui guerroyaient en Alsace et en Lorraine et dont l’un d’eux, fort de 1 500 hommes, faillit les enlever, le 4 juillet, aux environs de Sarrebourg. Jusqu’aux confins de la Lorraine, les souverains marchèrent avec tout le IVe corps russe. Ils furent ensuite escortés par de la cavalerie bavaroise, puis par de la cavalerie anglaise.
    À Paris, le Tsar fut logé à l’Elysée, le roi de Prusse à l’hôtel du prince Eugène, l’empereur d’Autriche à l’hôtel du prince de Wagram (Fagel au roi des Pays-Bas, Paris, 11 juillet, Revue d’histoire diplomatique, X, 35).
  19. Goltz à Talleyrand, 10 juillet (Arch. Affaires étrangères, 691). Rapport à Carnot, 11 et 12 juillet (Papiers de Carnot). Journal manuscrit de Lechat. Mémoires manuscrits de Davout. Cf. Rochechouart, Mém., 407-408.
    Selon Rochechouart, le Tsar aurait dit à Frédéric-Guillaume : « J’irai de ma personne me placer sur le pont et je verrai si l’on aura l’audace de le faire sauter. » Le Tsar avait-il donc lu la lettre du Roi et y prit-il à son compte la phrase finale ? ou Rochechouart attribue-t-il à Alexandre le mot de Louis XVIII que ces jours-là on répétait avec admiration dans les cercles royalistes ?
  20. Blücher, cependant, voulut marquer son mécontentement en s’abstenant de venir s’installer officiellement à Paris près de son souverain et autres « gros messieurs » (grossen Herren). Il n’y avait qu’un pied-à-terre et resta à Saint-Cloud « dans le plus beau des châteaux, » écrivait-il à sa femme (Blücher in Briefen, 162).