Le Parnasse contemporain/1866/Le Retour de l’ennemi
Je ne pensais à rien, pas même à mon remords.
Allongé dans mon lit, je savourais l’absence
Des rêves que le jour contre mon impuissance
Lâche, comme un cheval à qui l’on ôte un mors.
Ils laissaient reposer, enfin ! ma plaie intime,
Car le soleil, au fond des couchants violets,
Avait en s’en allant tiré dans ses filets
Tous ces vampires las de sucer leur victime.
Avec un frôlement onduleux d’encensoir,
L’ombre, l’ombre adorée épaississait ses voiles,
Et contre le regard lancinant des étoiles,
La nuit m’enveloppait comme un bouclier noir.
Effleurant le parquet de leurs robes obscures,
Les ténèbres allaient et venaient, douces sœurs,
Qui, sur les miroirs pleins de luisantes noirceurs,
Couche à couche, sans bruit, suspendaient leurs tentures.
Et moi, dont la clarté ramène les bourreaux,
Avec l’or triomphant des couleurs ennemies,
Sombre, j’étais heureux du bonheur des momies,
Lorsque je vis monter la lune à mes carreaux.
Ah ! ce n’était pas l’astre au sourire d’opale
Qui dans l’ombre des lacs glisse des lames d’or,
Donne un baiser céleste à la terre qui dort,
Et fait neiger des lys à travers l’azur pâle.
Non, par un trou du ciel qu’elle avait déchiré,
Une lune d’acier, froide, farouche, hostile,
Sortit comme un fantôme au bout d’un péristyle,
Et darda dans ma chambre un rayon acéré.
Je crus voir éclater l’éclair de mille glaives !
Renversant ma persienne en squelette au plafond,
Elle arriva sur moi comme un aigle qui fond,
Horreur ! et son regard était plein de mes rêves !