Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/Le Renard ayant la queue coupée

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V.Le Renard ayant la queuë coupée.



UN vieux Renard, mais des plus fins
Grand croqueur de Poulets, grand preneur de Lapins ;
Sentant ſon Renard d’une lieuë,
Fut enfin au piege attrapé.

Par grand hazard en eſtant échapé,
Non pas franc, car pour gage il y laiſſa ſa queuë :
S’eſtant, dis-je, ſauvé ſans queuë & tout honteux ;
Pour avoir des pareils, (comme il eſtoit habile)
Un jour que les Renards tenoient conſeil entr’eux :
Que faiſons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les ſentiers fangeux ?
Que nous ſert cette queuë ? il faut qu’on ſe la coupe.
Si l’on me croit, chacun s’y reſoudra.
Votre avis eſt fort bon, dit quelqu’un de la troupe ;
Mais tournez-vous, de grace, & l’on vous répondra.

A ces mots il ſe fit une telle huée,
Que le pauvre écourté ne put eſtre entendu.
Pretendre oſter la queuë euſt eſté temps perdu ;
La mode en fut continuée.