Le Renard, les Mouches, et le Hérisson


Fables choisies, mises en versClaude BarbinLivre xii (p. 63-65).

FABLE XIII.

Le Renard, les Mouches, & le Heriſſon.

Aux traces de ſon ſang, un vieux hôte des bois,
Renard fin, ſubtil, & matois,
Bleſſé par des Chaſſeurs, & tombé dans la fange,
Autrefois attira ce Paraſite aîlé

Que nous avons Mouche appellé.
Il accuſoit les Dieux, & trouvoit fort étrange
Que le ſort à tel poinct le voulût affliger,
Et le fiſt aux Mouches manger.
Quoi ! ſe jetter ſur moi, ſur moi le plus habile
De tous les Hôtes des Forêts ?
Depuis quand les Renards ſont-ils un ſi bon mets ?
Et que me ſert ma queuë ; eſt-ce un poids inutile ?
Va, le Ciel te confonde, animal importun ;
Que ne vis-tu ſur le commun !
Un Heriſſon du voiſinage,
Dans mes Vers nouveau perſonnage,
Voulut le délivrer de l’importunité
Du Peuple plein d’avidité.
Je les vais de mes dards enfiler par centaines,

Voiſin Renard, dit-il, & terminer tes peines.
Garde-t’en bien, dit l’autre ; ami ne le fais pas :
Laiſſe-les, je te prie, achever leurs repas.
Ces animaux ſont ſaouls ; une troupe nouvelle
Viendroit fondre ſur moi, plus âpre & plus cruelle.
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas :
Ceux-ci ſont Courtiſans, ceux-là ſont Magiſtrats.
Ariſtote appliquoit cet Apologue aux Hommes.
Les exemples en ſont communs,
Surtout au païs où nous ſommes.
Plus telles gens ſont pleins, moins ils ſont importuns.