Le Rêve d’une reine d’Asie

Le Rêve d’une reine d’Asie
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 32 (p. 486-496).
LE
REVE D'UNE REINE D'ASIE


I.


C’est l’heure où le soleil, teignant d’or le ciel bleu,
De ses traits acérés fend la terre et le marbre ;
L’heure où, sous le feuillage environné de feu,
L’ombre qui se replie expire au pied de l’arbre.

Le grand aigle ébloui détourne ses yeux bruns ;
L’immobile serpent cache ses nœuds de cuivre ;
Près du tigre engourdi par les acres parfums,
La gazelle et le cerf peuvent dormir et vivre.

C’est l’heure du sommeil. En un secret séjour
Où l’air est humecté d’un jet d’eau qui l’arrose,
Où des rideaux épais amollissent le jour,
Une reine d’Asie indolemment repose.

Le plumage aux cent yeux de l’éventail ailé,
Plein d’un vent rafraîchi, sur son front se balance,
Et pourtant son sommeil est inquiet, troublé.
Quelques mots dits tout bas volent dans le silence :

— Regardez : quel nuage a traversé son front ?
— L’ombre de l’éventail qui se lève et s’incline ?
— Sur sa bouche un moment l’haleine s’interrompt,
Et fait à flots pressés onduler sa poitrine !

— C’est que ton bras s’arrête, et qu’un air moins léger,
Un air chargé de feu, jusqu’à son lit pénètre ;

La reine, impérieuse et prompte à se venger,
D’un importun réveil t’accusera peut-être ! —

Belle au mâle regard, au charme féminin,
L’esclave à l’éventail, silencieuse et fière,
À ces propos trempés dans un jaloux venin,
De la plume opposait la brise régulière,

Et d’adoration son œil enveloppait
L’enfant qui s’agitait sur la royale couche.
Tout le groupe, saisi de crainte et de respect,
Attendait immobile et le doigt sur la bouche.

La reine enfin s’éveille, et, dressée à demi,
Cherche partout en vain un spectre qui s’envole.
’harmonie et la paix auprès d’elle ont dormi,
Et l’esclave à ses pieds s’empresse et la console.

L’esclave dit : « Maîtresse, il faut dormir encor. »
Mais la petite reine a secoué la tête.
« Te plaît-il de jouer avec ces colliers d’or
Où sur le diamant le rubis se reflète ?

« Veux-tu que ton jongleur fascine tes serpens ?
Veux-tu que ton poète ou ton fou te harangue ?
Nous pourrions caresser le col vert de tes paons ;
Leur cri te déplaisait, mais ils n’ont plus de langue. »

La reine l’écoutait, et ne répondait rien.
L’esclave dit : « Faut-il appeler à la danse
Une fille du Gange au pas aérien ?
Celles-ci, par leur chant, marqueront la cadence.

« Viens dépouiller ton voile et tromper la chaleur
Parmi les lotus bleus dans tes bains solitaires.
Ton corps est fatigué. L’eau ranime la fleur ;
Nous mêlerons à l’eau des baumes salutaires. »

Art perdu ! vains efforts ! la belle enfant songeait,
Sourde au babil flatteur de l’esclave surprise,
Et son front, accablé par quelque grave objet,
Pliait comme la fleur que la chaleur épuise.

« Maîtresse, parle-moi. Quel malaise envahit
Ces lèvres qu’habitaient le sourire et la joie ?
Celle à qui chaque jour le plaisir obéit
D’impossibles désirs peut-elle être la proie ? »

La reine faiblement laissa tomber ces mots :
« Que l’on m’aille chercher mes conseillers, mes sages !

Peut-être de mon cœur ils guériront les maux. »
On court, et la stupeur règne sur les visages.

Cependant les vieillards, curieux et touchés
D’être admis à cette heure en ce séjour pudique,
Prennent, adorateurs jusqu’à terre penchés,
Les carreaux que du doigt la reine leur indique.

« Esclaves, laissez-nous. » Et vers le seuil ouvert,
Qui laisse voir le ciel, les pelouses prochaines
Où rit la liberté dans un horizon vert,
Elles vont ; leur essor allégera leurs chaînes.

Seule, ardente, inquiète, et se tournant parfois,
La favorite, lente à suivre ses compagnes,
Préfère l’éventail à la brise des bois,
Et le riche tapis à l’herbe des campagnes.

Elle en veut aux vieillards, mornes sur leurs carreaux.
La reine, que son œil environne de flammes,
N’ose la renvoyer. Sa taille est d’un héros ;
Sa démarche est d’un roi caché parmi des femmes ;

Et son poing sur sa hanche, avec un noble orgueil,
Cherche pour s’appuyer le pommeau d’une épée.
L’esclave ne veut pas sortir, et près du seuil
Un rideau la dérobe à la reine trompée.

Quelle est cette figure aux traits mâles et doux ?
Son pays ? On l’ignore. Et l’âge ? On ne sait guère.
Impassibles vieillards, que ne regardez-vous ?
Croyez-vous que ce soit une esclave vulgaire ?


II.


Devant le conseil solennel
L’enfant tremble ; elle a peur que son rêve n’attire
Sur leur bouche un vague sourire,
Voile du dédain paternel.
Puis elle a honte aussi d’invoquer l’anathème
Contre des fantômes sans corps,
Hôtes qu’elle craint et qu’elle aime.
Parler ? se taire ? — Enfin, lasse de vains efforts,
Elle parle à voix basse, esprit qu’un faux remords
Contraint à se livrer lui-même !

« Le pavé de la chambre était jonché de fleurs
Qui tombaient de ce vase où vous voyez des roses.

Sans que rien altérât l’éclat de leurs couleurs,
Elles tombaient à peine écloses. »

L’attention rida les figures moroses.

« Les feuilles que le vent jette au front de l’hiver
Tombent moins brusquement que ces roses sans nombre,
Et cependant un souffle à peine errait dans l’air
Où le jour tiède embrassait l’ombre. »

Un murmure courut dans l’auditoire sombre.

« Sur de riches coussins une fille de roi
D’un jeune homme accueillait la parole empressée.
Il fléchit le genou ; l’enfant rougit. Pourquoi ?
Sans doute elle était courroucée. »

 — Comme le sommeil trouble une jeune pensée !

« Mais la belle frissonne et sourit tristement.
Ses yeux changent de teinte, inconstantes opales ;
Elle voulait parler, mais un tressaillement
Errait seul sur ses lèvres pâles ! »

 — Adieu, lèvres et fleurs, éphémères rivales !

« A défaut de parole, elle tendit la main,
Et ce fut tout ; l’enfant n’était plus assez forte ;
Son bras semblait de marbre et restait en chemin.
La vierge aux roses était morte. »

 — Amis, il faut veiller, la mort frappe à la porte.

« Le jeune homme se lève, et dans ses bras soudain
Il emporte le corps dont la tête retombe,
Puis il l’ensevelit dans un secret jardin,
Où des roses jonchent la tombe. »

 — Que la tombe est un nid solitaire, ô colombe !

« Que m’importait ce roi, ce jeune homme à genoux ?
Sais-je ce qu’il disait ? Pourtant, comme une abeille
Dont l’aile folle aux fleurs donne de légers coups,
Sa voix ébranlait mon oreille. »

 — Instinct ! pressentiment qui dans ce cœur sommeille !

« Ce couple, sans témoin, dans la chambre était seul ;
Pourtant dans leur douleur j’étais comme trempée,
Et dans ce lit fatal qui se change en linceul
Je me sentais enveloppée ! »

 

— Amis, fasse le ciel qu’elle se soit trompée !

« Lorsque la vierge pâle au tombeau descendit,
J’eus froid ; je m’éveillai sous le poids de la terre !
Parlez, révélez-moi tout ce que me prédit
Votre hésitation austère. »

Les vieillards murmuraient : « Essayons de nous taire. »

« Reine, dit l’un, le ciel te donne de longs jours !
L’avenir a parlé sans doute, mais le songe
Est obscur ; je voudrais implorer le secours
Des grands dieux dont la bouche ignore le mensonge. »

 — Et toi, sais-tu le sens du rêve qui me ronge ?

« Reine, vive à jamais ton nom victorieux !
Répondit le second. Il ne faut pas tout croire ;
Tous les rêves des rois ne viennent pas des dieux.
Peut-être on t’aura lu quelque funèbre histoire ? »

 — Vieillard, je n’ai rien lu, je n’en ai pas mémoire.

« Eh bien donc ! il est temps que tes vœux soient remplis,
Reine, » dit un ascète à l’imposant visage,
Dont le front soucieux portait autant de plis
Que la mer a de flots sous un souffle d’orage.

 — Parle, j’ai le cœur ferme, et ce délai m’outrage.
« Ton rêve est menaçant ; la chute de ces fleurs
Qui tombent dans l’air calme avant d’être fanées
Annonce, je le crains, de précoces malheurs
Et le brusque déclin des heures fortunées. »

 — Adieu, beaux ans ! Salut, mes dernières journées !

« Écoute encore, enfant. Il ne faut pas pleurer.
Ce rêve est menaçant : prévenons-en les suites.
À ton sort le ciel juste aurait pu te livrer ;
S’il te le laisse voir, c’est pour que tu l’évites. »

 — Nos fortunes là-haut sont par les dieux écrites !

« Élève ton esprit, reine ; brave le sort,
Et sur le mal naissant applique le remède.
Déguisée en amour, plane sur toi la mort ;
Ferme donc ton palais au spectre qui t’obsède ! »

 

— Mais ma garde toujours me suit et me précède.

« Reine, il ne t’est besoin de glaives ni de bras,
La victoire est en toi : fuis les regards des hommes ;
Oppose la candeur à l’amour, tu vivras,
Et de ton sommeil pur s’enfuiront les fantômes. »

 — Mais quel est cet amour que sans cesse tu nommes ?
Le grand vieillard sourit et dit avec bonté :
« Qu’entre l’amour et toi, ma fille, un mur s’élève,
Et nous verrons les jours de ta prospérité
Plus nombreux qu’à tes pieds les roses de ton rêve. »

 — Allez, et que ce jour dans les fêtes s’achève !

Amour, complice du tombeau,
Comment te dérober ma jeunesse et ma vie ?
La mort peut-elle être servie
Par un ministre au nom si beau ?
Qu’est-ce donc que l’amour ? — Vierge, tu le devines ;
Écoute l’instinct du désir.
O cœur, ô lèvres enfantines,
Soupirez-le, ce nom parfumé de plaisir,
Qu’aux lèvres des vieillards vous venez de saisir
Comme une fleur sur des ruines !


III.


— Ma reine, dit l’esclave en lui baisant la main,
Depuis longtemps déjà, quel souci te dévore ?
— C’est un mal passager qui s’en ira demain.

— Reine, verse tes maux dans ce cœur qui t’adore !
 — Que sais-je ? mon esprit suit un fatal chemin :
Ma paix, mon sang, ma vie en flammes s’évapore.

Suis-je donc en dehors de la commune loi,
Et ne connais-tu pas cette fièvre subite
Et cet abattement qui succède à l’émoi ?

Je suis sous le pouvoir d’un trouble qui m’habite ;
Quand vient l’accès du mal, la terre fuit sous moi ;
Comme un oiseau captif, ma poitrine palpite.

Nos jeux nouveaux, tes soins m’ont distraite d’abord,
J’ai cru le rêve affreux conjuré par le sage,
Le rêve est revenu ! Je m’abandonne au sort !…

 

— Parle, j’écarterai le sinistre présage. —
Et l’enfant dit les fleurs, les menaces de mort,
Le prince de l’esclave empruntant le visage…

L’esclave rayonna : — Moi si près de ton cœur !
Je mourrais avec toi, pour toi ; mais il faut vivre,
Il faut t’épanouir sans crainte et sans langueur ;

Crois-en l’explosion du bonheur qui m’enivre,
Le destin contre toi n’a pas tant de rigueur.
Je ne veux consulter ni vieillard ni vieux livre.

Les spectres du sommeil, ces familiers démons,
Ne viennent pas toujours de la céleste sphère ;
Ils flottent indécis dans l’air où nous dormons.

Ils empruntent les voix que l’oreille préfère,
Et s’élancent des fleurs, des lieux que nous aimons.
Il faut chercher leurs nids dans l’humaine atmosphère !

Qu’avais-tu près de toi, ma belle, en t’endormant ?
Des roses. C’était l’heure où le parfum s’embrase,
Et de l’air énervé s’empare pleinement.

Le parfum transforma ton sommeil en extase,
Et sur tes yeux fermés un éblouissement
Versa la pourpre à flots qui débordait du vase.

Ta chambre était livrée aux roses, comme un sol
Où croissent les rosiers, et devant toi les roses
À leurs tendres secrets donnaient un libre vol ;

Elles ne disaient pas toutes ces vieilles choses :
L’amour du papillon, le chant du rossignol !
Les fleurs ont une histoire en leurs métamorphoses.

Un amant au tombeau porta le corps chéri
D’une fille de roi morte avant l’hyménée.
Dans ce lieu consacré ces roses ont fleuri !

Leur sève dans l’amour et. dans l’ivresse est née ;
Du cœur triste et brûlant leur parfum s’est nourri :
La morte vit encore, en leur pourpre incarnée.

La morte les inspire, et chaque jour ces fleurs
Sèment leur graine au vent, pleine de vie humaine,
De regrets embaumés, de riantes douleurs ;


Pleine des visions que le sommeil t’amène !
Et toi, mêlant ton âme et tes larmes aux leurs,
Tu leur as pris un peu de ce qui fait leur peine.

Tu bois en respirant les délires heureux,
Les regrets palpitans du passé qui t’effleure.
L’air en est fait. Tu sens, tu vis, tu meurs par eux !

O ma chère beauté, qu’elle est douce cette heure,
Cette heure d’union où mon cœur amoureux
En ton rêve, en toi-même, a trouvé sa demeure ! —
 
La reine captivée, interdite, suivait
Dans ses hardis écarts l’esclave au doux langage ;
Puis dans un monde neuf l’enfant se retrouvait,

Et ses yeux dilatés saisissaient au passage,
Au-dessus de la bouche, en un léger duvet,
Ce brouillard lumineux où le mot se dégage.

Elle embrassa l’esclave. Imprudente faveur !
— Ah ! parle encore, un baume a coulé sur tes lèvres.
(L’esclave, du baiser recueillait la saveur.)

— Parle, ma sœur, j’ai soif du lait dont tu me sèvres ;
Oh ! je brûle. — L’enfant priait avec ferveur ;
Le baiser dans son sang faisait courir des fièvres.

— Qu’est-ce donc que l’amour que ma sœur a vanté ?
— Demande aux cieux, à l’onde, ô maîtresse, à toi-même !
L’amour essor, lien, fusion, volupté,

C’est le réparateur et le charme suprême ;
L’amour est dans la vie, il est dans ta beauté,
Dans mon cœur, dans ma main, dans ma bouche qui t’aime !

 — Quel feu sort de tes yeux ! détourne-les, Ta voix
A-t-elle ému dans l’air les cordes d’une lyre ? —
Aux cheveux de l’esclave elle enroulait ses doigts,

Et luttait faiblement contre un croissant délire.
 — D’où connais-tu l’amour ? — Depuis que je te vois.
 — Que ton souffle est brûlant ! — C’est que je te respire !

Mais la reine soudain de sa couche bondit.
Quelle glace a rompu le charme de l’ivresse ?
C’est qu’elle se souvient de l’oracle maudit.

 

— L’amour si près de moi ! C’est que la mort me presse.
La bouche du tombeau déjà s’ouvre et grandit.
Des jeux, des jeux sans nombre, et que ma cour paraisse ! —

Tout le reste du jour mille plaisirs rivaux
Traquent la vision qui les trompe et les brave.
Le rêve se dressait sous les pieds des chevaux.

La nuit vint, et longtemps l’insomnie à l’œil cave
Parut semer la rose en guise de pavots.
À son réveil, la reine en vain chercha l’esclave.


VI.


Adieu cris dans les parcs, danse, joie et santé !
L’esclave favorite avait-elle emporté
Avec elle un peu de ces âmes ?
Les vierges pâlissaient et perdaient leur vigueur,
Et, sentant pénétrer le froid sous la langueur,
La reine regrettait ses flammes.

Cependant le soleil réjouissait les cieux ;
Le zéphir apportait des bois voluptueux
Une caressante harmonie
À ce morne palais, règne muet du deuil !
Et le bruit de la vie expirait sur le seuil
Comme un large flot d’ironie.

Ton esprit est vaincu, ton corps se laisse aller,
L’espoir toujours déçu, n’osant plus s’envoler,
Retombe plus bas dans le vide.
Reine, qu’est devenu ton soleil éclipsé ?
Sur toi, de sa main noire où passe un jour glacé,
La mort étend l’ombre livide !

Et c’est dans le pays du printemps éternel,
Où la terre fermente, étreinte par le ciel,
Où le cœur comme un fruit éclate,
Où l’émanation subtile de la chair
Flotte, s’évaporant dans les flammes de l’air,
Sur le contour qui se dilate ;

Et c’est dans ce pays que tu jettes, enfant,
Tes défis, tes dédains, à l’amour triomphant ?
L’amour ne te fait pas envie ?

L’amour se vengera. Connais, connais ton dieu ;
À défaut de ton cœur qui s’ignore, le feu
Consume ta force et ta vie !

Et le rêve sinistre à moitié s’accomplit.
Sous ton sein convulsif ploie et gémit ton lit ;
Et comme des feuilles de roses
Tout ce que la santé, la richesse, ont de fleurs,
Tes plaisirs, ta puissance et tes fraîches couleurs
Jonchent le sol, à peine écloses !

Ah ! dans ton sein troublé murmure le regret,
Et l’esprit de ton rêve à tes yeux apparaît :
Si de ces jeunes fleurs retombe
Un nuage de pleurs, un pâle épuisement,
C’est que la mort se cache et que le bonheur ment,
Que toute fleur naît d’une tombe ;

Que des prospérités le sort restreint le cours ;
Qu’on ne saurait trop vivre en des instans trop courts !
Puisque le printemps nous convie
À ses riches festins, prenons-en notre part.
Gardons, gardons de voir avant notre départ
Tomber les roses de la vie !

Mais tu prêtes l’oreille ? Aucun bruit n’a passé.
Quel souffle t’est venu ? ton sein moins oppressé
Avec plus de force respire.
D’où vient que sur ta joue une rougeur éclôt ?
Que murmure ta bouche ? Un appel ? un sanglot
Voilé d’un fugitif sourire ?

Ton oreille a saisi le bruit d’un pas.
C’est lui, C’est elle ! C’est la sœur, c’est l’amant qui t’a fui.
Il t’emporte comme une proie ;
Sous le feu de son œil, la chaleur te revient ;
Il t’emporte, et son bras dans la fuite soutient
Ton front, trop faible pour ta joie !

Il descend des degrés qui plongent dans le sol ;
Toi, tu crois t’élever par un sublime vol
Dans l’infini d’un ciel prospère.
Sur de riches coussins est posé ton beau corps ;
Et lui, l’amant, la sœur veillant, puisque tu dors,
Songe aux voluptés qu’il espère.

Il ne t’abandonnait que pour mieux t’obtenir.
Il voulait préparer au bonheur à venir

Cette fantastique demeure.
Le jour il travaillait au palais souterrain ;
La nuit, de ton chevet éloignant le chagrin,
À tes pieds il passait une heure.

Que devient le scrupule en ton cœur prévenu,
Quand tu touches du doigt le péril inconnu,
Le songe et l’oracle funèbres,
Lorsqu’au travers du masque à la mort emprunté,
L’amour ouvrant ses yeux répand une clarté
Qui transfigure les ténèbres ?

O temple du plaisir ! Ici, par des vitraux ;
Le soleil, qui se glisse en de longs soupiraux,
Projette une lueur bleuâtre ;
Là, dans le pur cristal, des feux sont allumés,
Et de secrets flambeaux, dans les murs enfermés,
Éclairent les piliers d’albâtre.

Dans un air avivé par des courans secrets,
Les fleurs qu’aime la reine éclosent en forêts
Qui dérobent les flancs des vases.
Des flots où sont perdus des parfums enviés
En des bords de porphyre errent sur des graviers
De diamans et de topazes…

Allons, ouvre les yeux, ne crains pas qu’au réveil
S’échappent tous les biens promis par le sommeil.
Ils sont passés, les jours d’épreuve !
Ton amant de retour t’a rendu ta beauté ;
Enfant, sur ton visage au tissu velouté
Refleurit une pourpre neuve.

Vois, il est à genoux, et tu l’entends parler :
— Le rêve est accompli, tu n’as plus à trembler.
Nous avons passé par la tombe !
Assez, ô ma beauté, nous avons attendu ;
Qu’un voile entre le monde et l’amour suspendu
Sur nos félicités retombe ! —

Et la belle est crédule au joyeux dénoûment
Qu’à son rêve terrible a trouvé son amant.
Riant de ses peurs, elle blâme
Et l’esclave, et le prince, et leur duplicité ;
Et l’amant qui l’admire écoute sa gaîté
Chanter l’hymne d’épithalame !


ANDRE LEFEVRE.