Le Règne de l’Argent
Revue des Deux Mondes4e période, tome 129 (p. 301-321).
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LE RÈGNE DE L'ARGENT

V[1]
LES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS, LE PATRONAGE

ET LE PROGRÈS SOCIAL


Les grandes compagnies, les sociétés par actions, sont un obstacle à l’omnipotence de l’Etat, partante l’oppression de l’individu par la collectivité et à l’asservissement de la collectivité par les agens du pouvoir. Les compagnies barrent la route au collectivisme, et, nous croyons l’avoir amplement démontré, tous ceux qui s’efforcent de renverser cette barrière travaillent, bon gré, mal gré, à frayer le chemin au collectivisme[2]. Les grandes sociétés anonymes sont, par le fait même de leur existence, un rempart des libertés privées et des libertés publiques; car elles ne pourraient être remplacées que par des monopoles d’Etat, et, publiques ou privées, toutes les libertés seraient atteintes, du même coup, par la multiplication des monopoles d’Etat. Nationaux ou municipaux, les monopoles transformeraient peu à peu les citoyens, de producteurs et de consommateurs libres, en fonctionnaires révocables et en cliens forcés de l’Etat. La liberté, dans ce qu’elle a d’essentiel, se trouve donc solidaire des compagnies, c’est-à-dire de la libre association des capitaux; mais cela échappe au vulgaire. Les libertés qui lui sont ainsi garanties, il ne les sent pas, il n’en a pas conscience ; elles sont en quelque sorte invisibles au public qui en profite.

Au lieu de reconnaître les compagnies pour ce qu’elles sont réellement, malgré tous leurs défauts, — un des boulevards de ses libertés, — la foule, presque partout nourrie de préjugés, se plaît à les dénoncer comme des puissances oppressives. On accuse leur tyrannie à la fois vis-à-vis du public et vis-à-vis de leurs employés, de leurs ouvriers. Uniquement soucieuses de grossir le dividende de leurs actionnaires, les compagnies, assure-t-on, laissent percer partout une indifférence cynique pour les commodités du public, comme pour le bien-être de leur personnel, rançonnant l’un, exploitant l’autre, sans voir dans leur clientèle, comme dans leurs ouvriers, autre chose qu’une éponge à suer des écus. Voilà, n’est-il pas vrai? un double grief qu’on ne nous permettrait point de passer sous silence.


I

Que le public soit la victime des compagnies et qu’il ait intérêt à leur substituer partout l’Etat, cela ne peut être soutenu que des braves gens qui se font de l’Etat une idée chimérique, se le représentant comme un être surhumain, doué de toutes les perfections, et oubliant ce que sont, en fait, les administrations publiques. Les services de l’Etat, nous l’avons déjà dû constater, sont presque toujours plus dispendieux que ceux des compagnies; bien peu échappent à cette maladie administrative qu’on appelle « le coulage » ; et il est rare qu’ils compensent leur cherté par leur supériorité. On se plaint, par exemple, des lenteurs ou du manque d’égards des employés des compagnies ; mais je n’imagine point que pour les rendre plus polis, plus prompts, plus prévenans, plus patiens envers le public, il n’y ait qu’à les changer en fonctionnaires et qu’à convertir leur casquette en képi. Le droit à l’indolence et à l’insolence n’est-il pas de ceux que s’arrogent volontiers les plus minces fonctionnaires? Quant aux comptables et aux commis qui soupirent après le titre d’employé de l’Etat, je doute qu’il leur rapporte rien, si ce n’est la faculté de sommeiller sur leur pupitre, accordée si largement, dans les bureaux de nos ministères, à tant de chefs et de sous-chefs.

Pour le public, une chose est claire, qu’on ne saurait trop lui rappeler : la conversion des compagnies en services de l’Etat lui ferait perdre, le plus souvent, un droit de recours. On sait combien, chez nous, il est difficile d’avoir un recours contre l’Etat; combien coûteux et malaisé de se faire rendre justice par lui. Il est, d’habitude, juge et partie à la fois. Il s’attribue, chez nous au moins, dans notre patient pays de France, des privilèges qu’il dénie à tout autre. En dépit de tant de révolutions, il est toujours prompt à faire valoir sa souveraineté ; il pratique sans scrupule le quia nominor leo. Qui agit ou parle en son nom est enclin à traiter le public de haut, comme un seigneur son vassal. S’il reste, dans notre République, des traces de l’ancien régime, c’est là surtout, dans l’attitude de l’Etat et dans les procédés de ses agens vis-à-vis des particuliers. L’abolition du droit divin n’y a rien changé; pour parler au nom du peuple, les fonctionnaires n’en sont peut-être que plus arrogans. Le moindre commis, parodiant Louis XIV, semble marmotter, derrière son guichet : « L’Etat, c’est moi! » — Bref, chaque fois qu’un service passe des mains d’une société aux mains de l’Etat, le public y perd deux choses : une garantie et un recours[3].

Quant aux bonnes âmes qui se plaignent de la rapacité des compagnies et qui se persuadent que, pour abaisser les prix et les tarifs, il n’y aurait qu’à substituer l’Etat aux sociétés privées, elles oublient que, le plus souvent — pour les chemins de fer, pour les omnibus, pour le gaz, pour les eaux — l’élévation apparente des tarifs est le fait même des impôts et des taxes mis par l’Etat et par les municipalités; si bien que, d’habitude, l’État et les villes prélèvent, sur toutes les affaires, incomparablement plus que le capital et les actionnaires[4]. Le fisc est autrement vorace que le capital; et, pour satisfaire sa faim toujours dévorante, le fisc a des complaisans qui s’ingénient à lui fournir de nouveaux alimens, multipliant à son profit le papier timbré et les formalités coûteuses. Nous en avons eu un exemple récent avec l’administration des postes et télégraphes, lorsque, pour forcer ses recettes, elle a essayé d’imposer au public l’usage d’adresses inutilement détaillées, allant, en certaines villes, jusqu’à refuser de distribuer les télégrammes expédiés aux personnes les plus connues[5].

Que si, par intérêt électoral ou par réclame politique, l’État, en s’emparant de quelque entreprise privée, renonce temporairement à un impôt et abaisse les tarifs, c’est presque toujours en se dédommageant, d’ailleurs, sur les contribuables, car l’État n’est jamais généreux qu’aux dépens du public.

Mais c’est trop insister sur une vérité assez claire d’elle-même. Venons-en aux ouvriers, au personnel des compagnies. Laissons les considérations économiques ou politiques pour le point de vue social. Aussi bien, est-ce, quant à nous, celui vers lequel nous courons partout de préférence.


II

Voyons quelle est la situation faite à la main-d’œuvre humaine par les sociétés anonymes.

Est-il donc vrai que les compagnies soient particulièrement oppressives pour les travailleurs; qu’elles écrasent l’ouvrier; qu’elles le broient dans leurs engrenages d’acier; qu’à tout le moins elles fassent de lui un esclave attaché à sa machine, comme l’esclave antique à sa meule, et que pour affranchir le travail il n’y ait d’autre moyen que de supprimer les compagnies ?

Oui, il fut peut-être un temps, vers la première moitié du siècle, où les sociétés par actions, encore nouvelles et comme novices, se préoccupaient peu du sort de leurs ouvriers. Beaucoup semblaient ignorer ce qu’on a, depuis, si bien nommé « le devoir social. » Encore, cette sorte d’inconscience n’était elle nullement particulière aux compagnies anonymes, aux sociétés par actions : la faute en incombait au régime nouveau du travail, à l’introduction des machines, à la rapidité des transformations mécaniques qui, par leur importance et par leurs exigences, reléguaient la main-d’œuvre au second plan. Capitalistes, entrepreneurs, industriels, en proie à la fièvre des affaires et avant tout soucieux du nouvel outillage et des facteurs matériels de la production, croyaient faire assez pour l’ouvrier en lui fournissant du travail. L’industrie, encore à ses débuts, tout entière à son œuvre de transformation de la matière, ne pouvait se sentir charge d’âmes. Les ouvriers eux-mêmes, délaissant la terre et les champs pour s’entasser dans les noires usines, ne réclamaient de leurs patrons que de l’ouvrage, satisfaits des salaires relativement élevés que leur payaient les grandes manufactures. Pour toucher quelques francs de plus par semaine, ils s’estimaient heureux de pousser vers les ateliers leurs femmes et leurs enfans. Entre les patrons, souvent éloignés, et ces armées nouvelles d’ouvriers, entre le capital et le travail procédant l’un et l’autre par grandes masses, il semblait, en bonne conscience, que tout fût réglé par le contrat de louage, sans que le patron eût à s’inquiéter d’autre chose que de la durée du travail et du taux du salaire.

La richesse mobilière, je crois l’avoir déjà noté[6], semblait, à cet égard, décidément inférieure à la richesse territoriale, et l’industrie à la propriété. Tandis que, presque partout, le propriétaire foncier, noble ou bourgeois, témoignait à ses fermiers, à ses métayers, à ses paysans, à ses voisins même, une bienveillance traditionnelle, entretenant avec eux des rapports personnels, d’homme à homme, de famille à famille, les soutenant au besoin de son appui moral et matériel, les chefs d’industrie se désintéressaient trop souvent du sort des ouvriers, des salariés employés par leurs manufactures. Si, dans les petits ateliers, la coutume, la fréquence des rapports directs nouaient encore, d’habitude, entre le patron et ses ouvriers, des liens de patronage, il en était autrement dans les grandes usines, où les bras se comptaient par centaines et par milliers, où le personnel ouvrier était souvent instable, grossissant ou diminuant selon la marche des affaires et le chiffre des commandes. Un des maux de la grande industrie, le principal vice peut-être du nouveau régime manufacturier, tel qu’il apparaît d’abord au XIXe siècle, c’est la séparation des deux facteurs humains de la production, l’isolement du capital et du travail, du patron et de l’ouvrier.

Cet isolement, dont toute la classe ouvrière allait pâtir, semblait devoir atteindre son maximum et produire ses pires effets avec les sociétés anonymes, alors que le patron, devenu en quelque sorte impersonnel, perdait tout contact avec l’ouvrier. Entre les deux, semblait-il, plus de rapports humains. Les administrateurs des sociétés par actions, réunis, une fois la semaine, au siège social, souvent loin des ateliers, à l’abri du ronflement importun des machines et des métiers, ne devaient-ils point avoir pour unique souci de grossir ou de maintenir le dividende annuel? Les actionnaires, simples porteurs de parts, rassemblés, une fois par an, dans une salle de location, pour approuver les comptes de l’année, pouvaient-ils s’inquiéter d’autre chose que du chiffre des bénéfices? Ils étaient enclins à ne voir dans la « main-d’œuvre », selon un terme courant trop expressif, qu’un instrument de travail ; un outil automatique qu’un bon industriel devait se procurer au plus bas prix possible ; une sorte de machine vivante dont l’entretien seul importait et dont l’usure alarmait d’autant moins qu’elle se reproduisait elle-même et que, pour la remplacer, il n’était pas besoin de l’amortir. Ces actionnaires, bonnes gens d’habitude, braves et paisibles bourgeois, n’étaient nullement, comme nous les représentent les socialistes; des monstres d’avidité et de cruauté; mais ils n’avaient pas affaire à l’ouvrier, à sa femme, à ses enfans. S’ils pénétraient dans les rouges galeries des hauts fourneaux, ou s’ils descendaient dans les sombres puits des houillères, c’était une fois, par hasard, en voyageurs qui visitent une curiosité; — l’ouvrier restait pour eux quelque chose d’impersonnel, de vague et de lointain, comme d’abstrait et d’étranger; leurs gros yeux endormis n’étaient témoins ni de son labeur ni de ses souffrances ; et, sans être sourdes, leurs oreilles ne percevaient pas les gémissemens de ceux qui allaient bientôt se dénommer les damnés de l’enfer industriel.

Il n’en était de même, il est vrai, ni des directeurs ni des ingénieurs des sociétés anonymes : ceux-là étaient en rapport direct avec l’ouvrier; ils n’avaient pas de peine à découvrir, sous sa blouse ou son bourgeron, un être de chair et d’os, un être humain vivant et sensible; et, pour lui témoigner de leur intérêt, pour se préoccuper de sa destinée au sortir du travail, beaucoup n’ont pas attendu les sommations du socialisme. La preuve en est l’ancienneté des institutions de prévoyance chez la plupart des sociétés anciennes. Dans nombre d’entre elles cependant, je veux bien l’admettre, au risque d’être injuste envers beaucoup, le devoir social, sans être entièrement méconnu, n’était ni assez bien compris, ni assez largement pratiqué. Ou mieux, presque partout, dans l’industrie, de même que dans le commerce, primait le point de vue mercantile, l’inquiétante, l’obsédante question du prix de revient, dont aucune industrie ne saurait s’affranchir. Les intérêts matériels, qui, aujourd’hui encore, pèsent d’un poids si lourd sur les meilleures volontés, reléguaient au second plan les intérêts moraux. C’était une maxime, presque partout reçue, que les affaires étaient les affaires; que la philanthropie n’y avait rien à voir; que confondre deux domaines aussi différens, c’était préparer la ruine de l’industrie.

Un changement s’est opéré dans les esprits, chez nous du moins, en France et dans tout le monde occidental, un changement à l’honneur de la nature humaine et au profit de l’ouvrier. Si les nécessités de la production contraignent toujours l’industrie à tenir les yeux fixés sur le bilan annuel, elle n’en est plus hypnotisée, comme par le passé; elle consent volontiers à sacrifier une part de ses bénéfices, souvent même une large part, au bien-être de ses ouvriers. Chez tous les patrons et dans toutes les sociétés, ces préoccupations morales ont pris une place grandissante. Ne fût-ce que pour avoir le droit d’être sévères envers lui, soyons justes envers notre temps : si le souci de faire fortune et le mercantilisme semblent en train d’avilir les nobles carrières qui naguère s’intitulaient libérales, la passion du gain et l’esprit mercantile semblent avoir moins de prise sur les professions qui paraissaient leur domaine naturel.

Cela est particulièrement vrai de la grande industrie et des grandes sociétés. Le sentiment moral, en baisse ailleurs, se relève chez elles. Noble inconséquence de l’esprit de l’homme, si rarement d’accord avec ses principes ! A l’époque même où de prétendus philosophes s’efforçaient de ravaler la nature humaine au niveau du monde animal, enseignant que l’homme et les sociétés n’ont d’autre loi ni règle que la force et le struggle for life, l’industrie, l’égoïste industrie, accusée de broyer les générations entre les cylindres de ses laminoirs, s’apprenait à voir dans l’ouvrier autre chose qu’un outil de chair, autre chose que des bras et des muscles loués à tant par heure. Le capital même, l’odieux capital, s’est senti des devoirs envers le travail, et l’argent, l’impersonnel argent, s’est avisé qu’il pouvait avoir des responsabilités vis-à-vis des prolétaires qu’il se vantait de faire vivre. Jusque dans les assemblées d’actionnaires, chose inouïe autrefois! on a vu des capitalistes s’inquiéter du sort du personnel et des ouvriers, réclamer pour eux un jour de repos hebdomadaire, et proposer ou voter en leur faveur des mesures qui restreignaient le dividende à toucher. La notion de la fraternité humaine et le sentiment de la fraternité chrétienne, que nous ont si longtemps rappelés en vain les devises inscrites aux murs de nos édifices et les chaires de nos églises, s’infiltrent peu à peu jusque dans les repaires traditionnels de Mammon, dans l’antre du publicain au cœur glacé que l’on s’imaginait fermé à tout autre sentiment que l’amour du lucre, jusque dans le cabinet des directeurs d’usine, dans le comptoir des marchands et la caisse des banquiers. Ce n’est point, hélas! que Mammon soit déjà vaincu et sur le point d’être chassé de toutes les forteresses où il s’est retranché; mais il n’y est plus omnipotent, il ne s’y sent plus le seul maître, et, s’il ne saurait se convertir, il est obligé de faire l’hypocrite et de compter, malgré lui, avec des scrupules dont, naguère encore, son cynisme se fût ri.

L’esprit nouveau qui souffle sur l’industrie revient, pour une bonne part, à l’Evangile et aux diverses confessions chrétiennes : catholiques, anglicans, réformés, luthériens, ont compris, presque en même temps, qu’il y avait là, pour les laboureurs du Christ, des laudes à défricher, une terre où jeter les semences de justice et de charité. Ils n’ont pas cru que la vertu sociale du christianisme fût épuisée par sa tardive victoire sur l’esclavage; la main jadis tendue à l’esclave antique et au serf du moyen âge, les ministres de l’Homme-Dieu l’ont offerte au prolétaire moderne, émancipé du joug servile, mais non toujours d’une misère imméritée. La papauté, dépossédée de sa couronne temporelle, s’est retournée vers les humbles; du fond de la solitude vaticane, Léon XIII a solennellement rappelé au monde chrétien les droits du travail et les devoirs du capital. Et, quelque imprudens et périlleux que nous semblent, pour la société et pour l’ouvrier lui-même, les commentaires que certains interprètes osent tirer des enseignemens du Saint-Siège, nous sommes toujours heureux de rendre un respectueux hommage aux intentions et aux actes de celui qui aime à s’entendre appeler « le pape des ouvriers[7]. » Mais, si loin que porte encore, parmi les fils de ce siècle sceptique, la grande voix de Rome et des ministres du Christ, on se tromperait étrangement en croyant que, pour se mettre à l’œuvre, les patrons et les sociétés ont attendu cet appel d’en haut.

Parmi les économistes eux-mêmes, parmi ces savans terre à terre accusés, non toujours sans injustice, de se préoccuper exclusivement de la richesse matérielle et de négliger l’homme, le facteur vivant de la richesse, plus d’un s’était efforcé, dès longtemps, d’inculquer aux patrons, aux sociétés, aux capitalistes, le sentiment de leur responsabilité sociale[8]. L’oublier serait pécher par omission envers l’économie politique, comme envers les capitalistes. Et si, à cet égard, les conseils des moralistes et des hommes de science n’ont pas été mieux suivis, c’est que, individuel ou social, pour faire pratiquer le devoir, il ne suffit pas de maîtres qui l’enseignent.

Cette longue et lente prédication du devoir social n’a cependant pas été stérile. Les notions nouvelles ont peu à peu pénétré dans les dures cervelles des hommes d’affaires, et les sociétés par actions ont été des premières à les appliquer. Il en est bien peu, en France, qui se désintéressent du sort de leur personnel d’ouvriers ou d’employés. Grands manufacturiers et grandes compagnies ne croient plus que leur mission se borne à extraire de la houille, à fabriquer de la fonte et de l’acier, à tisser de la laine ou du coton, sans s’inquiéter des bras de chair qui font mouvoir métiers et machines. Les chefs d’industrie et les conseils d’administration ne dédaignent plus de s’occuper de l’ouvrier, de son bien-être, de son avenir, de son foyer, de sa famille, de ses enfans.

Règle générale, plus riches sont les patrons, plus puissantes sont les sociétés, et plus nombreuses et plus généreuses sont les marques de leur sollicitude pour leur personnel. Ici encore[9], à l’encontre de bien des préjugés, les ouvriers de la grande industrie et les employés du grand commerce sont, d’habitude, les favorisés. Ce sont, à vrai dire, les privilégiés de la classe ouvrière, et cela non seulement quant à l’élévation des salaires et à la fixité du travail, mais aussi et surtout quant aux œuvres sociales, aux institutions de prévoyance. Et ouvriers et petits employés le sentent bien ; c’est pour cela que, en dépit de toutes les déclamations et de tous les prétendus griefs contre les grandes sociétés, il y a partout une telle affluence de demandes pour entrer à leur service. Si le commis ou l’ouvrier des grandes compagnies n’a pas, comme celui des petits ateliers ou des petits magasins, l’avantage du contact direct, personnel, avec le patron, il a, en revanche, le secours de toutes les institutions d’assistance et d’économie sociale établies, à son profit, par l’ingénieuse humanité des patrons de la grande industrie.

Que les sociétés par actions, les grandes compagnies en tête, soient largement entrées dans cette voie, c’est un fait bien connu de qui s’occupe des questions ouvrières. La Compagnie de l’Ouest, par exemple, dépense de ce chef 4 millions, la Compagnie du Nord 5 millions, la Compagnie de Lyon une douzaine de millions ; et pendant que le dividende des actionnaires baisse ou demeure stationnaire, ces allocations au personnel vont sans cesse grossissant. Il en est de même des Sociétés minières; on calcule que plus de la moitié de leurs bénéfices passe aux institutions de secours pour les mineurs. Il me faudrait des pages, ou mieux des volumes, pour relater ce que ces compagnies tant vilipendées et cette « oligarchie industrielle sans entrailles » ont accompli, depuis quelque vingt-cinq ans, en faveur de leur personnel, se préoccupant tour à tour de sa nourriture, de son logement, de sa santé, de sa vieillesse; veillant, de plus en plus, à son bien-être matériel et moral, à la salubrité et à l’hygiène de l’usine; fondant, de leurs deniers, pour l’ouvrier et pour sa famille, des écoles, des crèches, des ouvroirs, des églises, en même temps que des caisses de retraite, des économats, des magasins alimentaires, des cuisines coopératives, jusqu’à des cercles, des bibliothèques, des fanfares ou des orphéons. Et si, pour beaucoup de ces institutions, on demande à l’ouvrier une participation personnelle, une cotisation minime, je ne suppose pas qu’on en puisse faire un reproche aux hommes qui veulent que le relèvement de l’ouvrier ait pour base l’effort personnel. Il ne faut pas confondre le devoir social avec la charité.

Nous avons, aujourd’hui, dans toutes nos expositions nationales, une section d’économie sociale[10]. J’ai eu l’honneur d’être membre du jury de la section sociale de l’Exposition de 1889; j’aurais voulu la faire visiter à tous les socialistes et à tous les détracteurs du capital. ils y auraient vu, de leurs yeux, s’il est vrai que le capital reste indifférent aux maux du travail. Or, par qui ont été moissonnées la plupart des gratuites couronnes de cette exposition sociale, plus glorieuses à nos yeux que tous les lauriers attribués aux procédés de fabrication et aux inventions techniques[11] ? Par des compagnies, des sociétés par actions. On m’assure qu’il en a été de même en 1894 à l’Exposition de Lyon, que j’ai le regret de n’avoir pu visiter. L’Académie des sciences morales et politiques, qui ne récompense pas seulement de bons livres, mais aussi des actes et des œuvres, l’Académie des sciences morales décernait, elle aussi, en 1893, ses plus belles couronnes, ses prix de vertus sociales, à des sociétés minières ou à des compagnies industrielles[12]. Sur ce palmarès académique, vrai livre d’or de l’industrie française, je relève les noms de Montceau-les-Mines, de Saint-Gobain, d’Anzin, de Baccarat, du Creusot, toutes puissantes sociétés, classées par le vulgaire dans la haute féodalité industrielle et dénoncées au public comme des forteresses de l’âpre capitalisme. N’est-ce point la confirmation de la règle que nous posions tout à l’heure? Plus riches sont les compagnies, plus puissantes les sociétés, et plus elles font d’efforts au profit de leur personnel, y mettant leur honneur et, si l’on veut, leur amour-propre.

Ces grandes maisons, honnies dans les réunions socialistes, elles disent à leur façon et elles pratiquent à leurs frais le « Noblesse oblige ! » Elles y apportent entre elles une sorte d’émulation ; et, s’il faut tout dire, comme leurs directeurs reçoivent, le plus souvent, un traitement fixe indépendant des dividendes distribués aux actionnaires, ils se montrent parfois moins regardans et plus généreux envers le personnel des travailleurs que le patron individuel, qui supporte seul, sans les partager avec personne, tous les sacrifices faits par sa maison à ses ouvriers. Il serait facile de citer des Sociétés qui sont demeurées des années sans rémunérer le capital et qui n’en ont pas moins continué à subventionner largement leurs institutions ouvrières. Et si quelques-unes des grandes compagnies, entre les plus puissantes en apparence, parmi les compagnies de transport, notamment, chemins de fer, tramways, omnibus, voitures, ne font pas davantage pour leur personnel, c’est, nous n’avons pas le droit de l’oublier, qu’elles n’ont point la liberté de leurs tarifs et qu’elles sont écrasées de droits fiscaux ; en sorte que, ne pouvant ni augmenter leurs recettes, ni diminuer leurs charges, leur budget manque d’élasticité[13]. Cela est surtout vrai des sociétés urbaines en relations avec des municipalités radicales, jalouses avant tout de ruiner les compagnies astreintes avec elles à des rapports forcés. A l’Hôtel de Ville, plus encore qu’au Palais-Bourbon, la tourbe des politiciens croit ne jamais frapper assez fort sur le capitaliste; et, naturellement, l’ouvrier pâtit des coups portés au capital. On se flatte souvent, chez nous et à l’étranger, de parer à l’insuffisance ou aux lacunes de la sollicitude patronale par l’intervention de l’Etat; on compte sur l’État et sur la loi pour contraindre au besoin les patrons et les compagnies à remplir plus complètement leur devoir social, de façon à garantir l’ouvrier contre les maux du chômage, de la maladie, de la vieillesse. A en juger par nos voisins d’Allemagne, les espérances mises sur l’intervention de l’Etat risquent fort d’être déçues. En voulant provoquer ou imposer les œuvres de prévoyance ouvrière, l’Etat peut décourager l’initiative privée et ralentir le mouvement qu’il prétendait accélérer. A l’action humaine et personnelle des chefs d’industrie, aux institutions vivantes, organismes spontanés, sortis des besoins locaux, se substitue le mécanisme administratif, avec ses rouages bureaucratiques, avec ses cadres automatiques et ses règlemens uniformes.

C’est ainsi que, en mainte usine de l’Allemagne, le système bismarckien des assurances obligatoires semble avoir arrêté le développement normal des institutions ouvrières. Les primes versées par les patrons pour alimenter les caisses d’assurances de l’Etat ont tari leurs propres caisses de secours. Quand l’Etat fait mine de s’ériger en providence des travailleurs, les patrons s’habituent à se reposer sur l’Etat du soin de s’occuper de leurs ouvriers. Un des effets les plus fréquens de l’ingérence gouvernementale a été de relâcher le lien patronal entre les chefs d’usine et leur personnel et, par là, de compromettre, au lieu de l’assurer, la paix de l’usine. Avec le système allemand, la séparation des classes s’est accentuée : les patrons d’un côté, les ouvriers de l’autre; « l’Etat se place entre les deux, comme un mur, pour les empêcher de se voir[14]. »

Loin de réveiller et de stimuler l’initiative spontanée des chefs d’industrie et des sociétés, la lourde main de l’Etat tend, trop souvent, à l’étouffer. Son intervention suscite, chez l’ouvrier, des aspirations et des exigences que la loi ne peut satisfaire, et, comme toutes les institutions gouvernementales ne fonctionnent qu’avec des frais d’administration élevés, les résultats sont rarement en proportion des sacrifices infligés à l’industrie, aux patrons, et aux ouvriers.


III

L’avidité croissante du fisc et l’ingérence intempestive ou vexatoire de l’Etat ne sont pas, hélas ! le seul obstacle à l’accomplissement du devoir social par les compagnies et par les patrons. L’amélioration du sort des travailleurs manuels rencontre, aujourd’hui, un empêchement d’un ordre différent, un obstacle de nature morale, qui risque d’enrayer tout progrès et menace d’enlever, même aux améliorations matérielles, toute efficacité sociale et toute vertu pacificatrice. Cet obstacle, le plus grave de tous et le plus malaisé à écarter, ne vient pas du capital, mais du travailleur; il n’est pas dans le cœur des patrons, dans l’avarice des capitalistes ou la rapace indifférence des compagnies : il est dans le cœur et dans la tête de l’ouvrier, dans son orgueil, dans ses haines et ses défiances, en un mot dans ses passions et dans ses préjugés de classes ; — car chaque classe a les siens, et les classes ouvrières peut-être plus encore que les autres.

La première condition de la pacification de l’industrie, aussi bien que du progrès social, ce serait l’entente des deux facteurs de la production, la coopération raisonnée du capital et du travail. Or, cette coopération cordiale et loyale, l’ouvrier contemporain s’y prête peu. L’ouvrier isolé, abandonné à lui-même, l’ouvrier dispersé dans de petits ateliers ne s’y refuserait point ; mais l’ouvrier massé dans les mines ou dans les grandes manufactures, l’ouvrier enrégimenté par les syndicats la repousse ; et c’est à ce dernier qu’ont affaire la grande industrie et les grandes compagnies. Grisé par des doctrines orgueilleuses qui lui donnent une idée fausse de sa dignité, séduit par des sophismes économiques qui lui enlèvent la notion du possible, il a honte de rien devoir au capital ; il répond aux avances ou aux bienfaits des patrons par une ingratitude ironique et par des exigences irréalisables. Le patron, le capital, il s’est juré de voir toujours en eux l’ennemi, et, quoi qu’ils fassent pour lui, il professe que ce n’est pas assez; quelles que soient leurs promesses ou leurs offres, il déclare, en hochant la tête, qu’il ne saurait s’en contenter.

L’œuvre de solidarité humaine, l’œuvre de fraternité chrétienne inaugurée par les patrons et par les compagnies, l’ouvrier qui en devait bénéficier la leur rend étrangement malaisée. Il est dur de travailler à une tâche que l’on sent d’avance condamnée à demeurer stérile ; et il faut un grand cœur ou une haute raison pour ne pas se décourager de faire du bien à des hommes qui se proclament vos ennemis irréconciliables et ne demandent qu’à vous ruiner, ou à vous supprimer. En ce sens, l’on pourrait dire que, à l’heure actuelle, l’obstacle principal à l’amélioration du sort des classes ouvrières et au progrès social, c’est le socialisme et les syndicats qui se prétendent les hérauts et les agens du progrès.

Les institutions patronales sont, pour les sociétés et pour les chefs d’industrie, le moyen le plus naturel, comme le plus efficace, de témoigner de leur sollicitude envers leur personnel ouvrier ; c’était assurément le plus propre à maintenir dans l’usine la paix sociale; et voici que l’ouvrier rejette ces bienfaisantes institutions patronales. Il se révolte contre tout patronage, parce que, à ses yeux, patronage implique inégalité, infériorité. L’ouvrier d’Europe tend à imiter l’ouvrier d’Amérique, qui repousse avec orgueil tout ce qui sent le patronage[15]. Patron vient de pater, et se montrerait-il vraiment un père, que le patron n’en conquerrait pas toujours le cœur de ses ouvriers; car, paternelle ou autre, ils ne veulent plus au-dessus d’eux d’autorité sociale. C’est là un des aspects nouveaux de la question ouvrière et un des plus inquiétans.

L’antique patronage, le patriarcal patronage est discrédité chez les masses ; le moment où les compagnies et les chefs d’industrie se montrent disposés à y revenir est celui où l’ouvrier s’en montre dégoûté. Il a trop souvent perdu l’état d’âme qui admettait ou sollicitait le patronage. L’esprit de subordination, l’esprit hiérarchique, nous l’avons déjà noté[16], lui fait défaut. Ce soi-disant serf des grandes compagnies tolère impatiemment qu’elles se mêlent de ses affaires. Le patronage lui semble une sorte de vasselage ; il rejette toute tutelle, celle des patrons du moins, ne supportant d’autre autorité que celle de ses flatteurs ou de ses égaux, celle des politiciens ou des cabaretiers, celle des meneurs de ses syndicats. Et ce qu’il y a de grave, c’est que cette antipathie de l’ouvrier pour tout patronage, cette répugnance pour l’ancien régime paternel, découle manifestement d’une nouvelle conception de la société et d’une nouvelle théorie des rapports sociaux[17].

Il faut aux relations de patronage un état d’esprit et, comme on dit depuis Taine, un milieu moral qui devient de plus en plus rare, chez le peuple. Elles ne peuvent avoir toute leur vertu que dans les tranquilles contrées où survivent les croyances religieuses et les mœurs anciennes. Pour restaurer les liens de patronage et rétablir par eux la paix sociale, il faudrait d’abord restaurer, dans les mœurs ouvrières, avec la foi chrétienne, le sentiment du respect, de la déférence, de la soumission. Ce serait là, certainement, la solution la plus simple de la question sociale, — peut-être même est-ce l’unique solution, — mais elle implique, nous l’avons déjà remarqué[18], une sorte de révolution spirituelle qui n’est pas aisée: car il est presque aussi difficile de changer l’état moral des classes ouvrières que de transformer leur situation matérielle.

Un patron chrétien, sorte d’apôtre de l’usine, tel que le propriétaire du Val-des-Bois, peut réussir, à force d’énergie et le dévouement, à grouper autour de lui une élite d’ouvriers chrétiens. Ils seraient en plus grand nombre, ces saints de l’industrie, ces patrons évangéliques, émules ou imitateurs de M. Harmel, que le patronage serait plus facilement accepté. Mais, quand il y en aurait davantage, quand, à la voix d’un nouveau Pierre l’Ermite ou d’un autre saint Bernard, tous les manufacturiers prendraient la croix, disant à leur tour: « Dieu le veut! » quand les industriels viendraient en corps s’enrôler sous les bannières de Notre-Dame de l’Usine, les masses ouvrières des grandes villes n’en resteraient pas moins réfractaires ; car ce qu’elles repoussent obstinément c’est le patronage, — surtout le patronage moral.

Leur permet-il encore, parce qu’il y trouve son profit pécuniaire, de s’occuper de ses intérêts matériels, de ses besoins corporels, de son logement, de sa santé, l’ouvrier interdit à ses patrons de songer à son âme, de veiller à ses besoins moraux. En certaines régions, l’ouvrier français, tout comme ses « collègues » anglo-saxons d’Angleterre ou d’Amérique, ne tolère déjà plus que les chefs d’industrie s’occupent de lui, en dehors de l’usine et des heures de travail; s’il est un patron ou une société qui ose se croire charge d’âmes, la maison est mise à l’index[19]. Encore une fois, voilà, aujourd’hui, le principal obstacle à l’exercice et au rétablissement du patronage. Les meneurs de la classe ouvrière, les syndicats, qui, sous prétexte de l’affranchir, la courbent sous une dictature tyrannique, protestent contre tout ce qui rappelle cet humiliant patronage, contre tout ce qui tient des antiques relations patriarcales et suppose chez le patron une autorité traditionnelle, contre tout ce qui pourrait nouer un lien moral entre les chefs d’industrie et leurs ouvriers. Cela est un malheur pour la paix de l’atelier et pour la prospérité de l’industrie, car, pour assurer la paix sociale, rien ne vaudra le patronage. Mais nos regrets ne doivent pas nous faire illusion : nous sommes en face d’un fait qu’il serait périlleux de nous dissimuler. Les préventions croissantes des classes ouvrières, dans les grandes villes du moins, contre tout ce qui ressemble à une tutelle patronale, assimilée dans les ateliers à une tutelle seigneuriale, nous font, hélas ! désespérer du rétablissement de la paix sociale par les seules pratiques du patronage. Conservons-les, restaurons-les même, ces saines et douces pratiques, là où la coutume et les mœurs le permettent ; mais ne nous obstinons pas à l’impossible et ne fermons pas les yeux devant l’inévitable. Tout en cherchant à renouveler l’antique patronage, à en élargir les procédés, à en varier les applications pour les approprier, si faire se peut, à l’esprit contemporain et aux préjugés des classes ouvrières, il semble que, à son défaut, là où nous ne pouvons le rétablir, il faille nous résigner à lui substituer d’autres relations entre le capital et le travail.

Déjà, pour se faire tolérer, le patronage est obligé en mainte contrée de se déguiser; il en est réduit à se dissimuler. A l’inverse du passé, il lui faut, pour se faire pardonner ses bienfaits, les voiler avec un soin discret, au lieu de s’en parer avec ostentation. Le patron ose-t-il encore prétendre au rôle de providence de ses ouvriers, il est bon que, à l’imitation de Dieu, cette providence patronale se garde de faire voir sa main.

Entreprises individuelles ou sociétés anonymes, mines ou manufactures, les patrons qui s’étaient montrés les plus généreux pour les travailleurs l’ont appris à leurs dépens. « Les faveurs dont on le comble n’inspirent à l’ouvrier aucune reconnaissance : il s’habitue à les considérer comme des droits et devient de plus en plus exigeant, » écrivait récemment un homme qui avait passé des années au milieu des mineurs, près d’un chef d’industrie qui avait mis sa gloire à se montrer le père de ses ouvriers[20]. — « L’ouvrier ne croit pas d’ailleurs au dévouement, au désintéressement des patrons : il s’imagine que, si on lui fait du bien, c’est par intérêt[21]. »

Tel est le dernier mot de l’expérience patronale. Les œuvres, les institutions ouvrières, fondées à grands frais par les chefs d’industrie, ils doivent, de plus en plus, en abandonner la gestion à leurs ouvriers. C’est le seul moyen de les rendre chères, sinon de les rendre utiles, à ceux qui en profitent. L’ouvrier ne s’attache qu’aux institutions qu’il administre lui-même; tout au plus admet-il, à l’occasion, les conseils ou le concours des patrons, heureux s’il peut se passer de leur direction, sinon de leur argent.

Un esprit nouveau a, de la politique, soufflé sur l’usine, et, à l’exemple des institutions publiques, les institutions ouvrières tendent, presque partout, à se « démocratiser ». — « Il nous faut, me disait un patron de Reims, déposer le sceptre patronal : il faut que nos œuvres patronales se transforment peu à peu en associations ouvrières. » Encore une royauté qui s’en va! C’est toute une révolution qui s’accomplit, sous nos yeux trop souvent distraits. Caisses de secours, caisses de retraite, caisses d’épargne, économats, toutes les institutions fondées par les patrons pour leurs ouvriers tendent à sortir des mains des patrons pour tomber aux mains des ouvriers. Les chefs d’industrie sont contraints d’abdiquer, ou, s’ils gardent encore l’initiative, ils ne peuvent plus longtemps conserver la direction. Le rôle du patron n’est peut-être pas diminué, mais il a changé : au lieu de traiter ses ouvriers en enfans, en mineurs incapables ou en pupilles éternels, il doit travailler à leur éducation, les habituer à se passer de lui, les dresser à se conduire eux-mêmes. C’est là encore, — est-ce la peine de le constater? — une noble mission; et c’est là, — faut-il le remarquer? — une tâche à laquelle une compagnie se résigne encore plus aisément qu’un patron individuel.

Si les défiances du travail envers le capital devaient tomber, avec cette sorte d’émancipation des institutions ouvrières, nous ne serions pas, quant à nous, de ceux qui s’affligent de cette démocratique évolution. Car, en faisant leurs propres affaires, en administrant leurs propres caisses, en gérant leurs sociétés, les ouvriers peuvent apprendre ce qui leur fait le plus défaut : la prévoyance, l’économie, l’épargne. Au lieu de tout attendre de l’Etat et de tout demander à des révolutions, ils se formeraient à la pratique du self-help, ce qui serait, pour les classes ouvrières, la voie la plus sûre de relèvement matériel et de relèvement moral.

Mais, il faut bien le reconnaître, la question est plus vaste. Elle ne touche pas, uniquement, les œuvres patronales et les formes anciennes du patronage. L’ambition de l’ouvrier dépasse déjà le cadre, si vaste pourtant, des institutions ouvrières. Non content d’administrer lui-même ses propres caisses, non content de gérer librement ses propres affaires, il réclame, déjà, une part de la gestion de l’usine; il aspire à être associé à la police, si ce n’est encore à la direction de la manufacture. Là aussi, jusque dans l’intérieur des ateliers, il prétend établir les relations du travail et du capital sur un pied nouveau. Et quelque téméraires ou quelque prématurées que puissent nous sembler de pareilles revendications, il nous siérait mal de les ignorer, car nous pouvons, malgré nous, avoir bientôt à compter avec elles.

Ces relations nouvelles entre les deux facteurs de la production, quel en pourra être le caractère, et quelle définition en donner? Une, fort simple en théorie, si elle prête à bien des complications dans la pratique : c’est que désormais le capital et le travail devront traiter, sur un pied d’égalité, comme deux puissances souveraines, indépendantes l’une de l’autre. Or, cette conception admise, qui ne voit que de pareilles relations sont moins malaisées à établir dans les ateliers d’une grande compagnie que dans les usines d’un grand manufacturier, dans les établissemens d’un patron omnipotent, seul maître de sa fabrique et de son personnel? Qu’est-ce donc si aux compagnies nous opposons l’Etat? N’est-il pas manifeste que le principe nouveau vers lequel semble graviter l’industrie de l’Occident aurait moins de peine à se faire admettre et à se faire respecter par les sociétés privées que par l’Etat, par les administrations et les monopoles de l’Etat? L’Etat sera fatalement, partout, Le plus autoritaire des patrons, hors les heures où il s’en montrera le plus faible. Aujourd’hui, par exemple, on nous vante les conseils du travail; on préconise, pour la solution des questions ouvrières, les bureaux d’arbitrage : je ne vois pas très bien, quant à moi, l’Etat, dans un conflit avec ses ouvriers, s’inclinant, docilement, devant la décision d’un arbitre. Il sera toujours plus facile, aux ouvriers et aux syndicats ouvriers, de traiter sur un pied d’égalité, de puissance à puissance, avec des sociétés privées qu’avec l’Etat et avec les administrations publiques. S’il nous faut être témoins d’une révolution radicale dans les rapports de patrons à ouvriers, cette révolution, au rebours des préjugés courans, se fera plutôt avec les compagnies qu’avec l’Etat.

Il est un rêve périlleux peut-être pour l’industrie, mais que je ne veux point, pour ma part, taxer de pure chimère : nous avons, parmi nous, des hommes qui songent à introduire, dans la mine et dans l’usine, une sorte de régime constitutionnel, promettant de doter les ouvriers des manufactures d’une charte des droits du travail. Ceux-là doivent préférer les compagnies à l’Etat. Je tremble, quant à moi, pour le pays qui osera, le premier, abolir dans l’usine la royauté patronale; mais s’il doit y avoir, un jour prochain, des conseils de fabrique où les délégués des ouvriers, non contens de débattre avec les représentans des patrons les conditions du travail, partageront avec eux la police et la direction intérieure de l’usine; si la grande manufacture doit jamais passer du régime monarchique et de l’absolutisme patronal au régime parlementaire et démocratique; si, en un mot, le dualisme industriel et la division des pouvoirs dans la fabrique n’est pas une utopie ruineuse qui doit tuer toute industrie, pareille révolution aura moins de peine à triompher et moins de peine à durer avec des sociétés privées, ayant au-dessus d’elles des tribunaux et des juges, qu’avec l’Etat, ayant derrière lui toute l’autorité publique, et rien au-dessus de lui. Nous en pouvons juger, déjà, par ce qui se passe sous nos yeux. Déjà, l’État tend à refuser à ses ouvriers et à ses employés les droits qu’il prétend assurer aux ouvriers et aux employés des particuliers et des compagnies privées. Les lois qu’il édicté en faveur des ouvriers ou des agens d’autrui, il en refuse le bénéfice aux siens. Ce qu’il autorise, ce qu’il encourage parfois chez les autres, la formation de syndicats de combat, les coalitions de travailleurs, les déclarations de grève, la mise en interdit des patrons, l’Etat le prohibe chez lui[22]. On n’a pas oublié que le ministère Casimir-Perier a été renversé sur une question de ce genre. De même pour les conseils d’arbitrage : l’Etat n’admet point, dans ses administrations ou dans ses ateliers, ce qu’il s’efforce d’imposer aux particuliers ou aux sociétés privées. L’État, dans les questions de travail, a ainsi deux mesures, une pour lui et une pour les autres. Il pose en maxime, à son profit, contre les salariés des deniers publics, le principe des deux morales, pratiquant sans scrupule le : Vérité chez vous, erreur chez moi. L’État répond aux doléances de ses employés en maître omnipotent, leur enjoignant de ne s’adresser à leurs chefs que par voie administrative et par humble requête, si bien que ses agens, qui à tant d’égards semblent privilégiés, peuvent, sous ce rapport, se dire des parias.

Ce n’est point, je prie de le remarquer, que nous prétendions ici donner un blâme à l’État, que nous revendiquions pour les fonctionnaires publics, départementaux ou communaux, pour les instituteurs ou pour les gardes champêtres, pour les facteurs des postes, pour les cantonniers ou pour les sergens de ville, le droit de se syndiquer et de se mettre en grève. Nullement; nous ne croyons pas que l’État doive laisser la grève et les syndicats désorganiser les services publics; et ce qu’il ne veut pas autoriser chez les employés de ses chemins de fer, nous doutons qu’il soit bien inspiré en le tolérant sur les lignes des compagnies[23]. Nous voulons seulement montrer que de problèmes et que de difficultés de toute sorte soulèverait la multiplication des monopoles de l’État[24]. La meilleure manière de résoudre la question est de ne pas la poser; et, pour cela, il ne faut pas laisser l’État se transformer en patron.

IV

Ainsi, de quelque côté que nous nous tournions, — que nous nous placions au point de vue économique ou au point de vue politique, que nos pensées et nos soucis se portent sur la liberté privée ou sur le progrès social, nous aboutissons toujours aux mêmes conclusions. Le libre groupement des capitaux et les compagnies anonymes, qui en sont l’expression naturelle et la forme pratique, ne constituent point un obstacle au progrès. Substituer l’Etat aux sociétés privées, ce serait compromettre, au lieu de les servir, la liberté, les droits individuels, la personnalité humaine; ce serait, en vue d’avantages hypothétiques, sacrifier les intérêts réels de l’ouvrier, aussi bien que l’intérêt du public.

Loin d’être raidies dans des formes immuables et comme immobilisées dans des cadres inflexibles, les sociétés se prêtent à toutes les transformations économiques, à toutes les modifications des conditions du travail. Notre siècle finissant, en vain désabusé de tant d’illusions, a sans cesse à la bouche le mot d’évolution; c’est, pour lui, comme un terme magique qui semble permettre tous les rêves et légitimer jusqu’à l’utopie. Si téméraires que nous paraissent les espérances mises parfois, autour de nous, sur l’évolution ouvrière et sur la transformation des conditions du travail, les plus hardies de ces espérances auront toujours moins de peine à se réaliser avec des compagnies privées qu’avec des monopoles d’Etat. Je n’aurais point, pour ma part, la présomption de marquer le dernier terme de l’évolution industrielle et, si l’on veut, de l’évolution sociale des nations modernes. Je n’oserais point dire d’avance, au flot qui nous emporte, — au flot qui nous engloutira peut-être : Tu n’iras pas plus loin. Mais ce que je ne crains pas d’affirmer, c’est qu’il ne saurait y avoir de progrès constant et fécond qu’avec la liberté, avec le libre groupement des forces et des énergies, partant avec les sociétés privées. Si la haineuse propagande des ennemis de la paix sociale n’a pas fait de la conciliation du capital et du travail une utopie chimérique, c’est encore par ces sociétés abhorrées qu’elle a le plus de chances de s’opérer.

Des hommes qui se défendent d’être socialistes se plaisent à nous représenter les ouvriers modernes « se débattant dans les engrenages de l’industrie centralisée, entre les roues et les laminoirs de la fabrique anonyme, pour retirer de là les lambeaux de leur personnalité écrasée et déchirée[25]. » Que serait-ce donc si toutes les fabriques et les usines, si tous les moyens de transport et de production étaient centralisés dans les mains de l’Etat? C’est alors que l’ouvrier, pris dans des rouages de fer dont il serait incapable de se dégager, se verrait broyé par un mécanisme gigantesque, sans pouvoir défendre sa chétive individualité. La diminution, l’anéantissement de la personnalité humaine serait la conséquence fatale, inéluctable, de l’absorption de l’industrie par l’Etat. Ce n’est point en substituant l’autorité publique à l’initiative individuelle et les monopoles d’Etat aux sociétés privées qu’on affranchira ceux qu’on appelle emphatiquement « les prisonniers de la fabrique et les captifs de la machine[26]. »

Etatistes, socialistes collectivistes nous promettent bien, il est vrai, que leur usine d’Etat sera une libre république où la contrainte demeurera inconnue. Ils nous disent que, la démocratie industrielle future devant remettre tous les pouvoirs à l’élection, il n’y aura plus de place pour les tyrans et pour la tyrannie, — comme si le régime électif avait la vertu d’exclure toute oppression! Qu’elles nous viennent du socialisme ou de « l’étatisme, » je me défie, pour ma part, de ces trop belles promesses, et je ne me soucie point d’en faire l’essai. Je comprends qu’elles sourient peu aux sauvages adversaires de notre état social, aux anarchistes : qui tient à l’autonomie de la personnalité humaine n’a pas besoin de beaucoup de réflexion pour en sentir la duperie.

La liberté que nous offrent les socialistes ou les étatistes est une liberté collective, comme l’était la liberté politique chez les anciens, — ou comme celle que préconise Rousseau dans le Contrat social; — liberté fort différente des libertés individuelles, des libertés effectives, et qui, au lieu d’en être la garantie, en est le plus .souvent la négation. Ce que vaudrait cette liberté collective et collectiviste, nos syndicats ouvriers nous en peuvent donner un avant-goût. Les syndicats sont bien électifs; les chefs en sont choisis, les décisions en sont votées par les membres; ils sont, ou ils se vantent d’être un agent d’émancipation, — ce qui ne les empêche pas de devenir un instrument de tyrannie. Les syndicats sont la forme nouvelle et la plus oppressive de la souveraineté du peuple. On sait quel cas ils font des libertés individuelles, et quel est leur respect de la personnalité humaine; comment ils décrètent, en maîtres, le travail ou le chômage, mettant hors la loi quiconque ose méconnaître leurs arrêts. Or, ne nous y trompons point, ces syndicats ouvriers, c’est à la fois l’embryon de la future cité ouvrière et l’image de la future société collectiviste.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Voyez la Revue des 15 mars, 15 avril, 15 juin 1894 et 15 février 1895.
  2. Voyez, en particulier, dans la Revue du 15 février, l’étude ayant pour titre : les Grandes Compagnies, l’État et le Collectivisme.
  3. .C’est ainsi que, pour les postes et les télégraphes, l’État n’admet pas d’être rendu responsable des retards ou des erreurs du service, et pour le télégraphe notamment, les erreurs sont fréquentes et portent souvent un préjudice réel. De ces erreurs de l’administration des télégraphes, dont il est inutile de se plaindre, j’en puis citer une qui m’a mis dans l’embarras, il y a quelques mois. Je devais aller à Lille inaugurer une série de conférences placées sous le patronage du Comité de Défense et de Progrès social, lorsque, à ma grande surprise, le 22 janvier dernier, je reçus un télégramme ainsi libellé : Conférences lilloises commenceront vendredi sans votre présence. J’allais renoncer à partir, quand une lettre m’apprit qu’on m’attendait toujours. On m’avait télégraphié de Lille : Conférences commenceront sous votre présidence.
  4. Je pourrais citer, de nouveau, l’exemple des Compagnies de voitures et d’omnibus de Paris qui payent à l’État et à la Ville, en droits, redevances et taxes de toute sorte, deux et trois fois plus qu’elles n’attribuent à leurs actionnaires. Ainsi les Omnibus de Paris ont, en 1892, supporté 121 francs, en 1893, 131 francs de taxes diverses par action, tandis que le dividende distribué à chacune des actions ne montait qu’à 40 francs. L’État et la Ville prélèvent ainsi trois fois plus que le capital. Voyez le Rapport du Conseil d’administration pour l’année 1893. Quant à la Compagnie générale des Voitures de Paris, elle payait à l’État et à la Ville, en 1893, 68, 40 pour 100 de ses bénéfices bruts. Pour le bénéfice net, la recette quotidienne d’une voiture de place était en moyenne de 15 fr. 43, prix de location de la voiture au cocher. Sur cette somme l’État et la Ville percevaient en impôts 2 fr. 44 et le capital seulement 11 centimes. En d’autres termes, une voiture qui rapportait net 39 fr. 37 pour l’année, payait 890 fr. 75 d’impôts. Voyez le Rapport du Conseil d’administration à l’assemblée générale du 30 avril 1894.
  5. La prétention de certains directeurs, dans le département du Nord en particulier, était, on se le rappelle, d’intercepter tout télégramme qui, à la suite du nom du destinataire, ne portait pas le nom de la rue et le numéro de la maison qu’il habitait, son domicile fût-il connu de tous.
  6. Voyez la Revue du 15 avril 1894.
  7. Voyez la Papauté, le Socialisme et la Démocratie (1892).
  8. Pour en citer des exemples, nous n’aurions que l’embarras du choix. C’est ainsi qu’un des vétérans de l’école économique libérale, M. de Molinari, insistait, avant les encycliques du pape Léon XIII, sur ce que « la fonction du capitaliste implique des obligations morales. » (L’Évolution économique au XIXe siècle, 1879.) M. J. Simon avait déjà, sous le second Empire, exposé, en plus d’un ouvrage, cette vérité qui, alors même, n’était pas nouvelle. Pour ne parler que de la France, la notion des devoirs du capital et des responsabilités du chef d’industrie s’est fait jour, de bonne heure, chez les hommes sortis de l’école saint-simonienne ; en renonçant aux utopies de Ménilmontant, ils se sont souvenus, pour la plupart, des idées humanitaires de leur jeunesse. Nous devons surtout mentionner, ici, une école et une société qui, depuis plus d’un tiers de siècle, se sont donné pour tâche de raviver partout, en France et à l’Étranger, le sentiment des devoirs sociaux incombant à la richesse et aux patrons : c’est l’école de Le Play, désignée souvent sous le beau nom d’ « Ecole de la paix sociale ».
  9. Voyez, dans la Revue du 15 juin 1894, le Capitalisme et la Féodalité industrielle et financière.
  10. Le lecteur n’a pas oublié qu’il s’est formé récemment, chez nous, en France, plusieurs expositions sociales permanentes, autrement dit plusieurs musées sociaux. L’un a été institué par le ministère du Commerce en 1893, grâce à M. J. Siegfried, au Conservatoire des arts et métiers; un autre, plus important et mieux doté, a été fondé, en 1894, par M. le comte de Chambrun, dans un vaste immeuble (rue Las Cases). L’inauguration a eu lieu en mars dernier.
  11. Voyez les différens rapports de la section d’Économie sociale à l’Exposition universelle de 1889, en particulier celui de M. Léon Say, rapporteur général (1891), celui de M. Cheysson sur les Institutions patronales (1892), celui de M. G. Picot sur les Habitations ouvrières. Pour nos voisins de Belgique, on peut consulter le Mémoire sur la situation de l’industrie en Belgique et sur la question ouvrière, adopté par l’Assemblée générale des patrons catholiques; Société belge de librairie, Bruxelles, 1894, p. 101-113.
  12. Voyez, dans le Bulletin de l’Académie des sciences morales et politiques, le Rapport de M. Georges Picot, 1893.
  13. Ainsi, entre autres, de la Compagnie des Omnibus de la ville de Paris.
  14. M. Léon Say, le Socialisme d’État; Paris, Guillaumin, 1894.
  15. On sait que ce sentiment a été le point de départ de la formidable grève des ouvriers de la maison Pullmann en 1894. Voyez, par exemple, Une visite à Pullmann City, par M. A. Delaire (1894).
  16. Voyez la Revue du 1S avril 1894.
  17. Comme le disait récemment M. Paul Desjardins, dans sa conférence sur le Devoir d’aînesse 5 mars 1895), « autrefois la relation type, celle de roi à sujets, de patron à ouvriers, était celle de père à enfans. » Aujourd’hui, cela a changé, dans la vie privée aussi bien que dans la vie publique, dans l’industrie comme dans la politique.
  18. Voyez la Papauté, le Socialisme et la Démocratie.
  19. Voyez, par exemple, dans la Réforme sociale (août et septembre 1893), une instructive étude de M. Hubert Valleroux intitulée : la Grève d’Amiens. Je pourrais citer plus d’un trait analogue.
  20. Notice sur les institutions ouvrières des mines de Blanzy, anonyme, 1894. Cf. Un grand patron modèle: M. Léonce Chagot, par M. Charles Robert, Réforme sociale du 16 août et du 1er septembre 1894.
  21. Même notice.
  22. On sait que, en décembre 1894, il a été déposé au Sénat une proposition de loi ayant pour objet de prohiber les coalitions entre les ouvriers de l’État et entre les agens commissionnés des chemins de fer, proposition que le gouvernement a en partie faite sienne.
  23. Depuis que ces lignes ont été écrites, le gouvernement a déposé un projet de loi interdisant toute coalition aux employés des chemins de fer.
  24. La grève des allumettiers vient de nous en donner une preuve ; la seule solution rationnelle serait la suppression du monopole.
  25. Ainsi, récemment, un homme de talent, M. Hector Depasse : Transformations sociales; Paris, Alcan, 1894.
  26. M. Hector Depasse, ibidem.