Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/37

Le Pyrrhonisme de l’histoireGarniertome 27 (p. 292-293).
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CHAPITRE XXXVII.
du dauphin françois.

Le dauphin François, fils de François Ier, joue à la paume ; il boit beaucoup d’eau fraîche dans une transpiration abondante ; on accuse l’empereur Charles-Quint de l’avoir fait empoisonner ! Quoi ! le vainqueur aurait craint le fils du vaincu ! Quoi ! il aurait fait périr à la cour de France le fils de celui dont alors il prenait deux provinces, et il aurait déshonoré toute la gloire de sa vie par un crime infâme et inutile ! Il aurait empoisonné le dauphin en laissant deux frères pour le venger ! L’accusation est absurde ; aussi je me joins à l’auteur, toujours impartial, de l’Essai sur les Mœurs, etc., pour détester cette absurdité[1].

Mais le dauphin François avait auprès de lui un gentilhomme italien, un comte Montecuculli, qui lui avait versé l’eau fraîche dont il résulta une pleurésie. Ce comte était né sujet de Charles-Quint ; il lui avait parlé autrefois, et sur cela seul on l’arrête, on le met à la torture ; des médecins ignorants affirment que les tranchées causées par l’eau froide sont causées par l’arsenic. On fait écarteler Montecuculli, et toute la France traite d’empoisonneur le vainqueur de Soliman, le libérateur de la chrétienté, le triomphateur de Tunis, le plus grand homme de l’Europe ! Quels juges condamnèrent Montecuculli ? Je n’en sais rien ; ni Mézerai ni Daniel ne le disent. Le président Hénault dit : « Le dauphin François est empoisonné par Montecuculli, son échanson, non sans soupçon contre l’empereur. »

Il est clair qu’il faut au moins douter du crime de Montecuculli : ni lui ni Charles-Quint n’avaient aucun intérêt à le commettre. Montecuculli attendait de son maître une grande fortune, et l’empereur n’avait rien à craindre d’un jeune homme tel que François. Ce procès funeste peut donc être mis dans la foule des cruautés juridiques que l’ivresse de l’opinion, celle de la passion, et l’ignorance, ont trop souvent déployées contre les hommes les plus innocents.

  1. Voyez tome XII, page 267.