Le Puits de la vérité/Végétarisme

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 26-27).



VÉGÉTARISME



On ne sait généralement pas qu’il y a à Paris des restaurants végétariens où on mange tranquillement des aliments qui se dénomment : Protose, Nuttose, Nuttolène, Fibrose. On vous les sert accommodés avec du Nutter, qui est du beurre végétal et les gens qui entrent là commandent sans étonnement un : « Protose rôti aux tomates ». Je ne crois pas que ce soient là de nouveaux volatiles ou des anatrupèdes moins connus encore que l’okapi, ce qui serait tout à fait contradictoire avec l’esprit de ces honnêtes maisons. Puis, le végétarien n’est pas, comme on le croit, une âme simple. C’est une âme, sans doute, mais qui ne se laisserait pas prendre à de telles fraudes. Enfin, ces agapes sont peu fréquentées par les millionnaires et le dernier okapi a été vendu empaillé, trente mille francs, à M. Edmond Perrier, directeur du Muséum. Ces nourritures mystérieuses ne sont pas non plus des légumes japonais, ni des arbustes chinois. Qu’est-ce que c’est donc ? Je n’en sais trop rien. Peut-être de vagues produits albuminoïdes extraits de végétaux de bonne volonté ? J’ai sous les yeux le menu d’un de ces établissements, qui les qualifie de « viandes végétales », ce qui n’est pas sans me faire un peu rêver. Ah ! mes gaillards, il vous en faut tout de même sur le papier, de la bonne viande ! Il vous en faut au moins l’illusion et vous voulez pouvoir dire, tout comme les autres : « Ce soir, le rôti était excellent ». Et si on vous pousse un peu, vous laissez tomber que c’était du protose, mais cuit à point, une merveille de protose, ce qui n’est point sans ébaubir votre interlocuteur. Ces festins alléchants sont arrosés des bières sans alcool, de jus de myrtilles, de jus de poires, voire de jus de raisins frais. J’ai noté sur ladite carte un certain Nectar de la Côte d’Azur, qui, j’espère, répond à son nom. On ne s’ennuie pas un instant dans le végétarisme.


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