Le Puits de la vérité/Midinettes

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 89-90).



MIDINETTES



Savez-vous pourquoi les midinettes déjeunent très vite ? Ne cherchez pas. Vous ne trouveriez jamais. Je vais vous le dire moi-même, l’ayant appris, hier, d’un de nos pieux confrères. Elles déjeunent très vite pour pouvoir arriver à temps à un certain lieu de réunion où on leur débite un petit sermon. Cela se nomme, paraît-il, les « Missions de Midi ». Les midinettes ! Vraiment, on nous fera difficilement croire que toutes les ouvrières de Paris qui courent les rues quand midi sonne, ne pensent qu’au sermon et que, pour l’ouïr plus sûrement, elles se passent quasiment de déjeuner. Qui veut trop prouver ne prouve rien et même fait rire à ses dépens. Mais si de fâcheux évangélistes avaient réussi dans leur dessein d’accaparer à leur profit la seule heure de la journée dont disposent ces pauvres filles, je leur conseillerais de ne pas trop s’en vanter, car ce serait une bien laide besogne. Quoi, ce moment qu’elles ont pour se secouer un peu, pour rire, bavarder et se détendre, pour lisser leurs plumes fripées et souillées par l’atelier, il y a des gens qui prétendent le remplir par un cours de morale religieuse ! Mais il ne faut pas exagérer le mal. C’est de la pure vantardise. Où vous lisez « Les midinettes… », il faut comprendre : « Quelques ouvrières, quand il pleut… » Mais on fait si peu de choses pour elles que je ne serais pas trop surpris que ce mouvement prît une certaine extension. Il n’y a que les débitants de morale ou de piété qui se remuent un peu pour leur prochain. On offre un sermon, quand il pleut, quand il fait froid. Ce n’est pas une grande attraction, mais c’est quelque chose. Pourquoi des gens désintéressés n’ouvriraient-ils pas, pour les midinettes, des salles où rien ne serait imposé, où le repos et quelques distractions leur seraient offerts sans aucune obligation ? Quand on se plaint que les autres font trop, il faut faire quelque chose soi-même.


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