Le Puits de la vérité/Le poète Segrais



LE POÈTE SEGRAIS



Il y a des poètes qui sont plus oubliés que d’autres, quoiqu’ils eurent dans leur temps une réputation qui, au contraire, semblait durable. Segrais est de ceux-là. On n’a même point réimprimé un choix de ses poésies, comme on l’a fait pour d’aucuns qui ne le méritaient guère. Victor Hugo pourtant, aux heures ardentes du romantisme, l’avait lu, goûté et s’en était souvenu. Il s’avisa un jour de mettre un vers et demi de Segrais en épitaphe à une de ses poésies :

… Oh ! les charmantes choses
Que me disait Aline en la saison des roses

Mais Victor Hugo, avec son sens extraordinaire de la perfection pittoresque, avait légèrement corrigé la citation. Ce qu’a dit Segrais n’est pas tout à fait aussi joli, mais c’est encore agréable, et tant qu’on réimprimera Victor Hugo le nom de Segrais demeurera, comme un souvenir odorant, associé à la saison des roses. Mais il reste un peu plus de lui. Il reste un soupçon, un doute, une hypothèse. Segrais était attaché à Mme de La Fayette. Il lisait, il écrivait avec elle. Il corrigea et mit au point une de ses romances, on le sait de source sûre. Quelle part eut-il à la Princesse de Clèves, on ne sait pas du tout. Au moment où parut ce petit livre, il se détachait du monde, il songeait à se retirer dans sa ville natale, à se marier, à dire adieu à sa petite renommée, il ne revendiqua donc rien. Des éditions, cependant, parurent sous son nom et le doute subsiste. Alors n’a-t-on pas bien fait de lui élever un modeste monument, à lui qui eut peut-être part à l’un des monuments de la langue française. Il est vrai que les discours prononcés à cette occasion n’affirmèrent nullement sa participation à la Princesse de Clèves. Mais j’ai quelque idée qu’on aurait pu soutenir le contraire. Du reste ni l’un ni l’autre des deux auteurs n’attachaient à cela la moindre importance. Ils différaient beaucoup de nos contemporains.


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