Le Puits de la vérité/Contes de fées

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 52-53).



CONTES DE FÉES



Une charmante femme me disait, hier, qu’il est véritable que beaucoup d’enfants n’ont jamais entendu parler des contes de fées, ni de ceux rédigés par Perrault, ni des autres. Des parents, qui se croient doués au plus haut point de l’esprit scientifique, les malheureux ! gardent avec soin leur progéniture de toute contamination avec la fantaisie et, pour cette marmaille, les temps redoutés par Sainte-Beuve sont advenus : on lui enseigne, dès le berceau, la chimie et les mathématiques. C’est un triomphe assurément, mais le triomphe de quoi, voilà ce qu’il est plus difficile de comprendre. En tout cas, il n’est pas pur, il comporte une très forte dose de bêtise, mais ensuite ? Quel esprit présida à cette baroque éducation ? L’esprit scientifique ? Nullement. Le véritable esprit scientifique est un esprit de liberté, mais non un esprit d’exclusivisme. Il met les choses en ordre, mais n’en détruit aucune. L’esprit positiviste ? Encore moins. Il est avant tout classificateur et il trouverait une case pour les caprices de l’imagination comme pour tous les autres produits des facultés humaines. Ne se plaît-il pas à étudier les religions, ces contes métaphysiques ? L’ennemi des contes, l’ennemi de la fantaisie celtique dont ils sont l’incarnation, c’est l’esprit latin, l’esprit juridique, esprit étroit et borné qui s’est, depuis tant de siècles, appesanti sur la fantaisie, sur les jeux du hasard et de l’imagination où se complaisent les Bretons de France et d’Angleterre. Le Romain ignorait les contes ou les méprisait. Le Satyricon de Pétrone n’est qu’un recueil de satires et de sarcasmes où la partie imaginative est d’origine grecque. Apulée, de naissance africaine, d’éducation grecque et orientale, n’est Romain que par le langage et, en dehors de ces deux livres, romanesques à différents degrés, la littérature latine n’offre rien de valable, et les contes des Latins modernes oscillent du scatologique au libidineux. L’on comprend très bien que l’esprit latin, si dépourvu de fantaisie aérienne ait cherché à en extirper toutes les racines de l’imagination des enfants. Étudiez la langue latine qui a des mérites synthétiques, mais prenez garde à la tyrannie de l’esprit latin, qui n’est bon qu’à doses modérées pour l’esprit celtique de caprice et de liberté.


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