Le Projet de Budget de 1912

Le Projet de Budget de 1912
Revue des Deux Mondes6e période, tome 6 (p. 82-106).
LE PROJET DE BUDGET
DE 1912


I. — CARACTÈRES DU BUDGET DE 1912, CONVENTION AVEC LA COMPAGNIE DE L’EST

Et la course continue ! L’accroissement annuel des charges publiques est de plus en plus rapide ! Le projet de budget de 1912 prévoit i milliards et demi de dépenses, supérieures de 173 millions à celles de 1911. L’augmentation apparente n’est que de 117 millions. Mais le total de 1911 comprenait 43 millions de dépenses exceptionnelles et 11 millions d’avances pour la construction de lignes télégraphiques et téléphoniques qui ont disparu l’année suivante : la comparaison, pour être logique, doit donc porter sur les chiffres de 4 330 et 4 503 millions. La différence de 173 millions est due :


Pour 64 millions aux œuvres dites sociales.
— 60 — à l’outillage économique.
— 33 — à la défense nationale.
— 16 — à divers services.


Quelles recettes pouvaient être mises en face de ces besoins nouveaux ? Déjà le budget de 1911 n’avait été équilibré que par l’inscription aux ressources exceptionnelles d’une somme de 101 millions prélevée sur les plus-values de l’exercice. D’autre part le ministre, dans ses prévisions de recettes, — et il faut l’en louer, — a été modéré : il a escompté une moins-value de 42 millions dans les droits de succession, et une autre de 26 millions dans les droits de douane, par rapport à la pénultième année, à cause des importations exceptionnelles de céréales faites au cours des derniers mois de 1910. Calculées sur cette base prudente, les recettes de 1912 atteignaient 4 325 millions, soit 61 millions de moins que celles de 1911, et laissaient un déficit de 178 millions, en face des prévisions de dépenses qui s’élèvent à 4 503 millions.

Comme ressource nouvelle, le ministre indique celle qu’il compte retirer d’une répression plus sévère de la fraude en matière de ventes de meubles et d’immeubles et de cessions d’offices ; il en attend 2 millions. Il propose de taxer à 5 centimes par 1 000 francs les opérations des bourses de commerce, qui devront dorénavant être inscrites sur un répertoire analogue à ceux qui existent pour les achats et ventes de valeurs mobilières : il en estime le produit à 4 millions de francs. Un remaniement du droit de contrôle sur les métaux précieux devra fournir 2 millions. Enfin le rendement d’une taxe sur l’éclairage au gaz et à l’électricité, dont le ministre emprunte l’idée aux législations espagnole, italienne et allemande et qu’il justifie par analogie avec celles qui frappent les huiles végétales, les bougies et le pétrole, est estimée à 15 millions. Il restait à trouver 155 millions. Ils sont obtenus par une convention avec la Compagnie des chemins de fer de l’Est, qui forme la partie caractéristique du budget de 1912. Cette convention mérite un examen approfondi, tant à cause de la lumière qu’elle jette sur la situation de notre réseau ferré et sur les rapports financiers que la sagesse d’une autre génération avait institués entre les Compagnies et l’Etat, qu’à cause de l’usage que M. Klotz a fait de cette ressource et des argumens qu’il présente au Parlement pour en recommander l’application à la mise en équilibre du budget.

D’après les célèbres conventions de 1859, revisées en 1883, le Trésor peut être amené à verser aux Compagnies concessionnaires de l’exploitation des chemins de fer certaines sommes en vertu de la garantie d’intérêt qu’il leur a consentie. Ces sommes doivent lui être remboursées dans des conditions déterminées, notamment après que les actionnaires ont touché un certain dividende, fixé en dernier lieu par les traités de 1883. Elles portent intérêt simple, au taux de 4 pour 100, en faveur de l’Etat, appelé également à participer aux bénéfices de l’exploitation au delà d’un chiffre, établi par les conventions. Seule, parmi les cinq grandes Compagnies qui subsistent depuis que celle de l’Ouest a été rachetée, celle du Nord n’a jamais fait appel à la garantie ; le Paris-Lyon-Méditerranée a remboursé à l’Etat les sommes qu’il lui devait en 1897 et qui s’élevaient alors à 150 millions ; l’Orléans, malgré des remboursemens qui en douze ans ont atteint 40 millions, en doit encore 233 à l’Etat. Le Midi est chargé d’une lourde dette de 308 millions, que le rachat du canal du Midi par l’Etat et sa mise à la disposition du public ont singulièrement contribué à grossir : le transport gratuit par eau fait une concurrence fâcheuse à la voie ferrée, dont les recettes ont diminué de ce chef. L’Est a vu sa situation s’améliorer notablement au cours du présent siècle : grâce en particulier au développement remarquable de l’industrie minière et métallurgique et à la mise en valeur du bassin de Briey, les recettes de son réseau présentent des augmentations rapides, qui lui ont permis le remboursement successif de sommes dont le total atteint, depuis 1899, une centaine de millions[1].

Le solde des avances fournies par l’Etat à la Compagnie de l’Est, déduction faite des sommes remboursées, s’élève aujourd’hui à 168 millions en capital. Une convention des 1er et 9 juillet 1909 prévoit une réduction de cette dette : la Compagnie s’est engagée en effet, afin d’améliorer les accès de son réseau vers le Simplon, à participer, jusqu’à concurrence de 10 millions de francs, à la formation du capital nécessaire à l’établissement de la ligne projetée sur territoire suisse entre Moutiers, Granges et Longeau. En échange de cette subvention, qui doit être imputée sur les réserves du domaine privé de la Compagnie, l’Etat a consenti à réduire d’égale somme le capital de la dette de garantie : cette réduction aura lieu par fractions correspondantes à celles qui seront versées du chef de la subvention de 10 millions ; jusqu’au moment de ces versemens, les intérêts au taux de 4 pour 100 continueront à courir au profit du Trésor. La dette de la Compagnie de l’Est en intérêts, qui était de 39 millions au 31 décembre 1910, va être ramenée à 28 millions le 31 décembre prochain et sans doute à 10 millions le 31 décembre 1912 ; car l’excédent des recettes au delà du revenu garanti (lequel comprend 20 750 000 francs de dividende réservé aux actionnaires) atteindra probablement cette année les 18 millions qui figurent aux prévisions budgétaires de 1912. À ce moment, la créance de l’État sera de 158 millions en capital et 10 en intérêt, soit au total 168 millions : par une convention en date du 6 septembre 1911, la Compagnie de l’Est s’est engagée à la rembourser, au cours de l’année 1912, par versemens échelonnés de douzièmes payables le dernier jour de chaque mois. Comme la Compagnie devra faire elle-même un emprunt pour se procurer cette somme, elle est autorisée à imputer au compte unique d’exploitation l’annuité dudit emprunt au taux maximum de 3,75 pour 100. Elle le réalisera au moyen de l’émission de bons spéciaux, remboursables au plus tard le 31 décembre 1934, date à laquelle expire la garantie d’intérêt qui lui a été accordée par l’État. Comme cette nouvelle charge retardera le moment auquel l’État devait participer aux bénéfices, à concurrence des deux tiers, la limite du partage a été abaissée de 29 500 000 à 20 750 000 francs. Cette dernière somme représente le revenu garanti aux actionnaires par la convention du 11 juin 1883.

La convention nouvelle transforme ainsi une dette différée en une dette immédiatement exigible. L’État ne pouvait en effet compter sur des remboursemens partiels qu’au fur et à mesure que les recettes de l’Est dépassaient le minimum garanti à cette Compagnie. D’autre part, si la prospérité actuelle continue, l’abaissement du point de partage constituera un avantage sérieux pour l’État, qui pourra, bien plus rapidement que sous l’empire du traité de 1883, envisager de ce chef une rentrée budgétaire.

Les ressources que l’application de la convention procurera au Trésor sont de 172 millions, parce qu’aux 168 millions dus au 31 décembre 1911 s’ajoutent environ 4 millions pour intérêts à partir de cette dernière date jusqu’à complet remboursement. M. Klotz propose de les verser à un compte provisionnel, destiné à rester ouvert pendant la présente législature, c’est-à-dire jusqu’en 1914 : il y puise les 155 millions dont il a besoin pour assurer l’équilibre de 1912, et y laisse par conséquent 17 millions. Il propose d’y ajouter les excédens du budget de 1911 qui, déduction faite des 101 millions dont le prélèvement a d’ores et déjà été autorisé, et d’une autre centaine de millions nécessaire pour couvrir des crédits supplémentaires, paraissent devoir s’élever à 143 millions. La réserve totale sera ainsi de 160 millions : elle devra servir à équilibrer les budgets de 1913 et de 1914, dans la mesure où le développement des ressources normales n’y suffirait pas. Si, dans trois ans, le compte provisionnel présente un solde créditeur, il sera porté en atténuation du découvert de trésorerie qui existe depuis 1900 du chef des avances faites aux Compagnies de chemins de fer, au titre de garantie d’intérêt, et dont le total s’élève à 103 millions.

Tel est le plan qui permet à son auteur d’affirmer qu’il a établi son budget sans impôt ni emprunt. Nous ferons cependant remarquer que les 15 millions de droits établis sur le gaz et l’électricité ne sauraient être appelés d’un autre nom que celui d’un impôt ; mais nous reconnaissons que, si la taxe est critiquable en elle-même, elle ne représente pas une somme importante, et nous ne contesterons pas au ministre l’exactitude de la qualification qu’il donne à son projet. Il l’a établi en partant de l’idée très juste que le contribuable français est surchargé, qu’à la politique de dégrèvemens qui avait pu être pratiquée pendant quelque temps au siècle dernier, a succédé une ère de fiscalité oppressive, qu’une série de taxes nouvelles ont été instituées et les tarifs de beaucoup d’anciens impôts augmentés, qu’il est indispensable de s’arrêter dans cette voie si on ne veut pas compromettre le développement du travail et de la richesse : le fait que certains relèvemens excessifs de droits n’ont pas donné les résultats attendus est à lui seul une démonstration de l’opportunité de ce programme.

Mais si nous acceptons ce dernier comme le moindre mal, dont parlait l’autre jour M. Paul Leroy-Beaulieu[2], nous pensons qu’il convient plus que jamais de discuter les dépenses auxquelles il a pour mission de pourvoir, et de rechercher à la fois les causes d’une progression chaque jour plus inquiétante et les remèdes qui pourraient y être apportés. L’une des raisons, nous devrions dire l’une des excuses, qui sont le plus souvent présentées au Parlement lorsqu’on lui met sous les yeux les milliards du train de maison que mène la France, c’est que les aggravations régulières résultent de lois antérieurement votées. On semble proclamer ainsi qu’une fatalité inéluctable nous condamne à dépenser chaque année davantage, comme s’il était nécessaire d’ajouter toujours de nouvelles sources de dépenses à celles qui existent déjà Peut-être qu’en parcourant ces comptes, dans lesquels figurent à la fois les services anciens, ceux qui ont paru de tout temps, chez la plupart des peuples, devoir être l’apanage de l’Etat, et d’autres qui ne lui ont été attribués que récemment et chez certaines nations seulement, nous trouverons une réponse à cette question que se pose aujourd’hui tout homme soucieux de l’avenir de sa patrie : « Comment réduire le fardeau des charges publiques ? » Pour cela, nous examinerons d’abord les dépenses en jetant un coup d’œil sur le chemin récemment parcouru : l’exposé des motifs du budget de 1912 nous facilitera notre tâche par la sincérité de sa documentation.

Un des mérites du projet de la loi de finances que nous avons sous les yeux est sa brièveté relative. Son auteur condamne avec raison la déplorable habitude, prise depuis longtemps, d’introduire dans ce projet une foule de dispositions n’ayant aucun rapport avec le règlement de l’exercice financier. Lorsque le Parlement, à bout de souffle, arrivait à la fin d’une session, sans avoir pu discuter des matières importantes, on insérait hâtivement dans la loi de finances telle disposition législative que l’on voulait faire voter à tout prix. Grâce à la lassitude qui s’empare des assemblées au moment où elles achèvent la discussion du budget, qui depuis des années se prolonge fort au delà du terme normal, bien des mesures ont été prises, bien des modifications considérables ont été apportées dans diverses branches de notre législation, sans que le public ait été averti et sans que les députés eux-mêmes aient envisagé la portée de leurs décisions. Il faut, comme le dit excellemment M. Klotz, réagir contre ces entraînemens : tout ce qui n’a pas pour objet essentiel de poser, de modifier ou d’étendre les règles propres à la gestion financière, a sa place marquée dans des projets de loi distincts. Le ministre a résisté à cette tendance et s’est borné à 70 articles, alors que la loi de finances du 8 avril 1910 en contient 153, et celle du 13 juillet 1911, un véritable code, 178 ! Il a refusé d’y insérer des modifications concernant la liquidation des pensions ainsi que les dispositions relatives au chèque postal, qui forment d’ailleurs l’objet d’un projet spécial déposé sur le bureau de la Chambre, depuis le 19 octobre 1907. La discussion de l’état de prévision et d’autorisation des recettes et des dépenses de 1912, c’est-à-dire du budget tel que le définit le décret du 31 mai 1862, se trouvera ainsi simplifiée : peut-être le verrons-nous voté avant le 31 décembre, ou du moins à une date qui diminue le nombre des douzièmes provisoires, croissant depuis quelques années. Ce régime des douzièmes est gros de périls. Le budget étant établi pour l’année entière, chaque retard apporté à son exécution en vicie le résultat pour toutes les dispositions qui diffèrent de celles de l’année précédente. Les adjudications afférentes aux entreprises nouvelles ne peuvent avoir lieu en temps utile ; des améliorations urgentes restent à l’état de projet. La comptabilité est bouleversée : ce ne sont que réordonnancemens et imputations, parce qu’on a substitué, par exemple, le régime des budgets annexes à celui des comptes spéciaux du Trésor, comme en matière de dépenses d’établissement du réseau de l’Etat, ou à celui des dépenses directement imputées sur le budget général, comme pour la fabrication des poudres et salpêtres. On vote, sous forme d’addition aux crédits provisoires, de véritables crédits supplémentaires, que l’on incorpore ensuite dans les lois de finances : c’est ainsi que celle de 1914 comprend 45 millions de crédits, qui normalement auraient dû en être exclus.


II. — LES DÉPENSES

Nos dépenses ont progressé depuis dix ans d’un milliard environ. Le tableau comparatif des crédits inscrits au budget de 1901 et à celui de 1912 nous montre que, dans aucune catégorie, il n’y a de diminution, sauf pour la Dette consolidée. Au début de la période que nous envisageons, la conversion de la rente 3 et demi en 3 pour 100 avait amené une économie de 34 millions. En 1901, M. Caillaux, s’inspirant de l’exemple de l’Angleterre, avait voulu amorcer un amortissement de notre rente perpétuelle, en annulant environ 15 millions de rentes du portefeuille de la Caisse des dépôts et consignations et en remboursant à celle caisse le capital et les intérêts de ces rentes au moyen d’annuités terminables, dont un certain nombre de budgets auraient supporté la charge. Malheureusement, il fallut bientôt abandonner ce projet sagement conçu, mais difficile à réaliser en présence de déficits budgétaires notables[3]. Comme le chapitre de la Dette publique consolidée avait été diminué de ces 15 millions, on fut obligé de les rétablir au budget de 1903, lorsque les rentes perpétuelles eurent été restituées à la Caisse des dépôts : c’est ce qui explique pourquoi la diminution du chapitre, pendant la période considérée, est inférieure à l’économie de 34 millions, réalisée par la conversion opérée à son début. Afin d’indiquer d’une façon complète la marche de notre Dette depuis le début du XXe siècle,


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Dépenses. 1901. 1902. En plus. En moins.
Millions de francs. « « «
Dette consolidée 676 606 » 19
Dette à terme. 366 374 8 «
Dette viagère. Pensions militaires. 149 183 34 «
— civiles. 79 118 39 «
— diverses. 17 23 6 «
Garantie d’intérêts ; insuffisance des chemins de fer de l’État. 43 110 67 «
Dépenses militaires (guerre, marine, colonies) 1112 1 112 1 432 320 «
Instruction publique 207 298 91 «
Dépenses sociales 14 179 165 «
Primes 34 52 18 «
Frais de régie autres que ceux des postes 224 278 54 «
Frais de régie des postes, télégraphes, téléphones 197 329 132 «
Remboursements et restitutions. 40 46 6 «
Autres dépenses 396 425 29 «
Totaux 3 554 4 503 969 19


rappelons qu’en 1901 il a été émis des rentes 3 pour 100 pour un capital de 265 millions, destiné à couvrir les dépenses occasionnées par les événemens de Chine. Mais les sommes nécessaires au service de l’intérêt de ces titres n’ont pas augmenté, le total de ce que réclame la Dette consolidée, parce que la loi du 31 décembre 1907 a annulé un chiffre égal de rentes cédées par la Caisse de dépôts : celle-ci reçoit, en échange, des annuités, qui figurent au chapitre de la Dette à terme et qui sont gagées elles-mêmes par celles de l’indemnité chinoise, dues au gouvernement français.

Les modifications de la Dette à terme proviennent de l’abandon de l’opération d’amortissement votée en 1901 et de la mise à exécution de certaines autres, notamment de celle de 1907. Le service d’intérêt des cautionnemens, qui lui incombe, a diminué, le total déposé de ce chef au Trésor ayant été ramené de 274 millions, chiffre du 1er janvier 1901, à 131 millions au 1er janvier 1911 : cette réduction est due en grande partie à l’institution du cautionnement mutuel. Les fonds nécessaires au remboursement ont été fournis par l’émission d’obligations à court terme, amorties aujourd’hui jusqu’à concurrence de 53 millions de francs. Les annuités dues aux Compagnies de chemins de fer ont été augmentées de 22 millions : elles résultent des avances en argent ou en travaux effectuées chaque année, dans les limites des autorisations législatives, par les Compagnies concessionnaires ou par l’administration des chemins de fer de l’État, qui reçoit elle-même du Trésor les annuités dont une Compagnie concessionnaire de son réseau eût été créancière. Remarquons en passant quelle étrange complication résulte de cette assimilation d’une administration publique à un entrepreneur particulier : l’Etat se paie à lui-même des annuités !

La Dette viagère a augmenté de 79 millions, dont 3i pour les pensions militaires et 39 pour les pensions civiles ; l’accroissement est bien plus fort pour les premières que pour les secondes. En effet elles ont augmenté de 50 pour 100, les pensions militaires de 23 pour 100. Le nombre des fonctionnaires ne cesse de grandir : les traitemens et les maxima de pensions ont été relevés ; le bénéfice du service actif a été accordé à certaines catégories de fonctionnaires ou d’employés qui en étaient exclus jusque-là L ; i moyenne de la pension, qui était de 1 136 francs il y a dix ans, est aujourd’hui de 1 289 francs, le nombre des pensionnaires a passé de 55 000 à 67 000.

La presque totalité des 67 millions dont s’est augmenté le chapitre des chemins de fer est due aux insuffisances de l’Ouest-État : d’une part, des travaux considérables sont exécutés sur le réseau ; d’autre part, le personnel exige une dépense de 122 millions au lieu de 79 en 1908. Les appels à la garantie, émanés des autres Compagnies, qui, il y a une vingtaine d’années, avaient atteint une centaine de millions, sont aujourd’hui réduits à peu de chose et ont fait place, dans certains cas, à des remboursemens.

Le ministère de la Guerre demande 226 millions, la Marine 99 millions de plus qu’en 1901. Le matériel, les approvisionnemens, l’aviation militaire, la réorganisation de l’artillerie, la mise en service de mitrailleuses, le relèvement du prix des denrées, les effets de la loi du service de deux ans, la dotation de l’armée coloniale, les améliorations de la solde des officiers subalternes, de la gendarmerie, de la garde républicaine, ont été les principales causes de l’augmentation des dépenses au ministère de la Guerre. Les constructions de fortes unités de combat et l’armement des cuirassés du type Danton expliquent l’augmentation du budget de la Marine, qui, en dix ans, a grossi de 35 pour 100.

La majoration des dépenses de l’Instruction publique est due surtout à l’enseignement primaire : des promotions de classes, des relèvemens de traitemens, des créations d’écoles et d’emplois, la participation aux constructions scolaires, l’enseignement primaire supérieur, les œuvres complémentaires de l’école, les écoles normales primaires ont exigé 70 millions de crédits nouveaux. Les lycées et collèges reçoivent 17 millions, l’enseignement supérieur et les services généraux du ministère 4 millions de plus qu’il y a onze ans.

Les dépenses sociales, inscrites pour 11 millions en 1901, reçoivent en 1912 une dotation de 163 millions, dont plus de la moitié, 85 millions, est due à la mise en vigueur de la loi de 1911 sur les retraites ouvrières et paysannes. 80 millions représentent ce qu’ont coûté le développement de la loi du 15 juillet 1893 sur l’assistance médicale et de celle du 1er avril 1898 sur la mutualité, l’assistance à l’enfance, les secours contre le chômage, les encouragemens aux sociétés ouvrières de production, les constructions d’habitations à bon marché, l’assistance aux vieillards : cette dernière seule exige aujourd’hui plus de 60 millions. La lenteur avec laquelle la population se plie aux exigences de la loi sur les retraites fait que vraisemblablement le crédit prévu pour la contribution de l’Etat ne sera pas épuisé en 1912.

L’augmentation des primes, dont le total s’est accru de plus de 50 pour 100, va presque entièrement à la marine marchande. Les régimes successivement institués par les lois de 1893, 1902 et 1906 se superposent en ce moment et l’ont que les subventions, en 1912, dépasseront de 15 millions celles de 1901. La culture de l’olivier reçoit, de par la loi du 13 avril 1910, une somme annuelle de 2 millions.

Les dépenses classées sous le titre de frais de régie sont de diverse nature : pour les douanes et les contributions indirectes, elles représentent surtout des frais de perception. Pour les manufactures de l’Etat, elles comprennent des achats de matières. Pour les postes, télégraphes et téléphones, elles embrassent à la fois l’exploitation présente, des frais de premier établissement en vue de l’exploitation future et des subventions aux compagnies maritimes. Le rapport entre ces frais et les recettes n’a donc pas précisément le caractère d’un coefficient d’exploitation. Toutefois, en séparant les postes, télégraphes et téléphones des autres chapitres, on voit que c’est là seulement que la proportion des dépenses par rapport aux revenus encaissés a subi une hausse notable : elle a passé de 79 à 91 pour 100 : l’Etat dépense 329 millions et n’encaisse que 361 millions. Au contraire, pour les contributions directes, l’enregistrement, le timbre, les domaines, les douanes, les contributions indirectes et les manufactures, les frais de recouvrement sont de 6,So au lieu de 6,85 pour 100 : la différence est insignifiante.

Le crédit des remboursemens et restitutions est augmenté de 6 millions, dont 4 concernent les dégrèvemens en matière de contributions directes, pour lesquels la dotation de 1901 était insuffisante. Il a fallu également majorer, à ce chapitre, celle des postes et télégraphes, à cause de l’accroissement de trafic avec l’étranger, auquel des remboursemens plus importans doivent dès lors être prévus.

Telles sont les principales augmentations de dépenses inscrites à notre budget dans la courte période des onze premières années du siècle. Il y a quelque chose d’effrayant dans cette ascension constante des charges publiques, pour une nation surtout dont la natalité décroît. Il est évident que, si notre population avait progressé depuis 1870, non pas même avec la vitesse de celle de nos voisins, mais seulement à une allure deux fois plus lente, nous serions aujourd’hui une cinquantaine de millions de Français : la part du fardeau budgétaire qui incombe au contribuable serait d’un quart inférieure à ce qu’elle est pour chacun des 38 ou 39 millions d’hommes qui peuplent notre territoire. Le problème serait moins angoissant. D’autre part, discuter l’utilité des dépenses est une tâche ingrate, et pourtant nécessaire : nous le ferons en essayant de remonter à leur source, et en nous demandant tout d’abord quels services doit assurer l’Etat ? Les réductions budgétaires pourraient en effet s’opérer de deux façons : l’une, de beaucoup la plus efficace, consisterait à retirer à l’Etat un certain nombre d’exploitations, dont l’industrie privée peut s’acquitter mieux et à meilleur marché ; la seconde viserait les économies à réaliser dans les services laissés entre ses mains. On répète souvent que ce n’est pas possible, et on se fonde, pour appuyer cette opinion, sur ce qu’on nomme le renchérissement de la vie. Mais la hausse des denrées, dont il est fait grand bruit en ce moment par toute l’Europe, n’est nullement un phénomène permanent : on peut s’en assurer en examinant les courbes des prix des objets de première nécessité depuis un siècle. Toutefois il est indéniable que, chez les peuples civilisés, il y a un effort constant vers une amélioration des conditions de l’existence ; ce desideratum existe chez les fonctionnaires comme chez les autres citoyens et les conduit à manifester des exigences croissantes ; il est donc vrai, dans un certain sens, que la vie renchérit régulièrement : mais ce n’est pas parce que le blé, les pommes de terre, le vin, ou le sucre sont l’objet de hausses temporaires dans les années de mauvaise récolte ; c’est parce que des besoins nouveaux naissent chaque jour, au point de vue de la nourriture, du vêtement, de l’habitation, de la récréation, et que la satisfaction de ces besoins implique une augmentation de dépenses. Il est naturel que les traitemens des serviteurs de l’Etat suivent une marche ascendante. Ce qui l’est moins, c’est que le nombre de ses employés s’accroisse d’une façon continue. Nous ne voudrions pas retomber dans une sorte de lieu commun, qui revient forcément sous la plume de ceux qui étudient ces matières, mais la pauvreté du rendement du travail de beaucoup de fonctionnaires, par rapport à celui des collaborateurs de l’industrie privée, est passée en proverbe. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher les motifs de ce fait, ni de se demander si des remèdes pourraient y être apportés. Nous ne voulons en tirer qu’une conclusion, c’est qu’il n’est pas désirable d’étendre les attributions de l’État, puisque le prix de revient de ce qu’il exécute va sans cesse en augmentant. Malheureusement c’est le contraire qui se produit : nous voyons le nombre des services publics grossir et les causes de dépenses se multiplier de ce chef.

Le chapitre le plus inquiétant sous ce rapport est celui des chemins de fer ; voici plus d’une trentaine d’années que, pour sauver du désastre complet un certain nombre de Compagnies qui avaient construit des tronçons de lignes mal conçues, peu productives, concédées sans plan d’ensemble, l’Etat s’avisa de les racheter et de les exploiter. Ce fut son premier réseau, qui n’a jamais donné de bénéfices réels. L’excédent apparent de recettes était à peu près égal aux sommes dépensées chaque année au compte de premier établissement. Un bilan, au sens précis du mot, n’a jamais été établi ; les sommes consacrées à l’acquisition et à la mise en état du réseau ne sont jamais apparues clairement. Mais le rachat de l’ancienne Compagnie de l’Ouest, transformée aujourd’hui en Ouest-État, a creusé un bien autre gouffre dans nos finances. La différence entre les recettes brutes et les dépenses d’exploitation, qui était de 72 millions en 1908, est tombée à 43 millions en 1912. Ce chiffre d’ailleurs ne représente en aucune façon un produit net disponible. Le budget du réseau voté pour 1911 comportait 289 millions de francs de dépenses ordinaires ; les prévisions « rectifiées » les ont portées à 322 millions. Les dépenses extraordinaires, prévues d’abord pour 123 millions, furent fixées ensuite à 136 millions : le déficit d’exploitation est de 76 millions !

Le ministre des Travaux publics, dans son exposé des motifs du budget du réseau pour l’exercice 1912, reconnaît que le déficit de l’exploitation atteint des proportions qu’il n’a point connues au temps de l’ancienne Compagnie ; que, bien que les recettes brutes soient en progrès, les produits nets sont en diminution constante, ce qui indique que la proportion des dépenses s’est élevée, et que le rachat n’a eu de conséquences heureuses que pour les employés, dont les traitemens se sont améliorés de 40 pour 100. En 1912, le personnel coûtera 43 millions de plus qu’en 1908. Voici du reste la comparaison des résultats sous les deux régimes :


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EXPLOITATION DE L’ANCIENNE COMPAGNIE Millions de francs « « EXPLOITATION DE L’ETAT Millions de francs « «
Années. Recettes. Dépenses. Produit net. Années. Recettes. Dépenses. Produit net.
1901 183 118 65 1909 219 152 67
1902 185 113 72 1910 229 174 55
1903 190 110 80 1911 233 171 62
1904 193 108 85 1912 244 201 43
1905 198 110 88 (Prévision)
1906 208 119 89
1907 211 131 80
1908 218 146 72


Nous savons que le simple rapprochement des chiffres, dans la circonstance actuelle, ne suffit pas pour juger une situation. Depuis assez longtemps la Compagnie de l’Ouest, se sentant menacée du rachat, avait réduit au strict nécessaire les travaux d’entretien, de réfection et surtout de construction ; l’Etat lui-même, craignant de grossir le capital à rembourser par lui lors de la reprise du réseau, imposait des économies excessives. Après le rachat, il s’est trouvé dans l’obligation de procéder rapidement à des dépenses considérables. Mais n’eût-il pas mieux valu donner à la Compagnie la sécurité du lendemain et lui imposer l’obligation de remettre, par ses propres moyens, son réseau dans les conditions qu’exige une bonne exploitation ? L’exemple des autres chemins de fer français est là pour prouver qu’un service de transport peut être assuré d’une façon irréprochable par l’industrie privée, sous la surveillance et le contrôle de l’Etat. Le rôle de celui-ci est de défendre les intérêts du public et de s’assurer que les concessionnaires remplissent les clauses de leurs cahiers des charges. Au point de vue financier, quel soulagement ce serait pour le budget que d’être délivré de ce poids et de cette incertitude ! En admettant même que, d’ici à quelques années, la période des grandes dépenses de premier établissement, ouverte en ce moment pour l’Ouest-Etat, soit close, il y aura toujours à redouter des fluctuations de recettes, et les mille aléas qu’entraîne une exploitation industrielle.

Un autre mal est l’obscurité que le mélange de sa comptabilité avec le budget jette sur celui-ci : c’est un mal commun à toutes les exploitations d’Etat, mais particulièrement redoutable quand il s’agit de chemins de fer. Le nouveau ministre des Travaux publics a révoqué le chef comptable du réseau d’Etat : mais c’est le système et non les hommes qu’il faut changer. Les agrandissemens, les renouvellemens, les transformations de voie et de matériel, portent sur des chiffres considérables. On nous objectera que, dans certains pays comme la Prusse, la presque totalité des chemins de fer sont entre les mains de l’État : mais des raisons historiques et politiques ont rendu inévitable la constitution de ce réseau, et aujourd’hui même des plaintes nombreuses se font entendre contre l’exploitation prussienne. Il nous sera permis d’ajouter que la discipline rigide des fonctionnaires de l’autre côté du Rhin est un facteur qui, jusqu’à nouvel ordre, y rend plus facile que chez nous la marche des services publics. En Italie, l’exploitation d’État soulève de vifs mécontentemens ; en peu d’années, le nombre des employés, depuis que la gestion du ministre des Travaux publics a été substituée à celle des trois compagnies des Méridionaux, de la Méditerranée et de la Sicile, y a passé de 80 000 à 135 000, et, de plus d’un côté, on se demande si on ne devrait pas revenir au système des sociétés fermières. Est-il besoin de rappeler que ni l’Angleterre ni les Etats-Unis n’ont un kilomètre de voie ferrée qui ne soit non seulement exploité, mais possédé par des compagnies particulières ? Pourquoi donc ne pas remettre, en France, le réseau d’Etat sous le même régime que les autres, et ne pas concéder à une Compagnie l’exploitation des 9 000 kilomètres qui constituent l’ensemble de l’ancien réseau d’État et du nouvel Ouest-État ? La convention avec l’Est, qui doit servir de pivot au règlement de trois budgets, montre ce que le Trésor peut attendre de ces sociétés bien dirigées.

Nous avons vu quelles diminutions considérables de revenu net accusaient les postes, télégraphes et téléphones. Cette dernière industrie est entre les mains de particuliers dans un très grand nombre de pays. Les télégraphes, dans l’Amérique du Nord, sont exploités par des sociétés privées, dont le service ne le cède en rien à celui de l’État, bien au contraire. Nous n’irons pas jusqu’à proposer qu’on rende ces exploitations libres : mais nous voudrions que cet exemple ne cessât pas d’être sous les yeux du parlement, de façon à le détourner d’élargir sans cesse la sphère d’action des ministres et des fonctionnaires placés sous leurs ordres. L’augmentation des frais de régie, qui dépassent de 186 millions, au budget de 1912, les mêmes frais pour 1901, se justifie peut-être par d’excellentes raisons techniques : mais nous ne pouvons nous empêcher de penser que si les tabacs, les poudres, les allumettes, étaient gérés par l’industrie privée, le budget ne se ressentirait pas des augmentations incessantes du prix de revient et pourrait obtenir, par voie d’impôt, des sommes au moins égales aux bénéfices nets que lui fournissent aujourd’hui ces monopoles.

L’augmentation des budgets de la Guerre et de la Marine est d’un peu moins de 30 pour 100 ; elle ne soulève pas d’objections de principe. Les événemens politiques et diplomatiques de 1911 ont démontré clairement, si tant est que cette démonstration fût nécessaire, que la France ne doit rien épargner pour le soin de sa défense nationale. La seule question à examiner est celle de savoir s’il est fait le meilleur usage possible des I 432 millions que nous payons de ce chef, et si notamment l’administration de la marine ne souffre pas de vices cachés. Lorsqu’on voit, à quatre ans de distance, deux de nos grands cuirassés, l’Iéna et la Liberté, détruits par une explosion dans le port de Toulon, on se demande avec angoisse s’il n’y a pas, à de pareils désastres, des raisons secrètes, qui proviendraient par exemple d’une insuffisance dans le commandement ou la surveillance de nos escadres. Il ne semble pas que les marines étrangères soient éprouvées au même degré par des accidens de cette nature.

L’Instruction publique a été traitée avec une générosité qui honore le gouvernement de la troisième République : déjà favorisée dans les trente premières années qui ont suivi la guerre, « lie a vu depuis lors, en un espace de temps trois fois plus court, ses crédits augmentés de presque 50 pour 100. Nous ne trouvons certes rien à redire à la pensée qui a dicté ces dépenses ; mais, en regardant de près la façon dont l’instruction est donnée au peuple, nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver certaines inquiétudes, ou tout au moins de poser certains points d’interrogation qui ne laissent pas que de nous préoccuper. Nous ne parlons ici que pour mémoire des modifications nombreuses qui se sont succédé dans les programmes de l’enseignement secondaire et qui, si elles ont donné et donnent encore lieu à bien des doutes sur leur efficacité, n’ont pas été toujours une cause de dépenses nouvelles. Nous avons en vue l’enseignement primaire, celui qui intéresse avant tout la nation, puisqu’il s’adresse à l’immense majorité de ses enfans, et qui a reçu la plus grosse part des crédits nouveaux.

Sans doute, il est digne d’une grande démocratie de répandre à profusion l’enseignement et de s’efforcer de donner au plus humble de ses citoyens le maximum de connaissances qui peuvent lui être utiles ; mais, dans cet ordre d’idées, n’a-t-on pas été trop loin ? L’éducation intégrale, pour employer l’expression qui a servi parfois à désigner le but rêvé, est-elle un bienfait pour chacun, et ne conviendrait-il pas de la mesurer aux besoins véritables de ceux qu’il s’agit avant tout de préparer à la vie ? On a souvent répété que chaque enfant doit pouvoir aspirer aux plus hautes destinées, comme on disait jadis que chaque soldat a dans sa giberne le bâton de maréchal de France : cela est vrai, mais ce n’est cependant pas en accumulant dans de jeunes cervelles de fils de paysans et d’ouvriers les élémens des sciences les plus diverses qu’on augmentera leurs chances de réussir dans la vie. Nous visitions dernièrement une école primaire de filles, dans un district rural : cm leur expliquait les étymologies grecques et latines des mots de notre langue. N’est-ce pas fatiguer inutilement les élèves, celles même qui rempliront certaines fonctions publiques, dans le service des postes par exemple ? Nous ne parlons pas de toutes celles dont la tâche essentielle devra consistera être de bonnes ménagères, des mères de famille attentives à la santé de leurs enfans et au bien-être de leurs maris. Ce sont là des problèmes bien délicats, et ce n’est pas à propos d’une discussion budgétaire qu’ils peuvent être résolus. Il nous paraît cependant que la progression des dépenses de l’instruction primaire devrait s’arrêter, et que la raison majeure en est que, déjà, dans plus d’une direction, on a dépassé le but.

Des dépenses dites sociales, il est aussi difficile de parler que de celles de l’enseignement public. Elles sont généralement votées par acclamation, et bien peu de députés ou de sénateurs prennent la peine de remonter aux idées générales d’après lesquelles elles devaient être discutées, approuvées ou rejetées. Nous les avions inaugurées par l’assistance aux vieillards et aux infirmes ; nous les avons installées dans notre budget à une place qui va s’élargir considérablement avec la loi des retraites ouvrières et paysannes. L’augmentation de la dernière décade est de 1 200 pour 100 : elle est loin de nous avoir amenés au terme de la progression. Notre législation à ce sujet s’est inspirée de deux idées différentes : la première fait intervenir la communauté dans le soulagement des misères humaines, en secourant ceux qui sont incapables de se suffire à eux-mêmes ; la seconde organise la prévoyance, oblige les travailleurs à faire un effort pour épargner et associe le Trésor et les patrons à leur action en triplant à leur profit les sommes que la loi les oblige à mettre de côté. Nous avons, du premier coup, été plus loin dans cette voie que l’Empire allemand, qui a inauguré il y a une trentaine d’années ce système et qui limite à une somme fixe de 50 reichsmarks la contribution qu’il fournit aux pensions préparées par la capitalisation des versemens des ouvriers et des patrons.

Les primes ont augmenté de plus de cinquante pour cent. Elles vont en majeure partie à la marine marchande, qui émarge encore à un autre chapitre du budget : celui des postes lui réserve de larges subventions, attribuées à certains parcours de grande vitesse, notamment à ceux des paquebots qui assurent des communications rapides entre la France et l’Amérique. Ici aussi de graves questions entrent en jeu : dans quelle mesure convient-il de prélever un impôt sur la masse des contribuables pour favoriser certaines cultures et certaines industries ? Seules, des considérations de défense nationale peuvent justifier de pareils sacrifices. On fait valoir la nécessité de conserver une marine de commerce prospère, dont les équipages en temps de guerre pourraient renforcer l’effectif de nos escadres.


III. — LES RECETTES

Si les dépenses d’un budget moderne sont d’une étrange complication et nous font pénétrer dans les mille ressorts d’une administration qui étend chaque jour davantage son rayon d’action, l’étude des recettes nous oblige à son tour à examiner une infinité de détails et nous montre cette même administration s’ingéniant à chercher partout la matière imposable, à intervenir dans la vie des citoyens, qui à ses yeux ne sont que des contribuables, à saisir toutes les manifestations de la vie économique pour les enregistrer et les taxer. L’arsenal des lois fiscales s’enrichit constamment, et on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de la fertilité d’invention du législateur qui découvre chaque jour de nouveaux modes de prélèvement et des moyens d’investigation et d’inquisition perfectionnés, ou de la docilité de ceux qui ne cessent d’acquitter, entre les mains du percepteur, le montant des impôts accrus et multipliés.

Le budget de 1911 a pu être équilibré sans emprunt, au moyen d’un prélèvement de 100 millions sur les ressources exceptionnelles fournies par les plus-values, c’est-à-dire l’excédent des rentrées au delà des prévisions. Il a également emprunté aux plus-values une autre somme de 100 millions destinée à couvrir des crédits supplémentaires et extraordinaires. Le budget de 1912 à son tour doit faire face à des dépenses supérieures de 15 millions à celles de 1911 et de près d’un milliard à celles de 1901. Nous comparerons, à ce point de vue, les deux exercices dont nous avons rapproché tout à l’heure les dépenses :


¬¬¬

Recettes. 1901. 1912 Différence en 1912 en plus « en moins
Millions de francs. « « «
Contributions directes et taxes assimilées 522 6004 82 «
Enregistrement (donations, successions, autres produits) 553 763 210 «
Timbre (valeurs mobilières, autres produits) 174 241 67 «
Opérations de Bourse 7 16 9 «
Taxe sur le revenu des valeurs mobilières 75 112 37 «
Douanes (droits à l’importation et autres produits) 438 586 148 «
Contributions indirectes (vins, bière, alcool, transports, licences, autres produits) 649 662 13 «
Sucres 199 167 « 32
Monopoles (allumettes, tabacs, poudres, postes, télégraphes, téléphones) 712 939 227 «
Diverses exploitations 17 11 « 6
Domaine (forestier et autres) 56 69 13 «
Produits divers 62 68 6 «
Ressources exceptionnelles 10 155 145 «
Recettes d’ordre 78 109 31 «
Recettes de l’Algérie 2 2 « «
Total 3 554 4 504 988 38
En plus en 1912 950 «


Tous les chapitres sont en augmentation, à l’exception des exploitations diverses et des sucres, dégrevés de plus de moitié : la taxe de consommation n’est aujourd’hui que de 25 francs par quintal, au lieu de 60 francs. Il est intéressant de rechercher ce qui, dans ce total de près d’un milliard, représente la part de l’impôt. Les diverses exploitations, le domaine, les recettes d’ordre, les rentrées exceptionnelles, les postes et télégraphes, les tabacs fournissent près de 400 millions, qui sont ou des ressources de trésorerie ou le prix de marchandises livrées ou de services rendus. Tel est du moins le calcul du ministre des Finances. Nous ferons une réserve en ce qui concerne le produit des monopoles : le fait qu’un service ou un produit est monopolisé entre les mains de l’Etat en soustrait le cours à la loi normale de l’offre et de la demande ; dès lors, il n’est pas exact de dire que le prix payé par le consommateur est uniquement la contre-partie de ce qu’il reçoit ; ce prix contient une part d’impôt, qui est la majoration que l’Etat lui fait subir par rapport à ce qu’il serait sous le régime de la libre concurrence. L’impôt proprement dit donne en 1912 une somme supérieure de 550 millions à celle qu’il fournissait onze ans auparavant. Voyons comment se décomposent ces chiffres.

La législation des contributions directes étant restée la même, sauf le dégrèvement sur la contribution personnelle mobilière consenti à 31 départemens par la loi du 16 juillet 1901, l’augmentation de rendement doit être considérée comme résultant du développement de la matière imposable.

L’augmentation des taxes assimilées aux contributions directes provient de la taxe sur les biens de mainmorte, de la redevance des mines et de la contribution des chevaux et voitures. En 1903, la taxe de mainmorte a été étendue à toutes les collectivités ayant une existence propre et subsistant indépendamment des mutations qui se produisent dans le personnel, à l’exception des sociétés en nom collectif et en commandite simple. La redevance fixe des mines a été élevée ; la redevance proportionnelle a été étendue aux opérations commerciales et industrielles se rattachant à leur exploitation ; les voitures automobiles de plus de 13 chevaux ont été frappées d’un tarif progressif.

Sur les 210 millions de plus-value produits par l’enregistrement, 111 ont été fournis par les droits de succession. Les lois de 1901 et de 1903 instituèrent des tarifs gradués selon l’importance des patrimoines transmis. Celle de 1910 élevâtes tarifs dans une proportion si forte que les résultats escomptés n’ont pas été obtenus et que le ministre a réduit de ce chef ses prévisions pour 1912[4]. Le tarif des mutations entre vifs a subi des accroissemens parallèles. Une taxe additionnelle a frappé les assurances contre l’incendie ; la taxe annuelle sur les titres au porteur a été portée de 0,20 à 0,25 pour 100 ; les apports immobiliers en société ont été assujettis au droit de transcription. Le timbre sur les fonds d’État étrangers a été porté de 1 à 2 pour 100 ; les titres étrangers énoncés dans les inventaires sont désormais soumis au timbre ; l’impôt sur les opérations de Bourse a été doublé et porté de 5 à 10 centimes par 1 000 francs. La taxe de 4 pour 100 sur le revenu des valeurs mobilières frappe dorénavant les bénéfices distribués aux membres des conseils d’administration des sociétés visées par la loi du 19 juin 1872.

L’élévation du produit des douanes est due à un certain nombre de dispositions spéciales, mais surtout à la révision du tarif général opérée par la loi du 29 mars 1910. D’ailleurs, les -variations de ce produit n’ont pas une signification aussi nette que celui des autres, vu l’influence considérable que les récoltes ont sur le mouvement des importations. Il est à remarquer que les élévations de produit de ce chapitre, chez des nations protectionnistes comme la nôtre, peuvent être l’indice d’une situation économique défavorable.

Les contributions indirectes ne présentent qu’une modeste augmentation de 13 millions, qui résulte de la différence entre l’augmentation de tous les produits, sauf l’alcool, au chapitre duquel est inscrite une diminution de 53 millions. Mais il faut tenir compte du fait que l’alcool était porté au budget de 1901 pour 407 millions, alors qu’il ne lui en a fourni que 324 : les 354 millions pour lesquels il figure au budget de 1912 constituent donc en réalité une. augmentation. La réglementation des bouilleurs de cru, édictée par la loi du 31 mars 1903, a malheureusement été abandonnée dès 1906 : cet abandon explique pourquoi la France retire relativement peu d’un impôt, qui pourrait facilement lui donner 100 ou 200 millions de plus. L’Angleterre perçoit plus de 600 millions de francs sur les spiritueux. La suppression du privilège des bouilleurs aurait non seulement de très heureuses conséquences au point de vue fiscal, mais aiderait à combattre le fléau de l’alcoolisme, qui s’étend tous les jours et qui est, à l’heure actuelle, le plus grand mal dont souffre notre pays.

L’impôt sur le gaz, l’électricité, l’acétylène existe dans certaines législations étrangères. Le ministre, en le proposant, s’appuie sur l’argument suivant. Notre législation, dit-il, frappe plusieurs matières qui servent au chauffage et à l’éclairage, les bougies, les huiles végétales, les essences minérales. Les bougies fournissent actuellement une recette annuelle de 6 millions, les huiles végétales 1 million et demi, les essences et huiles minérales plus de 60 millions. Le taux de ces taxes, par rapport au prix de vente, représente environ 14 pour 100 sur les bougies, 11 pour 100 sur les huiles végétales, 30 pour 100 sur les pétroles, sans compter les droits d’octroi. La valeur totale de ces produits étant d’environ 325 millions, l’Etat perçoit plus de 20 pour 100 de cette somme, alors qu’il ne prélevait jusqu’ici que des droits minimes sur les 250 millions qui sont dépensés annuellement pour le chauffage et l’éclairage par le gaz et l’électricité. Le projet de budget établit des droits d’un demi-centime par hectowatt-heure, soit 10 pour 100 du prix moyen de vente, d’un centime par mètre cube de gaz, soit moins de 5 pour 100 du prix ordinaire de vente ; et des taxes de 4 à 8 pour 100 sur la valeur des lampes et manchons. La perception paraît devoir être aisée, grâce au fait que les fournisseurs de gaz et d’électricité sont en général des sociétés anonymes, dont les écritures offrent des garanties de sincérité. Pour les manchons et lampes, le système adopté est celui des banderoles ou vignettes sur les emballages. Le relèvement de 375 à 500 francs par kilogramme du droit de garantie sur les ouvrages d’or et de platine constitue, avec la taxe précédente, le seul impôt nouveau.

Les recettes de 1912 se complètent par la ressource exceptionnelle que doit fournir le traité passé avec le chemin de fer de l’Est. Le ministre propose d’ouvrir dans les écritures centrales du Trésor un compte intitulé « compte provisionnel pour les exercices 1912, 1913 et 1914, » qui sera crédité de 158 millions que la Compagnie de l’Est s’est engagée à rembourser par anticipation au titre du capital de sa dette de garantie, et débité de 155 millions que le ministre est autorisé à appliquer aux ressources exceptionnelles de l’exercice 1912. Seront en outre inscrits au crédit de ce compte tous les intérêts dus et à devoir par la Compagnie de l’Est et prévus à la convention du 6 septembre 1911, et l’excédent des recettes budgétaires qui serait constaté en clôture de l’exercice 1911, jusqu’à concurrence de 155 millions. Seront inscrits au débit le montant des prélèvemens qui auront été autorisés au profit des budgets de 1913 et de 1914 par les lois de finances de ces exercices. Le compte provisionnel sera clos le 31 décembre 1914. Le solde créditeur qu’il présenterait à cette date sera transporté au crédit du compte ouvert parmi les services spéciaux du Trésor sous le titre : « Avances aux Compagnies de chemins de fer français pour garanties d’intérêts. » Par ce moyen, M. Klotz espère, non seulement avoir assuré l’équilibre du budget de 1912, mais préparé celui des deux suivans.


IV. — CONCLUSION

En résumé, malgré le milliard d’augmentation que les recettes annuelles ont réalisé dans la dernière décade, le ministre s’est trouvé en présence d’une insuffisance de 178 millions pour équilibrer son budget de 1912. Dans l’étude de l’histoire financière des dernières années, il avait recueilli un avertissement qui l’empêchait de songer à l’établissement de taxes nouvelles : pour 1907 en effet, il avait été créé 52 millions d’impôts nouveaux ; 9 pour 1908 ; 27 pour 1909 ; 157 pour 1910 et 8 pour 1911, au total 253 millions. D’autre part, les importations de céréales font supporter en ce moment aux contribuables le paiement de plusieurs centaines de millions du chef des droits de douane. L’insuffisance de 178 millions ayant été ramenée à 155 par l’établissement de la taxe d’éclairage et les mesures prises afin d’assurer l’acquittement intégral de certains droits, le ministre la fait disparaître en signant avec la Compagnie de l’Est une convention qui assure le versement immédiat au Trésor des sommes qui lui sont dues du chef des avances au titre de la garantie. Si le Parlement ratifie ces propositions, l’équilibre de 1912 sera assuré, à la condition que les crédits supplémentaires et extraordinaires ne viennent pas le compromettre, à la condition surtout que des surenchères électorales ne grossissent pas à tout instant le chiffre de certaines dépenses. Le 15 juin 1911, un ordre du jour voté au Palais-Bourbon a invité le gouvernement à déposer à la rentrée des Chambres un projet de loi qui abaisserait de 65 à 60 ans l’âge de la retraite et porterait à 100 francs l’allocation de l’Etat. Si une pareille disposition était insérée dans le budget de 1912, l’équilibre serait de nouveau rompu, et l’œuvre de Pénélope, à laquelle nos ministres des finances sont trop souvent condamnés, serait à recommencer une fois de plus.

Nous voudrions tirer une leçon de cette solution, qu’on appellerait en mathématiques u élégante, » du problème budgétaire. Elle constitue évidemment un expédient, puisque l’Etat va appliquer à des dépenses passagères un capital qui figurait à son actif, et dont la rentrée future représentait une réserve pour de nombreuses années à venir. On nous répondra que ce remboursement n’était pas absolument certain et qu’à tout le moins des événemens imprévus auraient pu le retarder. C’est vrai : à ce point de vue, l’encaissement immédiat et définitif constitue un avantage pour le Trésor. En tout cas, nous sommes disposé à croire qu’en présence de la situation actuelle c’était peut-être le moins mauvais parti à prendre. Mais nous ferons remarquer que, seule, la séparation des finances de la Compagnie de l’Est de celles de l’Etat a permis cette combinaison. C’est la prévoyance de nos pères, c’est la sagesse des dispositions prises pour régler les rapports du Trésor et des chemins de fer, qui ont préparé la convention du 6 septembre 1911, pierre angulaire du budget de 1912. C’est M. de Franqueville, avec le système du déversoir, et M. Raynal, avec les conventions « scélérates » de 1883, qui ont fait des compagnies fermières du réseau français des organismes assez étroitement attachés au Trésor pour lui venir en aide, et assez puissans par eux-mêmes pour avoir un crédit propre et en faire usage au profit des finances publiques. N’est-il pas piquant de constater que c’est pour avoir voulu s’écarter de cette politique, que nous sommes en face des difficultés de l’heure présente ? Le réseau de l’Ouest-Etat est le principal facteur du déficit budgétaire, que l’Est va combler. Il serait utile que cet enseignement fût compris. Le rôle de l’Etat n’est pas d’être industriel. Il doit faire ce qui est en son pouvoir pour développer les industries privées, ou plutôt pour les laisser grandir sans entraves ; car elles réclament de lui beaucoup moins une tutelle que la liberté. Son devoir est d’ailleurs de les surveiller, d’empêcher les abus, d’exiger d’elles l’impôt, jusqu’à la limite où la fiscalité tarirait les sources vives et briserait le ressort indispensable à tout progrès économique, celui de l’intérêt personnel et de l’espoir des bénéfices. Si nos Chambres voulaient se pénétrer de cette vérité, l’établissement de nos budgets futurs serait singulièrement facilité. On ne verrait pas de nouveaux ministères ou de nouvelles directions, installés à grands frais, s’emparer de branches du commerce ou de l’industrie, désormais soustraites à l’initiative et à la concurrence des particuliers. Si l’invasion de l’étatisme s’arrêtait, si on cessait de créer à tout propos et hors de propos des fonctionnaires chargés de besognes souvent oiseuses, et parfois nuisibles, les ministres des Finances éprouveraient moins de difficultés à établir leurs budgets ; ils pourraient doter plus largement les services vraiment utiles et reprendre la politique d’amortissement vainement essayée à diverses reprises, indispensable cependant au pays qui porte le poids de la plus lourde dette du monde.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.

  1. En 1901 et 1902 l’Est avait fait appel à la garantie pour 5 millions, ce qui ramène le remboursement total net des douze années 1899-1910 à 93 millions.
  2. Voyez l’Économiste français du 23 septembre 1911.
  3. Le budget de 1901 se soldait par un excédent de dépenses de 125 millions, celui de 1902 par un excédent de dépenses de 116 millions (Exposé des motifs du budget de 1912, p. 53).
  4. La législation fiscale sur les successions est une de celles qui, dans nombre de pays, ont subi les transformations les plus rapides depuis une vingtaine d’années. Le signal du mouvement a été donné par l’Angleterre, où sir William Harcourt a profondément modifié en 1894 l’assiette de l’impôt et l’échelle des taxes. Plusieurs de ses successeurs ont déjà élevé ces dernières, en maintenant la base établie lors de la réforme. Néanmoins, en cette matière plus qu’en toute autre, il est dangereux de passer les bornes et de transformer l’impôt en confiscation. Un exemple instructif vient de nous être fourni par l’État de New-York. Il avait, jusque dans les derniers temps, des taxes d’héritage très modérées : 1 pour 100 en ligne directe ; 5 pour 100 en ligne collatérale ; puis il avait brusquement adopté une échelle progressive qui les portait jusqu’à 5 pour 100 en ligne directe et 25 pour 100 en ligne collatérale. Mais il a éprouvé de tels mécomptes dans la perception, qu’il vient de les réduire de façon que le maximum n’est plus que de 4 pour 100 en ligne directe et 8 pour 100 en ligne collatérale. Tels qu’ils existent à New-York, les droits de succession sont incomparablement plus modérés qu’en France : ainsi une succession de 100 000 francs en ligne directe, entre époux, entre frères et sœurs, paiera à New-York 1 pour 100 ; en France, 3 pour 100 en ligne directe ; 7 p. 100 entre époux ; 13 p. 100 entre frères (voyez à ce sujet le très intéressant article de M. Pierre Leroy-Beaulieu dans l’Economiste français du 23 septembre 1911).