Le Professeur Charcot, étude scientifique et biologique/Curriculum vitae

À la suite de cet aperçu général sur la personnalité du professeur M.  Charcot, nous croyons devoir ajouter son curriculum vitæ avec l’indication de ses principales productions scientifiques :

M.  Charcot naquit à Paris le 29 novembre 1825, d’une famille peu fortunée, mais très respectée pour son honnêteté et son existence laborieuse.

Son père, vu ses moyens limités, racontait-il, n’avait pu donner l’éducation supérieure, qui coûte si cher en France, qu’à l’un de ses trois fils. Il décida que celui qui la recevrait serait celui qui aurait fait preuve de plus d’aptitudes durant ses premières études. Jean-Martin Charcot y laissa ses frères très loin derrière lui et, plus favorisé qu’eux, entra au lycée Saint-Louis. Un de ses frères embrassa la carrière militaire, le troisième devint le compagnon de leur père et son successeur dans sa profession.

Au sortir du lycée en 1844, M.  Charcot alla continuer ses études à la Faculté de médecine de Paris. En 1848, après le concours général, il fut nommé interne des hôpitaux, et en 1853, après sa dissertation sur l’affection des articulations dans le rhumatisme chronique et la goutte, il fut reçu docteur et attaché par la Faculté à la chaire des maladies internes. Après des épreuves spéciales, il fut nommé, en 1856, médecin du Bureau central et, en 1860, professeur agrégé après l’épreuve du deuxième concours et d’une nouvelle dissertation sur l’inflammation chronique du poumon.

En 1862, Jean-Martin Charcot était nommé médecin à la Salpêtrière, où il avait été primitivement interne. C’est là que commença, d’abord en collaboration avec son camarade le Dr  Vulpian, devenu aussi une célébrité médicale de Paris, et puis d’une manière complètement indépendante, cette activité si laborieuse et si féconde qui devait enrichir la science des acquisitions les plus précieuses durant un espace de trente années.

M.  Charcot insérait ses premiers travaux dans les Archives médicales de la Salpêtrière, la Gazette hebdomadaire, la Gazette des hôpitaux et dans d’autres recueils périodiques ; il faisait, en outre, des communications fréquentes à la Société de biologie, dont il fut d’abord secrétaire et plus tard vice-président, ainsi que président de la Société anatomique de Paris.

Ce fut en 1866 que M.  Charcot inaugura, à la Salpêtrière, ses cours des maladies intérieures. Quand, en 1870, il ouvrit ses cours spécialement destinés aux maladies nerveuses, son nom devenu célèbre, non seulement en France, mais dans le monde entier, attira dans son auditoire une quantité de médecins français et étrangers. Mais la guerre interrompit ces cours et M.  Charcot s’adonna entièrement à ses devoirs pratiques à la Salpêtrière et à la baraque spéciale des blessés.

En 1872, la Faculté de Paris le choisissait en qualité de professeur à la chaire d’anatomie pathologique pendant que l’Académie de médecine le nommait membre titulaire.

En 1882, la Faculté de médecine avec l’assentiment du gouvernement créait spécialement pour lui une chaire indépendante des maladies nerveuses, et on ouvrait en même temps à la Salpêtrière une clinique spéciale des mêmes maladies comprenant une section pour les hommes.

En 1883 il était nommé membre de l’Académie des sciences.

Pour faciliter la revue chronologique de l’activité médico-littéraire de M. Charcot, il faut la diviser en trois périodes : la première contenant ses travaux sur les maladies intérieures ; la seconde, répondant à l’époque où il était professeur d’anatomie pathologique, y ajoute les travaux sur les maladies nerveuses, auxquelles il donnait ses préférences. Enfin, dans la troisième période, il se consacre entièrement aux maladies nerveuses et psychiques.

Ses travaux des deux premières époques concernent les maladies du poumon, du foie, des reins, du cœur, des vaisseaux sanguins, des os, des articulations, celles qui sont inhérentes à la vieillesse, au sang, la leukœmie, la mélanæmie, le rhumatisme, la goutte et la tuberculose. Nous avons déjà parlé de l’importance que ces différents travaux présentaient au moment de leur apparition. Renfermant beaucoup d’aperçus nouveaux et originaux, ils occuperont une place honorable dans l’historiographie de ces diverses affections.

Ce fut dans l’étude des maladies nerveuses que se montra surtout sa fécondité ; ici, ses travaux sont si nombreux que nous ne pouvons guère indiquer que les principaux.

Un des plus importants concerne ses recherches sur le ramollissement cérébral et sa distinction, au point de vue anatomique, d’avec les différentes espèces d’inflammation de cet organe. Il a décrit, avec le professeur Bouchard, l’affection spéciale des artères du cerveau : les anévrismes miliaires des petites artères comme la cause fréquente des hémorragies cérébrales (apoplexies). Il étudiait ces différents processus pathologiques sur les vieillards qui forment le principal contingent des malades à la Salpêtrière. Les affections du système nerveux chez les enfants présentaient aussi un grand intérêt d’études. En même temps que ses travaux précédents apparaissait un travail non moins remarquable sur l’atrophie du cerveau chez les enfants.

Il a rendu un immense service à la neuropathologie par le fondement et le développement de la doctrine sur l’aphasie et ses formes différentes, ainsi que de celle de la localisation des affections de la moelle épinière et celles du cerveau ; il a brillamment démontré en ceci son grand talent d’organisateur.

Ses travaux sur les maladies de la moelle épinière forment une acquisition des plus précieuses pour la neuropathologie. Il a découvert une maladie à part, autochtone, de la moelle épinière : la sclérose amyotrophique latérale, et a décrit les différentes formes de la dégénération secondaire de la moelle épinière.

Dans la maladie connue depuis longtemps, l’ataxie locomotrice progressive, il a découvert une affection spéciale des os et des articulations, étudié les phénomènes épisodiques de cette maladie : crises du larynx, de l’estomac, des reins, etc. ; et décrit l’atrophie unilatérale des muscles de la langue dans cette maladie.

En même temps que le professeur Erb, il a décrit la forme particulière de l’affection de l’épine dorsale nommée : tabès spasmodique.

Ses études sur l’affection des membranes de la moelle épinière présentent beaucoup d’originalité. Il a fait une description détaillée des effets cliniques et des lésions anatomiques dans la forme spéciale de l’affection des membranes de la moelle épinière dans sa partie cervicale : pachyméningite cervicale hypertrophique.

Il a étudié les lésions organiques des éléments nerveux dans les colonnes grises antérieures de la moelle épinière comme substratum pathologo-anatomique dans la paralysie enfantine et dans l’atrophie musculaire progressive du type Aran-Duchenne, et a démontré sa différence avec une autre atrophie musculaire progressive d’origine autochtone : myopathie progressive primitive.

Il a étudié et présenté magistralement la description de la sclérose en plaques disséminées du système nerveux, de la paralysis agitans, de la maladie de Basedow ainsi que de l’affection particulière de la moelle épinière : syringomyélie, en rendant l’honneur de cette dernière découverte aux médecins allemands et russes.

Ses recherches sur le vertige de Ménière, l’épilepsie de Jackson, les maladies de Basedow, Parkinson, Thomson, Friedreich et Marvan contiennent beaucoup de choses originales. Il a établi ce qui les distingue d’autres maladies similaires dans leur développement régulier comme dans leurs formes frustes et compliquées. Dans les leçons consacrées à l’étude de ces diverses maladies, il conseillait de les dénommer d’après les auteurs qui les avaient décrites, rendant ainsi hommage à leur mérite. C’est aussi lui qui a proposé d’appeler du nom de paralysie de Duchenne le groupe des phénomènes nerveux constituant la paralysie des lèvres, de la langue et du larynx, décrits par lui.

L’étude de l’affection des nerfs périphériques a été fort enrichie par ses recherches originales dans cette partie du système nerveux, dans l’ataxie locomotrice progressive, dans les empoisonnements chroniques par l’alcool, le plomb, etc., dans le diabète, dans le traumatisme, dans l’affection des articulations, comme phénomène consécutif, dans la sciatique avec déviation secondaire de la colonne dorsale, dans l’ophtalmoplégie, etc.

Ses recherches dans le domaine de l’hystérie sont particulièrement remarquables. Malgré qu’elles fussent précédées de l’œuvre classique de Briquet et des travaux considérables de Duchenne de Boulogne, Lasègue, Legrand du Saulle et d’autres auteurs, M. Charcot, tant par ses propres études que par celles de ses élèves guidés par lui, a élargi, transformé, créé pour ainsi dire sur l’hystérie une doctrine tout à fait spéciale. Il a étudié sa nature, les différentes formes de sa manifestation périodique ainsi que sa diagnostique différentielle d’avec d’autres affections nerveuses qui lui ressemblent en apparence et ses complications par d’autres processus pathologiques.

Dans ce domaine l’objectif de ses investigations particulières fut les diverses manifestations de ce processus pathologique si répandu : paralysies, contractures, anesthésie unilatérale, ovarialgie, ishurie, perte de la vue et de la faculté de discerner les couleurs (achromatopsie), mutisme, tremblement, chorée rythmique, toux, bâillement, monoplégie, manifestation monosymptomatique, contracture de la langue et des muscles faciaux, hystéro-traumatisme, œdème bleu, hystérie chez les hommes, etc.

Avec l’hystérie M. Charcot étudiait également l’hypnotisme, le somnambulisme, le dédoublement de la personnalité, la suggestion, l’autosuggestion, etc.

Ses ouvrages sur les affections psychiques furent écrits en grande partie en collaboration avec M. Magnan.

La médecine légale et sa pratique ont beaucoup puisé dans ses travaux si précieux.

M. Charcot a énoncé ses opinions philosophiques dans ses ouvrages : De l’expectation en médecine, Parallèle entre la médecine empirique et la médecine scientifique, et dans un de ses derniers articles : La foi qui guérit.

Ses autres travaux : Les difformes et les malades dans l’art, Les Démoniaques dans l’art et d’autres en collaboration avec M. P. Richer, De quelques marbres antiques concernant les études anatomiques, Représentation d’après nature de la danse de Saint-Guy par Breughel, Esquisse de Rubens représentant une démoniaque, expriment sa manière de voir artistique.

M. Charcot fut un des fondateurs des éditions périodiques : Archives de Physiologie normale et pathologique, le Progrès médical, Archives de neurologie, Revue mensuelle de médecine et de chirurgie, Iconographie photographique de la Salpêtrière, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, Archives de médecine expérimentale et d’anatomie pathologique et aussi un des rédacteurs des volumineuses éditions encyclopédiques, Traité de médecine et Bibliothèque médicale.

Biarritz, septembre 1893.