Le Prisme (Sully Prudhomme)/Sonnet à Henner

Œuvres de Sully Prudhomme, Poésies 1879-1888Alphonse Lemerre, éditeurPoésies 1879-1888 (p. 99).


SONNET


a henner


La terre avec lenteur, dans les âges anciens,
Apprêtait sa palette en composant sa flore.
Fleur suprême, la chair attendit pour éclore
L’essai soigneux des tons dignes d’être les siens.

Lors parut la Beauté, qui par de forts liens
Traîne à ses pieds l’Amour dont le soupir l’implore.
Forme qu’un sang vivace et printanier colore.
Le plus suave, hélas ! le plus frêle des biens !

Mais les peintres, rivaux heureux de la Nature,
Prêtent à cette forme une splendeur qui dure
Et nous ravit les yeux sans nous coûter un pleur.

Grâce à toi, sans souffrir, nous l’aimons sur la toile
Comme dans l’ombre un lis dont l’exquise pâleur
Blondirait au baiser vif et doux d’une étoile.