Le Printemps (Aubigné)

Le Printemps (Aubigné)
Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’AubignéAlphonse Lemerre éd.3 (p. 19-209).

LE PRIMTEMS
DU
SIEUR D’AUBIGNÉ

PREMIER LIVRE

HECATOMBE A DIANE.


I.

Accourez au secours à ma mort violente,
Amans, nochers experts en la peine où je suis,
Vous qui avez suivi la route que je suis
Et d’amour esprouvé les flots & la tourmente.

Le pilote qui voit une nef perissante,
En l’amoureuse mer remarquant les ennuis
Qu’autrefois il risqua, tremble & luy est advis
Que d’une telle fin il ne pert que l’attente.

Ne venez point ici en espoir de pillage ;
Vous ne pouvez tirer profit de mon naufrage :
Je n’ay que des souspirs, de l’espoir, & des pleurs.

Pour avoir mes souspirs les vents lèvent les armes,
Pour l’air font mes espoirs volagers & menteurs,
La mer me fait perir pour s’enfler de mes larmes.


II.

En un petit esquif esperdu, malheureux,
Exposé à l’horreur de la mer enragee,
Je disputoy’ le sort de ma vie engagee
Avecq’ les tourbillons des bises outrageux.

Tout accourt à ma mort : Orion pluvieux
Creve un déluge espais, & ma barque chargee
De flotz avecq’ ma vie estait my submergee,
N’ayant autre secours que mon cry vers les Cieux.

Aussitost mon vaisseau de peur & d’ondes vuide
Reçeut à mon secours le couple Tindaride,
Secours en desespoir, oportun en destresse ;

En la Mer de mes pleurs porté d’un fraile corps,
Au vent de mes souspirs pressé de mille morts,
J’ay veu l’astre beçon des yeux de ma Deesse.


III.

Miséricorde, ô Cieux, ô Dieux impitoyables,
Espouvantables flots, o vous palles frayeurs
Qui mesme avant la mort faites mourir les cœurs.
En horreur, en pitié voyez ces misérables !

Ce navire se perd, desgarny de ses cables,
Ces cables ses moyens, de ses espoirs menteurs ;
La voile est mise à bas, les plus fermes rigueurs
D’une fiere beauté sont les rocs imployables ;

Les mortels changements sont les sables mouvant,
Les sanglots sont esclairs, les souspirs font les vents,
Les attentes sans fruict sont escumeuses rives

Où aux bords de la mer les esplorés Amours
Vogans de petits bras, las & foible secours,
Aspirent en nageant à faces demivives.

IV.

Combattu des vents & des flots,
Voyant tous les jours ma mort preste
Et abayé d’une tempeste
D’ennemis, d’aguets, de complots,

Me resveillant à tous propos,
Mes pistolles dessoubs ma teste,
L’amour me fait faire le poete,
Et les vers cerchent le repos.

Pardonne moy, chere Maistresse,
Si mes vers sentent la destresse,
Le soldat, la peine & l’esmoy :

Car depuis qu’en aimant je souffre,
Il faut qu’ils sentent comme moy
La poudre, la mesche, & le souffre.


V.

Ronsard, si tu as sçeu par tout le monde espandre
L’amitié, la douceur, les grâces, la fierté,
Les faveurs, les ennuys, l’aise & la cruauté,
Et les chastes amours de toy & ta Cassandre :

Je ne veux à l’envy, pour sa niepce entreprendre
D’en rechanter autant comme tu as chanté,
Mais je veux comparer à beauté la beauté,
Et mes feux à tes feux, & ma cendre à ta cendre.

Je sçay que je ne puis dire si doctement,
Je quitte le sçavoir, je brave l’argument
Qui de l’escript augmente ou affoiblit la grâce.

Je sers l’aube qui nait, toi le soir mutiné,
Lorsque de l’Océan l’adultère obstiné
Jamais ne veut tourner à l’Orient sa face.



VI.

J’entreprens hardiment de te rendre eternelle,
Targuant de mes escripts ton nom contre la Mort,
Mais en t’eternisant je ne travaille fort ;
Ta perfection n’est en aucun poinct mortelle,

Rien n’est mortel en toy, ta chasteté est telle
Que le temps envieux ne luy peut faire tort.
Tes dons, thresors du Ciel, ton nom exemptz du port
Et du fleuve d’oubly ont la vie immortelle.

Mesmes ce livre heureux vivra infiniment
Pour ce que l’infiny sera son argument.
Or je rend grâce aux Dieux de ce que j’ay servie

Toute perfection de grace & de beauté,
Mais je me plein’ à eux que ta sévérité,
Comme sont tes vertus, aussi est infinie.


VII.

D’un outrageux combat la Fortune & l’Amour
Me veulent ruiner & me veulent bien faire :
L’Amour me veut aider, & Fortune contraire
Le brouille en le trompant de quelque nouveau tour.

L’un fit dedans les yeux de Diane sejour,
Luy embrasa le cœur & l’ame débonnaire,
L’autre lui opposa une troupe adversaire
De malheurs pour sa mort & pour mon dernier jour.

Diane assiste moy, notre perte est commune,
Faisons rompre le col à l’injuste Fortune
Inconstante, fascheuse, & qui nous a trahis.

Combattons pour l’Amour, c’est pour nous, ma Maistresse,
Loge le dans mon cœur & au tien, ma Deesse,
Qu’il ait passages forts, la langue & le pais.


VIII.

Ouy, mais ainsi qu’on voit en la guerre civile
Les débats les plus grands du faible & du vainqueur
De leur doubteux combat laisser tout le malheur
Au corps mort du pais, aux cendres d’une ville.

Je fuis le champ sanglant où la fureur hostile
Vomit le meurtre rouge, & la scytique horreur
Qui saccage le sang, richesse de mon cœur,
Et en se débattant font leur terre stérile.

Amour, Fortune, helas ! appaisez tant de traicts,
Et touchez dans la main d’une amiable paix :
Je fuis celuy pour qui vous faictes tant la guerre.

Assiste, Amour, tousjours à mon cruel tourment !
Fortune, appaise toy d’un heureux changement,
Ou vous n’aurez bientost ny dispute, ny terre.


IX.

Ce qui a esgalé aux cheveulx de la terre
Les tours & les chasteaux qui transpercent les cieux,
Ce qui a renversé les palais orgueilleux,
Les sceptres indomptez eslevez par la guerre,

Ce n’est pas l’ennemy qui un gros camp asserre,
Menace & vient de loin redouté, furieux :
Ce sont les citoyens, esmeuz, armés contr’eux,
Le bourgeois mutiné qui soy mesme s’enferre.

Tous mes autres haineux m’attaquans n’avoyent peu
Consommer mon espoir, comme sont peu à peu
Le débat de mes sens, mon courage inutile,

Mes souspirs eschauffez, mes desirs insolents,
Mes regrets impuissants, mes sanglots violents,
Qui font de ma raison une guerre civile.


X.

Bien que la guerre soit aspre, fiere & cruelle
Et qu’un doubteux combat desrobbe la douceur,
Que de deux camps meslez l’une & l’autre fureur
Perde son esperance, & puis la renouvelle,

En fin lorsque le champ par les plombs d’une grelle
Fume d’ames en haut, ensanglanté d’horreur,
Le soldat desconfit s’humilie au vainqueur,
Forçant à joinctes mains une rage mortelle.

Je suis porté par terre, & ta douce beauté
Ne me peut faire croire en toy la cruauté
Que je sen’ au frapper de ta force ennemie :

Quand je te cri’ mercy, je me metz à raison,
Tu ne veux [me] tuer, ne m’oster de prison,
Ny prendre ma rançon, ny me donner la vie.


XI.

L’Amour pour me combattre a de vous emprunté
Vostre grace celeste & vostre teint d’yvoire,
Vos yeux ardentz & doux & leur prunelle noire,
Vainqueur par vostre force & par vostre beauté

Des traicts que vous avez à ce voleur presté.
Non à vous, mais à luy il appreste une gloire,
Si tres douce au vaincu qu’il aime la victoire
Et mourir par le fer dont il est surmonté :

Madame, j’ayme mieux qu’Amour vainqueur me tue,
Me ravissant par vous, le sens, l’ame & la veue
Que si vous luy ostiez les armes & le cœur ;

Mais si vous me donnez un jour par la poignee
La beauté ennemie, & la grâce esloignee,
Lors vous triompheriez par moy d’un Dieu vainqueur.


XII.

Souhaitte qui voudra la mort inopinee
D’un plomb meurtrier & prompt au hazard envoyé,
D’un coutelas bouchier, d’un boulet foudroyé,
Crever poudreux, sanglant, au champ d’une journee ;

Souhaitte qui voudra une mort entournee
De medecins, de pleurs, & un lict coutoyé
D’heritiers, de criards, puis estre convoyé
De cent torches en feu à la fosse ordonnee ;

Je ne veux pour la solde estre au champ terrassé,
On est aujourd’huy trop mal récompensé :
Je trouve l’autre mort longue, bigotte & folle ;

Quoy donc ? bruslé d’amour que Diane en douleurs
Serre ma triste cendre infuse dans ses pleurs
Puis au sein d’Artemise un tombeau de Mausole.


XIII.

Diane, aucunes fois la raison me visite
Et veut venir loger en sa place, au cerveau.
Mais elle est estrangere, & un hoste nouveau
Qui ne la cognoist point, la chasse & met en fuitte,

II gaigne mes desirs, les agace & despite,
Encontre ma raison, & bravant de plus beau
Mes pensers subornez, il arme d’un monceau
De fleches & de feux qu’ilz portent à sa fuitte.

Ha desirz esgarez ! ah esclaves d’amour !
Ha ! mes traistres pensers ! vous maudirez le jour
Que l'amour vous arma pour combattre le droict.

La Royne naturelle est tousjours la plus forte :
« Point, ce dirent ces fols, le plus fort nous emporte,
L'amour surmonte tout, qui luy resisteroit ? »

XIV.

Je vis un jour un soldat terrassé,
Blessé à mort de la main ennemie ;
Avecq’ le sang l’ame rouge ravie
Se debattoit dans le sein transpercé.

De mille mortz ce perissant pressé
Grinçoit les dents en l’extreme agonie,
Nous prioit tous de luy haster la vie :
Mort & non mort, vif non vif fut laissé.

« Ha, di-je allors, pareille est ma blesseure,
Ainsi qu’à luy ma mort est toute seure,
Et la beauté quy me contraint mourir

Voit bien comment je languy’ à sa veue,
Ne voulant pas tuer ceux qu’elle tue;
Ny par la mort un mourant secourir. »


XV.

Lorsque nous assaillons un fort bien defendu
Muny de gentz de bien, d’assiette difficile,
Le cœur, l’envye en croist, tant plus inaccessible
Et dur à surmonter est le bien prétendu.

Le butin n’est plaisant qui est si tost rendu,
L’amitié qui nous est trop prompte & trop facile
Rend l’or à bon marché & un grand threfor vile,
Et le fort bien tost pris aussi tost est perdu.

Il faut gaigner, garder une place tenable :
La gentille malice en la dame est loüable,
Par l’opiniastreté l’amant est embrasé.

Douce victoire, à peine ay-je fait preuve en somme
Que c’est le naturel de l’amitié de l’homme
D’affecter l’impossible & mespriser l’aisé.

XVI.

Quand je voy’ ce chasteau dedans lequel abonde
Le plaisir, le repos, & le contentement,
Si superbe, si fort, commandé fierement
D’un marbre cannelé, & de mainte tour ronde,

Je vironne à l’entour. & en faisant la ronde
J’oppose à mon plaisir, le dangier, le torment,
Et contre tout cela l'Amour fait vaillamment
Vaincre par les desirs toutes les peurs du monde :

L’Amour commande là, qui d’un traict rigoureux
Perce les conquerans, meurtrit les amoureux.
Le fier me refusa, quand de sa garnison

Je demandoy’ un jour la paye vive ou morte,
Je veux à coup perdu me jetter dans la porte
Pour y avoir logis, pour le moins, en prison.


XVII.

Somme c’est un chasteau basti de diamans,
Couvert de lames d’or richement apurees
Où les trois Graces sont fierement emmurees,
Se servantz des hauts Cieux & des quatre elementz.

Nature y mit son tout, sa richesse & son sens,
Pour prouver ses grandeurs estre démesurees,
Elle enferma dehors les ames enferrees,
L’ardeur & les desirs des malheureux amantz.

Que me sert donc cest or & cest azur tant riche,
Ceste grandeur qui n’est plus royale que chiche
De donner à ses coups le beaume de ma vie ?

Thresor inaccessible, helas, j’aimeroy’ mieux
Que moins foible, moins beau, & moins proche des Cieux
Tu fusses beaucoup moindre, & moins mon ennemye !

XVIII.

Qui pourroit esperer en ayant affronté
Cest œil imperieux, ceste celeste face ?
Mais qui n’espereroit voyant sa douce grace,
Affriandé du miel d’une telle beauté ?

Qui pourroit esperer rien que severité
De ce visage armé d’une agreable audace,
Et qui n’esperera de pouvoir trouver place
En un lieu que merite un labeur indompté ?

Je ne puis esperer sachant mon impuissance.
J’espère & fay chemin d’une folle espérance ;
Si mon courage haut ne reussit à point,

Ny les fureurs du feu, ny les fers d’une fleche
Ne m’empescheront pas de voler à la breche,
Car l'espoir des vaincus est de n’esperer point.


XIX.

Je sen bannir ma peur & le mal que j’endure,
Couché au doux abry d’un mirthe & d’un cypres,
Qui de leurs verds rameaux s’accolans prés à prés
Encourtinent la fleur qui mon chevet azure,

Oyant virer au fil d’un muzisien murmure
Milles Nymphes d’argent, qui de leurs flotz secrets
Bebrouillent en riant les perles dans les prets,
Et font les diamans rouller à l'adventure

Ce bosquet de verbrun qui cest’ onde obscurcist,
D’Eschos armonieux, & de chants retentist.
O sejour amiable ! ô repos pretieux !

O giron, doux support au chef qui se tourmente !
0 mes yeux bien heureux esclairez de ses yeux,
Heureux qui meurt icy & mourant ne lamente !

XX.

Nous ferons, ma Diane, un jardin fructueux :
J’en seray laboureur, vous dame & gardienne.
Vous donnerez le champ, je fourniray de peine,
Afin que son honneur soit commun à nous deux.

Les fleurs dont ce parterre esjouira nos yeux
Seront verds florissants, leurs subjects sont la graine,
Mes yeux l’arroseront & seront sa fontaine,
Il aura pour zephirs mes souspirs amoureux ;

Vous y verrez niellés mille beautez escloses,
Soucis, œillets & lys, sans espines les roses,
Encolie & pensee, & pourrez y choisir

Fruicts succrez de duree, aprés des fleurs d’attente,
Et puis nous partirons à vostre choix la rente :
A moy toute la peine, & à vous le plaisir.


XXI.

Vous qui avez escrit qu’il n’y a plus en terre
De Nymphe porte-fleche errante par les bois,
De Diane chassante ainsi comme autres fois
Elle avoit fait aux cerfs une ordinaire guerre,

Voyez qui tient l’espieu ou eschauffe l’enferre,
Mon aveugle fureur, voyez qui sont ces doigtz
D’albastre ensanglantés, marquez bien le carquois,
L’arc & le dard meurtrier, & le coup qui m’aterre,

Ce maintien chaste & brave un cheminer accord :
Vous diriez à son pas, à sa fuitte, à son port,
A la face, à l’habit, au croissant qu’elle porte,

A son œil qui domptant est toujours indompté,
A sa beauté severe, à sa douce beauté
Que Diane me tuë, & qu’elle n’est pas morte.

XXII.

Le peinctre qui voudroit animer un tableau
D’un Printemps bien feuri ou y feindre une glace
De cristal reluisant, ou l’azur & la face
Du Ciel, alors qu’il est plus serein & plus beau,

S’il vouloit faire naistre au bout de son pinceau
Le front de la Ciprine, ou retirer sa grace,
Ou l’astre qui des Cieux tient la premiere place,
Alors que son plein rond il refait de nouveau,

Qu’il imite, s’il peut, le front de ma Deesse,
Mais qu’il se garde bien que son arc ne le blesse.
S’il fait, Pycmalion, la mère de Cynire,

Qu’il voye prendre vie à ce qu’il aura peint,
Il fera par les maulx qu’il en aura contraint
Le tableau parricide & le pinceau maudire.

XXIII.

Si je pouvoy’ porter dedans le sein, Madame,
Avec mon amitié celle que j’ayme aussi,
Je ne me plongeroy’ au curieux soucy
Qui devore mes sens d’une amoureuse flamme.

Doncques pour arrester l’aiguillon qui m’entame,
Donnez moy ce pourtraict, où je puisse transy
Effacer vostre teint d’un désir endurci,
Devorant vos beautés de la faim de mon ame,

Mourir comme mourut Laodamie, allors
Que de son ami mort elle embrassa le corps,
De ses ardents regretz rechauffant cette glace,

Mourir, vous contemplant, de joye & de langueur.
J’ay bien dessus mon cœur portraicte vostre face
De la main de l’amour, mais vous avez mon cœur.

XXIV.

Povre peinctre aveuglé, qu’est-ce que tu tracasse
A ce petit pourtraict où tu perds ton latin,
Essayant d’esgaler de ton blanc argentin
Ou du vermeil, le lys & l’œillet de sa face ?

Ce fat est amoureux, & veut gaigner ma place :
II ny peint pour le front, la bouche & le tetin ;
Sors de là, mon amy, je suis un peu mutin :
Madame, excusez moy, car j’y ay bonne grace,

Ces coquins n’ont crayon à vos couleurs pareil,
Ny blanc si blanc que vous, ny vermeil si vermeil.
Tout ce qui est mortel s’imite, mais au reste

Les peinctres n’ont de quoy représenter les Dieux,
Mais j’ay desja choisi dans le threfor des Cieux
Un celeste crayon pour peindre le celeste.


XXV.

Que je foy donc le peinctre, il m’a quitté la place,
Rengainé son pinceau : je veux bien faire mieux
Qu’en un tableau mortel, qui bien tost sera vieux
Et qui en peu de temps se pourrit & s’efface ;

Je pein’ ce brave front, Empereur de ta face,
Tes levres de rubis, l’or de tes blonds cheveux,
L’incarnat de ta jouë & le feu de tes yeux,
Puis le succre du tout, le lustre de ta grace,

Je peins l’orgueil mignard qui pousse de ton sein
Les souspirs enfermez, l’yvoire de ta main.
Un peinctre ne peut plus : j’en sçay bien plus que luy,

Je fay ouir ta voix, & sentir ton haleine
Et ta douceur, & si on sçaura par ma peine
Que la lame, ou bien l'ame, est digne de l’estuy.

XXVI.

Autant de fois que vostre esprit de grace
Fera mouvoir un esclat de vos yeux
Sur ce pourtraict, en cela plus heureux
Que n’est l’absent duquel il peint la face,

Autant de fois il faudra que j’efface
Par ce tableau vos mespris oublieux.
Vous me verrez & ne verrez mes feux
Qui n’ont laissé exempte aucune place :

Autant de fois vous reverrez celuy
Qui se hayant, vous aime & son ennuy,
Mais on ne peut en ce tableau voir comme

De toutes parts je brusle peu à peu,
Ou autrement ce ne seroit qu’un feu
Qui n’auroit rien que la forme d’un homme.


XXVII.

Qui void le Dieu aux blonds cheveux
En quittant la mer son hostesse
Friser en l'air l'or de sa tresse,
Voilé de son chef pretieux,

Qui void l’æther proche des Cieux
Ou bien la forme menteresse,
La pluie d’or & la finesse
Du plus adultere des Dieux,

Cestuy là verra la peinture
De l’or & de la cheveleure
Qui efface, passe & surmonte

Le soleil & abbaisse encor
En mesprisant la pluie d’or,
L’æther qui se cache de honte.

XXVIII.

Non, ce ne sont point deux couraux.
Œillets cramoisis, ny encore
Une bouche : ce que j’adore
Merite bien des noms plus hautz,

C'est Iris treve de mes maux.
L’arc que le Ciel nous recolore
Fait la paix, celuy que j’honore
Fend l'orage de mes travaux.

Sois propice à mes vœuz ; ma veue
Ne fois de ton arc despourveuë,
Des Dieux la messagere & fille

Par qui le nuage est chassé,
Quand l’humeur de mes yeux distille
Du ciel de son front courroucé.


XXIX.

Vertomne estant bruslé d’un tel feu que le mien,
Pipé qu’il fust des yeux de la nymphe Pomone,
Pour amolir le sein de sa dame felonne
Changea comme il voulut de forme & de maintien.

Mais helas mon pouvoir n’est tel que fust le sien !
II s’habilla en vieille à la teste grisonne,
El puis en Adonis, & lors jouit Vertomne
De ce qu’il adorait pour son souverain bien.

Je suis bien seur du poinct, vous n’aimez pas, Deesse,
Le front ensillonné d’une froide vieillesse,
Un marcher tremblottant, deux yeux pasles, ternis ;

Si j’etois en ma forme inconstant & muable,
Je formeroy’ mon corps pour le aire amiable .
Comme mon ame est belle, il seroit Adonis.

XXX.

Si tost que vostre coche a peu ensemble avoir
Un amour si tres ferme, & si tres preécieuse.
Indigne de porter charge si gratieuse,
Un desplaisir esgal il nous fit recevoir.

Il est versé par terre, en cela je puis voir
Que fortune ne veut m’estre si rigoureuse
Que si elle n’estoit que pour vous malheureuse ;
Si j’interprète mal, je me veux decepvoir :

Doux bien, douce douleur qui nous fera commune,
Je me desdi’ du mal que j’ay dit de fortune
Si mon mal & mon bien font unis avecq’vous ;

Je ne vous cerche pas compagne en ma tristesse,
Mais j’aimeroy fortune, & ses coups seront doux
Si la playe d’amour nous unist, & nous blesse.


XXXI.

Dans le parc de Thaly j’ay dressé deux plansons
Sur qui le temps faucheur ny l’ennuyeuse estorse
Des filles de la Nuict jamais n’aura de force,
Et non plus que mes vers n’esteindra leurs renoms.

J’ay engravé dessus deux chiffres nourrissons
D’une ferme union qui avec leur ecorce
Prend croissance & vigueur, & avecqu’eux s’efforce
D’acroistre l’amitié comme croissent les noms ;

Croissez, arbres heureux, arbres en qui j’ay mis
Ces noms & mon ferment, & mon amour promis.
Auprès de mon ferment je metz ceste prière :

« Vous Nymphes qui mouillez leurs pieds si doucement,
Accroissez ses rameaux comme croist ma misere,
Faites croistre ses noms ainsi que mon tourment. »

XXXII.

Je dispute pour vous contre ceste lignee,
Tige de tant de Ducs, de Princes & Seigneurs,
Puis je debas l’honneur de vos prédecesseurs
Contre vous qu’un tel sang a la terre donnee.

Je suis en tel combat que mon ame estonnee
Balance inconstamment à vos divins honneurs,
Ores pour vos vertus, ores pour vos grandeurs.
Pour l'honneur & pour l'heur auquel vous estes nee.

Ce nom Salviati s’esleve jusqu’aux cieux,
Vostre perfection n’imite que les Dieux.
J’estime la grandeur une celeste grace.

Ce don n’est rien, s’il n’est d’autres dons decoré :
C’est beaucoup d’estre ainsi de sa race honoré,
Mais c’est encores plus d’estre honneur de sa race.


XXXIII.

Je veux le louer, te chanter,
Dire ta beauté nonpareille,
Benigne & gratieuze oreille
Qui prens plaisir à m’escouter ;

Mes cris ne t'ont peu desgoutter :
Si je suis prest, tu t'appareille,
Ta douceur à mon mal pareille
Lamente en m’oyant lamenter,

Honnestle, douce & debonnaire
Tu escoutes bien ma prière :
C’est pourquoy ainsi je t’appelle,

Mais si tu fais contre raison
De la sourde à mon oraison.
Tu seras mal faite & moins belle.

XXXIV.

Guerre ouverte, & non point tant de subtilitez :
C’est aux faibles de cœur qu’il faut un advantage.
Pourquoy me caches-tu le Ciel de ton visage
De ce traistre satin, larron de tes beautez ?

Tu caches tout horsmis les deux vives clartez
Qui m’ont percé le cœur, esblouy le courage,
Tu caches tout horsmis ce qui me fait dommage,
Ces deux brigands, tyrans de tant de libertez ;

Belle, cache les rais de ta divine veuë.
Du reste si tu veux, chemine toute nuë,
Que je voye ton front, & ta bouche & ta main.

Amour ! que de beautez, que de lys, que de rozes.
Mais pourquoy retiens-tu tes pommettes encloses !
Je t'ay monstré mon cœur, au moins monstre ton sein.


XXXV.

Je ne sçay s’il te souviendroit
Qu’en ta main blanche & grasselette
Mesloit de liaison bien faicte
Ton doigt mescogneu de mon doigt,

En ce las d’amour se perdoit
Comme au cep mon ame subjecte,
Nous chantions d’une main muette
Le feu qui au sein se fondoit ;

Si tu es fine assez, devine
Ce que sur nos doigts j’imagine
Qui sont entrelassez ainsi,

Si tu devines nos pensees
Qui s’accorderont en ceci
Comme nos doigts sont enlassez.

XXXVL

Tu m’avois demandé, mignonne.
De Paris quelque nouveauté :
Le nouveau plaist à ta beauté,
C’est la nouveauté qui mestonne.

Je n’ay veu depuis ta personne
Rien qui doive estre souhaité,
Ainsi je n’ay rien apporté
Que ce cristal que je te donne.

Que di-je, je ne pouvoy’ mieux
Pour monstrer ensemble à tes yeux,
Mon feu, ta beauté merveilleuse.

C’est nouveauté ! tu n’en crois rien,
J’espère que par ce moyen
De toy tu seras amoureuse.


XXXVII.

Yeux enchanteurs, les pipeurs de ma veuë,
Veuë engeolleuze, haineuze de mes yeux,
Face riante à ma mort, à mon mieux,
Cesle beauté cache l'ame incogneuë ;

Tu as surpris ma vie à l'impourveuë,
Mais surpren’ moy, comme du haut des Cieux
Diane fit qui surprit otieux
Endymion, couverte d’une nuë,

Car je suis tien aussi bien comme luy,
Son heur me fuit, j’empoigne son ennuy,
A luy & moy ta puissance est commune,

Mais las ! je veille & il fust endormy,
Il fust aimé, & je ne fuis qu’amy
Qui sans baiser me morfonds à la lune !

XXXVIII.

N’a doncques peu l'amour d’une mignarde rage,
D’un malheur bien heureux, d’un malheureux bonheur
Combatre vostre ennuy, & mesler la couleur
D’un œillet sur le lys de vostre blanc visage.

C’est à ceste blancheur que l’amour fait hommage,
C’est l’honneur de vos yeux, c’est encor l’autre honneur
Qui rid en vostre front, mais c’est plus tost malheur
Qu’un bon heur, car un bien ne peut faire dommage ;

Diane, je sçay bien : vous estes de bon or,
Mais il est blemissant, pour ce qu’il n’a encor
Prins couleur aux chaleurs d’une ardente fournaize ;

Ayez pitié de vous, & comme peu à peu
La flamme roussist l’or, l’amour soit vostre feu
Et que je soy’ l’orphevre, & l’hymen soit la braize.


XXXIX.

Va-t-’en dans le sein de ma mye,
Sonnet plus mignon, plus heureux
Que ton maistre, & que l’amoureux
Qui aimant, bruslant, ne s’ennuye.

Tu vas, je ne t’en porte envie,
Estre devoré de ses yeux,
Avoir un accueil gracieux
Et je ne la voy’ qu’ennemie :

Elle t’ayme & elle est si belle !
Ne devien’ pas amoureux d’elle,
Ce papier ne peut faire ennuy,

Mais pour le lieu où on le porte,
Je voudroy’ faire en quelque sorte
Un change de moy & de luy.

XL.

Vos yeux ont honoré d’une celeste veuë
Mon labeur guerdonné des peines de vos yeux,
Vous avez coloré d’un clin d’œil gracieux
Mon papier blemissant du jour de vostre nuë.

Le laboureux trainant le soc de la charrue,
Importuné des ventz & d’un temps pluvieux
Est ainsi soulagé, quand le soleil des cieux
Luy rayonne le chef, saillant à l’impourveuë.

J’ay plus vostre renom que mes peines chanté,
Et quoyque repoussé, affligé, maltraicté,
Si est-ce que pourtant mon stile ne se change.

Ne mesprisez les vers qui vous ont en tel prix,
Et lisez de bon cœur mes cris & mes escripts,
Et vous lirez mes maux avec vostre louange.


XLI.

L’Hyver à la teste grisonne
Gagea que le ciel luy donnoit
Une blancheur qu’il oseroit
Monstrer pour braver ma mignonne :

Le ciel force neige luy donne ;
Le vieillard qui par là pensoit
Avoir gaigné, me demandoit
Le prix que sa victoire ordonne :

« Nous allons guetter au matin
Ma belle qui, au blanc satin,
Faisoit honte aux lys, & aux fleurs. »

Le vieillard se dédit & tremble
Voyant le lustre, & les couleurs
De ma mie & la neige ensemble.

XLII.

Auprés de ce beau teinct le lys en noir se change,
Le laict est bazané auprés de ce beau teinct,
Du cygne la blancheur auprés de vous s’esteinct,
Et celle du papier où est vostre louange.

Le succre est blanc, & lorsqu’en la bouche on le range
Le goust plaist, comme faict le lustre qui le peinct,
Plus blanc est l’arcenic, mais c’est un lustre feinct,
Car c’est mort, c’est poison à celuy qui le mange.

Vostre blanc en plaisir taint ma rouge douleur.
Soye douce du goust, comme belle en couleur,
Que mon espoir ne soit desmenty par l’espreuve,

Vostre blanc ne soit point d’aconite noircy,
Car ce sera ma mort, belle, si je vous trouve
Aussi blanche que neige & froide tout ainsi.


XLIII.

Il te doit souvenir Diane, en mon absence
Des marques que ta gorge, & ton bras, & ta main
Portent pour tesmoigner que le sort inhumain
A grand tort me priva du jour de ta presence,

Car Nature avoit mis fort peu de difference
En ce que nous avons d’apparent & d’humain,
En cinq marques encor que tu sçais, mais en vain
Eust elle de nous deux si chere souvenance ;

Mon bras gauche est marqué de mesme que le tien,
Ma main est differente à la tiene de rien,
Si que, hors la blancheur, quand elles sont ensemble

Nous les mescognoissons : nous avons, toy & moy,
Encor trois seings pareils : Mais quel malheur pourquoy
A mon vouloir bruslant ton vouloir ne ressemble !

XLIV.

Que voy-je ? une blancheur à qui la neige est noire,
Des yeux ravis en soy, de soy mesme esblouis,
Des oilletz à l’envy des lys espanouis,
Des doigts qui prennent lustre à ces marches d’hyvoire,

Mais qu’est-ce qu’en oyant encor ne puis-je croire,
Un cœlesle concert, les orbes esjouis,
Qui me vole à moy mesme & pille esvanouïs
L’ame, le cœur, l’esprit, les sens, & la memoire.

Qui pourroit vous ouir, si belle vous voyant ?
Et qui vous pourroit voir si douce vous oyant ?
O difficile choix de si hautes merveilles !

Mon coeur s’envole à vous, tout flame & tout desir,
Certain de me quitter, incertain de choisir,
Le passage des yeux, ou celuy des oreilles !


XLV.

Veux-tu plaider, Amour ? ou s’il faut que j’endure
Les maux que tu me fais ? non, j’ayme mieux plaider.
Je t’adjourne, j’informe, & veux te demander
La somme & l’interest de tout ce que j’endure,

Tu me repareras l’injustice & l’injure
Dont tu use envers moy ; la Raison veut m’aider,
Comptons, Amour, tous deux, commence à regarder
Mes services passez, & m’en paye l’usure ;

Ma Maistresse sera pour moy à ce besoin :
Je la veux pour arbitre, ou juge, ou pour tesmoin,
Ouy, je veux qu’elle soit arbitre de ma vie,

Et ne puis recuser, combien que je cognoys
Qu’elle n’a droict escript, ne coustume, ne loix,
Et que, pour m’achever, elle est juge & partie.

XLVI.

Tremblant d’une fiebvre bourrelle
Je possoy’ la glace en froideur,
Puis une fournaise d’ardeur
Brusloit mon sang & ma moëlle.

L’amour premièrement me gelle,
M’oste l’espérance de peur,
Puis sa violente chaleur
D’espoir m’eschauffe la cervelle.

Je me pleignoy’ amerement
Des longueurs qui si longuement
Faisoyent me desplaire ma vie :

L’amour & mon mal’heur fatal
De ma fiebvre quarte guerie
Me firent entrer en chaud mal.


XLVII.

En fendant l’estomac de la Saulne argentine
Des avirons trenchantz, qui en mille morceaux
Faisoyent jaillir en l’air mille bluettes d’eaux,
Je tuoy’ dedans l’eau une flamme divine,

Mais j’estoy’ bien deçeu : je sen’ en ma poictrine
Doubler mes feux esmeus, mes playes & mes maulx,
Vivre, parmi les flots, les eternels flambeaux
Qui du ciel en mon sein esprirent leur racine.

Mille Nymphes des bois sortent leur chef d’argent
Sur les saulles feuilliez & suivent en nageant
De l’œil & de la voix, & mes cris, & mes rames.

Où fuis-tu, malheureux, où cerches-tu repos ?
Penses-tu bien que l’eau noye amour & les flammes ?
Venus fust nee en mer, & vit parmy les flotz.

XLVIII.

J’avoy’ juré ma mort & de mes tristes jours
La desirable fin, lorsque de ta presence
Je me verroy’ banny. Sus donc, Aubigné, pense
A te priver du jour, banny de tes amours !

Mais mourir c’est trop peu, je veux languir tousjours,
Boire & succer le fiel, vivre d’impatience,
M’endormir sur les pleurs de ta meurtriere absence,
M’estranger du remede & fuïr mon secours.

N’est-ce pas bien mourir, me priver de ma vie ?
Je ne vy’ que de toy, je n’ay donc pas envie
De vivre en te laissant, encores je me vouë

A la plus rude mort qui se puisse esprouver ;
C’est ainsi qu’on refuze un coup pour achever
Au condamne qui doibt languir sur une rouë.


XLIX.

Si tost que l’amour eust emprissonné mon ame
Soubz les estroittes loix d’une grande beauté,
Le malheur qui jamais ne peut estre dompté
Acheva de tout point mon torment, & fa flamme :

L’un retint mon esprit à jamais prés ma dame,
L’autre arrache le corps, çà & là tormenté.
Iniquité cruelle, inique cruauté
Qui deux poinctz tant unis en deux moitiez entame !

Voila comment je fay’ d’un exil envieux
Mes sens nuds de vigueur, sans leur regard mes yeux,
Et chasque part de moy est à part inutile.

Si le sang & le cœur ne vivent plus dehors,
Si l’esprit separé ne sert de rien au corps,
Qui dira que l’exil n’est une mort civile ?

L.

Quand du sort inhumain les tenailles flambantes
Du milieu de mon corps tirent cruellement
Mon cœur qui bat encor & pousse obstinement,
Abandonnant le corps, ses pleintes impuissantes,

Que je sen’ de douleurs, de peines violentes !
Mon corps demeure sec, abbatu de torment
Et le cœur qu’on m’arrache est de mon sentiment.
Ces partz meurent en moy, l’une de l’autre absentes,

Tous mes sens esperduz souffrent de ses rigueurs,
Et tous esgalement portent de ses malheurs
L’infiny qu’on ne peut pour departir esteindre,

Car l’amour est un feu & le feu divisé
En mille & mille corps ne peut estre espuisé,
Et pour estre party, chasque part n’en esft moindre.


LI.

Pourquoy, si vous vouliez à jamais me chasser
Du soleil de ma vie & hors de vostre grace,
N’avez-vous fait mon cœur changer aussi de place,
Puis quand il vous eust pleu fuir & desplacer,

Au moins avecq’ l’espoir vous devier effacer
Le souvenir de vous : si je perdoy la trace
De mes regretz trenchantz, comme de vostre face,
Je feroy par un mal un autre mal cesser.

Vous n’estes pitoyable & avez peur de l’estre,
Vous fuyez ma raison de peur de la cognoistre.
Le juge est impiteux qui bien loin de sa veuë

Fait mourir le captif, pour n’en avoir pitié,
Et la playe que m’a faicte vostre amitié
Est plus forte que l’œil de celle qui me tuë.

LII.

Le sot qui espiant mal à propos un astre
D’une fauce astrolabe & d’un faux instrument
Dit que je vous perdray dedans six mois, il ment.
Fortune ne m’est pas si cruelle marastre :

Je veux sçavoir qui est ce mignon, ce folastre,
Estropié des yeux & de l’entendement,
Luy arracher la barbe, & demander comment
Il est si liberal de prescher mon desastre.

Ouy, mais, ce dira il, je le voy par le sort.
Regarde donc plus prés, tu y verras ma mort.
Voila un coup de pied, astrologue parjure,

Par ton sort, maistre sot, voyois-tu ce malheur ?
Desdy’ toy, ou je veux, monsieur le devineur,
Voir si tu as preveu ta derniere adventure.


LIII.

Si cest œil foudroyant qui m’a tant desdaigné
N’a peu voir en mon front la poltronne inconstance,
N’ay-je point merité en juste recompense
D’estre aussi prés admis que je suis esloigné ?

Pense, injuste beauté, si tu m’avois donné
Seulement par effay un traict de bienveillance,
A quel effort d’amour croistroit ma patience !
De quel brasier mon cœur serait environné,

Voyant luire aux beaux jours d’une face nouvelle
Un favorable ris pour un despit rebelle ;
Juge quelles seroyent mes ardentes fureurs,

Si la main qui me pousse apprenoit à m’attraire,
Si tes amers refus estoyent douces faveurs,
Comme on juge le bien à l’esgard du contraire !

LIV.

Ceux qui n’ont à compter que leurs feinctes douleurs,
L’emmielle, le venin du quel ilz empoisonnent,
Que le mal contrefaict qu’eux mesmes ilz se donnent,
Pour chatoüiller leurs sens de mignardes rigueurs,

Si ces adeloizis eussent fondé leurs pleurs
Sur les justes courroux qui mon ame environnent,
Les souspirs inconstans qui de leur sein frissonnent
Ne seroyent feincts, non plus que feinctes leurs douleurs.

Mais quoy ! de mesmes pleurs leur triste face est teincte
Et mesmes signes ont l’amour vray, & la feincte.
Que ne puis-je arracher, monstrer mon cœur au jour ?

Que ne fit Jupiter au sein une ouverture ?
Las ! faut-il que le temps prouve ce que j’endure,
Et que le pis d’aimer soit la preuve d’amour ?


LV.

J’estoy au grand chemin qui meine les amantz
Au jardin de Cipris cueillir la jouissance
Des fruictz à demi meurs, d’aigreur, d’impatience,
Et usoy’ en ce trac mon espoir & mes ans.

Ce chemin est fascheux, plein de sables mouvantz,
D’espines, de rochers, & la tendrette enfance,
D’un million de fleurs qu’un pré mignard ageance
Montre à gauche un sentier qui pippe les passantz.

Je laisse pour l’aisé, le fascheux & l’utile,
Je pren’ le mal trompeur pour le bien difficile,
Mais plus je vay’ avant, je m’engage tousjours

Emprisonné des eaux, des fossez & des hayes,
Là j’apprins pour l’espoir à devorer les playes
Et qu’en beuvant l’amer on mérite le doux.

LVI.

Celuy qui voit comment je me pais de regretz,
De desseins mal astis, d’une esperance vaine,
D’un trop tard repentir, d’une peur trop soudaine,
Les sanglotz estouffez qui se suivent de prés,

Celuy qui voit comment j’essaye tout expres
A me noyer de pleurs au gré d’une inhumaine,
Des fouspirs de mon flanc revomissant ma peine,
N’ayant tant de cheveux dessus moy aue de trebz,

Celuy là qui me voit, ennemy de mon aise,
Brusler opiniastre en cette mesme braise
Qu’un amour trop constant a voulu atizer,

Me dit qu’il n’y a point de maistresse si belle
Qui puisse meriter qu’on pleure tant pour elle,
Ou bien qu’il n’y a point de vers pour la priser.


LVII.

Chacun souffre son mal : tu ne sens pas ma peine,
Mon coeur second, helas ! tu ne sens pas mes maux,
Je me veux mal d'autant que j’ayme mes travaux,
Ainsi de mon amour je conçoy’ une haine.

Tu touches bien mon poulx hasté de mon haleine,
Tu sens bien ma chaleur, ma fiebvre, mes travaux,
Tu vois mon œil tourné, tu vois bien les assaulx
Qui sont plus que ma vie estre ma mort certaine ;

Mais las ! si tu pouvois souffrir, comme je fays,
Ce de quoy je me plein’, je te lairrois le fais
De porter seulement le frizon d’une œillade :

Encor’ t’est-il advis que pour rien je me deus ?
Mon mal est assez grand pour en empescher deux,
Mais le sain oublieux est inique au malade.

LVIII.

Mille baisers perdus, mille & mille faveurs,
Sont autant de bourreaux de ma triste pensee.
Rien ne la rend malade & ne l’offensee
Que le succre, le rys, le miel, & les douceurs :

Mon cœur est donc contraire à tous les autres cœurs,
Mon penser est bizarre, & mon amne insensee
Qui ait presente encor’ une choze passee,
Crevant de desespoir le fiel de mes douleurs.

Rien n’est le destructeur de ma pauvre esperance
Que le passé present : ó dure souvenance
Qui me fait de moy mesme ennemy devenir !

Vivez, amans heureux, d’une douce memoire,
Faites ma douce mort, que tost je puisse boire
En l’oubly dont j’ay soif, & non du souvenir.


LIX.

Pour faire les tesmoins de ma perte les bois
Et les lieux esgarez, pour contraindre les pleines
Et les rocz endurcis & les claires fontaines
A donner les accentz d’une seconde voix,

Pour faire les eschos respondre par sept fois
A ses cris esclatans qui sortent de mes gennes,
En redoublant mes cris je redouble mes peines,
Je ralume le mal qu’amorty je pensoys.

Mon malheur n’est pas tel que je le puisse feindre,
Il se monstre soy mesme, & il sçait bien se pleindre
Quand je le veux cacher soubz la clef d’un bon cœur.

J’appelle lascheté trop longue patience :
Vrayment taire son mal est signe de constance,
Mais c’est la marque aussi d’une foible douleur.

LX.

Je despite à ce coup ton inique puissance,
O nature cruelle à tes propres enfantz,
Terre yvre de mon sang, ô astres rougissantz,
Bourreaux du ciel injuste, avecq’ leur influence

Je n’ay peur d’eschauffer sur mon outrecuidance
Vostre aveugle fureur, vos courroux impuissantz.
Ils sont sourds, je le sçay, car mes souspirs cuisantz
N’ont peu impetrer d’eux une povre audience ;

Si en les diffamant je les puis faire ouyr,
J’auray en les faschant de quoy me resjouir :
Ils entendront de moy tant d’estranges desastres

Contraires au destin, contraires à leurs cours,
Qu’au lieu d’estre ennemis, j’auray à mon secours
La nature, la terre, & le ciel & les astres.


LXI.

Si ceux là sont damnez qui, privez d’esperance,
Sur leur acier sanglant vaincus se laissent choir,
Si c’est damnation tomber en desespoir,
Si s’enferrer soy mesme est une impatience,

N’est-ce pas se damner contre sa conscience,
Avoir soif de poison, fonder tout son espoir
Sur un sable mouvant ? hé ! où peut il avoir
Pire damnation, ny plus aigre sentence ?

Un mesprisé peut il craindre son dernier jour ?
Qui craint Minos pour juge aprés l’injuste amour ?
Desdaigné que je suis, comment pourroy-je craindre

Une roche, un Caucase, un autour outrageux,
Au prix de mes tormentz ? Je meurs pour avoir mieux,
Puisque de deux malheurs il faut choisir le moindre.

LXII.

Est-il donc vray qu’il faut que ma veuë enchantee
Allume dans mon sein l’homicide desir
Qui sait haïr ma vie, & pour elle choisir
L'aisé saccagement de ma force domptee ?

Puis-je voir sans pleurer ma raison surmontee
Laisser mon sens captif par la flamme perir ?
Puis-je voir la beauté qui me constraint mourir
Se rire en sa blancheur de moy ensanglantee ?

Je maudy’ les fiertéz, les beautez & les cieux,
Je maudy’ mon vouloir, mon desir, & mes yeux,
Je loueroy’ les beautez, cieux & perseverance,

Si la beauté vouloit animer sa pitié,
Si les cieux inclinoyent sur moy son amitié,
La dure fermeté, si elle estoit constance.


LXIII.

Comment veux-je que l’ame, & foible & desolée,
Commande à mon desir & corrige mes yeux
Eschauffez du divin & des forces des cieux
Contre qui toute force en vain est esbranlee ?

Comment peut l'ame humaine eschapper afolee
De la mesme rigueur qui fait cent fois les Dieux
Perdre leurs dignittez & mourir amoureux ?
O ame pour jamais destruicte, ensorcelee !

Je veux bénir les cieux, ma dame, & sa beauté,
Je beny mon desir, mes yeux, ma volonté,
Car ma perte me plaist, je me plais à ma flamme.

Les Cieux m'ont fait heureux d’aimer en si haut lieu :
Ma dame & sa beautés d’homme me font un Dieu,
Bruslent le corps pour mettre au ciel d’amour son ame.

LXIV.

Je ne sçay si je doy’ estimer par raison
Le jour ou la saison ou contraire, ou heureux
Que je vy’ de ses yeux la flamme gracieuse
Empoisonner mes sens d’une douce poison.

Ses deux Souleilz me font heureux en la prison
Où loge la douceur & la peine engoisseuse,
Mais telle qu’elle soit, ou douce, ou ennuyeuse,
De la source du mal j’espère guerison.

Je n’en veux qu’à ces yeux, non aux siens, mais aux miens,
Et quand tout est bien dict, & aux miens & aux siens,
Car les traistres ont eu entr’eux intelligence :

Les siens plus cauteleux me prindrent endormy
Et les miens ne veilloyent que veillantz à demy,
Ou bien ils veilloyent trop, volantz ma patience.


LXV.

Fortune n’eust jamais tant d’inconstance,
Tant de malheur, de prompt evenement
Que j’ay de peur, de peine, de tourment,
En apprenant que c’est qu’obeissance ;

Je suis fascheux aimant vostre présence,
Trop grand Seigneur la fuyant sagement,
Je ne sçeus oncq’une fois seulement
En vous servant me donner patience,

Estant hardy, je suis fol, hazardeux,
Si je fuis sage, on m’appelle paoureux.
Voyez comment il seroit difficile

De donner loy à la fureur des ventz :
J’ay fait naufrage aux rages d’une Scylle.
Fuyant Caribde & les scyrthes mouvantz.

LXVI.

O combien le repos devroit estre plaisant
Apres un long chemin, fascheux & difficile !
O combien la santé qui tire le débile
Hors du lict par la main, le va favorisant,

Combien, aprés la nuict, le soleil reluisant
Fait paroistre au matin son jour doux & utile,
Combien aprés l’hyver vault un printemps fertile,
Et le zephir douillet aprés le froid cuisant !

Combien aprés la peur est douce l’asseurance,
Aprés le desespoir est chere l’esperance,
Aprés le sens perdu recouvrer la raison !

O combien à souhait, combien délicieuse
Seroit ma liberté aprés ceste prison,
Combien au condamné seroit la vie heureuse !


LXVII.

Docteurs, qui annoncez que nos Espritz ont eu
Entrant dedans leur corps, de la main de leur pere,
Le choix du bon, pour voir & fuir le contraire,
Et que l’arbitre franc du Ciel ils ont reçeu,

Si vous aviez, cagotz, fait preuve de ce feu
Qui sçait de mon plaisir ma volonté distraire,
Qui fait haïr mon bien & mon malheur me plaire,
Et ne pouvoir vouloir, vouloir ce que je suis.

Vous sçauriez que l’esprit se sent de son organe.
J’en fis la preuve allors que les yeux de Diane
Changerent mon vouloir à ne vouloir qu’amour ;

Ma volonté n’est plus volonté qu’à faux tiltre,
Je voudroy’ n’aimer point, & j’ayme de ce jour
Ce qui m’oste le choix, l’ame & le franc arbitre.

LXVIII.

Cesl esthomac de marbre est-il pas suffisant
Pour monstrer que le cœur qui là dedans s’emmure
Comme luy est de marbre & d’estoffe plus dure
Qu’un roc invariable, endurcy & pesant !

J’ayme bien la beauté du marbre reluisant,
Mais je n’y puis graver ny terme, ny peincture ;
Tableau sainct où mon nom servira de figure,
Sois dur à l’effacer ainsi qu’en l’incisant,

Car si les diamants se gravent par les eaux.
Et si l’on voit les rochz fenduz par les ruisseaux,
Si du borgne Affricain le soin, les feux aussi

Parmy les rochz brisés firent chemin aux armes,
Je graveray mon nom sur ce cœur endurcy,
Le bruslant de mes feux, le mynant de mes larmes.


LXIX.

Un povre serf bruslant d’un tel feu que le mien,
Longtemps humilié, discourant à sa dame
Son amour, sa confiance & sa volante flamme
Eut pour response enfin qu’elle n’en croyait rien.

Un’ autrefois louant sa grace, son maintien,
Ses vertus, sa beauté qui le tue & l’enflamme,
Son corps digne des Cieux, la prison de son ame,
Elle dit : « Taisez-vous ; car je le cognoy bien. »

Ha ! dame, qui n'es moins stupide qu’orgueilleuze,
Deceuë que trompant, fiere que desdaigneuze,
II faloit, pour respondre au vray & sagement,

Mettre au premier discours ta response derniere,
Garder à tes bautez l’ignorance premiere,
Et tu eusses cogneu ta faute & mon torment.

LXX.

Diane, des le jour que l’esclair de ta face
Affrianda mes yeux d’un appas enchanteur,
Je n’ay peu adviser si je doy’ plus d’honneur
A ta douce beauté, ta sagesse, ou ta grace :

L’une me brusle, & l’autre a fait transir de glace
Mon espoir, la troisieme a mis dedans mon cœur
Un vif pourtraict non feinct d’une feinte douceur,
Fondement sablonneux où j’assieds mon audace ;

Ta beauté fit voler mon ardeur jusqu’aux Cieux,
Ta sagesse l’asseure & fait esperer mieux,
Tes gracieux accueils eslevent mon envie ;

Ta beauté me fera supporter ta rigueur,
Ta sagesse pourra excuser mon erreur,
Ta grace interinant la grace de ma vie.


LXXI.

Les lys me semblent noirs, le miel aigre à outrance,
Les rozes sentir mal, les œillets sans couleur,
Les mirthes, les lauriers ont perdu leur verdeur,
Le dormir m’est fascheux & long en votre absence.

Mais les lys fussent blancs, le miel doux, & je pense
Que la roze & l’œillet ne fussent sans honneur,
Les mirthes, les lauriers fussent verds du labeur,
J’eusse aymé le dormir avecq’ vostre presence.

Que si loin de vos yeux à regret m’absentant,
Le corps endurait seul, estant l’esprit content :
Laissons le lys, le miel, rozes, œilletz desplaire,

Les myrthes, les lauriers des le printemps fletrir,
Me nuire le repos, me nuire le dormir.
Et que tout, hormis vous, me puisse estre contraire.

LXXII.

Aprés avoir loué vos beautez ravissantes,
Et ce que vos beaux yeux, & ce que le miroir
Pour vous enorgueillir vous ont peu faire voir,
De nos afflictions les causes si puissantes,

N’abatardissez pas ses immortelles plantes :
Tant de belles couleurs ne soyent pour decevoir,
Ne trompez pas les yeux, prenez plaisir d’avoir
Et le sucre & le miel soubz les fleurs jaunissantes.

L’aigreur & l’amertume & suc empoisonneur
Sont aux herbes des champs, aux plantes sans honeur
Qui parent des deserts les solitaires plaines ;

Les arts, la nourriture, & l’origine en vous
Ne vous permettent pas autre fruict que le doux,
Ny de franches couleurs cacher de fauces graines.


LXXIII.

Nos desirs font d’Amour la devorante braise,
Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,
Ses tenailles nos yeux, & la trempe nos pleurs,
Noz souspirs ses souffletz, & nos seins sa fournaise ;

De courroux, ses marteaux, il tourmente nostre aize
Et sur la dureté il rabbat nos malheurs,
Elle luy sert d’enclume & d’estoffe nos cœurs
Qu’au feu trop violent de nos cœurs il appaise,

Afin que l’appaisant & moüillant peu à peu
II brusle d’avantage & rengrege son feu.
Mais l’abondance d’eau peut amortir la flamme :

Je tromperay l’enfant, car pensant m’embraser,
Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m’enflame
Qu’il noyera sa fournaise au lieu de l’arroser.

LXXIV.

Ceux qui font à leur dos un innocent outrage.
Enhardis à leur perte & sur soy courageux,
Bourrelés des pechez & des tours vicieux,
Qui reviennent au rouge en leur aspre courage,

Ont un’ humeur pareille à l’amoureuse rage.
Je suis cruel sur moy, ils font cruelz sur eux,
Ilz pensent meriter, & je me sen’ heureux,
Comme ilz font de leurs coups, de mon propre dommage ;

D’un zele hypocritique ils perdent la pitié,
Je suis impitoyable en ma folle amitié,
Ils pleignent fort leurs maux, moy je ne puis me taire,

Mais ils sont repentans d’un enorme forfait,
En ce poinct seulement nostre mal est contraire,
Car si je fuis martyr, c’est pour n’avoir rien fait.


LXXV.

Que peut une galere ayant perdu la rame,
Le poisson hors de l’eau, la terre sans humeur,
Un Roy sans son conseil, un peuple sans Seigneur,
La salamandre froide ayant perdu la flamme ?

Que pourra faire un corps destitué de l’ame,
Et le san orphelin par le coup d’un chasseur ?
Beaucoup moins peut encor le triste serviteur
Esgaré de son cœur, & des yeux de sa dame.

Helas ! que puis-je donc ? je ne puis que souffrir
Et ma force me nuit m’empeschant de mourir.
Je n’imagine rien qu’un desespoir d’absence,

Je puis cercher le fonds de ma fiere douleur,
L’essence de tout mal, je puis tout pour malheur.
Mais c’est à me guerir qu’on voit mon impuissance.

LXXVI.

Le jardinier curieux de ses fleurs,
De jour en jour beant leur accroissance,
Ardent les voit, & les espie, & pense
Qu’elles ont trop encoffré leurs couleurs ;

Mais lorsqu’au lict il endort ses labeurs,
Son jardin fait, ce semble, en son absence
Plus de profit que quand par sa presence
Il amusoit des herbes les rigueurs ;

J’en suis ainsi m’esloignant de mon feu :
Je l’ai trouvé en mon repos accreu.
Comme il est né s’accroissant de paresse

Sans moy, sur moy il monstre ses efforts,
Il me poursuit lors que je le delaisse,
C’est un malheur qui veille quand je dors.


LXXVII.

Je desploroy’ le sort d’une branche orpheline
D’un saulle my-mangé que la rustique main
Faisoit servir d’appuy à un sep inhumain
Ingrat de ce qui l’ha preservé de ruyne.

La mort proche l’asseche, & du sep la racine
Luy oste la substance encor, il pousse en vain
Les cyons malheureux qu’un trop chaud lendemain
Ou un bize trenchant en un coup extermine.

Las ! je t’immortalise, & te deffends du port
De l’oubly tenebreux, tu me donnes la mort,
Faisant fener, mourir ma tendrette esperance :

Quand sans espoir j’espere une fin à mes pleurs,
Tu me meurtris, ingratte, au jour de ma naissance,
Des ventz de mes souspirs, des feux de mes douleurs.

LXXVIII.

Soubz un œil languissant & pleurant à demy,
Soubz un humble maintien, soubz une douce face,
Tu cache un faux regard, un esclair de menace,
Un port enorgueilly, un visage ennemi ;

Tu as de la douceur, mais il y a parmy,
Les six parts de poison, dessoubz ta bonne grace
Un desdain outrageux à tous coups trouve place ;
Tu aymes l’adversaire & tu hais ton amy,

Tu fais de l’asseuree & tu vis d’inconstance ;
Ton ris sent le despit : somme la contenance
Est semblable à la mer qui cache tout ainsi

Soubz un marbre riant les escueils, le desastre,
Les ventz, les flotz, les mortz : ainsi fait la marastre
Qui desguise de miel l’aconite noircy.


LXXIX.

Je ne m’estonne pas si du ciel adultère
L’impudique Venus conçeut furtivement
Le bourreau, des humains l’ingenieux tourment,
Et des espritz bien nez le venimeux cautere.

Amour, je croys qu’allors que ton malheureux pere
Fust au lict de Vulcan, c’estoit signallement
Au jour que du deluge il fit cruellement
Estrangler par Thetis Cybelle nostre mère ;

Le Saturne ennemy qui dominoit le jour
De ton enfantement tel ascendant amour
Fust le signe des pleurs, dont la terre regorge ;

Mais pourquoy justement ne permit le destin
Que le deluge ait peu, de ce filz de putain
Coupper les coups, les jours, la naissance & la gorge ?

LXXX.

On dit que la vapeur des mynes sulphurees
Repousse contre mont une secrette humeur
Des veines de la terre, & de cesle liqueur
Sont comme en l’alembicq’ les sources engendrees.

Qui voudra voir en moy ces choses comparees,
Qu’il regarde comment la secrette chaleur
Qui m’eschauffe le sang sait monter de mon cœur
Aux sources de mes yeux les larmes desserees.

Ceste source fumante est de souffre & d’alun
Par qui mes pleurs ne sont d’un usage commun ;
Les Bains de Bar-le-Duc nous portent medecine

Par ces deux mineraulx dont ils sont estoffez,
Mes pleurs sont médecins des maux de ma poictrine,
Plus amers que l’alun, plus que souffre eschauffez.


LXXXI.

Beau soleil qui exhale & chasse les vapeurs,
Qui metz la terre en poudre, & l’enyvres de l’onde,
Cause des changements & bel ame du monde,
A quoy les changements & maux, desquels je meurs,

Cette belle inconstance est mere des faveurs,
Du ciel ce beau changer pare la terre ronde :
Qu’il change ausi ma dame, en sorte qu’elle fonde
En amours, en plaisirs, en peines & en pleurs.

Cest astre qui me luit des rayons de son œil
Fait en moy ce que fait au monde le soleil,
Exhale mes humeurs, & puis les fait dissoudre,

Tousjours reduict en cendre, ou noyé de ruisseaux,
Aujourd’huy asseché, par le chault mis en poudre,
Le lendemain ma vie est un deluge d’eaux.

LXXXIL

Je voyoy’que le ciel aprés tant de chaleurs
Prodigeoit mille fleurs ſur la terre endurcye :
Puis je voyoy’comment ſa rigueur amollie
Faiſoit naiſtre de là le printemps & les fleurs.

J’arroſe bien ainſi & trempe de mes pleurs
Le ſein de ma Deeſſe, & ma force affaiblie,
Mes yeux fonduz en eau, ces breches de ma vie,
N’ont attendry ma dame & noyé mes ardeurs.

Des neiges, des frimatz, & meſmes des orages
La terre eſcloſt ſon fruict, & ſes riches ouvrages
Qu’un doux air puis apprés flatte de ſes ſouſpirs :

Helas ! je ſouffre bien les enniuieuſes guerres
Des cieux, des ventz, les froids, les pluyes & les tonnerres,
Mais je ne voy’ni fleurs, ni printemps, ny zephirs !

LXXXIII.

Ce doux hyver qui eſgale ſes jours
A un printemps, tant il eſt amiable,
Bien qu’il ſoit beau, ne m’eſt pas agréable,’
J’en crain’la queuë, & le ſuccez touſjours ;

J’ay bien apprins que les chaudes amours
Qui au premier vous ſervent une table
Pleine de ſuccre & de metz delectable
Gardent au fruict leur amer & leurs tours :

Je voy’deſja les arbres qui boutonnent
En mille neuz, & ces beautez m’eſtonnent :
Eſt une nuict ce printemps eſt glacé ;

Ainſi l’amour qui trop ſerein s’advance
Nous rit, nous ouvre une belle apparence,
Eſt né bien toſt & bien toſt effacé.

LXXXIV.

Ores qu’on voit le ciel en cent milles bouchons
Cracheter sur la terre une blanche dragee,
Et que du gris hyver la perruque chargee
Enfarine les champs de neige & de glaçons,

Je veux garder la chambre, & en mille façons
Meurtrir de coups plombez ma poictrine outragee,
Rendre de moy sans tort ma Diane vengee,
Crier mercy sans faute en ses tristes chansons.

La nuë face effort de se crever, si ay-je
Beaucoup plus de tormentz qu’elle de brins de neige,
Combien que quelquefois ma peine continue

Des yeux de ma beauté sente l'embrassement,
La neige aux chauds rayons du soleil diminue,
Aux feux de mes soleils j’empire mon torment.


LXXXV.

Desja la terre avoit avorté la verdure
Par les silions courbez, lorsqu’un fascheux hyver
Dissipe les beautéz, & à son arriver
S’accorde en s’opposant au vouloir de nature,

Car le froid envieux que le bled verd endure,
Et la neige qui veut en son sein le couver
S’oppose à son plaisir afin de le sauver,
Et pour, en le sauvant, luy donner nourriture.

Les espoirs de l’amour sont les bleds verdissàntz,
Le desdain, les courroux sont frimatz blanchissantz :
Comme du temps fascheux s’esclot un plus beau jour,

Soubz l’ombre du refus la grâce se reserve,
La beauté du printemps soubz le froid se conserve,
L’ire des amoureux est reprise d’amour.

LXXXVI.

Par ses yeux conquerans fust tristement ravie
Ma serve liberté, en la propre saison
Que le soleil plus chault reprend sur l’orison
Sa course d’autre part qu’il ne l'a poursuivie,

Et au poinct proprement du soltice, ma vie
S’engageant par les yeux, enchaina sa raison,
Et garda des ce jour la chaine, la prison,
Les martyrs, les feux, les geenes & l’envie.

Je me sen’ en tout temps que c’estoit au plus haut
Des flambeaux de l’esté, puis que ce jour si chaud
Mille feux inhumains dans le sein m’a planté,

Sur qui l'hyver glacé n’a point eu de puissance :
Ma vie n’est ainsi qu’un eternel esté,
Mais je ne cueille fruict, espics, ne recompense.


LXXXVII.

On ne voit rien au ciel, en la terre pezante,
Au feu, en l'eau, à l’air, qu’en le considérant
Mon esprit affligé n’aille se martirant,
Et mon ame sur soy cruellyze insolente,

Quand une ame celeste, une paresse lente
A me donner la vie, un brandon devorant,
Une mer d’inconstance, & un esprit courant
Possedent la beauté qui seule me tourmente.

Elle a reçeu des cieux sa celeste grandeur,
Sa durté de la terre, & du feu la chaleur,
L’inconstance de l’eau, & de l’air la colerre,

Si que, belle endurcye, elle peut s’esgaller
D’ardeur, sans se brusler, d’inconstance legere
Au ciel & à la terre, à l’onde, à l’eau, à l’air.

LXXXVIII.

Diane, en adorant tant de divinitez
Dont le rond monstre en toy la parfaicte figure,
Je recherche la cause au malheur que j’endure
Dessus ton naturel, & tes proprietez :

Tu es l’astre du froid & des humiditez
Et les eaux de la mer te suivent de nature,
De là sort ton desdain, ta glace, ta froidure,
Et les flotz de mes pleurs suivent tes volontez

Dont je fuis esbahi, qui fait que ceste flamme
Oui n’a autre vigueur que des feux de mon ame
N’a peu estre amortie au milieu de tant d’eaux :

Noye, gresle, Deesse, une braise mortelle,
Ou je blaphameray frenetiq’ de mes maux,
T’appellant en courroux trop foible, trop cruelle.


LXXXIX.

Diane, ta coustume est de tout deschirer,
Enflammer, desbriser, ruiner, mettre en pièces,
Entreprinses, desseins, esperances, finesses,
Changeant en desespoir ce qui fait esperer.

Tu vois fuir mon heur, mon ardeur empirer,
Tu m’asseure du lact, du miel de tes caresses,
Tu refondes les coups dont le cœur tu me blesses
Et n’as autre plaisir qu’à me faire endurer,

Tu fais brusler mes vers lorsque je t’idolastre,
Tu leur fais avoir part à mon plus grand desfastre :
« Va au feu, mon mignon, & non pas à la mort,

Tu es esgal à moy, & feras tel par elle, »
Diane repen’ toy, pense que tu as tort
Donner la mort à ceux qui te sont immortelle.

XC.

Un clair voyant faucon en volant pour riviere
Planait dedans le ciel, à se fondre appresté
Sur son gibier bloty, mais voyant à costé
Une corneille, il quitte une poincte premiere.

Ainsi de ses attraictz une maitresse fiere
S’eflevant jusqu’au ciel m’abbat soubz sa beauté,
Mais son vouloir volage est soudain transporté
En l’amour d’un corbeau pour me laisser arriere.

Ha ! beaux yeux obscurcis qui avez pris le pire,
Plus propres à blesser que discrets à eslire,
Je vous crain’, abbatu ainsi que fait l’oiseau

Qui n’attend que la mort de la serre ennemie,
Fors que le changement lui redonne la vie,
Et c’est le changement qui me traine au tombeau.


XCI.

Celle là qui abecha
De froid venin son enfance
Et longtemps d’autre substance
Ne cogneut & ne macha

Mourut lors qu’elle tascha
De prendre la cognoissance
Du doux, & par l’inconstance
Doucement la mort cercha.

Ainsi moy qui jusqu’icy
N’ay gouste que le soucy,
L’amer, les pleurs & la braise,

Si je n’empruntoy’ un cœur
Qui eust esté nourri d’aise,
Je mourroy’ de la douçeur.

XCII.

Si mes vers innocentz ont fait à leur deçeu
Couroucer vostre front d’une faute imprudente,
C’est l'amour qui par eux vostre louange chante,
Amour a fait le mal, si du mal y a eu :

Lichas l'infortluné porta ainsi deçeu
Au filz d’Amphitrion la chemise sanglante.
Telle fut la priere, & folle & ignorante,
De la mere du Dieu par le fouldre conçeu :

Vous avez à l’amour bandé l'ame & la veuë,
L’amour ha de raison la mienne despourveuë,
Si nous avons failly, d’où viendra le deffaut ?

Excusez les effectz de l’amour aveuglee,
Excusez la fureur ardente & desreglee,
Puisque ce n’est point crime, où l'innocence faut.


XCIII.

Je confesse, j’eu tort, quand d’un accent amer,
Sans feindre, j’esclatay mes passions sans feinte :
Je devoys retenir ceste douleur esteinte
Sans prodiguer ainsi les nymphes dans la mer.

Mais quoy ! ma passion est trop forte à charmer
Pour deffendre à mes vers de l’avoir tant depeinte,
Si non que pour nourrir l'espérance sans crainte
Vous me donnez de quoy bien rire, & bien aymer,

Vous verriez mignarder une Venus pudique,
Mille Cupidonneaux, & ma fureur tragique,
Et mon luct & ma muse auront un autre but :

Diane, essayez donc si je sçauroy’ escrire,
Folaslre fredonner de la muse & du lut
Un plaisir de l’amour aussi bien qu’un martire.

XCIV.

Si vous voyiez mon cœur ainsi que mon visage,
Vous le verrez sanglant, transpercé mille fois.
Tout bruslé, crevassé, vous seriez sans ma voix
Forcee à me pleurer, & briser vostre rage.

Si ces maux n’appaisoyent encor’ vostre courage,
Vous feriez, ma Diane, ainsi comme nos Rois.
Voyant vostre pourtraict souffrir les mesmes loix
Que fait vostre subject qui porte vostre image :

Vous ne jettez brandon, ne dard, ne coup, ne traict,
Qui n’ait avant mon cœur percé vostre pourtraict.
C’est ainsi qu’on a veu en la guerre civile

Le Prince foudroyant d’un outrageux canon
La place qui portoit ses armes & son nom,
Destruire son honneur pour ruiner sa ville.


XCV.

Sort inique & cruel ! le triste laboureur
Qui s’est arcué le dos à suivre sa charruë,
Qui sans regret semant la semence menuë,
Prodigua de son temps l’inutile sueur,

Car un hyver trop long estouffa son labeur,
Luy desrobbant le ciel par l’espais d’une nuë,
Mille corbeaux pillarts saccagent à sa veuë
L’espic demy pourri, demy sec, demy meur :

Un esté pluvieux, un automne de glace
Font les fleurs, & les fruictz, joncher l'humide place.
A services perdus ! A vous, promesses vaines !

A espoir avorté, inutiles sueurs !
A mon temps consommé en glaces & en pleurs,
Salaire de mon sang, & loyer de mes peines !

XCVI.

Je brusle avecq’ mon ame & mon sang rougissant
Cent amoureux sonnetz donnez pour mon martire,
Si peu de mes langueurs qu’il m’est permis d’escrire,
Souspirant un hecate, & mon mal gemissant.

Pour ces justes raisons j’ai observé les cent :
A moins de cent taureaux on ne fait cesser l'ire
De Diane en courroux, & Diane retire
Cent ans hors de l'enfer les corps sans monument.

Mais quoy ? puis-je cognoistre au creux de mes hosties,
A leurs boyaux fumans, à leurs rouges parties
Ou l'ire, ou la pitié de ma divinité ?

Ma vie est à sa vie, & mon ame à la siene,
Mon cœur souffre en son cœur : la Tauroscytiene
Eust son desir de sang de mon sang contenté.


XCVII.

Ouy, je suis proprement à ton nom immortel
Le temple consacré, tel qu’en Tauroscytie
Fust celuy où le sang appaisoit ton envie,
Mon esthomac pourpré est un pareil autel :

On t’assommoit l’humain, mon sacrifice est tel,
L’holocoste est mon cœur, l’amour le sacrifie.
Les encens mes souspirs, mes pleurs sont pour l’hostie
L’eau lustralle, & mon feu n’est borné ny mortel.

Conserve, Deité, ton esclave & ton temple,
Ton temple & ton honneur, & ne suy’ pas l'exemple
D’un pendart boute-feu qui, bruslant de renom,

Brusla le marbre cher, & l’ivoyre d’Epheze.
Si tu m’embrasses plus, n’atten’ de moy sinon
Un monceau d’os, de sang, & de cendre, & de braize.

XCVIII.


Ce n’est pas un dessein formé à mon plaisir,
Je n’ay pris pour mon blanc de tirer à l’utile,
Le visage riant du doux & du facile
N’a incliné mon cœur ni mon ame à choisir,

Je n’ay point marchandé au gage du plaisir ;
Nature de sa main, de son art, de son stile
A escript sur mon front l’amour du difficile.
Tire au ciel mes pensers contents du seul desir,

Clair astre qui si haut m’esleves & m’incline,
Que je meure aux rayons de ta beauté divine,
Pareil au beau Clitye amoureux du soleil,

Qui seche en le suivant, & ne pouvant plus vivre,
Ne regrette en mourant & en fermant son œil
Que de ne plus languir, l'adorer & le suivre.


XCIX.

Soupirs espars, sangloti en l'air perdus,
Tesmoins piteux des douleurs de ma genne,
Regretz trenchantz avortez de ma peine,
Et vous, mes yeux, en mes larmes fondus,

Desirs tremblantz, mes pensers esperdus,
Plaisirs trompez d’une esperance vaine,
Tous les tressaulz qu’à ma mort inhumaine
Mes sens lassez à la fin ont renduz,

Cieux qui sonnez apprés moy mes compleintes,
Mille langueurs de mille mortz esteinctes,
Faites sentir à Diane le tort

Qu’elle me tient, de son heur ennemie,
Quand elle cerche en ma perte sa vie
Et que je trouve en sa beauté la mort !


C.

Au tribunal d’amour, appres mon dernier jour,
Mon cœur sera porté diffamé de bruslures,
II fera exposé, on verra ses blessures,
Pour congnoistre qui fit un si estrange tour,

A la face & aux yeux de la céleste Cour
Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
II seignera sur toy, & compleignant d’injures
II demandra justice au juge aveugle Amour :

Tu diras : C’est Venus qui l'a fait par ses ruses,
Ou bien Amour, son filz : en vain telles excuses !
N’accuse point Venus de ses mortels brandons,

Car tu les as fournis de mesches & flammesches,
Et pour les coups de traict qu'on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, & tes regards les flesches.

DEUXIEME LIVRE[1]


STANCES.

I.

Tous ceulx qui ont gousté combien de mortz on treuve
Couvertes soubz les fleurs d’une longue amitié,
Ceulx qui en bien aimant ont bien seu faire preuve
De leurs cueurs & non pas d’un regard de pitié,
Ceux qui affriandoient comme moy leurs pensees
D’un poison ensucré, loyer de leur printemps,
Qu’ils lisent mes regretz & mes larmes vercees,
Et mes sanglotz perdus aux pertes de mon temps.
Mais ceulx là qui auront d’une rude sagesse
Resisté à l’amour, les sauvages espritz
Qui n’ont ploié le col au joug d’une maitresse,
Je leur deffends mes vers, mes rages & mes cris.

Les uns gouteront bien l'ame de mes complaintes
Par les effetz sanglans d’une avare beauté,
Les autres penseraient mes larmes estre feintes,
De l'aigreur de mes maulx doubtans la verité.
Ha ! bien heureux espritz, cessez, je me contente,
N’espiés plus avant le sens de mes propos,
Fuiez au loin de moy, & que je me tormente
Sans troubler importun de pleurs vostre repos !
Sus ! tristes amoureux, recourons à nos armes
Pour n’en blesser aucun que nos seins malheureux,
Faisons un dur combat & noions en nos larmes
Le reste de nos jours en ces sauvages lieux.
Usons icy le fiel de nos fascheuses vies,
Horriblant de nos cris les umbres de ces bois :
Ces rochés égarés, ces fontaines suivies
Par l'echo des forestz respondront à nos voix.
Les vens continuelz, l'espais de ces nuages,
Ces estans noirs remplis d’aspiz, non de poissons,
Les cerfz craintifz, les ours & lezraes sauvages
Trancheront leur repos pour ouïr mes chansons.
Comme le feu cruel qui a mis en ruine
Un palais, forcenant leger de lieu en lieu,
Le malheur me devore, & ainsi m’extermine
Le brandon de l'Amour, l'impitoyable Dieu.
Helas ! Pans forestiers & vous Faunes sauvages,
Ne guerissez vous point la plaie qui me nuit,
Ne savez vous remede aux amoureuses rages,
De tant de belles fleurs que la terre produit.
Au secours de ma vie ou à ma mort prochaine
Acourez, Déités qui habités ces lieux,
Ou soiez médecins de ma sanglante peine,
Ou faites les tesmoins de ma perte vos yeux.
Relégué parmy vous, je veux qu’en ma demeure
Ne soit marqué le pied d’un délicat plaisir,

Sinon lors qu’il faudra que consommé je meure,
Satisfait du plus beau de mon triste desir.
Le lieu de mon repos est une chambre peinte
De mil os blanchissans & de testes de mortz
Où ma joie est plus tost de son object esteinte :
Un oubly gratieux ne la poulce dehors.
Sortent de là tous ceulx qui ont encore envie
De semer & chercher quelque contentement :
Viennent ceux qui vouldront me ressembler de vie,
Pourveu que l’amour soit cause de leur torment.
Je mire en adorant dans une anathomye
Le portrait de Diane entre les os, afin
Que voiant sa beauté ma fortune ennemie
L’environne partout de ma cruelle fin :
Dans le cors de la mort j’ay enfermé ma vie
Et ma beauté paroist horrible dans les os.
Voila commant ma joye est de regret suivie,
Commant de mon travail la mort seulle a repos.
Je veulx punir les yeux qui premier ont congneüe
Celle qui confina mes regretz en ces lieux :
Jamais vostre beauté n’approchera ma veuë
Que ces champs ennemis du plaisir de mes yeux.
Jamais le pied qui fit les premières aproches
Dans le piege d’amour ne marchera aussi
De carreau plus poly que ces hideuses roches
Où à mon gré trop tost il s’est reendurcy.
Tu n’auras plus de gans, o malheureuse dextre
Qui promis mon départ & le tins constemment
Ung espieu raboteux te fera mescongnoistre
Si ma dame vouloit faire un autre serment.
L’estommac aveuglé en qui furent trahies
Mes vaines, & par qui j’engageay ma raison,
Ira neü & ouvert aux chaleurs & aux pluies,
Ne changeant de l'abit comme de la saison :

Mais un gris envieux, un tané de tristesse
Couvriront sans façon mon cors plain de sueurs :
Mon front batu, lavé des orages ne laisse
Les trasses & les pas du ruisseau de mes pleurs.
Croissez comme mes maulx, hideuse chevelure,
Mes larmes, arozés leur racines, je veulx,
Puis que l'acier du temps fuit le mal que j’endure,
L’acier me laisse horrible & laisse mes cheveulx.
Tout cela qui sent l'homme à mourir me convie,
En ce qui est hideux je cherche mon confort :
Fuiez de moy, plaisirs, heurs, esperence & vie,
Venez, maulz & malheurs & desespoir & mort !
Je cherche les desertz, les roches egairees,
Les forestz sans chemin, les chesnes perissans,
Mais je hay les foretz de leurs feuilles parees,
Les sejours frequentez, les chemins blanchissans.
Quel plaisir c’est de voir les vieilles haridelles
De qui les os mourans percent les vieilles peaux :
Je meurs des oiseaux gais volans à tire d’ailes,
Des cources des poulains & des saulx de chevreaux !
Heureux quant je rencontre une teste sechee,
Un massacre de cerf, quant j’oy’ les cris des fans ;
Mais mon ame se meurt de despit assechee,
Voians la biche folle aux saulx de ses enfans.
J’ayme à voir de beautez la branche deschargee,
A fouller le feuillage estendu par l'effort
D’Autonne, sans espoir leur couleur orangee
Me donne pour plaisir l'ymage de la mort.
Un éternel horreur, une nuit eternelle
M’empesche de fuir & de sortir dehors :
Que de l'air courroucé une guerre cruelle,
Ainsi comme l’esprit, m’emprisonne le cors !
Jamais le cler soleil ne raionne ma teste.
Que le ciel impiteux me refuse son œil,

S’il pleut, qu’avec la pluie il creve de tempeste,
Avare du beau temps & jaloux du soleil.
Mon estre soit hyver & les saisons troublées,
De mes afflictions se sente l’univers,
Et l’oubly oste encor à mes pennes doublees
L'usage de mon lict & celuy de mes vers.
Ainsi comme le temps frissonnera sans cesse
Un printemps de glaçons & tout l'an orageux,
Ainsi hors de saison une froide vieillesse
Dés l'esté de mes ans neige fur mes cheveux.
Si quelque fois poussé d’une ame impatiente
Je vais precipitant mes fureurs dans les bois,
M’eschauffant sur la mort d’une beste inocente,
Ou effraiant les eaux & les montz de ma voix,
Milles oiseaux de nuit, mille chansons mortelles
M’environnent, vollans par ordre sur mon front :
Que l'’air en contrepoix fasché de mes querelles
Soit noircy de hiboux & de corbeaux en ront.
Les herbes sécheront soubz mes pas, à la veuë
Des misérables yeux dont les tristes regars
Feront tomber les fleurs & cacher dans la nuë
La lune & le soleil & les astres espars.
Ma présence fera desecher les fontaines
Et les oiseaux passans tomber mortz à mes pieds,
Estouffez de l'odeur & du vent de mes peines :
Ma peine estouffe moy, comme ilz sont estouffez !
Quant vaincu de travail je finiray par crainte,
Au repos estendu au pied des arbres verts,
La terre autour de moy crevera de sang teinte,
Et les arbres feuilluz seront tost descouvertz.
Desjà mon col lassé de suporter ma teste
Se rend soubz un tel faix & soubz tant de malheurs,
Chaque membre de moy se deseche & s’apreste
De chasser mon esprits hoste de mes douleurs.

Je chancelle incertain & mon ame inhumaine
Pour ne vouloir faillir trompe mes voluntez :
Ainsi que vous voiez en la forest un chesne
Estant demy couppé branller des deux costez.
Il reste qu’un demon congnoissant ma misere
Me vienne un jour trouver aux plus sombres forestz,
M’essayant, me tantant pour que je desespere,
Que je suive ses ars, que je l'adore aprés :
Moy, je resiteray, fuiant la solitude
Et des bois & des rochs, mais le cruel suivant
Mes pas assiegera mon lit & mon estude,
Comme un air, comme un feu, & leger comme un vent.
Il m’offrira de l’or, je n’ayme la richesse,
Des estatz, des faveurs, je mesprife les courz,
Puis me prometera le cors de ma maitresse :
À ce point Dieu viendra soudain à mon secours.
Le menteur empruntant la mesme face belle,
L’ydee de mon ame & de mon doux tourment,
Viendra entre mes bras aporter ma cruelle,
Mais je n’embrasseray pour elle que du vent.
Tantost une fumee espaíse, noire ou bleuë
Passant devant mes yeux me fera tressaillir ;
En bouc & en barbet, en facynant ma veuë,
Au lit de mon repos il viendra m’assaillir.
Neuf goutes de pur sang naistront sur ma serviette,
Ma coupe brisera sans coup entre nos mains,
J’oyrai des coups en l’aer, on verra des bluettes
De feux que pousseront les Démons inhumains.
Puis il viendra tantost un courrier à la porte
En courtisan, mais lors il n’y entrera pas ;
En fin me tourmentant, suivant en toute sorte,
Mes os s’asecheront jusques à mon trefpas.
Et lors que mes rigeurs auront finy ma vie
Et que pour se mourir finira mon souffrir,

Quant de me tormenter la fortune assouvie
Vouldra mes maulx, ma vie & son ire finir,
Nymphes qui avez veu la rage qui m’affole,
Satires que je fis contrister à ma voix,
Baptissez en pleurant quelque pauvre mausolle
Aux fondz plus esgairez & plus sombre des bois ;
Plus heureux mort que vif, si mon ame eveillée
Des enfers, pour revoir mon sepulchre une fois,
Trouvoit autour de moy la bande eschevelee
Des Driades compter mes pennes de leurs voix.
Que pour éterniser la sanguynere force
De mes amours ardentz & de mes maulx divers,
Le chesne plus prochain portast en son escorce
Le succez de ma mort & ma vie en ces verz.
Quant, cerf bruslant, géhenné, trop fidelle, je pense
Vaincre un cueur sans pitié, sourd, sans yeux & sans loy,
Il a d’ire, de mort, de rage & d’inconstance
Paié mon sang, mes feux, mes peines & ma foy.


II

A longs filetz de sang, ce lamentable cors
Tire du lieu qu’il fuit le lien de son ame,
Et separé du cueur qu’il a laissé dehors
Dedans les fors liens & aux mains de sa dame,
Il s’enfuit de sa veuë & cherche mille mort-i.
Plus les rouges destins arrachent loin du cueur
Mon estommac pillé, j’espanche mes entrailles
Par le chemin qui est marqué de ma douleur :
La beauté de Diane, ainsy que des tenailles,
Tire l’un d’un costé, l’autre fuit le malheur.
Qui me voudra trouver destourne par mes pas,
Par les buissons rougis, mon cors de place en place :

Comme un vaneur baissant la teste contre bas
Suit le sangler blessé aisément à la trasse
Et le poursuit à l’œil jusqu’au lieu du trespas.
Diane, qui vouldra me poursuivre en mourant,
Qu’on escoute les rochs resonner mes querelles,
Qu’on suive pour mes pas de larmes un torrent,
Tant qu’on trouve seché de mes peines cruelles
Un coffre, ton portrait, & rien au demeurant.
Les chams sont abreuvés aprés moy de douleurs,
Le soucy, l’encholie & les tristes pensées
Renaissent de mon sang & vivent de mes pleurs,
Et des Cieux les rigeurs contre moy courroucées
Font servir mes soupirs à esventer ses fleurs.
Un bandeau de fureur espais presse mes yeux
Qui ne dissernent plus le dangier ny la voie,
Mais ilz vont effraiant de leur regard les lieux
Où se trame ma mort, & ma presence effroye
Ce qu’embrassent la terre & la voulte des Cieux.
Les piteuses foretz pleurent de mes ennuys,
Les vignes, des ormeaux les cheres espousees,
Gémissent avecq’ moy & font pleurer leurs fruitz
Milles larmes, au lieu des tendresses rosees
Qui naissoient de l’aurore à la fuitte des nuitz.
Les grands arbres hautains au milieu des foretz
Oyans les arbrisseaux qui mes malheurs dégoutent,
Mettent chef contre chef, & branches prés aprés,
Murmurent par entre eux & mes peines s’acoutent,
Et parmy eux fremit le son de mes regretz.
Les rochers endurcis où jamais n’avoient beu
Les troupeaux alterés, avortez de mes pennes
Sont fonduz en ruisseaux aussitost qu’ilz m’ont veu.
Les plus sterilles mons en ont ouvert leurs vaines
Et ont les durs rochers montré leur sang esmeu.
Les chesnes endurcis ont hors de leur saison

Sué, me ressentant aprocher, de cholere,
Et de couleur de miel pleurerent à foison,
Mais cest humeur estoit pareil à ma misère,
Essence de mon mal aigre plus que poison.
Les taureaux-indomptez mugirent à ma voix
Et les serpens esmeuz de leurs grottes sifflèrent,
Leurs tortillons grouillans là sentirent les loiz
De l’amour ; les lions, tigres & ours pousserent,
Meuz de pitié de moy, leurs cris dedans les bois.
Alors des cleres eaux l’estoumac herissé
Sentit jusques au fons l’horreur de ma presence,
Esloignant contre bas flot contre flot pressé ;
Je fuis contre la source & veulx par mon absence
De moy mesme fuyr, de moy mesme laissé.
Mon feu mesme embrassa le sein moite des eaux,
Les poissons en sautoient, les Nymphes argentines
Tiraient du fons de l’eau des violans flambeaux,
Et enflant d’un doux chant contre l’air leurs poitrines,
Par pitié gasouilloient le discours de mes maux.
O Saine ! di’je alors, mais je n’y puis aller,
Tu vas, & si pourtant je ne t’en porte envie,
Pousser tes flotz sacrés, abbreuver & mouiller
Les mains, la bouche & l’œil de ma belle ennemie,
Et jusques à son cœur tes ondes dévaler.
Prens pitié d’un mourant & pour le secourir
Porte de mes ardeurs en les ondes cachees,
Fais ses feux avecq’ toy subtilement courir,
De son cueur alumer toutes les pars touchees,
Luy donnant à gouter ce qui me fait mourir.
Mais quoy ! desja les Cieux s’acordent à pleurer,
Le soleil s’obscurcist, une amere rosee
Vient de gouttes de fiel la terre ennamourer.
D’un crespe noir la Loire en gemist desguisee,
Et tout pour mon amour veult ma mort honorer.

Au plus hault du midi, des eftoilles les feuz
Voiant que le soleil a perdu sa lumiere
Jectent sur mon trespas leurs pitoiables jeuz
Et de tristes aspectz soulagent ma misere :
L'hymne de mon trespas est chanté par les cieux.
Les anges ont senty mes chaudes passions,
Quictent des cieux aymés leur plaisir indissible,
Ils souffrent, affligez de mes afflictions,
Je les vois de mes yeux bien qu’il soient invisibles,
Je ne suis faciné de douces fictions.
Tout gemist, tout se plaint, & mon mal est si fort
Qu’il esmeut fleurs, costeaux, bois & roches estranges,
Tigres, lions & ours & les eaux & leur port,
Nymphes, les vens, les cieux, les astres & les anges.
Tu es loin de pitié & plus loin de ma mort,
Plus dure que les rocs, les costes & la mer,
Plus altiere que l’aer, que les cieux & les anges,
Plus cruelle que tout ce que je puis nommer,
Tigres, ours & lions, serpens, monstres estranges :
Tu vis en me tuant & je meurs pour aimer.


III.

Cessez noires fureurs, Œrynes inhumaines,
Esprits jamais lassez de nuire & de troubler,
Ingenieux serveaux, inventeurs de mes peines :
Si vous n’entreprenez rien que de m’acabler,
Nous avons bien tost fait, car ce que je machine
S’acorde à voz desseins & cherche ma ruine.
Les ordinaires fruitz d’un regne tirannique
Sont le meurtre, le sac & le bannissement,
La ruine des bons, le support de l’inique,
L’injustice, la force & le ravissement :

On juge sans m’ouir, je pleure, on me desnie
Et l'oreille & les yeux, est ce pas tirannye ?
Fiere qui as dressé un orgueilleux empire
Sur un serf abatu, le courroux de ta main
Te ruine par moy & ce mesme martire
Au Roy comme au subject est dur & inhumain,
Car pour me ruiner, la main aveugle & tainte
En mon sang mest commune & la penne & la plainte.
Je voy’ qu’il n’est plus temps d’enfumer de querelles
Le ciel noircy, fasché de l'aigreur de mes pleurs,
Et moins fault il chercher des complaintes nouvelles,
Ny remèdes nouveaux à mes nouveaux malheurs.
Quoy donc ? ceder au sort & librement se rendre,
Et ne prolonger pas son mal pour se deffendre !
On voit le cerf, fuiant une meutte obstineée
A sa pennible mort, eslancé pour courir,
S’estre une fin plus longue & plus dure donnee
Que si dedans son lit il eust voulu mourir.
Non, je ne fuirai plus la mort, je la desire,
Et de deux grans malheurs je veux le moindre eslire.
Ores que la pitié de la Parque amiable
D’un eternel sommeil me vient siller les yeux,
Quand la mort en pleurant de mon malheur m'acable,
L'esprit se plaint de toy, vollant dedans les Cieux,
Et dit : vis en regret, vis coupable ennemye,
Autre punission tu n’auras que ta vie.
Tu diras aux vivans que ta folle inconstance
Te fit perdre celuy qui de l'or de sa foy
Passa tous les humains, que tu pers l'esperance
En perdant serviteur si fidelle que moy,
Di’ à ceulx qui vivront que mon amitié sainte
De rien que de la mort jamais ne fut esteinte,
Di’ encores à ceulx qu’une chaleur nouvelle
Embraze d’amitié, que sages en mes frais

Ils facent leur proffit des plumes de mon esle,
Di’ aux dames aussi qu’elles songent de prés
Au malheur qui les suit & que leur œil contemple
Ma fin & mes tormens pour leur servir d’exemple.
Quant mon esprit jadis subjet à ta colhere
Aux Champs Eliziens achevera mes pleurs,
Je verrai les amans qui de telle misere
Gousterent telz repos aprés de telz malheurs,
Tes semblables aussi que leur sentence mesme
Punit incessemment en Enfer creux & blesme.
A quiconques aura telle dame servie
Avecq’ tant de rigeur & de fidelité
J’esgalleray ma mort, comme je fis ma vie,
Maudissant à l’envy toute legereté,
Fuiant l’eau de l’oubly, pour faire experiance
Combien des maux passez douce est la souvenance.
O amans, eschappez des misères du monde,
Je feuz le serf d’un œil plus beau que nul autre œil,
Serf d’une tyrannie à nulle autre seconde,
Et mon amour constant jamais n’eut son pareil :
Il n’est amant constant qui en foy me devance,
Diane n’eut jamais pareille en inconstance.
Je verray aux Enfers les peines préparees
A celles là qui ont aymé legerement,
Qui ont foullé au pied les promesses jurees,
Et pour chasque forfait, chasque propre torment :
Dieux frappez l’homicide, ou bien la justice erre
Hors des haultz Cieux bannye ainsi que de la terre !
Aultre punition ne fault à l’inconstante
Que de vivre cent ans à goutter les remortz
De sa legereté inhumaine, sanglante.
Les mesmes actions luy seront mille mortz,
Ses traits la fraperont & la plaie mortelle
Qu’elle fit en mon sein resaignera sur elle.

Je briseray, la nuit, les rideaux de sa couche,
Assiegeant des trois Seurs infernales son lit,
Portant le feu, la plainte & le sang en ma bouche :
Le resveil ordinaire est l’effroy de la nuit,
Mon cry contre le Ciel frapera la vengeance
Du meurtre ensanglanté fait par son inconstance.
Non, l'air n’a pas perdu ces souspirs miserables,
Mocqués, meurtris, payez par des traistres souris :
Ces souspirs renaistront, viendront espouvantables
T’effrayer à misnuict de leurs funestes cris ;
L’air a serré mes pleurs en noirs & gros nuages
Pour crever à misnuict de gresles & d’orages.
Lors son taint perissant & ses beautez perdues
Seront l’horreur de ceux qui transis l’adoroient,
Ses yeux deshonorés des prunelles fondues
Seront tels que les miens, alors qu’ilz se mouraient,
Et de ses blanches mains sa poitrine offencee
Souffrira les assaulx de sa juste pencee.
Aux plus subtils demons des régions hautaynes
Je presterai mon cors pour leur faire vestir,
Pasle, deffiguré, vray miroir de mes peines :
En songe, en visions ilz lui feront sentir
Proche son ennemy, dont la face meurtrie
Demande sang pour sang, & vie pour sa vie.
Ha ! miserable amant, miserable maitresse,
L’un souffre innocemment, l’autre aveuglant son mal,
Bastit en se jouant de tous deux la tristesse,
Le couteau, le tumbeau & le sort inegal :
L’une laisse volage à ses fureurs la bride,
L’autre meurant à tort pleure son homicide.
O Dieux ! n’arrachez point la pitié de mon ame,
D’une oublieuse mort n’ostez mon amitié :
Que je brusle plus tost à jamais en ma flamme,
Sans espoir de secours, sans aide, sans pitié

Que sa perte me soit peu gratieuse :
Faictes moy malheureux & la laissez heureuse !
Pardonnez l’inconstance & donnez à fortune
La cause de mon mal, ou laissez à ma foy
La coulpe de la rage aux amoureux commune ;
Vengez tout le forfait de Diane sur moy !
J’aime mieux habiter un enfer & me taire,
Brusler, souffrir, changer, ou vivre pour luy plaire.


IV.

O mes yeux abusez, esperance perdue,
Et vous, regars tranchans qui espiés ces lieux,
Comme je pers mes pleurs, vous perdez vostre veuë,
Les pennes de mon cueur & celles de mes yeux.
C’est remarquer en vain l'assiette & la contree
Et juger le pais où j’ay laissé mon cueur :
Mon desir s’y en volle & mon ame alteree
Y court ainsi qu’à l'eau le cerf en sa chaleur.
Ha ! cors vollé du cueur, tu brusle sans ta flamme,
Sans esprit je respire & mon pis & mon mieux,
J’affecte sans vouloir, je m’anyme sans ame,
Je vis sans avoir sang, je regarde sans yeux.
Le vent emporte en l'aer ceste plainte poussee,
Mes desirs, les regretz & les pennes de l’œil,
Les passion du cueur, les maulx de la pensee,
Et le cors delaissé ne veult que le sercueil.
J’ouvre mon estommac, une tumbe sanglante
De maux enseveliz : pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, & voy’ au fons mon cueur party en deux
Et mes poumons gravez d’une ardeur viollente,
Voy’ mon sang escumeux tout noircy par la flamme,
Mes os secz de langueur en pitoiable point

Mais considere aussi ce que tu ne vois point,
Les restes des malheurs qui sacagent mon ame.
Tu me brusle & au four de ma flame meurtriere
Tu chauffes ta froideur : tes delicates mains
Attizent mon brazier & tes yeux inhumains
Pleurent, non de pitié, mais flambants de cholere.
A ce feu devorant de ton yre alumee
Ton œil enflé gemist, tu pleures à ma mort,
Mais ce n’est pas mon mal qui te deplaist si fort :
Rien n’attendrit tes yeux que mon aigre fumee.
Au moins aprés ma fin que ton ame apaisee
Bruslant le cueur, le cors, hostie à ton courroux,
Prenne sur mon esprit un suplice plus doux,
Estant d’yre en ma vie en un coup espuisee.


V.

Puisque le cors blessé, mollement estendu
Sur un lit qui se courbe aux malheurs qu’il suporte
Me fait venir au ronge & gouster mes douleurs,
Mes membres, joissez du repos pretendu,
Tandis l'esprit lassé d’une douleur plus forte
Esgalle au cors bruslant ses ardentes chaleurs.
Le cors vaincu se rend, & lassé de souffrir
Ouvre au dart de la mort sa tremblante poitrine,
Estallant sur un lit ses miserables os,
Et l'esprit qui ne peult pour endurer mourir,
Dont le feu viollant jamais ne se termine,
N’a moien de trouver un lit pour son repos.
Les medecins fascheux jugent diversement
De la fin de ma vie & de l'ardante flamme
Qui mesme fait le cors pour mon ame souffrir,
Mais qui pourroit juger de l’eternel torment

Qui me presse ? d’ailleurs je say bien que mon ame
N’a point de médecins qui la peussent guerir.
Mes yeux enflez de pleurs regardent mes rideaux
Cramoisyr, esclatans du jour d’une fenestre
Qui m’offusque la veuë, & sait cliner les yeux,
Et je me resouviens des celestes flambeaux,
Comme le lis vermeil de ma dame fait naistre
Un vermeillon pareil à l’aurore des Cieulx.
Je voy mon lict qui tremble ainsi comme je fais,
Je foy trembler mon ciel, le chaslit & la frange
Et les soupirs des vens passer en tremblottant ;
Mon esprit tremble ainsi & gemist soubz le fais
D’un amour plain de vent qui muable se change
Aux vouloirs d’un cerveau plus que l’aer inconstant.
Puis quant je ne voy’ rien que mes yeux peussent voir,
Sans bastir là dessus les loix de mon martire,
Je coulle dans le lict ma pencee & mes yeux ;
Ainsi puisque mon ame essaie à concevoir
Ma fin par tous moiens, j’atten’ & je desire
Mon cors en un tumbeau, & mon esprit es Cieux.


VI.

Pressé de desespoir, mes yeux flambans, je dresse
A ma beauté cruelle & baisant par trois fois
Mon pougnard nud, je l’offre aux mains de ma deesse,
Et laschant mes soupirs en ma tremblante voix,
Ces mots coupez je presse :
Belle, pour estancher les flambeaux de ton yre,
Prens ce fer en tes mains pour m’en ouvrir le sein,
Puis mon cueur haletant hors de son lieu retire,
Et le pressant tout chault, estouffe en l’autre main
Sa vie & son martire.

Ha Dieu ! si pour la fin de ton yre ennemye
Ta main l’ensevelist, un sepulchre si beau
Sera le paradis de son ame ravie,
Le fera vivre heureux au milieu du tumbeau
D’une plus belle vie !
Mais elle fait secher de fievre continuë
Ma vie en languissant & ne veult toutefois,
De peur d’avoir pitié de celuy qu’elle tuë,
Rougir de mon sang chault l’yvoire de ses doitz
Et en troubler sa veuë.
Aveugle ! quelle mort est plus doulce que celle
De ses regards mortels & durement gratieux
Qui derobent mon ame en une aise immortelle ;
J’ayme donc mieux la mort sortant de ses beaux yeux
Et plus longue & plus belle !


VII.

Liberté douce & gratieuse.
Des petis animaux le plus riche tresor,
Ha liberté, combien es tu plus precieuse
Ni que les perles ni que l’or !
Suivant par les bois à la chasse
Les escureux sautans, moy qui estois captif,
Envieux de leur bien, leur malheur je prochasse,
Et en pris un entier & vif.
J’en fis présent à ma mignonne
Qui luy tressa de soie un cordon pour prison ;
Mais les frians apas du sucre qu’on luy donne
Luy sont plus mortelz que poison.
Les mains de neige qui le lient,
Les attraians regars qui le vont decepvant
Plustot obstinement à la mort le convient
Qu’estre prisonnier & vivant.

Las ! commant ne suis je semblable
Au petit escurieu qui estant arresté
Meurt de regretz sans fin & n’a si agreable
Sa vie que sa liberté.
O douce fin de triste vie
De ce cueur qui choisist sa mort pour les malheurs,
Qui pour les surmonter sacrifie sa vie
Au regret des champs & des fleurs !
Ainsi aprés mille batailles,
Vengeans leur liberté on a veu les Romains
Planter leurs chauds poignards en leurs vives entrailles,
Se guerir pour estre inhumains.
Mais tant s’en fault que je ruine
Ma vie & ma prison qu’elle me plaist si fort,
Qu’en riant je gazouille, ainsi que fait le cigne,
Les douces chansons de ma mort.


VIII.

Le miel sucré de vostre grace,
Le bel astre de vostre face
Meurtriere de tant de cueurs
Ne sorte de ma souvenance ;
Mais où prendray je l’esperance
De guerison pour mes douleurs ?
Je sens bien mon ame insensee
Se transir sur vostre pancee
Et sur le souvenir de vous,
Mais je ne puis trouver les charmes
Qui me font friand de mes larmes
Et trouver mon malheur si doux.
Deux yeux portent ilz telle amorce ?
O Dieux ! il y a tant de force

Dedans les rais d’une beauté !
Je l’espreuve & ne le puis croire,
Et le fiel que j’ay soif de boire
Desjà m’est experimenté.
O Deesse pour qui j’endure,
Comme voz beautés je mesure,
Mesurez ainsi mon torment,
Car la soufrance qui me tuë,
Pourveu qu’elle vous soit congneuë,
Ne me deplaist aucunement.
Non pas que je veille entreprendre
De mesurer ny de comprendre
Ny vos beautez ny mon soucy ;
Ces choses sont ainsi unies :
Si vos graces sont infinies,
Mon affliction l’est aussi.
Mon martire & vostre puissance,
Comme ayant pareille naissance,
Ont aussi un effet pareil,
Hors mis que c’est par vostre veuë
Que ma puissance dyminuë,
Et la vostre croist par vostre œil.
Si vostre œil m’est insurportable,
Si d’un seul regard il m’accable
D’ardeur, de pennes & d’ennuy,
Pour Dieu, empeschez le de luyre,
Mais non, laissez le plus tost nuire,
Car je ne puis vivre sans luy !
Vostre presence me devore,
Et vostre absence m’est encore
Cent fois plus fascheuse à soufrir :
Un seul de vos regards me tuë,
Je ne vis point sans vostre veuë,
Je ne vis doncq’ point sans mourir.

Ha Deesse, que de martire
Je souffre en deschargeant mon yre
Dessus moy pour l’amour de vous !
Mais je ne puis trouver de penne,
D’exquise torture, de geenne,
Ny torment qui ne soit trop doux.
Ce peché fait que triste & blesme,
De regrez j’afflige moy mesme,
Je me desplais avec esmoy
De ma trop douce penitence,
Et je ne trouve en mon offence
Juge plus severe que moy.
J’ay voullu transonner de rage
La langue qui me fit dommage,
Pensant seulement me joüer,
Je ne l’osay faire de crainte
Que la force ne feust esteinte,
Ne l’ayant que pour vous loüer.
Je m’esbahis à part moy comme
Celuy qui du ventre de l’homme
Reprenoit le plus grand des Dieux,
Ne trouvoit une chose estrange
Mettre l’injure & la louange
En un membre si precieux.
Car comme l’espee ou la lance,
On a la langue pour deffence
Et pour l’ennemy offencer,
Mais celuy la est plein de folie (sic)
Qui forcenant en son envie,
De son couteau se vint blesser.
D’Adonis la face divine
Ne fit tant pleurer la Ciprine
Comme a pleuré mon cueur marry,
Ny Enee pour son Anchise,

Ny Niobé, ny Artemise
Sur les cendres de son mary.
Helas ! je congnois bien ma faute
Et la ferois encor’ plus haulte
Qu’elle n’est, si je le pouvois :
Mon ame en parlant en est folle
Et je soubsonne ma parolle
De pecher encor’ une fois.
Non, je ne puis couvrir ma honte,
Et quant mon forfait je raconte,
L’excuse, l’esprit me default,
Combien que le vulgaire estime
Qu’il ne peult y avoir de crime
Ou l’imprudence seule fault.
Mais quand je voy’ que vostre grace
Et les soleils de vostre face
Pourtant ne m’ont abandonné,
Lors, mon ame plus criminelle
Son affliction renouvelle
Pour estre sitost pardonné.
Ainsi vostre pitié m’accable,
Et vostre douceur agreable
Me condemne indigne de vous,
Car si ma faute estoit petite,
Elle s’accroit quant elle irrite
Un esprit si calme & si doux.
Le pardon suit la repentance,
Le repentir la congnoissance
Et la honte de son peché ;
Vous pardonnez donc bien, maitresse,
Car je doubleray ma vitesse
Aprés avoir un coup brunché.
Pour une simple penitence,
Pardonner celuy qui offence,

C’est le vray naturel des Dieux.
Comme vostre grace est celeste
Il falloit aussi que le reste
Et la pitié feust nee aux Cieux.
Bienheureux est celuy qui donne,
Qui pardonne est deux fois vaincueur
Et le pardon est dure peine,
Encor plus heureux qui pardonne,
La grace est marque souverayne
Quant elle atache un brave cueur.


IX.

Pleurez avec moy, tendres fleurs,
Aportez, ormeaux, les rosees
De vos mignardes espousees,
Meslez vos pleurs avec les pleurs
De moy désolé qui ne puis
Pleurer autant que j’ay d’ennuis !
Pleurez aussi, aube du jour :
Belle Aurore, je vous convie
A mesler une doulce pluye
Parmi les pleurs de mon amour,
D’un amour pour qui je ne puis
Trouver tant de pleurs que d’ennuis !
Cignes mourans, à ceste foys
Quittez la Touvre Engoumoisine
Et meslez la plainte divine
Et l’aer de vos divines voys,
Avec moy chetif qui ne puis
Pleurer autant que j’ay d’ennuis !
Oiseaux qui languissez marris,
Et vous, tourterelles fachees,
Ne comptez aux branches sechees

Le veuvage de vos maris
Et pleurez pour moy qui ne puis
Pleurer autant que j’ay d’ennuis !
Pleurez, o rochers, mes douleurs
De vos argentines fonteines
Pour moy qui souffre plus de peines
Que je ne puis trouver de pleurs,
Pour moy douloureux qui ne puis
Plorer aultant que j’ay d’ennuis !


X.

Que je sorte du creux
Du labirinte noir par le fil qui a prise
Ma chere liberté de l’or de ses cheveux,
Ou, si je pers la vie ainsi que la franchise,
Je perde tout par eux.
De ma douce prison,
Des ameres douleurs de mes pressantes gennes,
Des doux liens de ma serve raison,
Je couppe de sanglotz, parcelles de mes peines,
Ma funebre oraison.
Je ne meurs pas à tort,
Bien coupable du fait, coupable du martire,
Du feu d’amour & d’un torment plus fort,
Mais las ! donne, Deesse, à l’amant qui souspire
Ou la grace ou la mort.
Si j’ay grace de toy,
Je recoy’ ma raison de qui me l’a ravye,
Si ton courroux vient foudroier sur moy,
Tu me feras injuste en m’arrachant la vye,
Martire de ma foy.
O bienheureux souspirs,
Si de ses yeux si doux vous tirez recompence,

Si ma vie est la fin de mes désirs,
Je triumphe en mourant & gaigne par constance
Le laurier des martirs.
Soit que ce soit, je veux
De la doubleuse mort, du cruel labirinthe
Sortir guidé du fil de ses cheveux,
S’il fault que pour armer mon ame soit esteinte,
Que je sorte par eux.
Pour Dieu, mort ou secours !
Bien heureux si je meurs, bien heureux si j’ay grâce,
Heureuse fin des malheurs & des jours !
Vivant, je soye aymé, ou en mourant j’efface
Ma vie & mes amours.
Si j’acheve par feux
Mes ans & mes douleurs, que ton bel œil m’enflame,
Ou sy mon jour est randu bienheureux
Par quelque beau soleil, que ce soit par la flame
Et les retz de tes yeux.
Si d’un coup inhumain
Ma poitrine se fend, ta main me soit mortelle ;
Si du tombeau quelque secours humain
Me vient tirer, je n’ay ayde qui me soit belle
Que de ta belle main.
Encore ay je soucy
Que ta bouche à ma mort prononce ma sentence.
Ou si je vis, qu’elle me die aussy,
Comme le desespoir, ma nouvelle esperance,
La mort ou la mercy.
Pour te suyvre obstiné je t’anime à la fuitte,
Par mon humilité j’esleve ton orgueil,
Je glace ton dedaing du feu de ma poursuytte,
Tu te lave en mes pleurs,
Et le feu de ton œil
S’accroist de mes chaleurs.

De ma triste despoüille & d’une ame ravie
Mon esprit triumphant couronne ta beauté
Vermeille de mon sang, ma mort te donne vie,
Et les plus doux zephirs
Qui charment ton Æsté
Sont mes tiedes souspirs.
Ainsi quand Daphné fut en laurier convertie,
Le soleil l’eschauffa de rayons & d’amours
Et arrousa ses pieds de larmes & de pluye.
O miserables pleurs
Qui croissez tous les jours
L’amour & les douleurs !


XI.

A l’escler viollant de ta face divine,
N’estant qu’homme mortel, ta celeste beaulté
Me fist goutter la mort, la mort & la ruyne
Pour de nouveau venir à l’immortalité.
Ton feu divin brusla mon essence mortelle,
Ton celleste m’esprit & me ravit aux Cieulx,
Ton ame estoit divine & la mienne fut telle :
Deesse, tu me mis au ranc des aultres Dieux.
Ma bouche osa toucher la bouche cramoysie
Pour cœiller sans la mort l’immortelle beaulté,
J’ay vescu de nectar, j’ay sucsé l’ambroysie,
Savourant le plus doux de la divinité.
Aux yeux des Dieux jalloux, remplis de frenaisie,
J’ay des autels fumants conu les aultres Dieux,
Et pour moy, Dieu segret, rougit la Jalousye
Quant un astre incognu ha déguizé les Cieux.
Mesme un Dieu contrefait, refuzé de la bouche,
Venge à coups de marteaux son impuissant courroux,

Tandis que j’ay cueilli le baiser & la couche
Et le sinquiesme fruict du nectar le plus doux.
Ces humains aveuglez envieux me font guerre,
Dressant contre le ciel l’eschelle, ils ont monté,
Mais de mon Paradis je mesprise leur terre
Et le ciel ne m’est rien au pris de ta beaulté.


XII.

J’implore contre toy la vengeance des Dieux,
Inconstante parjure & ingratte adversaire,
Las de noyer ton fiel aux pertes de mes yeux
Et à ta cruauté rendre tout le contraire,
D’enorgueillir ton front de mon humilité,
De n’adorer en toy rien plus que la beauté.
D’où as-tu, sanguynaire, extrait ce naturel ?
Est-ce des creux rochers de l’ardante Libie
Où tu fouillois aux reins de quelq’aspid mortel
Le roux venin, le suc de ta sanglante vie,
Pour donner la curee aux chaleurs de ton flanc
De te paistre de mortz & t’abreuver de sang ?
D’un courroux sans raison tu as greslé les fleurs,
Les fruictz de ma jeunesse, & ta rouge arrogance
Trepigne soubz les pieds l’espoir de mes labeurs,
Les sueurs de mon front & ma tendre esperance.
En languissant, je voi’ que les oiseaux passans
Sacagent impunis mes travaux florissans.
Celluy qui a pillé en proie ta beauté
N’a lenguy comme moy, les yeux dessus ta face,
Mais en tirannisant ta folle volupté :
II regne pour braver & pour user d’audace,
N’immolant comme moy en victoire son cueur,
Sur toy qui vomiçois il s’est rendu vainqueur.

Il aime inconstemment, c’est ta perfection :
Jamais rien de constant ne te fust agreable
Et je lis en cela ta folle affection.
Quant chascun veult tousjours rechercher son semblable,
J’aprens à te fuir comme contraire à moy,
Qui crains plus que la mort la perte de ma foy :
Or vis de l’inconstance, enivre tes esprits
De la douce poison dont t’a ensorcelee
Celluy qui en t’aimant n’aime que ton mespris ;
Je n’aimeray jamais d’une amour aveuglee
Un esprit impuissant, un cueur degenereux,
Superbe à ses amis & humble à ses haineux.


XIII.

Citadines des mons de Phocide, aportez
L’espaule audacieuse à ma fiere entreprise,
Et si vostre fureur un coup me favorise,
Je brusleray ma plume à voz divinitez.
J’enflamme ce labeur d’un œuvre si superbe
Que dés le commancer je me trouve au milieu.
Fortune aide aux rameaux qui grimpent en hault lieu
Et trepigne à ses piedz l’humidité de l’herbe.
Non, je n’escriray point, il suffist que mes yeulx,
Mes sens, mes voluntez & mon ame ravie
Osent vous admirant, ma bienheureuse vie,
Il vault mieux dire un peu & pencer beaucoup mieux.
C’est le riche subjet qui me donne courage,
Sur qui je n’entreprens rien temerairement,
Mais mon stile ne peut orner son argument,
Il fault que le subjet soit honneur du langage.
O que si tant de vers tous les jours avortez
Qui portent peinte au front la mort de leur naissance,

Si ces petits escrits, bastardeaux de la France,
Eussent donné telle ame aux vers qu’ils ont chantez,
L’honneur de ceux qu’on loue eust rendu par eschange
A ces poetes menteurs ce qu’il eust reçeu d’eux :
Quant à moy vostre gloire est commune à nous deux,
Car en vous adorant je me donne louange.
Mais ceux qui, eschauffans sur un rien leurs escris,
Barbouillent par acquit les beautés d’une face
D’une grandeur obscure & d’une fade grace,
D’un crespe de louange habillent leur mespris,
Outre plus d’entamer ce qu’on ne peut parfaire,
Cacher ce qui doibt estre eslevé au plus hault,
Ne loüer la vertu de la sorte qu’il fault,
II vaudroit beaucoup mieux l’admirer & se taire.
Je me tais, je l’admire, & en pensant beaucoup,
Je ne puis commencer, car tant de graces sortent,
Se pressant sans sortir, qu’en poussant elle emportent
Mon esprit qui ne peult tout porter en un coup.
Vous avez ainsi veu un vaze de richesse
Ne pouvoir regorger alors qu’il est trop plain,
Et par un huis estroit s’entrepousser en vain
Un peuple qui ne peult ressortir pour la presse.
Parainsi en craignant que vostre œil n’excusant
Ce qui menque à mes vers, veille nommer offence
L’erreur & appeller un crime l’impuissance,
Je vous metz jusqu’aux Cieux, je loue en me taisant,
Je tairay pour briser les coups de la mort blesme,
Pour targuer vostre nom à l’injure des Cieux,
Pour surmonter l’oubly & le temps envieux,
Vostre vertu qui est sa louange elle mesme.

XIV.

L’aer ne peut plus avoir de vens,
De nuages s’entresuivans,
Il a versé tous les orages,
Comme j’espuise mes douleurs :
Mes yeux sont assechez de pleurs,
Mon sein de souspirs & de rages.
Helas ! mes soupirs & mes pleurs
Trempaient mes cuisantes chaleurs
Et faisoient ma mort plus tardive,
Ores destitué d’humeur,
Je brusle entier en ma chaleur
Et en ma flamme tousjours vive.
Je ne brusle plus peu à peu,
Mais en voiant tuer mon feu
Je pers la vie aprés la veuë.
Comme un criminel malheureux
A qui l’on a bandé les yeux
Afin qu’il meure à l’impourveue.
Mes yeux, où voulez vous courir ?
Me laissez vous avant mourir
Pour voir ma fin trop avancee ?
Pour Dieu ! attendez mon trepas,
Ou bien ne vous enfuiez pas
Que vous n’emmeniez ma pensee !
Mes soleils en ceste saison
Ne luisent plus en ma prison
Comme ils faisaient en la premiere.
Le feu qui me va consommant
Me luist un peu & seulement
Je me brusle de ma lumiere.

XV.

Ores es tu contente, o Nature meurtriere.
De ses plus chers enfans impitoyable mere,
Tigresse sans pitié,
As tu saoullé de sang ta soif aspre & sanglante,
Faisant finir ma vie en ma mort violente,
Mais non mon amitié ?
Pourquoy prens tu plaisir à orner tes merveilles
De ses riches tresors & beautes non pareilles
Que puis aprés tu veux
Garnir de plus de maux & de pennes cruelles
Qu’Ethna ne fait sortir, du creux de ses moëlles,
De souffres & de feuz ?
Si cest œil ravissant qui me mit en servage
N’eust fait naistre l’espoir au rais de son visage,
Ravissant mes esprits,
Ou qu’un sang plus espais, de masse plus grossiere
A preuve de l’amour n’eust de ceste guerriere
Si tost esté surpris :
Helas ! mon œil fut sec & mon ame contente,
Mon esprit ne fut mort par la crainte & l’atente,
Ma main pas ne seroit
Ny ce fer apresté prests à finir la vie
Qu’amour hait, qu’il avoit à aymer asservie
En si mortel endroit.
Je ne me plaindrois pas, si ma mort pouvoit faire
Au pris d’un sacrifice esteindre sa cholere
Et un peu l’apaiser,
Tant qu’en voiant la fin d’une amour non pareille
Par un funebre adieu de sa bouche vermeille
Je sentisse un baiser.
Mon esprit satisfait errant par les brisees

Des Enfers esgairez & des Champs Elysees
Rien ne regretterait,
Que le mesme regret qu’auroit son ennemie
De la sainte amitié qu’encor aprés la vie
L’esprit emporteroit,
Mais en ne trouvant lieu pour mes larmes non feintes
Dans son cueur endurcy aux viollantes plaintes
D’un miserable amant :
Non plus que l’on verroit engraver quelque trasse
De l’inutille fer pressé dessus la face
D’un ferme diamant.
C’est fait, je veux mourir & qu’un tel sacrifice
Preste ma triste main pour un dernier office
A son cors malheureux,
Dehors duquel l’esprit ira, comme je cuide,
Sur les bors ombrageux du fleuve Acherontide
Soupirer amoureux,
Racontant aux Esprits la severe sentence
Qui fut l’amere fin d’une longue esperance,
D’une dure prison,
De mes maux abregez & l’issue & l’entree,
Qui forca le despit & la main forcenee
Surmonter ma raison.
Frape doncq’, il est temps, ma dextre, que tu face
Flotter mon sang fumeux, bouillonnant par la place
Soubz le cors raidissant.
Haste toy, douce mort, fin d’un amere vie,
Fay’ ce meurtre, l’esprit, ma rage te convie
Aux umbres fremissant.

XVI.

Mesurent des haultz Cieux tant de bizarres courses
Ceux qui ont espié leur subtils mouvements ;
L’autre cherche la cause aux divers excremens
Des pluies, des metaux, des plantes & des sources ;
Vante un brave soldat, à la face de tous,
Son adresse, son heur, sa force & son courage,
Et son esprit vanteur repeu de son dommage
Estalle un estomac gravé de mille coups.
Je veulx parler d’amour, docte en telle science,
Si le savoir est seur né par l’experience.
Le chef d’euvre de Dieu fut l’homme miserable
Fait des quatre elemens, un monde composé
Du froid comme du sec, humide & embrasé,
Et fut par le divin à Dieu mesme semblable,
Car son ame n’est moins que divine des Cieux,
Le plus beau que le Ciel peut donner en partage :
Si bien qu’estant unis d’un si beau mariage,
On a fait pour jaloux les Demons & les Dieux,
On a forgé de là l’audacieuse guerre
Des Titans animez & des filz de la Terre.
Ceste perfection fut la mesme Androgeine
Qui surpassa l’humain par ses divins effortz,
Quant le cors avecq’ l’ame & l’ame avecq’ son cors
Vit l’essence divine unie avecq’ l’humaine.
Le terrestre pesant n’engageoit de son pois
Le feu de son esprit à sa rude nature,
Mais ces deux unions en mesme creature
Souffroient de l’un’ à l’autre & l’amour & les loix.
Le divin se faisoit du naturel du reste

Et le terrestre espais n’estoit rien que celeste.
Jaloux & prevoiant le grand Dieu du tonnerre
Ne voullut plus souffrir l’homme estre un demi dieu
Ny suspendre en hasard son estat & son lieu,
Que la terre fust ciel & que le ciel fust terre.
Il fit des naturels deux diverses moitiés,
Couppa l’homme pour l’homme & la femme pour femme,
Le pesant du leger & le cors de son ame,
Separa d’unions, de cors & d’amitiés,
Tranchant par le milieu, ceste jumelle essence
A qui le separer apporta l’impuissance.
L’ame est l’esprit uni avecq’ le cors femelle
Dont l’homme le premier esprouvant l’union
Estoit homme plus qu’homme & sa perfection
Par l’accord de ces deux fut supernaturelle.
Perdant cest heur premier la celeste raison
Eut en horreur le cors & terrestre & prophane,
L’esprit fut gourmandé par le cors, son organe,
Et le cors de l’esprit ne fut que la prison,
Instrument seullement d’une contrainte vie,
Miserable moitié d’Androgeine partie.
Quant par desunion la force fut esteinte,
Quant ces pauvres moitiés perdirent le pouvoir,
Les Dieux furent emeuz par pitié d’y pourvoir,
Quant par leur impuissance ils perdirent la crainte,
Affin que ces moitiés peussent perpetuer
L’espece en rejoignant ceste chose egaree.
L’une & l’autre nature en son cors separee
Apprindrent par l’amour à se r’habituer,
Qui nasquit à ce point & de qui la naissance
Refit ceste union avecq’ moins de puissance.
Un jour que des grans Dieux la bande estant saisie
D’heur, de contentement, d’aise & de volupté,
Remplissoient pour Venus & sa nativité

Leurs cerveaux de nectar & de douce ambroisie,
Sur la fin d’un banquet, Pore conseil des Dieux,
Yvre de ses douceurs se desrobe en cachette,
En fuiant au jardin de Jupiter se jette
Sur les fleurs, recreant d’un doux sommeil ses yeux.
Livrant, di je, au sommeil son cors & l’ambroisie
Qui des liqueurs du ciel troubloit sa fantasie.
Sur ce point arriva la pauvrette Penie,
Qui durant le banquet prés de l’huis mandioit
Des miettes du Ciel, & pour neant avoit
Pour un chiche secours tant mandié sa vie.
Elle voit sur les fleurs le beau Pore endormy,
Elle change sa faim en desir de sa race,
Elle approche, se couche & le serre & l’embrasse
Tant qu’il l’eut pour amie & elle pour ami.
De là naquit l’Amour, & la nature humaine
Du conseil des grands Dieux conceut l’autre Androgeine
Aussitost qu’à nos yeux un raion de beauté
Nous a fait savourer le miel de l’agréable,
L’esprit conçoit la joie, emeu du delectable
Dont il recoit le goust par nostre œil presenté.
Au naistre de Venus, au naistre des beautez,
Nos esprits qui n’ont moins que l’essence divine
S’ejouissent du beau & l’ame l’imagine ;
Les pencers sont festins pour les divinitez,
Nostre pauvre nature est la mesme Penie
Qui n’estant du festin y va quester sa vie.
Elle ne peut gouster ny les os, ny les restes
Du nectar de l’esprit : son estomac n’a pas
De feu pour digerer ce precieux repas,
Mais au lieu de joïr des viandes celestes,
L’esprit fait tout divin est emeu à pitié,
Se couple avec le cors, & en ce mariage
Donne prevoir, juger, & souvenir pour gage

De l’union du cors & de son amitié ;
Le cors loge les trois : au front la congnoissance,
Le jugement plus hault, plus bas la souvenance.
L’esprit apprend au cors les ars & les sciences
De nature & d’acquis, & fidelle amoureux
Preserve sa femelle & du fer & des feux,
Par l’aigu jugement & les experiences.
Comment pourroit ainsi ce mari sans son cors
Exercer sa vertu, car sans sa bien aimee,
Les effets ne seroient qu’une ombre, une fumee,
Sans execution, sans œuvres, sans efforts ?
L’esprit, paintre parfait, emprunte la painture,
Les tableaux, les pinceaux des cinq sens de nature.
Comme Platon a peint l’amitié mutuelle
Des espritz & des cors l’un de l’autre cheris,
Moy je veux par l’amour des ars & des esprits
Repeindre une autrefois nostre amour naturelle,
Et du grand au petit, je nombre par raison
Que nous devons chercher les loix de la Nature
Au secret des espritz ; l’amour des cors endure
Mesme cause que l’autre & mesme liaison :
II brusle l’un & l’autre & de pareilles flammes
Unit l’amour des cors & celuy de noz ames.
Mais autant de subjetz sur lesquelz il espreuve
Le miel de ses douceurs ou ses mortels courroux,
Autant de fois il est ou vigoureux ou doux,
Et tel que le subjet son accident se treuve.
Comme le soleil chaud rengrege les odeurs
D’une charogne infecte & en forme la peste,
Et de mesmes raions le mesme nous apreste
En sa bonté le musch & le baume & les fleurs :
L’amour allume ainsi en nos esprits les flammes,
Certains eschantillons & mirouers de nos ames.
Tout ainsi que l’amour unist la difference

Du cors & de l’esprit, c’est lui tout seul qui peult
Unir deux autres cors en un seul, quant il veult,
Lorsque des deux espritz il tire sa naissance.
Par l’homme & son esprit Pore est représenté
Où l’amour a premier sa naissance & sa vie,
Puis l’ame de la femme est la pauvre Penie
Qui surprend nostre esprit yvre d’une beauté :
C’est le troisieme sens, & l’amour corporelle
En cela suit les loix de la spirituelle.
Nostre ame ne sauroit au cors donner la vie
Quant il est colleric, & son sang escumeux
Bouillonne, se dissipe & destourbe fumeux
L’esprit doux & qui n’est d’une telle armonie ;
L’esprit audacieux, entreprenant & vif,
Travaillant sans repos, bouillant en toute sorte,
Rend bien tost l’union, le cors, l’amitié morte,
Possedant un organe inutille & chetif.
Par la diverse humeur l’ame est donc departie,
Et les amours humains naissent de simpatye.
C’est pourquoy chacun peut aymer pour se complaire,
Mais c’est diversement, car les cors composez
Par les quatre elemens sont aussi disposez
A les recepvoir tous en leur forme ordinaire :
Mais si les qualitez ne sont pareillement
Parties dans les cors, aussi ne peuvent elles
Prendre en eux leurs vertus esgallement pareilles,
Car l’un reçoit le feu ou l’air plus aisement,
Et chasque cors meslé, exposé au pillage,
Reçoit le mieux celuy dont il a daventage.
Comme aux troubles confus d’une guerre civille,
Un fort qui sera plain de quatre factions,
Si deux tiers complotans ont mesmes passions
Ils livrent aisement à l’estranger la ville :
Ainsi la pierre où moins le feu a de vigueur

Est plus tard à brusler, & le bois qui recelle
Plus du simple en son cors plus aisement appelle
A deceler son feu un autre feu vaincueur,
Et des quatre elemens la ligue la plus forte
Aux pareils conquerans ouvre aisement la porte.
L’esprit est plus parfait, l’origine celeste
Ne le reduit aux loix d’humeur ni d’elemens ;
Hors le bon & mauvais tous autres sentimens
Sentans l’organe aymé s’acommodent au reste.
Pore avait refusé les viandes des Cieux
A ceste mandiante & chetive personne :
Il se derobbe aprés & luy mesme se donne.
Quant le sommeil pesant lui eut fermé les yeux,
Il falut qu’il dormist pour recebvoir Pœnie :
L’ame dedaygne ung cors quant elle est endormie.
La femme de qui naist le propre d’entreprendre
Le regime du monde & d’entrer au conseil,
Endort l’esprit de l’homme aux raions de son œil.
Sa beauté sont les fleurs qui le viennent surprendre ;
L’homme est fait amoureux & par l’oysiveté
Il s’acommode aux meurs de la femelle aymee.
Comme l’ame se voit par le cors transformee
Espouser son humeur, vouloir sa volonté,
Les esprits sont heureux qui ont cors debonnaire,
Les amans malheureux qui ont l’ame contraire.
L’esprit qui a un cors vif, subtil & ignee,
Qui sent le moins la terre & qui est moins pesant,
Sent cest organe beau, agreable & plaisant,
Et jamais de ces deux l’amour n’est terminee.
Mais l’esprit qui se loge en un cors froid & lent
N’aime qu’avec longtemps sa nature perverse.
Il le presse au premier, puis l’aime en la vieillesse,
Et l’amour d’entr’eux deux n’est jamais viollent
Que lorsqu’avec le temps ceste masse enterree

Se dépouillant de soy est au ciel preparee.
L’amour brusle aisement & aisement possede
Celle qui a le sang & le naturel chaud,
Pour ce qu’elle est de feu & que le feu d’en hault
Cherche tousjours le cors où la chaleur excede ;
Mais le froid naturel est mal propre à aimer :
S’il ayme, cest amour est artificielle,
Car il fault corriger la glace naturelle
Et l’effet naturel est plus à estimer :
L’unde n’est pas si tost par la flamme alumee
Comme la flamme vive est par l’eau consommee.
Les vigoureux espritz en fumelles aymees
Et de pareil humeur monstrent bien leurs vigeurs.
Quand la couple impareille aporte des langeurs.
Leur vie est lors stupide en prison enfermee ;
Comme un feu au bois vert, pourtant né pour brusler,
Quant le millieu s’embrase & l’escorse s’alume,
L’umidité s’en fuit par les boutz en escume,
Renvoiant l’eau en l’eau & poussant l’air en l’air :
Il faut ainsi souvent que l’esprit du feu face
Avant bien posseder son cors sortir la glace.
Ainsi l’homme amoureux, vrai esprit de la femme,
Use souvent son temps sur l’espoir, & ses jours
A corriger son cors premier que les amours
Aient changé l’humeur & la fumee en flamme.
Il semble l’intellect qui vif & viollant
Habite un cors sans feu ; l’esprit brusle de rage
Et use pour brusler son ardeur & son age,
Se consomme en dressant son organe trop grand,
Miserables amours qui par l’antipatye
Premier que vivre bien ont consommé leur vie.
J’esgalle ainsi l’amour & celeste & terrestre
Que le cors sans esprit, la dame sans amy
N’ont ne plaisir ne vie ou vivent à demy.

Pas un d’eux separé n’a ne forme, ne estre.
Comme souvent les cors mesprisent les espritz,
Les hommes sont ainsi reffusés par les dames :
L’amour plus necessaire aux cors qu’il n’est aux ames
Les doit faire plus doux & les avoir apris
Que l’ame vit encor quant le cors s’en delogne,
Et que le cors n’est rien sans ame que charogne.
Sans la conjonction leur amour est donc vaine,
Leurs effects separés sont songes impuissans,
Mais eux unis, de l’un & l’autre joissans,
Font germer en s’aymant leur amour & leur peine.
Separez moy le chaud d’avecq’ l’humidité,
A une autre liaison autre amour naturelle ;
Le chaut sterille en soy, l’humide est toute telle,
Et d’eux unis se fait toute nativité ;
Celluy doncq’ qui desjoint les moitiez de nature
Sacrilege la tuë & lui fait une injure.
Si nos esprits qui ont prins au Ciel leur naissance
Sont rien sans leur moitié, faitz mortz & impuissans,
Que sera il des cors mortelz & perissans
Sans amour, qui ont prins de l’autre amour substance,
Et quel est cest amour qui en l’affection
Naist & s’evanouist, se loge & s’imagine,
Si suivant son autheur, comme l’amour divine,
Il fleurist sans le fruit de la conjonction ?
C’est l’avorton liant la mort avecq’ la vie,
D’un parricide cors la vipere ravie.
Belle à qui j’ay sacré & mes vers & ma peine,
Voy’ comme en apaisant ta curiosité,
L’inutille regard d’une vaine beauté
N’est qu’une pure mort, sans unir l’androgeine.
Imitons les secrets de Nature & ses loix,
Fuions l’ingratitude & l’ame degenere,
Tout asseurez commant d’une si sainte mere

Les exemples, le cours & les editz sont droitz,
Car la desunion est la mort de Penie,
L’acord la ressucite & lui donne la vie.


XVII.

O bien heureux esprits qui printes vostre vie
Des fresnes endurcis & des rochs de Libye,
Avortez du Caucase & de quelque autre mont
A qui l’amour ne brusle & tormente les ames,
A qui la cruauté des cipriennes flammes
Ne martirise l’oeil, l’estoumac & le front !
Bien heureux sont ceulx là qu’une tendrette enfance
Empesche heureusement d’avoir la congnoissance
Des forces du malheur & de celles d’amour,
Mais ilz seroient heureux, si dés l’age premiere
D’un sommeil eternel ilz fermoient leur paupiere :
Leur vie & leur bonheur n’auroient qu’un dernier jour !
J’ay tort, hors de l’amour est toute joye esteinte.
Tout plaisir est demi, toute volupté feinte,
Et nul ne vit content s’il ne souffre amoureux.
Sans aimer & souffrir l’aise demeure vaine,
Et celuy qui son heur ne compare à la peine
De quel contentement sera il bien heureux ?
Le contraire est congneu tousjours par son contraire :
Ainsi qu’aprés l’hyver le printemps on espère,
Et comme aprés la nuit nous atendons le jour,
Ainsi le beau temps vient à la fin de l’orage,
Ainsi aprés le fiel d’un courroucé visage
Nous goustons la douceur de l’œil & de l’amour.
C’est l’amour tout puissant qui guerist la tristesse,
Qui fit le deuil amer de ma chere maitresse
Finir en mon bonheur, naistre en mesme saison.

On dit que le temps est medecin de nature
Et de nos passions, mais c’est coup d’aventure,
Car le mesme nous sert plus souvent de poison.
Olimpe, tu sais bien quelles furent les armes
Qui vainquirent ton deuil, tu sais comment tes larmes
Et mon desastre fier finirent en un jour :
Tu sais combien de temps dura ta maladie,
Tu sais que ton deuil fust plus dure que ta vie
Et par là tu congnois la vertu de l’amour.
Que diriez vous de voir un fiebvreux en la couche
Qui clorroit obstiné les levres & la bouche
Contre l’eau qui l’aurait autrefois fait guerir,
Sinon qu’il est saisi d’une aspre frenaisie,
Ou qu’un rouge malheur boult en sa fantaisie
Qui le fait n’aiant soif avoir soif de mourir.
Si les sermons fascheux des autres te travaillent,
Si les peurs des craintifs honteusement t’assaillent,
S’un autre te menace & te donne conseil,
Eh ! ne sais tu pas bien que la fiebvre amoureuse
Ne se congnoist pour voir une face hideuse,
Ou le poux inégal, ou le trouble de l’œil ?
Nous verrons quelquefois jargonner une vieille
Qui lorsqu’elle brusloit en une age pareille
D’un feu pareil au tien ne print en son ennuy
Autre conseil que soy & sa flamme nouvelle ;
Veux tu savoir commant ce conseil là s’appelle ?
Faire large courroie à la perte d’autruy.
Ne te laisse tromper à l’affeté langage
De plus jeune que toy, mais excuse par l’age
Le peu d’experience & le peu de raison.
Ceux là n’ont essaié la geenne qui nous serre :
C’est comme qui oiroit deviser de la guerre
Tel qui n’auroit jamais parti de la maison.
Celles qui en souffrant la mesme maladie

Et au mesme subjet desguisent leur envie
D’un propos contrefait tout autre que le cueur
Cachent pour t’affiner la cause qui les meine
En la mesme façon que la fine Climenne
Qui du beau Francion disoit mal à sa sœur.
Ton Parfait ne vit plus : Si un’ aise parfaite
Doibt durer à jamais, tout ce que je souhaite
Est de faire revivre un ami trepassé.
Si le secret tranchant de Parfait se presente,
Pense quel plaisir c’est par la chose présente
Te pouvoir faire encor’ revoir le bien passé.
Si ung frère fendant ou ung parent menace,
Laisse les menacer & leur quittant la place,
Sans changer de vouloir change d’un autre lieu.
Mille autre empeschemens essaient de combattre
Les cueurs nez à l’amour, mais qui pourrait abattre
L’entreprise & l’ouvrage & la force d’un Dieu ?
Or le dernier objet qui le plus espouvente
Les cueurs nez à l’amour, c’est quant le sein augmente
Et que les fruits d’amour sont trop gros devenuz.
Jamais un heur parfait n’est sans quelque aventure,
Et telle fut la loy de la sage Nature,
Que par les grands dangers les grans biens sont cogneuz.
Tu as vaincu ses peurs & ses craintes frivolles,
Et n’ont peu les rigueurs ny les douces parolles
Combatre ton courage & forger ton ennuy ;
Mais pourquoy, si jadis pour me donner la vie
Tu as peu surmonter le malheur & l’envie,
Ne te puis tu encor surmonter aujourd’huy ?
O jour plain de malheur, si le goust de mon aise
Mouilla tant seulement les fureurs de ma braise
Pour faire rengreger mes flammes peu à peu :
Jour pour jamais heureux, si d’une tendre nuë
La première rozee à jamais continue

De noier en pitié les rages de mon feu !
Je suis l’Ethna bruslant en ma flamme profonde,
Tu es le Nil heureux qui espanche ton onde
Sur la terre qui meurt de la soif de tes eaux ;
Noie les feuz, mignonne, embrazeurs de mon ame,
Ou me laisse brusler ton Nil dedans ma flamme,
Que je noye en tes pleurs, ou seche en mes flambeaux.


XVIII.

A qui ne fut point ravie
L’amitié qu’avec la vie,
De qui les chastes amours
N’ont finy qu’avec les jours.

Que de douceurs d’une douleur,
Que de vers rameaux d’une graine,
Que de sallaires d’une peine,
Que de fleurs naissent d’une fleur !
Qu’un œil ha de raions ardents,
Que de mortz sortent d’une vie,
Que de beaux printemps d’une pluie,
Que d’estés chaults d’un doux printemps !
Amours qui par l’aer voletez,
Portez sur vos aisles dorees
Le miel que vos langues sucrees
Ont succé de tant de beautez.
Que tous ceux qui liront ces vers
Et les amours qui y florissent,
Du miel qu’ilz gousteront benissent
Ces belles fleurs, ces rameaux vers.
Heureux de ta douleur, Monteil,
Qui triomphes de ton martire,
Et autant de fleurs en retire

Comme de larmes de ton œil !
Le soleil chaud de tes ardeurs
N’a point moissonné l’esperance
Et la delectable aparance
De ton printemps & de tes fleurs.
Tesmoins ces doux & riches vers
A qui la mort la mort ne donne,
De qui l’yver, de qui l’autonne
Ne secheront les rameaux vers.
Pour salaire de tes ennuis,
Pour la fin de tes douces rages,
Pour couronne de tes ouvrages
Dieu te donne encor’ d’autres fruitz.
Ces fruitz feront qu’en bien aymant
Ton doux chant fleschira ta dame ;
Tes pleurs feront noier ta flamme
Et les douleurs de ton tourment.
Tu cuilleras de ta beauté
Les espitz aprés l’esperance :
Ta Chloris en Ceres s’advance,
Ton printemps se fait un esté.
Ces fruiz là feront que l’amour
De ceste fleur espanouie
Ne verra la mort & la vie
Paroistre & finir en un jour.


XIX.

Quiconque sur les os des tombeaux effroiables
Verra le triste amant, les restes miserables
D’un cueur seché d’amour & l’immobile corps
Qui par son ame morte est mis entre les morts,
Qu’il deplore le sort d’un ame à soy contraire,

Qui pour ung autre corps à son cors adversaire
Me laisse exanimé sans vye & sans mourir,
Me faict aux noirs tombeaux aprés elle courir.
Demons qui frequentez des sepulchres la lame,
Aidez moy, dites moy nouvelles de mon ame,
Ou montrez moy les os qu’elle suit adorant
De la morte amytié qui n’est morte en mourant.
Diane, où sont les traitz de ceste belle face ?
Pourquoy mon œil ne voit comme il voyoit ta grace,
Ou pourquoi l’œil de l’ame, & plus vif & plus fort,
Te voit & n’a voulu se mourir en ta mort ?
Elle n’est plus icy, o mon ame aveuglee,
Le corps vola au ciel quant l’ame y est allee :
Mon cueur, mon sang, mes yeux verroient entre les mors,
Son cueur, son sang, ses yeux, si c’estoit là son cors.
Si tu brule à jamais d’une eternelle flamme,
A jamais je seray un corps sans toy, mon ame,
Les tombeaux me verront effrayés de mes cris,
Compagnon amoureux des amoureux espritz.


XX.

Vous qui pillez l’email de ces couleurs,
Friandes mains qui amassés les fraizes,
Que de tormans se quachent soubz vos aizes,
Que de serpans se coullent sur les fleurs !
J’estois plongee en l’ocean d’aimer,
Je me neiois au fleuve Acherontide,
J’espans aux bors ma robe toutte umide
Et sacrifie au grand Dieu de la mer.
Fermés l’oreille aux mortelles douceurs,
Amans, nochers, n’escoutés les Serenes ;
Ma paine fut d’avoir ouy leur paines

Et ma doulleur d’entandre leurs doulleurs.
C’est se hayr, leur porter amitié,
C’est s’obeir que leur estre rebelles,
C’est la douceur que leur estre cruelles
Et cruaulté que d’en avoir pitié.
Comme l’euil prent, trahi par son object,
L’impression de l’euil où il se mire,
Ainsi le mien fut trahi par un pire,
Un mal trompeur d’un vray fut le subget.
Leur faux soupirs meurent à soupirer
Pressans de veus ma poitrine entamee,
Leur feint ardeur qui n’étoit que fumee,
Mieux un feu clair, m’aprindront à pleurer.



CONSOLATION
A MADEMOISELLE DE SAINT-GERMAIN
POUR LA MORT DE MADAME DE SAINT-ANGEL


Ces esclairs obscurcis d’un nuage de larmes
Qui coule de tes yeux,
Ces pleurs versez en vain qui cachent tant de flammes
Qui couvent tant de feux :

Ces feux, ces deux soleils nous desrobent leur face
Pour voiler tes ennuis,
Et au lieu du beau jour, le Ciel en sa disgrace
Nous donne mille nuis.

Ce serain obscurci sa clarté nous refuse,
Cest’ aer si gracieux

Qui meslé de nos sons, de nos chansons amuse
L’oreille des Dieux.

Ta perte, ta pitié pour quelque temps excuse
Ta douleur & tes pleurs,
Mais craignons que quelcun se vengeant ne t’accuse
De feindre ces douleurs.

Ils diront : Et à quoy servent ces vaines plaintes
Qu’enfin il faut finir ?
Belle, cessant tes pleurs, de ces cendres esteintes
Esteins le souvenir.

Ainsi rends de tes yeux la clarté desiree,
Descouvre tes beaux feux,
Et de ce doux serain la faveur esperee
Fais sentir à nos yeux,

Heureux de voyr encor aprés un long orage
Ce soleil desiré,
Plus heureux de trouver aprez un long naufrage
Un rivage asseuré !

Tu te plains, mais ce cœur que ta passion meine
Ne reçoit changement :
Changeons donc cett’ humeur qui pour sembler humaine
Pleure inhumainement.

Car c’est pleurer ainsi, puisque l’amour extreme
Que tu sens de plus fort
Te faict plaindre le bien d’une joye supreme
Acquise par sa mort :

Ou tu es trop humain, amour qui veux qu’on cede
A ce qu’on ne doibt pas,

Et qui force tes sens de chercher un remede
Où il n’y en a pas.

Ces larmes & ces cris ne la font point revivre
Estant morte icy bas,
Ny par eux tu ne puis rendre ton cœur delivre
De si cruels debats.

Tu les nommes cruels, renouvelant la playe
Sans la pouvoir guerir,
Te laissant à tousjours le seul plaisir pour paye
De desirer perir ;

Et perir tu ne puis, car ta peine plus forte
Est changee en plaisir :
Ton plaisir est pleurer & ton ame mi-morte
N’a que ce seul desir.

Tu dis que nul ne pense amoindrissant l’offence
Amoindrir mon malheur,
Car finissant tes cris, de plaindre son absence
Je n’aurois le bonheur :

Plainte qui chasque fois à tes yeux la renvoye
Esblouis de leur deuil,
Plainte qui te fait voyr ton aimee & ta joye
Enfermee au cerceuil.

Mais son ame est au ciel qui n’estant point humaine
Triumphe pour tousjours,
Triumphante au bonheur d’une vie certaine
D’avoyr parfaict son cours.

Donq’ que ton corps descende en la mort ténébreuse
Pour y voyr sa moitié,

Monte ton ame au Ciel plus bell’ & plus heureuse
Parfaire l’amitié.

Ainsi, Belle, reçois ta vie avec sa vie,
Ta mort avec sa mort,
Et non plus en vivant soubz la mortell’ envie
Ne plains son heureux sort.

Ne prefere le bien d’une vie mortelle
A l’eternel séjour,
Ne mesprise le bien d’une vie eternelle
Pour ne l’avoyr qu’un jour.

Elle vivoit là bas en une terre estrange
Soubz le sort envieux,
Elle changea son nom & son ame en St. Ange,
Changeant la terre aux Cieux.

Fuyez, tiedes souspirs, & reprenez ces flammes
Qui decoroient ses yeux ;
Vos deux corps sont ça bas, & vos plus belles ames
Sont au Ciel glorieux.



A MADAME DE B.


QUADRAINS.


Je voy’ tant de beautez, je sens tant de douceurs
Dont la clarté m’embraz’ & le doux m’empoisonne,
Que tantost à mes cris la liberté je donne,
Tantost je les retrains pressé dans mes douleurs.

Ce qui est de plus rare en toute la Nature,
Ce qui est de plus beau & plus delicieux,
Ce qui est de plus pur soubz la voute des Cieux
N’est qu’un foible miroir d’une beauté si pure.
Ce qui est soubz le Ciel de plus rare & plus beau
Rende foy & hommage aux beautez que j’adore :
Astres luisans & clairs, soleil plus clair encore,
Cachez vostre lueur, approchez mon flambeau !
Vous n’estes qu’instrumens de ma belle lumiere,
Pour esclairer au monde & en ces plus bas lieux,
Empruntans vostre feu du feu pur de ses yeux,
Prenans vostre vigueur de sa force premiere.
Mais ces rayons divins de ma belle clarté
Sçavent trop bien blesser, messagers de son ire ;
Ces yeux doux & cruels, causes de mon martyre,
Cachent soubz leur douceur trop de severité.
C’est doncque vous, douceurs, qui faictes que j’endure,
Serenes qui pipez par vos douces chansons
Le nocher harassé ravi des moites sons,
Luy vendans son plaisir d’une peine si dure.
Marastres qui couvrez l’aconite de miel,
Monstres qui la douceur changez en vostre rage,
Insatiables mains souillees du carnage
De vos enfans succans soubz le baume le fiel !
Douce, claire & friand’ est l’eau que le malade
Tire à traits regrettez, douce la mortell’ eau
Qui met le sang en fange & le corps au tumbeau
Par l’enflammé venain d’un boutefeu dipsade.
Plus doux est le sommeil qui nous meine à la mort :
Blanc est le lis, le laict, & doux ce qui desguise
Le poison respiré qui dedans nous espuise
L’humeur le plus suptil par son suptil effort.
Beautez à ma beauté en rien accomparables,
Fuyez, vaines douceurs, d’auprez de ma douceur,

Ne fuyez, cruaultez, causes de mon malheur,
Approchez, vrays tesmoins de cruaultez semblables.
Le laict n’a plus de lustre en voyant vostre teint,
Auprez de vostre taint le lis en noir se change,
Prez de vostre douceur l’ambre perd sa louange,
Du sommeil la douceur par la vostre s’estaint.
Et combien de fois plus est douce vostre grace
Que la Serene douc’ & habile à charmer,
Que le miel ni que l’eau ; combien peut animer
Cett’ argentine voix cette celeste face !
Helas ! que de beautez qui ont pipé mes yeux,
Helas ! que de douceurs, que de douces merveilles
Ont surpris mes esprits espris par les oreilles,
Saisissans tous mes sens par si divers milieux !
Mais mon espoir trompé desmenti par l’espreuve
A veu vostre beau sein d’aconite noirci,
Ce sein plus blanc que neige estre froid tout ainsi,
Et en ses chants divins rien que ma mort ne treuve.
Ces yeux ; ces deux fambeaux, se sont faicts cruels feux,
Cette voix n’est qu’un ris de ma sanglante paine,
Mais ces feux, ínstrumens de ma perte certaine,
S’alentissent un peu par l’effort de mes pleurs [sic].
Ce poison ensucré de vos douces paroles
Qui m’a faict avaler doucement mon malheur,
Ce miel qui rend friand & souesve ma douleur
Ne me peut plus tromper d’esperances frivoles :
Je vois & si je sens s’escouler mon humeur,
Ores suis demi mort, ores demi de vie,
Et mon ame en souffrant est de plaisir ravie
Et ce souffrir luy est son souverain bonheur ;
Doux luy sont les efaicts d’une cause si belle :
Sousriant je me plains, n’appelant point torment
La peine que j’endure & mon vouloyr dement
La douleur qui me point pour t’aimer, ma rebelle.

Je mesprise celuy qui n’est point amoureux :
La joye sans aimer est une chose sainte,
Toute felicité, si on n’aime, est estainte,
Et ainsi pour souffrir je souffre bienheureux.
Amour oste tout soin & un seul qui nous blesse
Nous ravit à nous meme & nous rend tout à luy,
Il faict, comme il luy plaist, le plaisir & l’ennuy
Qui me cause cent mors absent de ma maistresse.
Il faut donq’ obéir à ses estroictes loix,
Se laisser surmonter au mal qui me surmonte :
Puis je sçay que ma dame altiere ne fait conte
Des grands plus eslevez, des Princes ni des Roix.
Mes veux iront mourir ou meurent les celestes :
L’or y a pleu, cett’ or n’[y] a point eu de pris.
Le fouldre à menacer n’a receu que mespris,
Le cigne y a perdu ses chants doux & funestes.
Voyez mon cœur en feu tout noyé de ses pleurs,
Voyez vos cruaultez paintes en mon visage,
Voyez d’un qui n’est plus la pitoyable image,
L’image de mes maux, celle de vos rigueurs.
Enfin dans un Ætna mon Amour consummee
Me donne le tombeau du Grec ambitieux,
Mont qui seiche la mer, mont qui rend de ses feux
En braize les Enfers & les Cieux en fumee.

TROISIEME LIVRE


ODES.


I.

L’horreur froide qui m’espouvente.
L’effroy qui mon sang a chassé
Du lieu où il fut amassé,
En ma rage plus viollente
Prive de leur force mes yeux,
Et en tarissant ma parole
Espend la glace qui m’affole
Aux pointes de tous mes cheveux.
Ma raison à mon heur contraire
Courbe le col soubz le fardeau
Et ne me cherche qu’un tumbeau
Et un couteau pour me deffaire.
Il est temps de céder au sort :
Puisque le sort veult que je meure,
Je veux estancher à ceste heure
L’aspre soif qu’il a de ma mort.
J’ay trop essuié mon desastre,
J’ay trop le malheur esprouvé
Puisque je n’ay jamais trouvé

120 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNE,
La Fortune autre que marastre,
J’ay trop languy en mon malheur,
Et ceste main trop peu hardie
A trop nourry ma malladie
Pour la pauvreté de mon cueur.

Autant que d’abeilles bourdonnent

En Hybla, autant de flambeaux,
De sons, de spectacles nouveaux
Mon oreille & mon oeil estonnent,
Autant de forces du destin,
Autant d’horreurs apareillees,
Et d’Erynnes dechevelees
Accourent pour estre à ma fin.

Ceste plainte mal assurée

Et les mal asseurez propos
Me font ilz craindre mon repos
Et l’heure & la fin desiree ?
Ha ! chetif où as-tu les yeux ?
Pourquoy tardes-tu la vengeance
De toy contre toy qui t’offence,
Aimant le pis,fuiant le mieux ?

Ma fin est promptement suivie

D’une longue félicité.
N’est-ce pas une lascheté
D’aimer mieux une amere vie
Pour crainte d’une douce mort,
Et pour la faute de courage,
Faire un perpétuel naufrage
Plus tost que d’aborder le port ?

Arriere de moy, vaine crainte,

Ne m’empesche plus mon repos,
Laisse moy rendre ce propos :
Ma vie & mon envie esteinte,
Promptement il fault secourir 121 ODES.
La vie longue & languissante
Que le malheur fait si dolente
Par faute de savoir mourir.

Celuy qui dit que ceste rage

Qui arme les sanglantes mains
Encontre ses membres germains
Est une faute de courage,
Voulant mespriser [en] autruy
Ce qu’il ne sait n’auseroit faire,
II descouvre par le contraire
Ce qui n'a garde d’estre en luy.

Or est-il [pas] temps que je face

Ma vie & mon mal consommer.
Qu’ensemble je face fumer
Ma peine & mon sang par la place ?
Un coup fera ternir mes yeux
Tarira ma sueur & parole,
Car c’est ainsi, ainsi que vole
L’esprit de Diane aux bas-lieux.
II.

Autant de fois comme j’essaie

D’apaiser le sang de ma plaie,
Mon sang bouillant de mille endroitz
Boult & s’eschauffe autant de fois.
Mais aussi lors que j’ay envie,
Sans languir d’esteindre ma vie,
La sauver des feuz des amours,
Mon sang se rapaise tousjours.

Volunté dure & impuissante

Soubz le pouvoir qui me tormente,
Trahissant, mutinant mon cueur, 122 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.

Luy faisant jurer son malheur

Qui me tuë et conserve l’ame,
Qui esteint et nourrist ma flamme,
Fais mon malheur, ce que je veux,
Et change mes espritz en feux !

Mon ame n’est plus raisonnable,

La folle et aveugle m’accable
Et je me meurs sans estre espriz
D’autres feuz que de mes espritz :
Les fiers à ma misere jurent,
J’ay perdu la vie et la voix
Par ceux là par qui je vivois.

Ma conception s’est bandee

A ma mort qu’elle a demandee
Et avecq’ elle a fait venir
Le jugement, le souvenir.
O vous, parties divisees,
Las ! vous courez malavisees,
Serves ou vous servans d’un cueur
Soudoié de vostre vaincueur !

Divine beauté que j’adore,

Vous avez plus servy encore
A rendre l’amour mon vaincueur
Que mes espritz ny que mon cueur.
Ils n’ont eu plus rien que des larmes
En voiant flamboier pour armes
Es mains de l’Amour indompté
Vos graces et vostre beauté.

Comme d’une tranchante lame,

De vos regards il m’osta l’ame
Et en sa place il a remis
Mille et mille feux ennemis ;
Mon ame n’est plus que de braise 123 ODES.
Qui proche de la mort s’apaise
Et vivant recroist peu à peu,
Car je n’ay vie que de feu.

L’Amour ne doit donques pas craindre

Que son ardeur se puisse esteindre,
Seullement il n’a pas permis
Que le voulloir en moy fust mis.
Ma rage & ma force m’entraine,
Je n’ay souvenir que ma peine,
Mon mal agréable & cuisant,
Et rien autre ne m’est plaisant.

Commant pensez vous donc, Maitresse,

Que le miserable qui laisse
Son cueur, ses espritz enchantez
Tousjours aux pieds de vos beautez,
Puisque la memoire est partie
De l’ame & l’ame de la vie,
Sans de l’ame se desunir,
Perdist de vous le souvenir ?

Mon martire & vostre puissance

Ne sortent de ma souvenance :
Je ne suis sans sentir & voir
A mes despens vostre pouvoir.
Pour Dieu, aiez pitié de l’ame
Qui pour vous est changée en flame,
Pleignez & secourez le cueur
Qui pour vous n’est plus que rigueur !

Voilà comment en vostre absence,

De l’immortelle souvenance
De mes maux & de vos beautez
Mes sens font bruslez, enchantez,
Et contraintz, privez de la veuë,
D’escrire cela qui me tue
Et donner vie à mes espris 124 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Par quelques essors de mes cris.

Car hors de vous quand j’ay envie

Sans languir d’esteindre ma vie,
La sauver des feux des amours,
Mon sang se rapaise tousjours.
Mais autant de fois que j’essaie
D’apaiser le sang de ma plaie,
Mon sang verse de mille endroits,
Verse ma vie autant de ois.
III.

L’astre qui reçoit sa lumière

Et n’a tousjours la force entiere,
Qui prend des javelotz ferrez
Et de la chasse ses delices,
Et qui reçoit pour sacrifices
Cent & cent taureaux maffacrez,

Ceste grand’ lumiere seconde

S’apelle l’autre ame du monde,
Tesmoigne au front sa pureté :
Sa face délicate & franche
Ne reçoit couleur que la blanche
Pour tesmoing de sa chasteté.

Je voy’ sa blancheur qui efface

Les lis cuillés en vostre face
Et le pasle teint argentin
Qui se peult comparer encore
Au ciel blanc, premier que l'Aurore
Ait fait incarnat le matin.

Ceste blancheur là est la preuve

De la pureté qui se treuve
En vostre sein, en vostre sang,
Et que le desir de vostre ame
A senty sans toucher la flamme,
Sans tache, l’amour pur & blanc.

La Lune en sa blancheur est belle,

La face du Ciel qui est telle
L’est aussi, mais huissez vostre œil
A choisir le plus délectable,
Car l’Aurore est plus agreable,
Et plus que l’aube, le Soleil.

L’Aurore a voullu estre amie,

Le Soleil cent fois en sa vie
A senty les tretz amoureux,
Sa clarté n’est cause premiere,
D’Amour il reçoit sa lumiere,
Comme il la donne aux autres deux.

Le Soleil à la lune ronde,

L’Amour au Soleil & au monde
Donnent la vie & la clarté :
Il est beau qu’aiez, ce me semble,
Et le soleil & vous ensemble
Mesme cause à vostre beauté.

Vous aimez mieux, comme je pense,

La pure que l’impure essence
Et l’acomply que l’imparfait :
La couleur blanche n’est pareille
A la doree, à la vermeille,
Ny en lustre, ny en l’effet.

Je ne dis pas que la Nature

Vous creant st belle & st pure
N’estoffa d’or vostre beauté,
Mais ell’ est en lingot encore,
Et si le feu ne la redore,
Son vray lustre luy est osté.

Il n’y a point d’autre fournaize,

D’autre orphevre, ny d’autre braize
Que la flamme de l’amitié
Pour mettre en lustre la nature
Et la faire fi chere & pure
Que son pris croistra de moitié.

Laissez travailler en vous mesme

Cest ouvrier qui de pasle & blesme
Paindra vostre lis de couleurs
Qui feront de honte l’Aurore
Se cacher & cacher encore
Le Soleil, les astres, les fleurs.

Non, vous verrez fener la rose

Quant vostre autre beauté declose
Bravera le sein de Cloris :
Les fleurs vermeilles périssantes,
Mortes jalouses, languissantes,
De despit perdront les espritz.

Le serf qui soubz vostre victoire

Est enchainé pour vostre gloire,

Vous voiant surmonter ainsi

Tant de captifz de mesmes armes,
En plaisir changera ses larmes,
En miel le fiel de foucy.

Je voy’ vostre premier esclave

Qui de sa perte se fait brave
Aiant pour compagnon les Cieux ;
Ainsi au vaincu misérable
La victoire est faite agreable
Par le nom du victorieux.

Alors son amoureuse braise

Ne sera que plaisir & qu’aise.
Quant aiant poussé tant de vents
Pour mettre le feu en vostre ame,
Il en verra voller la flamme 127 ODES.
Au gré de ses soupirs mouvants.

II n’avoit dressé son attente

Que sur l'amour aspre & constante
Dont son sens estoit anymé,
Jugeant que son ardeur divine
Sacageroit vostre poitrine
Quant son cueur seroit consomé,

Et qu’alors vos ames pareilles

Vous feront sentir les merveilles
De deux cueurs unis en desir,
Mais vous seulement pourez rendre,
Quand vous voudrez, vos feuz en cendre
Et vos attentes en plaisir.
IV.

La preuve d’un’ amour non feinte

Est lors qu’on cherist son ennuy,
Et quant pour trop aimer autruy
L’amour de soy mesme est efteinte.

Comment veux-tu, fiere Maistresse,

Pour le comble de mes travaux
Faisant deux contraires esgaux,
Qu’en l'amour j’use de sagesse ?

Comment puis-je estre amant et sage,

Me plaisant à me faire tort,
Baisant le glaive de ma mort,
Fuiant le bien pour le dommage,

Trouvant le miel amer & rude.

Changeant en rage ma raison,
Ma liberté en la prison
D’une cruelle ingratitude ?

Ainsi tu semble la marastre 128 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

D’Alcide le brave & le sort.
Ne voullant, en le voulant mort,
Rougir ses mains de son desastre,

Mais à chasque monstre terrible

Qui mille hommes faisoit mourir,
Elle l’envoioit conquerir
La mort & l’honneur impossible.

Tu me veulx contraindre, inhumaine,

Mettre la glace avecq' l'ardeur,
T'aimer sans folie & fureur
Pour m’acabler de ceste peine.
Fay’ si tu veux de la marrie
Que j’ayme furieusement :
Je ne puis, Diane, en t’aimant
Guerir de rage & de furie.
V.

Heureux qui meurt par vostre veuë,

Bien heureux qui ce bel œil tue :
O douce mort, o doux ennuy !
Mais bien heureux celui qui tire
Sa vie d’un si doux martire,
Qui aimant cest œil vit par luy !

Car vous portez l'ire & la joye

Quand un de vos regars foudroye
Celuy qui s’afronte à voz yeux :
Ainsi que luy vostre œil m’acable
Et bien que je sois agreable,
Je n’en emporte rien de mieux.

Mais voulez vous, beauté divine,

Que l’œil qui guerist & ruine
Me luyse sans m’exterminer 129 ODES.
Et que vous puissiez au contraire,
Sans resjouir vostre adversaire,
Le choisir pour le ruiner ?

Departez cest effect contraire

De voz yeux, de bien & mal faire,
En deux presens de Voz couleurs :
Donnez à un amant volage
Celles qui porteront dommage,
Et à moy les autres faveurs.

Ce present portera vostre ire :

Vous ferez comme Desjanire,
Au lieu de chemise en couleurs
Et ces faveurs seront encore
Tels que la boiste de Pandore
Qui regorgea tant de malheurs.

Alors vous aurez la puissance

Du sallaire de la vengeance.
Celle qui de mesme tourment
Paie le fidelle & le traistre
Fait que l’on ayme autant à estre
Desloial que fidelle amant :

Car ces mignons font que j’enrage

Quant, indignes d’avoir un gage,
Sinon celuy là que j’ay dit,
Ils parent leur lance legiere,
Comme leurs cueurs sur la carriere,
D’un present qui n’est pas maudit.

Trempe la, ma Deesse humaine,

Dedans la rive Stigienne
Et dedans le sang d’un corbeau,
Afin qu’il ruine & qu’il tue
Celui qui portera en veuë
Pour une faveur un cordeau.

Madame, que vostre œil delivre 130 LE PRIMTEMS DU SIEUR DAUBIGNÉ.

L’autre vertu qui me fait vivre
Aux gages de vostre amitié,
Et que ma main en estant ceinte
Ne tremble plus defsoubz la crainte
De vostre imploiable pitié.

Ainsi quant la terre enyvree

De pleurs remarque sa livrée
Au bras du ciel plus gratieux,
A trois couleurs a souvenance
Que c’est l'escharpe d’alliance
Et de la promesse des Dieux.

Appaisez les pleurs & la pluie

Et les déluges de ma vie,
Et nouez à trois neuz sur moy
Une marque si Bien pliee
Que jamais ne soit desnouee
Q’avecques le neud de ma foy.

Alors sans varier, ma lance

Puissante de vostre puissance
Sur tous emportera l’honneur ;
Sa mire sera vostre veuë,
Ses chiffres le nom qui me tuë,
Et son arreft vostre faveur.
VI.

Ainsi l'Amour & la Fortune,

Tous deux causes de mes douleurs,
Donnent à mes nouveaux malheurs
Leur force contraire et commune,
Ainsi la Fortune & l’Amour
D’une force unie et contraire
Veullent advancer & distraire ODES. 131
Mes rages & mon dernier jour.

Tous deux pour voller ont des aelles,

Aveugles des yeux, des desirs,
De tous deux les jeux, les plaisirs
Sont paines & rages cruelles :
Ilz ne s’abreuvent que de pleurs,
N’aiment que les fers & les flammes,
N’affligent que les belles ames,
Ne blessent que les braves cueurs.

La Fortune est femme ploiable,

L’Amour un despiteux enfant,
L’une s’abaisse en triumphant,
L’autre est vaincueur ìnsuportable,
L’une de sa legereté
Change au plaisir le grand desastre,
Et l’autre n’a opiniastre
Plus grand mal que la fermeté.


VII

Soubs la tremblante courtine

De ces bessons arbrisseaux,
Au murmure qui chemine
Dans ces gazouillans ruiffeaux,

Sur un chevet touffu esmaillé des couleurs

D’un million de fleurs,
A ces babillars ramages
D’oisillons d’amour espris.
Au flair des roses sauvages
Et des aubepins floris,

Portez, Zephirs pillars sur mille fleurs trottans,

L’haleine du Printemps.
O doux repos de mes paines, 132 LE PRIMTEMS DU SIEUR 'DAUBIGNÉ.
Bras d’yvoire pottelez,
O beaux yeulx, claires fontaines
Qui de plaistr ruiffelez,

O giron, doux suport, beau chevet esmaillé

A mon chef travaillé !
Vos doulceurs au ciel choisies,
Belle bouche qui parlez,
Sous vos levres cramoysies
Ouvrent deux ris emperlez ;

Quel beaulme precieux flotte par les zephirs

De vos tiedes fouspirs !
Si je vis, jamais ravie
Ne soit ceste vie icy,
Mais si c’est mort, que la vie
Jamais n’ait de moy soucy :

Si je vis, si je meurs, ô bien heureux ce jour

En paradis d’amour !
Eh bien ! je suis content de vivre
Et ma peine est lors plus cruelle
Quand plus d’elle je fuis delivre.
Pourtant je vis de tout mon heur,
C’est que ma joye est lors plus belle
Plus je fais vivre ma douleur,

Plus ma peine accroist ma pensee,

Me flatte, me plaist & m’atire ;
Mais lors mon ame est courroucée
Quand mon coeur s’estonne pour eux,
Et quandje sens plus de martire
Que je n’ay le cueur amoureux.

Vostre œil, vostre beaulté, Madame,

A vaincu mes forces, de sorte
Qu’au feu de l'amoureufe flamme
Ma perte s’allume & s’estaint :
En moy la mort se trouve morte 133 ODES.
Et mon ame plus ne la craint.

Ainsi d’une cause si bonne

Ma peine n’est plus inhumaine,
Sinon quand moins votre œil m’en donne,
Et pour la fin de mes ennuys
L’ame est friande de ma peine,
Le corps lassé dict : Je ne puis(1).


VIII.


En voyant vostre beau pourquoy n’ay je pas veu,

Pourquoy en vous craignant mon ame si craintive
N’a cogneu que l’esclair d’une blancheur si vive
N’estoit rien que neige, que feu ?

Que mon cueur perdit bien par les yeux la raison,

Prenant la vie esclave & délassant la franche,
Car il vit vostre gorge & fi belle & si blanche
Qu’il en fit sa belle prison !

La neige vous siet bien, & non pas la froideur :

Neige qui as couvert le sein de ma divine,
Possede le dessus de sa blanche poitrine,
Mais ne touche point jusqu’au cœur !

N’abandonne ce cœur, belle & vive clairté

Qui rend de ce beau feu la blancheur vive & claire,
Enclos ce qui me brusle & non ce qui m’esclaire,
La flamme & non pas la beaulté.

Gorge de laict, mon œil de ta neige est friant,

___________________________________________________

1. Ces quatre dernieres strophes sont marquées à la marge du manuscrit d’une ligne, d’une sorte d’accolade. L’auteur veut-il dire : à supprimer ? On voudrait le croire, mais ce n’est là qu’une conjecture. Ce signe se retrouve encore devant quelques pages ou quelques strophes.

134 LE PRINTEMS DU SIEUR D AUBIGNE.


Beau feu, dans ce beau sein tiens les flammes enclozes.
Malitieux Amour qui de lis & de rozes
M’apreste la mort en riant.
IX.
Bergers qui pour un peu d’absence
Avez le cueur si tost changé,
A qui aura plus d’inconstance
Vous avez, ce croi’ je, gagé,
L’un leger & l’autre legere,
Á qui plus volage sera :
Le berger comme la bergère
De changer se repentira.

L’un dit qu’en pleurs il se consume.

L’autre pence tout autrement,
Tous deux n’aiment que par coutume.
N’aimant que leur contentement,
Tous deux, comme la girouette,
Tournent poussez au gré du vent,
Et leur amour rien ne souhaitte
Qu’à jouir & changer souvent.

De tous deux les caresses feintes

Descouvrent leur cueur inconstant,
Ils versent un millier de plaintes
Et le vent en emporte autant ;
Le menteur & la mensongere
Gagent à qui mieux trompera !
Le berger comme la bergere
De changer se repentira.

Ils se suivent comme à la trace

A changer sans savoir pourquoy :
Pas un des deux l’autre ne passe ODES. 135
D’amour, de constance & de foy.
Tous les jours une amitié neufve
Ces volages contentera,
Aussi vous verrez à l’espreuve
Que chacun s’en repentira.

De tous deus les promesses vaines

Et les pleurs versez en partant
N’ont plus duré que les haleines
Qui de la bouche vont sortant :
Chaquun garde son avantage
A fausser tout ce qu’il dira,
Et chaquun de ce faux langage
A son tour se repentira.


X.

Tristes amans, venez ouyr

Un cueur prisonnier se jouyr
Livré en sa chesne cruelle
Par les yeux trop promptz et hardis,
Mais sa prison n’est criminelle,
[Car] il en faict son paradis.

Bien que soubz les loix d’un vainqueur

Il souffre aux pieds d’un autre cueur,
Qu’esclave & que serf on l’apelle,
Il est fi doucement traité
Et sa servitude est si belle
Qu’il meprise la liberté.

Bien qu’il endure là dedans

Mille & mille flambeaux ardans
Qu’on voit à l’enfleure jumelle
Qui s’enfle de ses doux soupirs,
Sa flamme & sa mort est si belle

Qu’il se met au rang des martirs.
D’un sein d’albastre si polly
Il voulut estre ensevelly,
Et en sa prison eternelle
Heureux il confine ses jours,
Chantant que sa prison est belle
Puisqu’il a de belles amours.
A. D.

XI.

Voilà une heure qui sonne !
Debout, laquais, qu’on me donne
Mon papier pour y vomir
Une odelette lirique
Qui me chatouille & me pique
Et m’empefche de dormir.
Chenu hault, Chenu en place.
Debout, marault, qu’on me face
Merveilles de cest outil :
Desrobe une flamme claire
Et un vulcan qui m’esclaire
Du ventre de ce fuzil.
Voi’ tu la trongne de l’homme
Volussien, voi’ tu comme
Il a un des ieux petit ?
L’amour chault qui me consomme
N’empesche à ce gentil homme
Le dormir ny l’apetit.
Metz là dessoubz ce gros livre :
Ce filz de putain est yvre !
Hai ! au pied recouche toy.
Qu’il se donne de malaise !

ODES. 137

Va, que tu puisse à ton aise
Dormir pour toy & pour moy.

Cependant que tu mignarde

Une corde babillarde
Du pouce & d’un autre doit,
Je veus savoir de ma Muse
Que jamais je ne refuse
Que c’est qu’elle demandoit.

Fay’ que mes espritz fretillent

Autant de coups que babillent
Les tremblemens amoureux
Qui folaftrent sur ta chorde :
Mon second, ainsi mon ode
Sera fille de nous deux.

Nicollas endort sa paine

Et pousse avecq’ son halaine
Ses affaires & l'ennuy
De sa teste ensommeillée,
Tandis ma Muse éveillée
Se resouvenoit de luy.

Nicollas, j’aime & j’adore

Quiconque ayme et qui honore
Et les vers & les escritz
Et les sciences aymees
Qui feront leurs renommées
Vivre autant que les efpritz

Je ne suis pas de la troupe

Qui peult faire à plaine coupe
Carroux du Nectar des cieux,
Mais je contrefais leurs gestes
Et pour ivrogner leurs restes
Je porte un livre aprés eux.

Je congnois ma petitesse,

Ce qui fait que je m'abaisse
Sans trop avoir entrepris
Si très penaull de mes fautes
Que jamais les choses hautes
Ne transportèrent mes escritz

Pendant que Ronsard le pere

Renouvelle nostre mere
Et que maint cher nourrisson
Des filles de la Mémoire
Sur le temps dresse sa gloire,
Je barbouille à ma façon,

Et n’ayant rien que te dire,

Je m’esveille pour escrire
Sans autre disposition
Que les premières pensees
Que la nuit m’a tracassees
En l’imagination.

Il est vrai, comme je pence,

Si j’avois la patience
D’estudier une heure au jour,
Une heure seulement lire,
J’acorderois bien ma lire
A la guerre & à l’amour.

Jà dix ans & davantage,

Dont je ne suis pas plus sage,
Ne m’ont proffité de rien,
Se sont escoulez à rire,
C’est pourquoy l’on me peut dire
Qu’il y paroift assez bien.

Encores si ma folie

Entroit en melancholie
Et, pour se faire priser,
Vouloit devenir plus grave :
Je sais bien faire le brave
Pour m’en immortalizer.

ODES 139 .

Pour faire bruire une guerre

Qu’eurent les filz de la Terre
Contre les fouldres des Dieux,
En mes termes de folie
Je dirois qu’en Thessalie
Ils escaladoient les Cieux.

[D']un alexandrin plein d’erres,

De guerres & de tonnerres,
Et d’un discours enragé
Je peindrois bien une noise,
Car je say qu’en vault la toise,
Je n’en ay que trop mangé !

J’ay aidé, quoy que je die,

A jouer la tragedie
Des François par eux deffaitz ;
Page, soldat, homme d’armes
J’ay tousjours porté les armes
Jusqu’à la septiesme paix.

A Dreux, bataille rangee.

En Orléans assiegee, ;
Laissant le dangier à part,
Dans le camp & dans la ville
J’apprins du soldat le stille
Et les vocables de l’art.

Mais depuis avecq’ mon aage

M’estant acreu le courage,
Venu plus grand & plus fol.
Jeune d’aage & de sens jeune,
J’ay brusqué cinq ans fortune,
L’arquebuze fur le col.

Puis j’en passay mon envie

Et quittay l’infanterie
Pour estre homme de cheval,
Et, jamais las d’entreprendre, I40 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Encor’ me falut aprendre
Que c’est du combat naval.

Ma nature y fut mal faite,

Ma gorge y fut tousjours nette,
Encores vis je la mer
Brusler trois fois en ma vie,
Bransler de coups eftourdie
Et les canons l'entamer.

L’ame servit la pratique

Et l'art & la theorique,
Et des fixes & du Nord
J’enquerois mon astralabe
Et le baston de l’Arabe
De l’un & de l’autre bord.

Cela me donne courage

De prendre un plus hault ouvrage
Et d’essorer mes espris :
Comme de trop entreprendre,
On me peult aussi reprendre
D’avoir trop peu entrepris.

J’ay encores eu umbrage,

Tout ainsi qu'un vain nuage,
Et des langues & des artz,
Sans que je me veille rendre
Ou impossible à reprendre.
Ou parfait de toutes partz.

Celuy n’est parfait poete

Qui n’a une ame parfaite,
Et tous les ars tous entiers,
Et qui pourroit en sa vie
Gaigner l’enciclopedie
Ou esprouver tous mestiers.

Baste ! j’escris pour me plaire :

Si je ne puis satisfaire ODES 141.
A un plus exact desir,
Amusant pour entreprendre
Quelque sot à me reprendre,
Je me donne du plaisir.

J’ayme les badineries

Et les folles railleries,
Mais je ne veux pas avoir
Pour veiller à la chandelle,
La renommee immortelle
D’un pedantesque savoir.

Nicollas, les ferpelettes,

Tes vendangeurs, tes sornettes,
Resonnent à mon gré mieux
Que ces rimes deux fois nees
Et ces frazes subornées
D’un Petrarque ingenieux.

Car de quelle ame peut estre

Ce que l’on fait deux fois naistre
Par le faux pere aprouvé :
Comme la poule pourmeme,
Non le poulet qu’elle ameine,
Mais celluy qu’elle a couvé.

C’est beaucoup de bien traduire,

Mais c’est larcin de n’escrire
Au dessus : traduction,
Et puis on ne fait pas croire
Qu’aux femmes & au vulgaire
Que ce soit invention.

Ce n’est pour toucher personne,

Mais ma Muse ne bordonne
Ce que nous disions hier ;
Si lisant tu t'esmerveille
Que c’est tout cecy, je veille
Et j’ay peur de m’ennuyer.

142 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.

Le dormir revenu presse

Mes yeux pesans de paresse,
Les pique & ferme à demy,
Et la main esvanouie
Du cousin est endormie
Dessus son luth endormy.
XII.

Au temps que la feile blesme

Pourrist languissante à bas,
J’allois esgarant mes pas
Pensif, honteux de moy mesme,
Pressant du pois de mon chef
Mon menton sur ma poitrine,
Comme abatu de ruine
Ou d’un horrible meschef.

Après, je haussois ma veuë,

Voiant, ce qui me deplaist,
Gemir la triste foreft
Qui languissoit toute nue,
Veufve de tant de beautez
Que les venteuses tempestes
Briserent depuis les festes
Jusqu’aux piedz acraventez

Où sont ces chesnes superbes.

Ces grands cedres hault montez
Quy pourrissent leurs beautez
Parmy les petites herbes ?
Où est ce riche ornement,
Où sont ces espais ombrages
Qui n’ont sçeu porter les rages
D’un automne seulement ?

ODES 143.

Ce n’est pas la rude escorce

Qui tient les trons verdissans :
Les meilleurs, non plus puissans,
Ont plus de vie & de force,
Tesmoin le chaste laurier
Qui seul en ce temps verdoie
Et n’a pas esté la proie
D’un yver fascheux & fier.

Quant aussi je considere

Un jardin veuf de ses fleurs,
Où sont ses belles couleurs
Qui y florissoient naguère,
Où si bien estoient choisis
Les bouquets de fleurs my escloses,
Où sont ses vermeilles rozes
Et ses oillets cramoisis ?

J’ai bien veu qu’aux fleurs nouvelles,

Quant la rose ouvre son sein,
Le barbot le plus villain
Ne ronge que les plus belles :
N’ay je pas veu ses teins vers,
La fleur de meilleure eslitte,
Le lys & la margueritte,
Se ronger de mille vers ?

Mais du myrrhe verd la feuille

Vit tousjours & ne luy chault
De vent, de froit, ny de chault,
De ver barbot, ny abeille :
Tousjours on le peut cuillir
Au printemps de sa jeunesse,
Ou quant l'yver qui le laisse
Fait les autres envieillir.

Entre un milion de perles

Dont les carquans sont bornez 144 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE

Et dont les chefz sont ornez De nos nymphes les plus belles, Une seulle j’ay trouvé Qui n’a tache, ne jaunisse, Ne obscurité, ne vice, Ni un gendarme engravé. J’ay veu parmi nostre France Mille fontaines d’argent, Où les Nymphes vont nageant Et y font leur demourance ; Mille chatouilleux Zephirs De mille plis les font rire : Là on trompe son martire D’un milion de plaisirs. Mais un aspit y barbouille, Ou le boire y est fiebvreux, Ou le crapault venimeux Y vit avecq’ la grenoille. O mal assise beauté ! Beauté comme mise en vente. Quand chascun qui se presente Y peut estre contenté ! J’ay veu la claire fontaine Où ces vices ne sont pas, Et qui en riant en bas Les clairs diamens fontaine (sic) Le moucheron seulement Jamais n’a peu boire en elle, Aussi sa gloire immortelle Florist immortellement. J’ay veu tant de fortes villes Dont les clochers orguilleux Percent la nuë et les cieux De piramides subtiles, 145 ODES.

La terreur de l’univers,
Braves de gendarmerie,
Superbes d’artillerie,
Furieuses en boulevers (sic) :

Mais deux ou trois fois la fouldre

Du canon des ennemis
A ses forteresses mis
Les piedz contremont en pouldre :
Trois fois le soldat vengeant
L’yre des Dieux alumee,
Horrible en sang, en fumee,
La foulla, la sacageant.

Là n’a flory la justice,

Là le meurtre ensanglanté
Et la rouge cruauté
Ont heu le nom de justice,
Là on a brisé les droitz,
Et la rage envenimee
De la populace armée
A mis soubz les pieds les loix.

Mais toy, cité bien heureuse

Dont le palais favory
A la justice cheri,
Tu regne victorieuse :
Par toy ceux là sont domtez
Qui en l'impudique guerre
Ont tant prosterné à terre
De renoms & de beautez.

Tu vains la gloire de gloire.

Les plus grandes de pouvoir,
Les plus doctes de savoir,
Et les vaincueurs de victoire,
Les plus belles de beauté,
La liberté par la crainte, 146 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
L'amour par l'amitié jointe.
Par ton nom l'eternité.
XIII.
EPITALAME

Debout filles, qu’on s’appreste,

L’Aurore leve la teste
Pour espanouir le jour,
Pour sacrer une journée
A l'amour, à l'hymenee,
Á l'hymenee, à l'amour !

Yo ! du jour l’aventuriere

Saulte, folastre, legere,
Sur son char doeillet, vermeil,
J’ay ainsi Nimphe, ordonnée
A l'amour, à l'hymennee
Aussi belle, un sault pareil,

Tu n’as plus tost delaissee

La place où la nuit passee
Ton cors douillet a dormy,
Au moins dormy, si ceste ame.
Qui d’un bien present se pasme,
Ne l'esveilloit à demy.

Du ciel astre de ta grâce

Et du vermeil de ta face
Le ciel mesme rougira,
De tes beautez demy nues
Jusqu’aux plus espaises nuës
Un second jour reluira.

Ce taint qui ton front decore

Nous servira bien d’aurore.

ODES 147.

Et la clarté de ton œil
Et tes temples encheries
De feuz & de pierreries
Feront cacher le soleil,

Car deux soleilz, ce me semble.

Ne sauroient regner ensemble.
Si d’un accord gratieux
Tu ne prens icy ta place
Pour laisser luire de grace
Le blond Apollon es Cieux.

J’entens fraper à la porte

Ton bien aimé qui t'aporte
Le mot, l'effait d’un bon jour :
Avecq’ ce bon jour, mignonne.
Il ne ment point, il te donne
Les fruitz d’himen & d’amour.

Io ! telle vermeille honte

Ton beau visage surmonte
Que les clairs nuages ont
Quand ilz meuvent de leur place.
Pour avoir feu face à face
Du soleil l'or & le front.

Dieux ! que de beautez doublees,

Que de vertus acouplees,
Amant, cent fois bien heureux,
Possedant telle maitresse !
O bien heureuse Deesse
Possedant tel amoureux !

Cependant que la journee.

Est au combat destinee.
Aux tournois, au bal, aux jeuz
Et à tout bel exercice
Ennemy mortel du vice,

Fi du repos paresseux ! 148 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

Pendant que la fiere adresse

D’un gendarme par la presse
Met d’autres armes à bas.
Cependant qu’un autre encore
De belles cources honore
Les lices & les combats,

Dames, donez quelque gage,

Pour redoubler le courage
Et les forces & les cueurs
D’une autre muette bande
Qui sans parler, vous demande
Vos grâces & vos faveurs.

Ce pendant qu’à capriolles

Voltigent les jambes folles
Des amoureux sans repos,
Et qu’on voit naistre en la place
Ceux qui ont meilleure grâce
Et ceux qui sont plus dispos,

Tandis que mille caresses

Mille serfz, mille maitresses
Ne font naufrage du temps.
Les uns tristes se desolent,
D’autres contens se consolent.
Et aucuns ne perdent tems :

Des champions d’ymennee

L’ame est ailleurs adonnée,
Leurs deux yeux rompent le boys,
Leurs esprits sont en carrière,
Leur ame dance legere,
Ilz discourent sans la voix.

Or quelque bal qui se trace,

Quelque lice qui se face,
La victoire de ce jour
Est à celuy là donnee ODES 149.
Qui es cendres d’himennee
Consomm’ au jourdhuy l'amour.

C’est assez prouvé l'adresse,

La vertu & gentillesse
Et des cors & des espris :
Au coucher, que la journée
Trop longue est bien ordonnée
A d’autres coups entrepris !

L’estoille du ciel plus claire

Qui se couche la premiere
Donne le plus de clarté,
Et me semble, à voir sa face.
Qu’une undelette se trace
Sur le lis de fa beauté.

Je voy tremblotter sa bouche :

Ha ! c’est qu’elle craint la touche
De ce brave combatant :
Si fault il les laisser faire,
Crains tu un doux adversaire
Qui te craint & t'aime tant ?

Tu te trompes, car tes larmes

Ne font pas mourir ses armes,
Ce beau vermeil et ce blanc
Croissent son cueur et sa gloire
Et il n’est belle victoire
Que par la perte de sang.

Va t’en, Nimphe bienheurèe.

Souffrir constante, asseuree,
Par tel la plaie du jour
Et la plaie d’himenee,
A qui tu avois donnée
L’autre plaie de l'amour.

150 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.

XIV.

Non, non,je veux vivre autant

Comme vivra ta rigeur,
Mourir vaincueur & contant
De ton yre & mon malheur.

Je ne crains pas que l'effort

D’un dart me face mourir,
Mais j’ay bien peur que la mort
M’empesche de plus souffrir :

Car l'aigreur de ton courroux

M’est plus douce que le miel.
Et cela me semble doux
Qui aux autres est du fiel.

Les injustes cruautez,

Les jeux qui me font mourir,
Les orguilleuses beautez
Ne m’ont lassé de souffrir.

Soit le mal, ou soit le bien,

Je l'aime en venant de toy :
Ton yre n’emporte rien
Qui ne soit trop doux pour moy.

Je succe le demourant

De mes tourmans inhumains,
Je me plais en endurant
Les coups de tes blanches mains.

Mais pourtant retire un peu

Tes poignans ensanglantez,
Et fay’ plus durer le feu
De tes douces cruautez.

Car je veux soufrir tousjours,

Je ne vis que de douleurs : ODES 151.
Que je baigne mes amours
Dans les ruisseaux de mes pleurs !

Ceux qui lassez de souffrir

Et lassez d’une beauté
Se veullent faire mourir
D’un courroux ensanglanté,

Ceux là n’ont jamais aimé

Les maux & la passion,
Ilz ont le doux estimé
Et fuy l'affliction.

Car qui ayme pour joir

D’un heureux contentement,
II n’aime que son plaisir
Et ne fuit que son tourment.

De soupirs & de douleurs

L’amour nous esmeut le flanc,
L'amour s’abreuve de pleurs
Et soulle sa faim de sang,

Celuy qui aime le doux

Et craint de gouster l'amer
Et qui meurt pour un courroux,
Comment pourroit-il aimer ?

Celuy là ayme le mieux

Qui vit afin d’endurer,
Sans esperance de mieux,
Espérant sans esperer.

O amans ! fouz d’estimer

Mourans pouvoir trouver mieux,
Si vous souffrez pour aimer,
Que peut la mort sur les Dieux ?

Jamais l'amour ne perist,

Et nostre malheur est tel
Que l'amour loge en l’esprit.
Et l'esprit est immortel.

152 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.

Doncq’ faire mourir le cueur

Et faire l'ame endurer,
C’est aider le malfaiteur
Et l'innocent martirer.
XV.

Tes yeux vaincueurs & languissans,

Tes ris de perles florissans,
Ta joue & ta bouche de rozes
Me bruslent ainsi peu à peu
Que sans les pleurs dont tu m'arroses,
Je fusse en bluette de feu.

Je suis noie de tant de pleurs

Que si tes yeux doux & vaincueurs,
Si ta joue et ta bouche encore
N’eussent espris de leurs flambeaux
En moy le feu qui me devore,
Je serois fondu en ruisseaux.

Ainsi tels remèdes cruels

Font mes feux, mes pleurs immortels
Las ! de quelle sorte d’offence
Ay je peché pour tant souffrir ?
Que ce soit peu de penitence
Pour me faire une fois mourir.
XVI.

Vous dites que je suis muable,

Que je ne sers pas constemment,
Comment pourrois je sur le sable
Faire un asseuré fondement ?

ODES 153.

Vous babillez de ma froidure

Et je suis de feu toutefois :
Le feu est de telle nature
Qu’il ne peut brusler sans le bois.

Comment voulez vous que je face ?

Mon ardeur en vous trouve lieu,
Le feu n’embrase point la glace,
Mais la glace amortist le feu.

Tel est le bois, tell' est la flamme,

Telle beauté & telle ardeur :
Le cors est pareil à son ame,
A la dame le serviteur.

Voulez vous donc savoir, rebelles,

Qui a noie tant de chaleurs
Et tant de vives étincelles ?
Ce sont les ruisseaux de mes pleurs.

On se moque de ma misere

Quant j’aime affectueusement,
Et on me tourne à vitupere
Quant je metz fin à mon torment.

[Vous] voudriez bien que j’aimasse

Pour vous servir de passe temps,
Vraiment vous auriez bonne grace,
Friande, vous auriez bon temps.

Vous m’avez fait perdre courage

D’aymer, en m’accablant d’ennuis :
Ne blasmés donq’ point vostre ouvrage,
Vous m’avez fait tel que je fuis.
XVII.

A ce boix, ces pretz et cest antre

Offrons les jeux, les pleurs, les sons, 154 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
La plume, les jeux, les chansons
D’un poete, d’un amant, d’un chantre.

Lisez, prenez, enflez des trois,

Muses, Nymphes & vous Echos
Des bois, des pretz, & des rocs.
Les vers, les larmes & la voix.
XVIII.

Il te fault oublier, ma plume,

Et ta nature & ta coutume,
Et fault maugré toi desguisant
Ceste douceur acoutumee.
En bruire une ode envenimee
Du bref yambe medisant.

Car tu n’espancherois ton yre

Mesdisant que sur le mesdire,
Dessus la fureur ton despit,
Dessus le lion ta prouesse.
Dessus le renard ta finesse
Et ton venin sur un aspit.

Je me desplais quant par contrainte

Il fault que ma peine soit teinte
Au sang d’un venimeux serpent,
Comme celuy qu’un crapaut fache,
Quant des piedz la teste il luy cache,
Il s’envenime en le crevant.

Pourtant si je hay le mesdire,

Ce n’est pas, mesdisante, à dire
Que tu mesdies impunement :
On medit en louant le vice,
Celuy qui blasme la justice
Il mesdit aussi, car il ment.

ODES 155.

Ceste justice au ver de terre

A permis de faire la guerre
A celuy qui le va foulant.
Moy je ne veux que la parolle
Pour chastier un peu la folle
Qui ne m’a fasché qu’en parlant.

Mon Dieu, quelle cruelle injure

Cette petite creature
Trouva aprés un bon repas !
Soulle, yvre comme une chouette,
Elle dit que j’estois un poete,
Et je dis qu’elle ne l'est pas.

Mais encore luy veux j’aprendre

Au moins, s’elle peut le comprendre,
Comment on doibt nommer chacun.
Et quant par le mestier on nomme
Plus tost que par le nom un homme,
Que ce soit pour le plus commun.

Je n’ay pas tousjours fait des carmes.

J’ay esté soldat, homme d’armes,
Enfurché sur un grand courcier
Qui estonnoit tout un village.
Tu me pensois plus d’adventage
De gendarm’ ou arquebusier.

Puisque j’ay doncq' gaigné ma vie

Pauvre soldat de compaignie,
Tu pouvois, sans m’injurier
D’une si trés piquante injure,
Me baptiser, petite ordure,
Argolet ou arquebouzier.

II eust esté plus convenable

Faire d’une escurie estable,
Et me reprochant le fumier
De nostre royalle escurie, 156 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Dire que j’y gagne ma vie
Et dire : Monsieur l'Escuier !

Mais si vulgairement on nomme

Soit une fille, soit un homme,
Par le mestier le plus certain,
Dame ! il faudra que je t'appelle
Ou madame la maquerelle,
Ou pour te complaire, putain.

Tu as bien vescu quelque annee

N’estant que fraîche abandonnée,
Donnant de ton cors passe temps,
Mais depuis ta seconde couche
Que personne plus ne te touche.
Tu produis à dix sept ans.

C’est sans injure & sans cholere,

Je t’eusse bien nommé lingere,
Car comme j'ayme bien les vers,
Tu aimes bien la lingerie,
Mais tu n’en gagnes pas ta vie
Si bien que du luc à l’envers.

Tu pouvois nommer sans reproche

Ce joueur de lut qui t’acroche
Ou ce baladin qui ravit
En te montrant ton pucelage
Du nom dont chacun tire gage
Et du mestier dequoy il vit.
XIX.

D’une ame toute pareille

Furent honorez nos cors,
Car tu veille si je veille,
Et j’ay sommeil si tu dors.

ODES 157.

Rien que la vertu n’assemble

Et nos desirs & nos veux
Qui ne soupirent ensemble
Rien qui ne soit vertueux.

Une envie porte envie

A ces deux conformitez
Et ne peut rendre sa vie
Pareille à nos voluntez.

La vertu nous a fait faire

L’union qui luy desplaist,
Si elle ayme son contraire,
Vous pouvez pencer que c’est.
XX.

Que je te plains, beauté divine !

Ha ! que ta fortune est maligne,
Ha ! que ton sort est malheureux,
Ha ! qu’inhumains te sont les Cieux
Et le destin qui vous assemble,

Le clair jour & la nuit ensemble.

Le fier, le faux, l'aveugle sort
Qui met la vie avecq’ la mort !

Enragée, aveugle Fortune

Qui met ceste vieille importune
Sur les tallons de ma beauté !
Comme en un pais surmonté
On met les garnisons cruelles,
On y bastit des citadelles,
Et de mille autres inventions
On y fait mille extorsions.

Le jour t'est plain de fascherie

Pour la fascheuse compagnie 158 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
De ce vieux serpent plain d’effroy
Que tousjours on couple avec toy,
Qui en grondant deffend ta porte
Des pestes d’une alene forte.
Sur le seuil de l'uis enbrené,
Comme un vieux barbet enchaisné.

Ainsi tu es une Andromede,

Et si je ne trouve remede
Pour te delivrer, tu seras
A tout jamais entre les bras
De ce morce marin pressée,
Mais je veux estre ton Persee
Et faire ce monstre nouveau
Trebucher un jour dedans l'eau.

Elle fait, mon ange dyvine,

En ton cabinet sa cuisine
Et fait d’un mesme cabinet
Et sa cuisine & son retrait.
Là vous voiez par ordonnance
Chopines, jambons de Mayance,
Formages et vous voiez là
La quinte essance de cela.

Mais si tost que là nuit s’approche,

L’ire, l’injure, le reproche
Poussent du gosier son venin
Parmy les vapeurs de son vin :
Dans le lit lui fault la parolle,
Les mains en sa profiterolle,
Et en rottant neuf ou dix fois
Finit le banquet & la vois.

Lors de poudre de cypre & d’ambre,

En un petit coin de la chambre,
Ma mignonne de doitz mignons
Couvre ses cheveux fins & blons, ODES 159.

Et puis sitost qu’elle a mangée Sa cuillerette de dragée. Soupirant trois fois son malheur, Par force aproche son horreur. Là, ma vieille truie endormie Croise la place de ma mye. Et a dessus son oreiller Son cul qu’on ne peut reveiller : L’horreur de l’une & l’autre fesse Fait fi grand peur à ma maitresse Qu’elle choisist en quelque coin Son adventage le plus loin. Elle veille avecq’ son martire, Et son petit cueur lui soupire Et dit en destournant son œil : Ce n’est pas icy mon pareil. L’autre charrette mal graissee Ronfle & n’a rien en sa pensee Que les vins [ou] mauvais ou bons. Les cervelais ou les jambons. Or tout cela n’est rien encore Qui ne voit au point de l’aurore, Si tost que le jour est venu, Dormir l’un & l’autre corps nu : L’un à qui par trop la nuit dure Des piedz pousse la couverture, L’autre par l’indigestion Tormente sa collation. La douce blancheur de ma mye, Et non son ame est endormye, Et le plus souvent ses cheveux Sont desployés sur les linceux, Flottans à tressettes blondes, Comme au gré des zephirs les ondes.

160 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

Et ne souffrent d’autres odeurs
Que celles du baume & des fleurs.

L’autre a la perruque taigneuse

D’une acquence faryneuse,
Un combat dessus & dessoubz
De punaises avecq’ les pous :
Tout grouille & tout cela s’assemble,
Et tout ce gros amas resemble
Au poil d’un vieux barbet croté,
Au fruit d’un serpent avorté.

Qui voit les yeux de ma mignonne,

Lorsque sa paupière besonne
Et ses petis bors bien couvers
Les fait désirer estre ouvers,
Qui voit sa bouche vermellette,
De ses dens la blanche rangette,
Tout cela ne semble point mal
Aux perles dessoubz le coural.

Auprés les paupieres fermées

De la vieille où les araignées
Ont fait leurs nidz depuis le soir,
On a l'odeur de l'entonnoir
De sa gueule pasle & pourrie
Que mille chancres ont fletrie,
Et la chassie de ses yeux.
Et l’egout de son nez morveux.

Considèrez pour un martire

Un petit teton qui soupire.
Qui s’enflant repousse orguilleux
De deux bons pouces les linceux,
Une main s’estend my fermee
Sur la cuisse la mieux aymee,
Et dedans l'entre deux du sein
Se loge une autre blanche main.

ODES 161.

Pour oreiller on voit la beste
Qui met un testin soubz sa teste,
Qui grouille ainsi en se mouvant
Qu’une cornemuze sans vent,
Sur la peau de l’autre tetace
Un matin se couche en la place.
Et en sort pour le paindre tout
Un flus d’apostume du bout.

Ma fillette monstre sa hanche,

Et un peu de sa cuisse blanche
Plus que lis, que neige & satin.
Et ses tetons sur le malin
Ont passé le bout de sa couche.
Helas ! qui retiendra sa bouche.
Pour en la trompant doucement
Le baiser cent fois en dormant !

Ce cul ridé à ma maîtresse

Imprime, touchant à sa fesse,
Mille coches en un monceau
De gringuenaudes de pourceau
Grousses comme grosses fumées,
Mille mouches empoisonnees,
Et le plus patient esprit
Y mettroit le feu par despit.

Mais ma mignonne cache encore

Ce que je cache & que j’honore,
Et qui, sans nommer, est au flanc
Environné de cotton blanc,
Comme un petit bouton de roze
Non encor à demy descloze.
Mais j’en parle sans avoir seu,
Elle mesme ne l'a pas veu,

Ouy bien les barbes entrassees,

Et mille peaux repetassees, 162 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Et je ne sais quoy de couleur
De vieux codinde en sa chaleur.
Une plaie et une savatte
De boyaux pendant, une ratte
Et deux feuilles rouges de chous
Qui luy barbouillent les genous.

Fuions, la villaine ha voymie

Sa gorge auprès de mon amie
Où un amas rouge de vin
Fait baller la chair & le pain
Comme un porceau dedans la bouë :
Là dedans la vieille se joue,
Et en la mesme sauce qu’on met
En Allemagne un vieux brochet.

C’est ainsi que fortune assemble

La Gorgonne & Venus ensemble.
Ainsi le miserable sort
Melle la vie avecq’ la mort.
Que je te plains, beauté divine
Et que ta fortune est maligne !
Ah, qu’inhumains te sont les Cieux !
Ah, qu’inhumains te sont les Dieux !
XXI.

Ceulx là qui aiment la louange

Se verront louez par eschange,
Mais je n’ayme pas à louer
Les langues qui ont estimee
Plus que la dextre renommee
La gauche & ne font qu’en jouer.

Or, mesdifante, toutes celles

Qui ont eschapé tes querelles ODES 163.
Et tant de propos odieux
Se banderont pour ma deffence.
C’est cela qui fait que je pence
N’avoir pas beaucoup d’envieux.

Je n’epeluche point la vie

De ma desloyale ennemie,
Les ruses de ses jeunes jours,
L’impudence de sa jeunesse.
Et son renom point je ne blesse
Pour escrire [ici] ses amours.

Je ne me plains pas de grand chose,

Seulement d’une rage enclose
Elle mesdit pour se jouer,
Mentant & flattant elle cause
Et diffame ceulx là sans cause
Qui mentiroient pour la louer.

Parmy les vertueuses croissent

Ses vices, & plus nous paroissent
Aisés à voir et clairs à l'œil
Soubz les beautez qu’elle frequente.
Car la charogne est plus puante
Tant plus on la met au soleil.

Je dis qu’elle n’en suit encore

La troupe qu’elle déshonore
De ses vices & de ses moeurs,
Parmi les vertus vicieuse
Où elle se fait venimeuse
Comme un serpent entre les fleurs.

Je dirois bien qu’elle ruine,

Qu’elle tuë de medecyne
Ses germes, & que plus d’un coup
Trompons aprés estre trompée
E1l' a en jument eschapee
Donné un coup de pied au loup.

164 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

Je me plains de quoy la traitresse

Enchante & fasche ma maitresse
De propos & d’un air punais.
Ses propos me mettent en haine
Et des pestes de son allaine
Elle luy fait boucher le nez.

Mais ne l'escoute plus, mignonne,

Car le desplaisir que te donne
Une si mal plaisante odeur
Ne blesse tant que sa parolle :
L’une jusqu’à l'ame t'affolle
Et l’autre ne passe le cueur.

Qui ne croirait à voir sa face

Et l’effrontement de sa grace
Le bon naturel de son cueur :
La nature l'a fait camuse,
Et veult dire pour son excuse
Que c’est son nez qui est moqueur.

Les beaux cors ont des ames belles

Et les nourrissent toutes telles
Que les descouvre le dehors,
Hors mis ton ame desguisee,
Car elle est plus cautérisee
Et plus infecte que le cors.

Et ta mensonge & ton mesdire

Et tout le mal que tu peux dire
Ne peuvent troubler mes espritz :
Fai’ donc du pis que tu puis faire,
Ta louange m’est vitupere,
Je suis prisé par ton mespris.

ODES 165.

XXII.

Marroquin, pour te faire vivre,

J’avois entassé un gros livre
Envenimé d’un gros discours
De tes chaleurs, de tes amours,
Et par tes aages impudiques
Arrangé tes fureurs saphiques.
Là je contois que ton berceau
A peine fut jamais puceau,
L’horoscope de ta naissance,
Les passe temps de ton enfance,
Comme on faisait, quant tu criois,
Changer en un rire ta vois
Au branle gay d’une chopine,
A voir chaucher une gesyne,
La chienne et le chien enbesez,
Deux poux l’un l’autre entassez.
Jamais tu n’estois resjouie
Q’en contemplant la vilenie,
Une cane soubz un canard,
Une oy’ envezee d’un jard.
Puis je contois au second aage
Le segond progrès de ta rage.
Comme à six & sept & huit ans,
Tous les garçons petis enfans
Tordans autour du doit leurs guilles.
Fourgonnilloient tes espondrilles.
Trois ans aprez en un garet
Tu leur fis un haran sauret
Ou un monstre presque semblable,
Et puys pour te rendre agréable,
Comment tu fis ton marroquin
Paroistre de loin chevrotin.
Qu’en trois cens sortes de mesnage
Tu revendis ton pucelage,
Que tu seuz à trois cens gascons
Le vendre de trois cens façons.
Et depuis croissant ton courage
Et ta chaleur ainsi que l’aage,
Tu estallois ton marroquin,
Tirant du noble & du coquin
Le plaisir & la recompence.
Je n’oubliois pas ta prudence
Qui est de vendre ta beauté
Autant que tu as achaté
Le blanc chez un apoticaire,
Et prenant autant pour le faire,
Mais puis aprez, avecq’ le temps
Diminua ce passe temps.
Tu enrageais alors que l’aage
T’afoiblist le cors, non la rage,
Les attraitz, & non la chaleur,
T’osta les amans, non le cueur.
Au lieu de louer ton bagage.
Te força de prendre à louage,
Et te fit en mordant tes doits
Acheter ce que tu vendois.
Je n’oublioys que qui se joue
A toy & se frotte à ta jouë,
Il se leve blanc & beau filz,
Et je contois comme tu fis
Un autre chauve de la teste
Emporter du poil de la beste
En luy donnant de tes cheveux.
Et à un vieillard chaleureux

ODES 167.

Tu fis grand profit, ce me semble,
Alors que vous frottans ensemble
Lors qu’il n’avoit plus que deux dans,
Tu luy en crachas trois dedans.
Je contois que j’ay ouy dire
Que tu pleures, que tu soupire,
Que tu gemis, que tu te plains,
Esprouvant les faitz des humains.
Je fais là un héraclitique
Et un discours philosophique,
Puis je conclus qu’aiant gousté
Des hommes l’imbecilité,
Tu pleures sur la creature
Et sur les defaux de nature.
Enfin je fis dire à mes vers
Ta brave defcent' aux Enfers,
Que tu voulus payer la barque
Comme d’une letre de marque
Et ofrant ton cas à Caron,
Mais luy du plat d’un aviron
Te bailla tel coup fur la fesse
Qu’il te jeta hors de la presse,
Puis alors tout l’Enfer qui voit
Qu’une grand’ putain arrivoit
Court en gros, chaqu’un se depesche
Comme à la marchandise fresche.
Tout l’Enfer sur toy fut lassé,
Tout fut recreu, tout harassé,
Et tout à la fin de la dance
Fut boir' au fleuve d’oubliance,
Car au combat reiteré
Chaqu’un se sentit altéré,
Et chaqu’un perdit la memoire,
Hormis maroquin qui pour boire I68 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Ne pouvoit son train oublier.
Mais Radamant la fit noyer :
Marroquin fut demy noyee
Avant sa chaleur oubliee.
Il y a mille autres discours
De tes salles chaudes amours.
J’avoys imité l'Enéide.
Les nommans Maroquineide,
Mais lorsque ce livre fut fait
Chacun le trouva si infait
Les vocables d’art si estranges,
Que j’ay enterré tes louanges,
Et n’estant plus semblable à moy
Ores je m’en excuse à toy
Et je t’advise que mon aage
M’a fait moins heureux & plus sage,
Et si ce n’estoit que je veux
Que des filles les chastes yeux
Ne s’offencent lisans mon livre,
A jamais je ferois revivre
D’ords d'impudiques discours
Tes ords, impudiques amours.


XXIII.

Mignonnes, venez chanter,

Race du grand Jupiter,
Et d’un mignardelet stille
Louans mon jardin fertille,
Mon fertille jardinet,
De mes pleurs le cabinet.
Qui tous les matins aporte
Apetis de toute sorte ODES 169.
Et qui ne peut desnier
Ses fruitz à son jardinier.
Là florissent entassees
Mille bizarres pensees,
Qui de nuantes couleurs
Naissent de mesmes humeurs,
Là les incarnattes roses
Ouvrent leurs beautez descloses,
Là florissent les oeilletz
Cramoisis & vermeilletz,
Là prend acroiffance & vie
La violette, encholie,
Marjolenne, tims, persilz,
Les romarins, les soucilz,
L’aspic et les violettes,
Et les pommes d’amourettes,
Et l'herbe qui au soleil
Tourne & retourne son oeil.
Mais tu n’as rien de sauvage,
Petit jardin mon ouvrage,
Tu as de toute façon
De salades, le creson,
Serfeuil, laithuez pommees,
Pimprenelles, sicourees.
Il n’y a, comme je croy.
Plaisir qui ne soit en toy,
Petit jardin qui arroses
Tes groseliers & les rozes
De ce petit ruisselet
Murmurant, argentelet,
De ceste unde cristaline
Qui trotte, fuit & chemine
Et s’eschappe entre les fleurs,
Et aroze les couleurs 170 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Des allées droites, unies,
De telles perles garnies,
Comme des astres le ciel.
Voiez là la mouche à miel
Qui vivant à sa coutume.
Bourdonnant, pille & escume
La fleur, la feuille laissant,
Et puis essorere en repassant
Ses elles d’or sur la feille.
Là, di je, se paist l'abeille
De tim & boy la rosee.
Là, la vigne, l’espousee
De l'hormeau se fait courber
Et du soleil destourner
Vient la chaleur de sa branche :
L’hormeau soubz elle se panche,
Et s’accolant de leur bras
Font cent mille amoureux las.
Puis j’entens dans leurs umbrages
Les doux chans, les doux langages
De mille mignardz oiseaux,
Citoiens de ces rameaux.
Ces doux chans & ces umbrages,
Ces umbres & ces ramages
Au coing de mon jardinet
Font un petit cabinet.
C’est là dessoubz que je donne
Rendez vous à ma mignonne,
C’est là dessoubz que nos bras
Font d’autres amoureux las,
D’autres prises amoureuses,
Des unions plus heureuses
Que ne sont les rameaux pris
De vignes & leurs maris.

ODES 171.

Là nostre amoureux langage
Nous plaist plus que le ramage
De ces musiciens oiseaux
Qui sont là nos maquereaux.
Je cueille mieux que l'abeille
La fleur en laissant la feille,
Là d’un éternel baiser
Puisse ma bouche arroser
D’une plus douce rozee
Que la fleur n’est arrosee,
Là les ruisseaux de nos pleurs
Mouillent les vives couleurs
De la beauté qui fait honte
Aux fleurs & les fleurs surmonte.
Au paradis de son teint.
Comme en mon jardin est paint
Un beau printemps de fleurettes.
Les oeilletz, les violettes.
Les roses & les boutons
Fleurissent sur ses tetons :
Là, je cuille l'encholie
Qui martirise ma vie.
J’y prens, j’y metz mon soucy,
La pensée y est aussi.
L’herbe au soleil s’y espreuve,
Car tousjours mon oeil se treuve
Suivant ma dame & son oeil.
De mon humeur le soleil.
Douces fleurs espanouies,
Que mes amours & vos vies.
Vos beautés & mon amour
Ne soient fenez en un jour !

172 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

XXIV.

Petit livre, le mignon,

Le filz et le compagnon
De ton maistre, petit livre
Qui dedans toy fais revivre
De ton maistre les amis.
Souffre que mon nom soit mis
En ce coin pour tesmoignage
Que mon cueur y est en gage.
Si ton maiftre avoit soucy
D'or et de perles aussi,
Ce que le nocher mandie

Des costez chaux de l’Indie

Eust esclaté promptement :
J’eusse mis un diamant
Pour parer ta couverture.
Ton maistre, de sa nature,
Ayme mieux les vers, aussi
J’ay escrit tes vers icy,
Et par ces vers je engage
Plus d’amour que de langage.

Escris tu quelle arrogance

À ce Moecenne des ars,
Circuy de toutes pars
Des soleilz de nostre France ?
Pence comme il sera beau
Apres la voix doux coulante
Du cigne qui sa mort chante
Oyr l'enroué corbeau.

Ceux qui ont tousjours leur table

Plaine de vivre plaisans, ODES 173.
Qui ont de tourtes, de faisans
Et d’embroisie aimable.
Commant trouveroient ilz bon
Les viandes du village.
Les fruits aigres, le laitage,
Le bouquet sur le janbon ?

Pourquoy non ? tout ainsi comme

Les perdus faschent noz Roys
Qui vont aux chams quelquefois
Manger les choux du bonhomme.
Tu seras doncq’ aisement
Pa là, ma muse, estimee
Et au moins seras aimee
Par le simple changement.


XXV.

POUR UNE MOUCHE SUR LE FRONT DE [DIANE].

Tout ce qui naist des elemens,

Tous animaux sont esportez
À faire croistre mes tourmens,
Comme ils accroissent vos beautez ?
Voiés vous ceste mouche noire
Qui croist, en aprochant tousjours
Son ebenne de vostre yvoire,
Et vos beautez & mes amours.

Si tost que vostre blanche main

La dechasse de vostre front,
Elle s’enleve & puis se sont
Tout aussi tost sur vostre sein,
C’est vostre indissible puissance
Qui la rend sensible & la point.

174 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.

Donnant l’ame & la congnoissance
Mesme aux choses qui n’en ont point.

Ainsi vos beaux tretz s’acroissans

Vous feront suivre puis aprés
Aux mons, aux rocz & aux forestz.
Aux flotz & aux vens fremissans.
Mais voiez vous encor la mouche
Qui m’enbrasant pour son plaisir,
S’est reposé sur vostre bouche.
Donnant jalouzie & dezir.

Ha ! ma Diane, je me plains

De ce que trop vous supportez :
Où sont ces affligeantes mains
Qui punissent mes privautez ?
Pourquoy ne bruslez-vous son aesle,
Si ce n’est que vous aimez mieux
Ce feu là pour moy que pour elle,
Ce feu bruslant de voz beaux yeux ?

Je croy' que voiant arriver

Le froid qui lui donne la mort,
Elle pense bastir un fort
Sur vostre sein pour son yver :
Pour Dieu, chasssez-la, ma mignonne.
Pour Dieu, mignonne, chaffez-la,
Ou je meurs si on ne me donne
Autant de crédit que cela.

Ou bien sans vous y amuser,

II me semble qu’il sera mieux.
Si vous fermiez un peu les yeux,
Que je la chasse d un baizer.
Je sers bien plus à vostre gloire
Que la mouche à vostre grandeur,
Car je vous fais avoir vicìoire
Du temps, elle d’une couleur.

ODES.

XXVI.

Ainsi puissent tous les jours

Vos beaux & nouveaux amours,
De fleurs nouvelles & belles,
Flammes belles & nouvelles,
Douces & aigres douleurs,
De riz, de jeuz & de pleurs,
Mille peurs, mill' algarades,
De mille claires oeillades,
Et mille mignardz propos,
Mignarder vostre repos !
Fonlebon, je porte envie
Au doux soucy de ta vie :
Anne, je tenvye aussy
Ton doux amoureux soucy.
Les plaisirs de vostre braise
Et les flammes de vostre aise,
Vos impatiens desirs,
L’atente de vos plaisirs
Font que d’un pareil martire
L’un & l’autre cueur soupire.
Hastez donc, hastez vos jours
O mignardez les amours,
Qu’en trop long printemps l'attente
De l'aymant & de l'aymante
Ne fleurissent les desirs
Sans tirer fruit des plaisirs.
Fonlebon, Anne ma mye
T’est plus chere que ta vie,
Que ton cueur & ton amour,
Que tes yeux et que ton jour.

176 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.

Fonlebon, sois luy fidelle,
Tu n’es pas trompé en elle :
Anne t’ayme cent fois mieux
Que ton cueur, ne que tes yeux.
Ainsi, de flammes nouvelles,
De fleurs nouvelles & belles.
Vos beaux & nouveaux amours
Puisent croistre tous les jours !
XXVII.

J'ay le sang escumeux attaint

D’un mal qui pourtant n’est pas feint
Et s’il vient d’une cause feinte.
Ma jalousie en croist tousjours,
Et alume une flamme sainte
De vos feintes saintes amours.

J'ayme sans beaucoup de soucy,

Je viens furieux et transy :
L’amour libre et la jalousie
Qui flatte, qui brusle les cueurs
Et de Pandore et de Thelie
Me presse d’aise & de rigueurs.

Pandolphe en bruslant enflamme,

Et sans martire bien aime.
La beauté que tu sers t’adore,
Et tu peus à ton gré choisir
En ta Thelie, en ta Pandore
Le libre & le geenné plaisir.

Douces geennes & libertez

De deux cueurs efpris enchantez,
Tu as, o douce et fiere envie,
Fierement, doucement espris ODES 177.
Et de Pandore & de Thelie
Les beaux cors et les beaux espritz.

Vostre Pandolphe est par vous fait

Accomply, divin & parfaict,
Et en le voulant tel congnoistre,
Vos jugemens, vos passions
Aussi accomply le font estre
En heur, comme en perfections.

Pandolphe, je brusle envieux

De la louange, & de mes yeux
Flamboie la rage & l'envie.
Mais la louange n’est plus rien,
L’amour de Pandore & Thelye
Sont le seul & souverain bien.

Pandolphe parfait & heureux,

Vertueux, aimé beaucoup mieux
Que toutes les vertus ensemble
Ne vallent, tu en es doué,
Mais ton heur d’estre aimé me semble
Plus que celuy d’estre loué.

Mon esprit sent un dur combat,

Mon cueur contre luy se debat,
Voici une dispute estrange,
Car l'esprit est ambitieux :
Que pourroit-il souhaitter mieux
Sur le parfait de la louange ?

L’amour de la louange esprit

Si furieusement l'esprit,
Que son amour est plus parfaite ;
Or pour apaiser leur douleur
Il est force que je souhaitte
Le merite aussi bien que l'heur.

Encor' ne sai' je que choisir

De ce beau furieux desir, 178 LE PRINTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE,
De ceste douce jalousie.
De la feinte & sainte fureur
Qui bruslant devora Thalye,
Ne vient que de force de cueur :

Ou si en estant bien aymé,

Enflammant sans estre enflammé
D’une rage qui me devore,
Asservissant, non asservy,
II vault bien mieux aymer Pandore,
La ravir sans estre ravy.

La prison a tant de beauté

Et si douce est la liberté,
Je suis si friant de martire
Et j’ayme tant le franc plaisir
Je ne puis que je ne desire
Posseder le tout fans choisir.

Ainsi, Dames, vous avez fait

En l’amour souhait si parfait,
Que l'immortel qui voudroit dire
Et poindre un immortel desir
Ne peult plus que quant je defire
Estre Pandolphe, puis mourir.
XXVIII.


Non, je n’ayme pas le pesant,

Mais bien le leger, le luisant :
Je me sens assez de courage
Pour voulloir & pour voller mieux,
Et mon esprit qui est volage
Volle tousjours vers les Cieux (sic).

Je desdagne ce gros fardeau

De la terre pesante et d’eau ODES 179.
Et encor’ ce qui sent la terre :
Je volle hault, j’ay en mespris
Ceste masse qui fait la guerre
Aux beaux & volages efpritz.

Quant le chaos fut demeslé,

Tout le pesant fut devalé
Au centre, les serpens, la peste,
Les enfers, le vice, les maux :
Le doux, le subtil fut celeste
Et volla dans les lieux plus haux.

Le Ciel, pais de nos espritz,

Les aiant à voller apris
Au lieu où ilz ont prins naissance,
Les fait vivre icy estrangers :
Comme legere est leur substance
Ilz sont volages & legers.

Les efpritz qui ont moins du cors

Et moins du pesant sont plus fortz :
Le cors qui est le plus terrestre
Et plus pesant n’est plus maison
Propre à Pesprit & ne peult estre
Rien que sa fascheuse prison.

Toute vertu est née aux Cieux ;

Tout cela qui est vicieux
Recongnoist la terre pour mere,
Checun son pareil elisant :
Toute vertu est donc legere,
Tout vice constant & pesant.

Confiderez encor’ un peu

Que nos ames ne sont que feu
Qui est plus leger que les flammes,
Les flammes ne peuvent aller
Au Ciel, au vray pais des ames,
Que laissant le cors pour voller.

180 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

Vous voiez les cors animez

De braves espritz consommez,
Et ceux qui ont moins de substance,
De chair & de pois envieux
Ont des espritz de telle essance
Qu’ils fouillent le secret des Cieux.

La constance est absurdité,

La céleste légèreté
Change la saison morne & blesme :
Je preuve cela par les fleurs.
Par moy, peult estre par vous mesme,
Qui n’avons en terre que pleurs.

Bien qu’au contraire m’estimant

Immobile, endurcy amant,
Comme huit ans le pourroit dire,
Vous avez bien voulu choisir
Ce paradoxe pour en rire,
Je le deffendz pour mon plaisir.
XXIX.

Celuy là qui a congneue

Ta grâce & ta beauté neue
Est forcé de desirer,
Qu’ainsi comme elle est prisee,
Elle fust aussi aisee
A ensuivre qu’admirer.

Ta gloire s’est emplumee

Des pannes de renommée
Pour efcumer l’univers,
Dorant le plis de ses aelles
Et ses beautez non pareilles
Et sa gorge de mes vers.

ODES 181.

Tu n’as besoin que je loue,

Tu n’as besoin que je voue
A toy mes vers, mes esprits
Car ta vertu n’est pas telle
Qu’elle ne soit immortelle
Sans l'aide de mes escritz.

Je te loue & yeux eslire

Ce fubject pour en bien dire,
Mais non selon l'argument,
Et je n’en crains repentance,
Sinon que par l'ignorance
Je parle trop froidement.

Ne trouve pourtant estrange,

Si tu voiois que la louange
Que je t'ay voulu voüer
Ne monstre que le courage
D’un esprit assez volage
Est leger pour te louer.

Que me sert, cruellement belle,

Que me sert, doucement cruelle.
Ton euil doux en ses cruautez,
Le fiel foubz le miel de ta grace,
Si tu descoches de ta face
Aultant de mortz que de beautez!.

Ta main doucement me repoulce,

Et ta parolle encores plus douce
Glace mon cueur en l'enflammant :
Tu me refuses sans cholere,
Et en riant de ma priere
Tu me fais mourir doucement.

Mais fiere quant tu me repousse,

Ta vois & si rude & si douce
De ton courroux monstre l'effort,
Ainsi qu’un juge impitoiable 182 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ,
Qui apelle un pauvre coupable

« Mon filz » en le jugeant à mort.

Ton ris, ainsi qu’une eau riante
M’embrase d’une soif ardente
Où rien que mon espoir ne boit,
Et alors tu me trompes comme
On fait un enfant d’une pomme
En ne lui laissant que le doit.

Ainsi la mer nous espouvente

D’une impitoiable tourmente
Qu’elle cachoit dessoubz un ris.
Tu fais mentir mon esperance
Comme l’arbre qui trop s’advance
Et fleurist sans porter les fruitz.

Ne gaste, en riant inhumaine,

Les fruitz demy meurs de ma peine
Et l'espoir de mon amitié,
Ne me fois plus si gratieufe,
Mais d’une face rigoreufe
Fay’ moi congnoiflre ta pitié.

Ne me ris plus pour me destruire,

Mais me fais heureux sans me rire,
Car, ma Déesse, j’ayme mieux
Voiant fy" sentant le contraire,
Recevoir un ouy en collere
Qu’un nenny d’un oeil gratieux.
XXX.

Je vous ai dit que les chaleurs

Du Ciel sont celles de ma vie,
Et que de l'ame de mes pleurs
Naissent les causes de la pluie, ODES 183.
De mes feuz, commettes mouvans,
De mes humeurs sont les nuages,
De mes soupirs viennent les rages
Des esclairs, des fouldres, des vans :

Il pleut comme vous pouvez voir,

Des excremens de ma tristesse.
Ce n’est pour couvrir mon devoir,
Ne pour m’excuser de promesse,
Qu’il m’est force de demourer
Privé du bien de vostre veuë
Tant que j’aye crevé la nuë
Et que je sois las de pleurer.

En pleurant il me semble mieux

De m’excuser & vous escrire :
Je ne veux vous monstrer les yeux
Que rians pour vous faire rire,
Mes pleurs me deplaisent dequoy
Ilz nuisent à vostre mesnage,
Mes larmes vous portent dommage
Et vous nuisent assez sans moy.
XXXI.

La douce, agreable Cybelle

Du doux Avril se faisoit belle.
Esmaillant de mille couleurs
Et embaumant de mille fleurs
Et de mille beautez descloses
D’oielletz cramoisis & de roses
Un verger d’amour en son sein,
Et pilloit de sa blanche main
Sur l’Esté, sur Ceres l'heureuse,
L’espic, la glenne planteureuse, 184 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNÉ.
Rehaussant son beau sein paré
De l’or & du jaune doré,
Coulleur de Cibelle amiable,
Coulleur à Phebus agreable :
Et puis quant l'automne est venu,
Cuillant le riche revenu,
Les rentes que luy doit Pommone,
Encore elle pare l'autonne.
Le printemps a heu les desirs
Et l'autonne prend les plaisirs,
C’est lors qu’elle presse & agence
Aux cornes de son abondance
Un million de fruitz pressez
De sa blanche main agencez.
Et puis, quant l’yver plain de glace
Pence triumpher de sa face.
Massacrant l'honneur de la branche,
Elle prend une robe blanche
Plus belle que les prez floris,
De plus d’esclat que les espis,
Et lors en pais elle s’adonne
A gouster les fruitz de l'autonne,
Et deffoubz sa blanche beauté
Joist du chault labeur d’esté,
Et en pais sent la joissance
Du printemps & de l'esperance.
Toute blancheur, tout ornement
S’acompare à son vestement.
Son Saturne, plus froid que glace,
Fronçant le moisy de sa face,
Gratte d’ongles crochuz & longs
Les crasses de ses gros sillons.
Le vieillard ne peult faire chere
A la belle Opis, nostre mere, ODES 185.
Et elle d’un oeil desdaigneux
Tourne le dos au rechigneux,
Espanouifsant à la veuë
Du beau soleil sa beauté nue,
Luy fait voller mille soupirs
Dessus les aelles des Zephirs.
Cependant que Saturne assemble
La teste & les genoux ensemble
Et autour du feu se plaignant,
Regarde tout en rechignant,
Apollo à la barbe blonde
Visite la beauté du monde,
Donne à la terre ses beaux jours,
Croist ses beautez de ses amours,
Luy donne de mille estincelles
Ses feuz, ses chaleurs naturelles,
Prend la moitié de son ennuy.
II est son ame, elle de luy
Qui recongnoissant bien les choses,
Luy ouvre son beau sein de roses
Et en loier de ses chaleurs
Luy offre du baume & des fleurs.
Elle le retire & desguife,
Lorsqu’il se fait pasteur d’Amphrise,
Et pour le fouldre descoché
En son sein elle l'a caché.
Puis le soleil anime encore
Les perles que la nuit adore,
Offrant mille & vingt deux feuz
A la belle Ops & à ses yeux,
Nez à la servir, à luy plaire.
De là vient mainte nuit plus claire
Qui favorise leurs amours
Et qui incline par leurs cours l86 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.
Ses humeurs de leur influances
Et favorise leur semences
De leur vapeurs, de leur beauté.
D’Ops vient leur cause de clarté
Et recoivent l'humeur montee
Par la voie blanche laitee.
Apollo chante force vers
Sur gaillards subgectz & divers
Où il contoit ses mignardises.
Son espoir & ses entreprises,
Et fait sur son luth tous les jours
Babiller ses douces amours :
Et la terre produit la plante
Dont lors que sa victoire chante,
Pour ses armes & pour ses vers
Il se pare de rameaux vers ;
Le soleil quant le temps la tuë,
La fait revivre de sa veuë.
Toutes les Déités un jour
Prenoient plaisir à cest amour :
Les Dieux aiment les armonies
Et aiment les beautez ! unies.
Ilz virent en un tableau feint
Que Phebus le docte avoit peint
Saturne qui trembloit la fiebvre.
On luy fait bien des piedz de chevre,
Mais tout est permis au pinceau,
II mit les cornes au chapeau.
Tous les Dieux se prindrent à rire
Quant Saturne fut un Satire,
Luy disant :"tu as de ton filz
Cela qu’à ton père tu fis.
Le vieillard blapheme de rage,
Et resolu en cocuage ODES 187

_______________________________________________________________

Souffre que Cibelle se vange
De ce que ses enfans il mange.
PAUSE.
La douce et blanche Cibelle
Se pare de nege et faict belle
De perles de cristal, d’atours
Pour recommencer les amours
De l'œil et de l'ame du monde.
D’Apollon à la barbe blonde,
D’Apollon qui veut de nouveau
Marier son beau chef rousseau
A sa Cibelle delaissée
Par son Saturne reglacee.
Au lieu des glaçons rigoureux,
De mille rayons mille feux
Sont d’elle honorés et l'adorent,
La rechauffent et la redorent.
Dessus la perle l’or est beau,
Dessus la nege le flambeau,
L’or qui plus or au feu se treuve,
Le cueur qui au danger se preuve
Et se faict plus beau peu à peu.
La foy d’or et la foy de feu
Plaisent à la belle Cibelle,
Et pour ceste couleur si belle
Apollon luy a consacré
Son beau chef de jaune doré.
PAUSE.
Alors Cibelle va pleurant,
La terre lors se va mourant
Quand une epesse et noire nue
Luy oste du soleil la vuë,

188 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE. _______________________________________________________________

Et alors le triste soleil
Obscurcit le feu de son œil
Quand le deuil d’une epesse nue
Oste la terre de sa vue.
Le teint de Cibelle est plus beau
Aux rays du soleil son flambeau.
Apollon n’a sa face belle
Qu’en voiant sa chere Cibelle :
De tous deux les feux, les amours,
Font des deux les clairs & beaux jours.
Quand la riche et belle Cibelle
Montre sa face riche et belle.
Apollon clair est bienhureux
Qui de Cibelle est amoureux :
Cibelle belle est bienhureuse
Lorsque d’Apollon amoureuse,
Elle voit le feu, l’or et l'œil
De son cher, cler et beau soleil.
Jamais donq’ ne vienne l'autonne
Qui toutes les fleurs ébourgeonne
Et jamais ne puisse arriver
Le frilleux, le facheux yver,
Mais tousjours un printemps fleurisse
Qui tant de fleurs epanouisse ;
L’un et l’autre soit contenté
Des fleurs d’un éternel été.
Toutefois en yver encore
Le soleil Cibelle redore,
Apollon faict de sa clarté
D’autonne et d’yver un été.
Que jamais la nuict tenebreuse
De leur bien ne soit envieuse,
Mais tousjours le clair et beau jour
Soit amoureux de leur amour !
       ODES.                       189                                             

________________________________________________________________

Pourtant des rayons de sa face
Apollon perce yver et glace
Et pourtant ce soleil reluit
Au plus noir de la noire nuict.
Et la belle en la nuict plus brune
Voit dans le miroir de la lune
Le clair & le parfaict amour
De son soleil et de son jour.
Apollon en la lune bleme
Remire aussy sa face mesme
[En] la terrestre obscurité
De sa chere & douce beauté.
Jamais l’amour n’est éclipsée
De l’un’ et de l’autre pensée.
Calmez pour jamais leur ennuis,
Yvers froidz et vous noires nuictz,
Et à leur amour favorable
Ouvrez un printemps delectable :
Jouissent leur saintes amours
Des chauds estés et des beaux jours !
XXXII.

Premier que d’aborder les Cieux

Et d’acoster le front des Dieux,
L’Alcide purgé par la flamme
Quitta ça bas tout le mortel,
Et quant il n’eut plus rien de tel
Estonna les Cieux de son ame.

J’ay bruslé au feu de vos yeux

Ce que l’homme et le vicieux
Se réservoient en moy de reste.
Adoncje volle de mon cueur 190 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.

____________________________________________________________

Porté d’une sainte fureur
Au plus hault de vostre celeste.

Mon esprit comme ensevely

S’emancipe et enorguilly
Contre le Ciel brise la creste,
Et repurgé de vos beaux yeux.
Vole aussi haut que les haultz Cieux
Et voit sous ses piedz la tempeste.
PAUSE.

Mais comme le fier qui son œil

Aux raions brillans du soleil
Demi nu dédaigneux affronte,
Le voit et si ne le voit pas.
Forcé de laisser choir en bas
Le front et le nez à sa honte :

Hardi, emerveillé je voy

L’infiny et ne say de quoy
Je suis docte et j’aprins encore,
Plain d’un zelle devotieux,
J’admire le secret des Dieux
Et sans comprendre je l'adore.

Quel esclat de divinité,

Quel raion doré de beauté !
L’esprit honoré de la face,
Comme la face des espritz,
Sont tous les poins qui m’ont surpris
De l'infiny de vostre grace.
PAUSE.

Pourtant à voz esclairs dorés

Tous mes sens planent essorez
D’une vollee autre qu’humaine :
Des aisles de vostre beauté ODES 191.
Le Ciel est de moy surmonté,
Comme vostre grace me meine :

Ma force s’esclave soubz vous

Et le service m’est si doux
Que mon heur je ne puis comprendre.
Vous m’epurez ainsi que l’or :
Ne souffrez que vostre tresor
Par trop de feu se mette en cendre !

De vous vient mon mal ou mon bien,

Ou je puis ou je ne puis rien,
Par vous ou j’enlève ou j’aterre
Ma vie aux haultz ou aux bas lieux,
Pour vous je volle dans les Cieux
Ou je traîne le ventre à terre.
XXXIII.

Aux rocqs venimeux, crevassez,

Où les tortillons amassez
De viperillons parricides
Grouillent en leurs fentes humides,
L’Envie loge &fait dedans
Craquer & seigner de ses dens
Mille couleuvres etripees,
Dedans l'eau de l’oubly trempees,
Et les crapaux jaunes & noirs,
Les rages & les desespoirs
La bourrellent & la substantent,
La nourrissent & la tourmentent.
Ces fruitz, ses bourreaux inhumains,
L’apaisent des peaux de ses mains
Qu’elle déchire, qu’elle tire
En s'affamant de son martire, 192 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Conservant jusqu’au fons des os
Sa moelle en son triste repos.
Le Soubçon, la Doute & la Crainte
En l’obscur la tiennent contrainte.
La vie & la vertu souvent
Luy deffendent l'air & le vent,
Et l’empeschent qu’elle ne sorte,
Mais la Mort luy ouvre la porte,
Renferme la Crainte au dedans
Et donne pour curee aux dens
Venimeuses & affamées
Des plus entieres renommees,
Des belles âmes, des bons cueurs.
Des beaux esprits & des valleurs
Dont la maigre Peste friande
Fait son poison & sa viande.
Aussi tost son cueur enragé
Crevé comme’ il en a mangé.
Son estommac qui n’a coutume
De dévorer que l'apostume,
Le froid venin & les fureurs,
Appelle poison les douceurs.
Quant, changeant ce qui l'a nourrie,
Elle oste la cause à sa vie,
Car la douceur luy est venin.
Du temps que le mortel divin
Immortel démon et terrestre
A peu par ses enfants paroistre.
Pour contre le vice tortu
Les équiper de sa vertu,
Tant qu’un mesdisant miserable
A veu le pere redoutable
Duquel l’esprit pareil au cueur
Estoit sur son siecle vaincueur : ODES 193
Alors les enfans de Jodelle
Couvers de l'umbre de son aelle
Ont pleu & résisté aux Grans.
Les doctes, confuz ignorans,
Ont hay, chery ceste race
Et a leur agréable audace
Les filz pour le pere cheris.
Le père parut par les filz
Lesquels en vie & sans envie
Reserroient la langue ennemie
Morce & remorce par ses dens
Aux rocqs crevassez & dedans
Grouilloient ces ames venimeuses,
Ces vieilles pestes rechigneuses
De qui les gros cueurs endurcis
Estoient les rochers obscurcis ;
Les serpens de l’Envie mesme
N’estoient rien que leur rage mesme.
Mais si tost que Jodelle est mort,
Voicy la canaille qui sort,
Et voicy la troupe ennemie
De mille langues de l’Envie
Qui fuians de l'obscurité,
Arrachent au lion dompté
Estendu mort dessus la terre
La barbe, & luy font telle guerre
Que les petits chiens au sanglier
Qui les faisoit fuir yer.
Ainsi je me plains, Charbonnières,
Que ceux qui adoroient nagueres
Le Pindare de noz François
S’arment de l’or de son harnois,
Et au lieu de fondre de larmes
Font un triumphe de ses armes.

194 LE PRIMTEMS DU SIEUR D AUBIGNÉ.

Je deviens plus maigre d’ennuy
Que la maigre Envie au jour dhuy
Qui au lieu des roches obscures
Abite les montagnes pures,
L’honneur de l'isle de Phocis,
Et rend ses espris obscurcis,
Tant que son cueur qui n’a coutume
De ne manger rien qu’apostume
Aiant devoré ses douceurs,
Les trouve poisons & fureurs,
N’aiant le logis qu’il demande,
Changeant en poison sa viande.
Le mal par le temps crèvera,
Et ceste race trouvera
Amis de la race & du père,
Apres toy, docte Cherbonniere,
Mille plumes & mille fers
Qui feroient rentrer aux Enfers
L’Envye & aux fentes humides,
Pour des vipereaux parricides
Manger les tortillons lassez
Aux rocqz venimeux, crevassez.
XXXIV.


Au feu des chastes amours
Qui n’ont fin qu’avec les jours,
Ma premiere ardeur s’alume
Et ma premiere coutume
De brusler heureusement
Au feu d’un heureux torment
S’esveille & s’est augmentee
A la fureur tormentee.

ODES 195

Tormentee heureusement
De Laval, heureux amant,
Qui lorsqu’il sent son courage
Brusler une chaste rage,
Son esprit chaste enflammé
Bien aimer ettre aimé,
Immole à son Ysabelle,
A sa dame chaste & belle.
Les fruitz de ses premiers jours,
De beaux & chastes amours.
Avecq’ luy me prend envye
De brusler l'ame & la vie
Au chaste feu amoureux,
Pour comme luy estre heureux.
Laval, tu es miserable
Si une rigeur t'acable,
Laval, je voy’ ton malheur
Si tu ploie à la rigueur :
Mais aussi, chaste Ysabelle,
Si tu veux estre cruelle,
Tu maudiras ta rigeur
Comme Laval son malheur :
Mais si l'amour vous assemble,
Vous estes heureux ensemble.
Laval, tu es bien heureux,
Si, chastement amoureux,
Tu brufles d’un chaste zelle
Ta belle & chaste Yzabelle,
Si voz communes rigueurs
Unissent aussi voz cueurs :
Ysabelle bien heureuse
Si comme chaste amoureuse,
D’un feu chaste & amoureux,
Tu sais Laval bien heureux, 196 LE PRIMTEMS DU SIEUR DAUBIGNÉ.
Si tu veux rendre les armes
A ses pitoiables larmes.
Bienheureux si vous aimés
Tous deux chastes enflammez,
Si que la Parque envieuse
Ne sera tant rigoreuse
Que de desunir vos cueurs
Bruslez de chastes rigeurs.
Vostre amour florisse telle
Que Zerbin & qu’Yzabelle,
Et pareilz de chasteté,
Et semblables en beauté :
Mais la fin ne soit semblable
A la couple misérable,
Misérable heureusement,
De l’un & de l’autre amant !
XXXV.

Qui vouldra voir comme l'injure

Qui vient diviser la nature
Par la nature se refait,
Comment le naturel parfait
Ne trouve rien de si extreme
Qu’il n’ait le remede en soy mesme.
Que sans luy on espere en vain
A l’artifice de la main :
D’autre costé comme nature
Sans’l'art ne sauroit faire cure,
Que de nature l'imparfait
Par l'art seulement se refait,
Et que l’art au danger extreme
Fait autant que nature mesme, ODES 197.
Que sans luy l'effait des humains
N’enfante que des songes vains,
Qu’[il] lize pour se satisfaire
Le paradoxe & son contraire
Voy’ appuier la nouveauté
D’une docte subtilité
Par les raisons & la science.
Par nature & l’experiance,
Et dire contre le nouveau
Le docte, le subtil, le beau :
Puis à l’un & l’autre contraire
Par tant de raisons satisfaire
Que la nature des humains
Et des ars ne demeurent vains,
Que l’art soit la nature extreme
Et la nature soit l’art mesme,
De l’un & l’autre l’imparfait
Par l’un & l’autre soit refait,
L’art soit suffisant à la cure
Et suffisante la nature.
XXXVI.

Mignonne, pourquoy donnes-tu

Á l'Amour la celeste grace
Et tous les beaux traictz de ta face
Dont cet enfant m’a combatu ?
Si tu me prestes ta faveur,
Le vaincu sera le vainqueur.

Des dars qui partent de tes yeux.

De leur belle flamme divine
II m’a transpercé la poitrine
Et bruslé le cueur amoureux : 198 LE PRIMTEMS DU SIEUR D’AUBIGNE.
Mais si tu me preste faveur.
Le vaincu sera le vaincqueur.

II n’eust sceu ravir mon repos

Et le desrober par l'oreille,
S’il n’eust emprunté la merveille
Et le charme de tes propos :
Si tu me prestois ta faveur,
Le vaincu seroit le vaincqueur.

De quoy eust-il faict tant de neuds

A m’enchesner pour son esclave,
Si tu ne l'eusse rendu brave
Des tresses de tes longs cheveux ?
Et si n’eust eu ceste faveur,
Le vaincu seroit le vaincqueur.

Qu’eust pu faire cest inhumain,

Dequoy eust-il dressé sa gloire
Sans emprunter ta main d’yvoire,
L’yvoire de ta blanche main ?
Sy elle n’eust ravy mon cueur,
Le &c..........................

Tout le pis est que c’est à luy

Qu’il a sa victoire estoffee
Le galant bastit son troffee,
Des faictz & des forces d’autruy
Et ne croit que sans ta faveur
Le &c...........................

Reprans tes yeux & tes cheveux.

Tes propos & ta main d’yvoire
Et je combatray pour ta gloire.
Et si je surmonte, je veux
Monstrer que c’est par ta faveur
Que le &c.......................

ODES 199

XXXVII.

Où va cest enchesné avec ce brave port ?

On le treisne à la mort.

Comment est-ce qu’ainsi joyeux il s’y convie ?

II n’aymoit pas sa vie.

Quel juge si cruel haste son dernier jour ?

L’mpitoyable Amour.
De quel crime si grand peult-il estre blasmé ?
C’est d’avoir trop aymé.

De quel genre de mort veult-on punir ce vice ?

Le feu est son suplyce.

O juge trop cruel, o trop cruel tormant !

O myserable amant !

Mais de quoy sont les poins du prisonnier liez ?

De cheveux déliez.

D’où doit sortir le feu qui le tue & l’enflamme ?

Des beaux yeux de sa dame.

O amour pitoyable, o torment gratieux !

O amant bien heureux !
XXXVIII.
Veux tu que je sacrifie

A ton ombre mon corps, t’immolant tous les jours

Ma vye aprés ta vye ?
Ton corps qui est sans ame

N'est plus corps, mais un ombre, & l’esprit des amours

Est sa vye & sa flamme.


Donq’ aprés la mort tiene

Tu brisas l’union de mon ame & de moy,

Et ta fin est la miene,
L’ame avec moy ravie

Mieux qu’un corps oublieux veut maintenir sa foy :

Son amour est fa vye.
Mon ame divisée

D’un volontaire joug s’esclave soubs tes fers,

De son corps epouzee.

11 est fa moytié chere La veux-tu arracher aux amours des Enfers,

Et la rendre adultere ?
Veux-tu qu’aprés ta vye,

Aux Champs Elisiens elle aime autre que moy

Où elle est asservye,
Que la mort desunisse

Nos veux, nos cueurs, nos sens, ma promesse & ta foy,

Afin que tour périsse ?
Je ne suis point muable :

J’atacheray mon corps à suivre sa moitié

Et chercher son semblable.
Vien donq’ aux rives creuses,

Vien voler avec moy des aisles d’amitié

Aux ombres bienhureuses.


XXXIX.
L.C. — Bon jour, petit enfant. A. — Bonjour.
L. C — Qui es-tu mon mignon ? A. — Amour.
L. C. — Amour ! où est la connaissance
Et l’effort de mes tristes yeux ?

A. — Tu ne m’as pas connu, me voyant sans puissance,

Sans carquois et sans arc, sans fleches & sans feux.
L. C. — Mais qui t’enchesne icy ? A. — Le Sort.
L. C. — Que pleures-tu ainsy ? A. — La Mort.
L. C. — La Mort ! et je cherche mon ame
Par les horreurs des noirs tombeaux.

A. — Ton ame est là dedans qui soubs la froide lame

Bayse le corps qui vif luy donna tant de morts.
L.C. — Que trouveray-je là ? A.-Un corps.
L. C. — Qui ayme mon ame ? A.-Les morts !
L. C. — Les morts ! elle meurt insensee,
Tandis que sans elle je meurs.

A. — Va &fais qu’au retour l’amytié soit cassee

Qui de ses chesnons d’or m’enchesn’ à ses malheurs.
XL
VISION FUNEBRE DE SUSANE.
O spectre gratieux,

Nuict, favorable mere à mes tristes pensees,

Qui tire mes rideaux ? Un messager des Cieux :
Plus d’amours que de peurs en mon ame tracees
Ont reveillé mes yeux.

202 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNE.

Encor espouvanté
L’œil que tu as surpreins d’une si douce guere
Voyt les lignes & traits d’un visage gasté,
Et bien qu’il n’y paroist que les os & la fièvre
II y voit ta beauté.


Car de toy le plus beau
Est vif & ne pouvoit se perdre avecq’ la vie,
Ton bel œil en la mort est encor un flambeau :
Mon ame en te suyvant se plaist ensevelye
Dans le poudreux tombeau.
Ayes de moy pitié.
Doux esprit de doux corps, si l'amoureuse flame
Est vive aprés la mort en ta chere moytié :
Tu voy entre les os & les cendres mon ame
Animer l'amytié.
Vien ma bouche arouzer
Tout en feu ,de desirs, de soupirs asechee,
Bouche qui de baisers souloit apreivoizer
Mes amours voletanz, & leur donner bechee
Au moins d’un froid baiser.
En vain des mains je veux
Prendre ce vent leger, cest ombre & ce nuage :
Ame fuyarde, tourne encore ces beaux yeux,
Tourne à mes cris piteux l'oreille & le visage,
Pour entendre ces voeuz.
J’aracheray mon oeil
S’il voyt une beauté, mon coeur s’il la defire,
Je banys mon esprit s’il veut quitter le dueil,
Mon ame, si mon ame un seul soupir souspire
En baizant le cercueil.
A quoy cet euil qui luit
S’il ne m’aproche ? à quoy ces bras s’ils ne m’accolent ?
Helàs ! elle s’eslogne & s’enleve & s’en fuit,
Pareill' aux vens légers & aux songes qui volent
Au vague de la nuit !


XLI.


INVECTIVE D’IMPATIENCE D’AMOUR.
Astres paresseux, dormez vous ?
Hastez voz ambles, vieilles Heures,
Que je ne pique voz demeures
Des aiguillons de mon courroux.
Courez au secours de l'amant,
Tournez le sable ou au moins l’urne,
Bastardes du coqu Saturne
Qui vous fit yvre ou en dormant.
Vous volez la nuict & le jour
Quand la Mort par vous est servie.
Vous serviez à regret ma vie,
N’ayant point d’aelles pour l'Amour,
Rien n’est au brave combatant
Si fascheux q’une longue treve,
Il n’y eut jamais nuict si breve,
Jamais un jour ne dura tant !
Volans impatiens Amours,
Phebus vous apelle en justice,
Car il dit que c’est son office
D’abreger ou croistre les jours.
Mais qu’est ce qui peut retarder
Des Cieux la course mesuree ?
Cachez la beauté desiree,

Tout s’amuse à la regarder.
Au contraire que de ses yeux
Le Soleil puysse voir la belle :
Luy pensant coucher avec elle
S’ira coucher en amoureux.
Aussi fait-il tour à rebours
L'Equateur dedans le Tropique,
Je le sens au chaut qui me pique,
Aux courtes nuitz & aux longs jours.


XLII.

Dieu des armées, o combien à gré me sont
Tes sacrés pavillons, comme le ceur me fond,
Tout mon sens me tressault quand tu me fais venir
De ton temple le souvenir.
Dieu qui des osillons la demeur’ as trouvé,
L’hirondelle à l'abrit ses petiz a couvé.
Ou fais tu de ce temps, Roy de l'eternité,
Les autelz de la sainteté.
O qu’eureux àjamays est & sera celuy
Qui en Dieu seulement cherche le fort apuy,
Pour en luy cheminant passer avanturé
Des meuriers le val altéré.
D’un trés riche labeur les puis y cavera
Q’un dous ciel pluvieu sur le coup emplira
Pour marcher résolus d’ardeur & paffion
Content arriver en Sion.
Des Cieux, ton siege haut, escoute nous & fays
Ton serf portier heureux en ton heureux palays :
Mieulx vault la seule clef des cabinetz de Dieu
Qu’un hoftel riche en autre lieu.
Car Dieu, nostre secours est l'appui singulier

Des siens, c’est luy qui est un soleil, un bouclier !
C’est lui seul qui unit par son éternité
Les splendeurs à la seureté.
Ouy, nostre Empereur est fort bouclier, haut soleil,
Soit pour l’humble defendre, ou resveiller son œil,
Gloire & grace donner : bref trés heureux, je crois,
Quiconque est appuyé de toi !




Lecteur, pour m'excuser qu’est ce
Que je pourrois dire ? — Rien.
Si j’allègue ma jeunesse,
Tu diras : je le vois bien !

  1. Le manuscrit portant le titre de Primtems renferme : 1o l'Hécatombe à Diane préparée par d'Aubigné pour l'impression ; 2o des stances & des odes qui, d'après une table de la main de d'Aubigné, semblaient devoir composer un deuxième & un troisième livre ; 3o un grand nombre de pièces de tous genres que nous avons placées à la suite. Quelques-unes, plus particulièrement satiriques, ont été reportées au tome IV, à la suite des Tragiques & des Épigrammes.