Le Prince Maximilien

Le Prince Maximilien
Allard (p. 1-7).


LE PRINCE MAXIMILIEN.

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Un jour le prince, jeune encore,
Près de Zyrle s’en va chasser ;
L’impatience le dévore,
Lorsqu’il voit un daim roux passer.

Il pique aussitôt sa monture :
Dans les roches le daim s’enfuit,
Et, frappant du poing son armure,
Au galop le César le suit.

Pourtant la montagne est trop rude,
Le prince quitte son coursier,
Et, perdu dans la solitude,
Longe la crête d’un glacier ;

Le daim roux, franchissant les pentes,
Parfois sautille à petits pas.
Sachant que les roches géantes,
Certes, ne le trahiront pas.

Le César passe les bruyères ;
Voici les pins aux rameaux noirs,
Leur duvet recouvre les pierres ;
Ici, ni hameaux ni manoirs.

 
Un air glacé souffle et murmure,
Le César ferme son manteau :
Descends, prince, car la nature
Sourit sur le lointain côteau.

Ici le vent froid et le givre
Dans les yeux font perler des pleurs ;
Ah ! si l’homme est heureux de vivre,
C’est là-bas, où l’on voit des fleurs.

Suivant en vain la bête agile,
Le prince, qui se voit nargué,
Veut chercher un meilleur asile,
Car la course l’a fatigué.

Un moment encore il s’arrête :
Il regarde à l’entour de lui ;
Les sapins sont beaux sur sa tête,
Au ciel leurs troncs servent d’appui.

« Ô nature aux aspects sublimes !
Trop grande pour notre néant,
Pour admirer sans peur tes cimes,
Il faudrait le cœur d’un géant ! »

Et le prince alors veut descendre,
Un morne abîme est sous ses pieds :
Sonne du cor, on va t’entendre,
Appelle chasseurs et limiers !

Devant lui la roche se dresse,
À son côté gronde un torrent,
De toutes parts la mort le presse ;
Mais ranime ton cœur mourant :

Voici ta suite qui fourmille
De çà, de là, dans les rochers ;
On voit luire entre la charmille
Les longues lances des archers.

Mais Dieu même n’y peut rien faire !
D’eux, par un gouffre séparé,
Le César regarde la terre,
Son œil est sec, son cœur navré.

En sa pensée il se recueille :
« L’homme est le jouet de la mort,
Car la vie, ainsi qu’une feuille
Tombe au premier souffle du nord. »

Mais, pour en finir comme un homme,
Ses regrets, il les sait cacher ;
Lorsqu’on possède Vienne et Rome,
Il faut s’en aller sans broncher.

La foule s’afflige, au contraire,
Les larmes répondent aux cris,
Et les sanglots qu’elle profère
Font hurler tous les chiens surpris.

Deux jours entier le chagrin dure,
Le prince est toujours en danger ;
Ô Mort ! plus longue est ta blessure,
Plus tout nous semble mensonger !

La faim avide le tourmente,
Oh ! qu’il donnerait son duché
Pour le pain à pâte gluante
Là-bas par la meute léché !

Enfin, voyant venir son heure,
Il appelle tous ses valets :
« Amis, puisqu’il faut que je meure,
Mes beaux joyaux, partagez-les.

« Mon corps blanc sera pour les aigles ;
Mais il me faut un prêtre ici,
Car je veux mourir dans les règles,
Et du Christ obtenir merci. »

Déjà l’assistance est partie,
Elle revient lui ramenant
Un prêtre qui porte l’hostie
Sur un calice rayonnant :

« Mon fils, que ton âme soit forte ;
Bientôt la mort va te saisir,
Mais tu peux, du roc qui te porte,
Communier par le désir. »


Aussitôt, en face du prince
On dresse à la hâte un autel ;
Il n’a plus duché ni province,
Et pourtant son cœur est au ciel.

Du regard dévorant l’hostie,
S’il ne peut prendre d’aliments,
Il sent son âme anéantie
Se ranimer à tous moments.

On distingue sur son visage
Un avant-goût d’éternité ;
Il est maître de l’héritage
Trop tôt par Adam convoité.

À genoux, en cercle, la foule
Répond à ses accents pieux,
Et des lèvres de tous découle
Un chant qui monte jusqu’aux cieux.

La nature en silence assiste
À ce spectacle solennel,
Et les chiens, sans chercher la piste,
Font la garde autour de l’autel.

Dans les sapins le vent sommeille,
Sur les pics se tient le chamois,
Et la croassante corneille
Ne dit plus rien au fond des bois.


Soudain, franchissant la ravine,
Au prince un homme est apparu :
« Rends grâce à la bonté divine
Qui par ma main t’a secouru ! »

Il lui fait descendre la pente,
Franchir le gouffre sans trembler,
Et les valets, bouche béante,
N’osent s’approcher ni parler.

Seul, le prêtre, au César qui rêve,
Dit : « Ô mon fils ! songez-y bien,
Dieu frappe celui qu’il élève,
Mais lui rend bientôt son soutien.

» De la mort vous tombiez victime :
Ce n’est pas un être mortel
Qui vous a fait franchir l’abîme,
Je l’ai vu planer sur l’autel. »

Le prince rassemble sa troupe,
Car il a besoin de repos,
Et, prenant le saint prêtre en croupe :
« Ta province est libre d’impôts ;

» Mais de plus je veux que l’on creuse
Un sentier sur le roc ardu
Où mon âme, trois fois heureuse,
Vit l’ange du ciel descendu ;

» Et que chacun puisse à sa guise,
Aux flancs de l’abîme courir,
Et, d’un pied dédaigneux maîtrise,
La roche où j’ai failli mourir.

Au bas du granit qui surplombe
Je veux qu’on appelle un sculpteur,
Et qu’il y grave une colombe
Avec l’image du Sauveur. »

Au bout de trente jours l’aurore
Y brillait sur un Crucifix ;
Maintenant il existe encore,
Le vieillard en parle à ses fils.

Pour le voir il faudrait, agile,
Monter à cinq cents pieds du sol ;
Y croire est chose plus facile,
C’est à Zyrle, dans le Tyrol.

Thalès Bernard.