Le Premier exil de Mme de Staël

Le Premier exil de Mme de Staël
Revue des Deux Mondes5e période, tome 33 (p. 898-923).
LE PREMIER EXIL DE Mme DE STAËL

Le 6 prairial an III (lundi 25 mai 1795), Mme de Staël et un jeune Suisse de ses amis, nommé Benjamin Constant, faisaient leur entrée dans Paris. Ils venaient de Lausanne, d’où ils étaient partis le 26 floréal (15 mai), et avaient voyagé lentement à travers la France : les routes étaient défoncées, et il était difficile de se procurer des chevaux, qui semblaient avoir disparu, enlevés par le service des armées[1]. En se penchant à la portière de la chaise de poste, Mme de Staël et son compagnon aperçurent une charrette chargée de condamnés, que l’on menait à la guillotine : c’étaient dix-huit gendarmes, convaincus d’avoir abandonné, au 1er prairial, le poste de l’Arsenal, de s’être enfuis au « faubourg Antoine » et de s’être mêlés aux révoltés. On rappelait les souvenirs de cette terrible journée : la Convention envahie, le président Boissy d’Anglas menacé, Féraud massacré, sa tête sanglante portée au bout d’une pique ; mais, le 4 prairial, les troupes de la Convention, aidées des muscadins furieux, forçaient le faubourg, mettaient en fuite les rebelles, qu’une commission militaire jugeait, envoyait à l’échafaud. Paris affamé, manquant de pain, grâce aux lois du maximum, à l’hiver rigoureux[2] ; de longues files de femmes et d’enfans aux portes des boulangeries ; les assignats dépréciés ; le louis d’or oscillant, dans le seul mois de juin, de 500 à 1 000 livres ; la misère effroyable et l’extrême orgie ; le Palais-Égalité encombré d’agioteurs et de filles ; les tripots, les restaurans, les soupers froids, la bonne chère ; l’effronterie incroyable du luxe et de la parure ; une fureur, une frénésie de danse à Tivoli, Paphos, Idalie et aux « bals des Victimes ; » les théâtres regorgeant de spectateurs, de muscadins qui chantaient l’hymne antiterroriste à la mode, le Réveil du Peuple ; la Convention détestée des royalistes et des habitans des faubourgs, sommée d’abandonner un pouvoir tyrannique, redevenue semblable à une arène, où s’égorgent des gladiateurs : en germinal, Barrère, Collot-d’Herbois, Billaud-Varennes déportés ; en prairial, Romme, Goujon, Soubrany, Bourbotte, Duquesnoy, Duroy condamnés, périssant d’une mort héroïque ; en messidor, Joseph Lebon jugé, Fouché menacé ; les émigrés rentrant en foule ; les républicains égorgés à Lyon, Toulon, ; Marseille ; partout l’anarchie absolue, l’âpre désir de jouir, la soif de vengeance, l’égoïsme, la haine et la peur : tel était le spectacle que Paris et la France allaient offrir aux yeux de Mme de Staël. Nul tableau n’était plus intéressant aux yeux du moraliste ; nul n’était plus capable de décourager les partisans sincères de la république et de la liberté.

La liberté, Mme de Staël l’avait toujours aimée ; la république, elle s’y était ralliée depuis le 9 thermidor et la chute de Robespierre, en voyant s’établir en France un gouvernement modéré, ennemi de la Terreur. Elle avait fort scandalisé ses amis émigrés en Suisse, les Narbonne, les Montmorency, les Jaucourt[3], par ses déclarations républicaines ; et cette année même, quelques semaines avant son départ pour la France, au mois de février[4], elle avait publié, sans nom d’auteur, ses Réflexions sur la paix adressées à M. Pitt et aux Français, où elle conseillait à l’Angleterre et à l’Europe de reconnaître la République française, de faire la paix avec elle et de ne pas « s’épuiser dans une lutte rétrograde contre l’irrésistible progrès des lumières et de la raison. » D’ailleurs, elle ne reniait pas ses amis, les royalistes constitutionnels ; et, si elle rentrait en France, c’était avec l’espoir très vif et un peu chimérique de leur rouvrir les portes du pays et de les rallier au gouvernement, qui avait proscrit leurs personnes et confisqué leurs biens. On le savait à Paris, et le Comité de salut public, tenu au courant de ses agissemens en Suisse par notre ambassadeur Barthélémy, ne voyait pas, sans inquiétude, la présence d’une femme, dont il connaissait les grandes relations et l’esprit d’intrigue. Mais il était obligé d’user de ménagement envers elle à cause de M. de Staël, qui venait d’être accrédité auprès de la République en qualité d’ambassadeur extraordinaire du roi de Suède[5], et chargé de négocier un traité entre la Suède et la France. Mme de Staël, de son côté, entendait bien profiter de celle situation favorable : elle allait rouvrir son salon, comme aux jours glorieux de l’Assemblée Constituante, démêler les fils ténus de la politique, réconcilier l’ancienne France et la nouvelle, faire rayer de la liste des émigrés son père, M. Necker, et ses amis, caser ce jeune Benjamin Constant qui la suivait comme son ombre et méditait d’arriver, grâce à elle, aux plus hautes destinées. C’étaient là de bien grands projets. En vain M. Necker avait essayé de calmer son impatiente fille[6] ; l’orage s’était éloigné ; le ciel, plus pur, l’invitait à l’espérance ; elle arrivait, joyeuse dans cette France bouleversée, où les passions n’avaient point désarmé.

Elle était à peine installée à l’hôtel de l’ambassade de Suède, rue du Bac, qu’elle eut une surprise désagréable. Le 12 prairial (31 mai), un journal de Paris, les Nouvelles politiques nationales et étrangères, publiait une note rédigée en ces termes : « Mme de Staël est partie de Lausanne le 26 floréal (15 mai) ; elle fut le même soir à Yverdun, où elle a logé à l’auberge jusqu’au 28, elle a pris par Orbe la route de Paris. Je sais que le 16 au soir (sans doute le 16 mai), elle avait auprès d’elle Narbonne, Mathieu Montmorency et Jancourt ; Mme de la Châtre était aussi venue pour cette conférence. — Mme de Staël, à son départ pour la France, a eu encore à Yverdun un rendez-vous avec plusieurs émigrés, tels que Narbonne et autres. On assure que peu à peu tous les émigrés de cette classe, dispersés dans plusieurs pays, se réuniront au système d’un roi constitutionnel. »

Quel était l’auteur de cette note perfide ? Évidemment, ce n’était pas Suard, le propriétaire et le principal rédacteur des Nouvelles politiques : il avait fréquenté jadis le salon de Mme Necker, il était tout dévoué à M. Necker et à sa fille ; on connaissait ses opinions royalistes et, certes, il eût été le dernier à dénoncer dans son journal les entrevues de Mme de Staël avec ceux qu’on nommait les Constitutionnels. D’ailleurs les mots Article communiqué, qu’on lisait au bas de cette note, ne laissaient aucun doute sur sa véritable origine : cette lettre, écrite « des frontières de la Suisse, le 30 floréal, » était adressée par Barthélémy au Comité de salut public, et c’était le Comité qui, en guise d’avertissement, avait envoyé l’extrait au journal[7]. Mme de Staël était prévenue : on connaissait ses intrigues, on saurait les déjouer.

Le 15 prairial (3 juin), Mme de Staël riposte par une lettre « aux rédacteurs des Nouvelles politiques. » Sa défense est habile, éloquente. Elle ne nie pas ses relations avec les émigrés (comment les eût-elle niées ? ) ; mais elle n’a jamais tenu avec eux de « conférences politiques, » et, si elle est revenue en France, c’est tout simplement pour reprendre sa place auprès de M. de Staël[8]. Passant rapidement sur ces préliminaires, elle arrivait au véritable objet de sa lettre, c’est-à-dire à sa profession de foi politique ! « Je déclare, écrivait-elle, que je ne partage point le préjugé qui ferait tenir à telle forme de constitution par des considérations étrangères au bonheur et à la volonté de la nation qui l’adopte ; que je souhaite sincèrement l’établissement de la république française sur les bases sacrées de la justice et de l’humanité, parce qu’il m’est démontré que, dans les circonstances actuelles, le gouvernement républicain peut seul donner du repos et de la liberté à la France ; et, s’il faut s’abaisser dans un temps de trouble jusqu’à garantir son opinion par son intérêt, je demanderai si la femme d’un ambassadeur, qui s’est montré fortement attaché à la destinée de la France, peut former un désir contraire à la prospérité de la République. » Et elle concluait par une déclaration plus nette encore : « Je demanderai… s’il n’est pas enfin prouvé à tous les hommes qui ne vivent pas de soupçons nouveaux et de vieilles haines, qu’il n’y a plus en France, depuis la révolution du 9 thermidor, que deux partis dont on puisse compter l’influence : les amis d’une république juste et libre, auxquels tous les Français éclairés et patriotes veulent se rallier ; et les fauteurs d’une anarchie sanguinaire que tous les hommes doivent repousser. »

Quelques jours après (le 17 et le 19 prairial — 5 et 7 juin), un ami de Mme de Staël, Rœderer, directeur du Journal de Paris, revenait à la charge. A propos des Réflexions sur la paix adressées à M. Pitt et aux Français, parues à Paris depuis quinze jours, il faisait l’éloge de l’auteur, s’étonnait que Mme de Staël pût être, pour les Français, un sujet d’inquiétude : « Proclamer, exagérer le danger de sa présence nous paraît, disait-il, une offense à la majesté de la nation ! » Et à cette double question : Mme de Staël veut-elle la république ? Veut-elle la paix ? Il répondait : « Il nous a paru clairement qu’elle voulait l’une et l’autre[9]. »

Les déclarations de Mme de Staël, le certificat de Rœderer rassurèrent-ils le Comité de salut public ? Il est permis d’en douter, et sa méfiance s’accrut encore à l’égard de cette femme d’ambassadeur qui, à peine arrivée en France, sans tenir compte de la réserve que lui imposait la situation diplomatique de M. de Staël, affichait bruyamment ses opinions et se jetait dans la mêlée des partis. On croyait peu à son républicanisme de fraîche date ; on s’inquiétait de ses relations avec les émigrés et, dans le livre même que célébrait Rœderer, on remarquait un éloquent plaidoyer en faveur de ceux qu’on nommait alors les « fugitifs, » c’est-à-dire des émigrés qui n’avaient quitté la France que depuis le 2 septembre 1792 « pour se soustraire à la violation la plus barbare des droits sacrés de l’homme, » de la liberté et de la propriété[10]. Elle parlait, elle écrivait, elle faisait écrire en leur faveur ; elle les aidait à rentrer sous de faux noms, avec de faux papiers, elle les accueillait à l’hôtel de l’ambassade[11]. Son esprit était avec les républicains, mais son cœur était avec les royalistes. A la veille d’un changement de constitution, devant les progrès de la contre-révolution, l’audace des monarchistes, il était naturel que la Convention, que les Comités prissent ombrage de la présence à Paris de cette amie des émigrés, et plus d’un représentant répétait cette parole d’un agent de Barthélémy : « C’est une femme bien dangereuse[12]. »

Le grand sujet d’alarme, c’était le salon de Mme de Staël.

Jamais le pouvoir des femmes n’avait été aussi grand en France que depuis les dernières années de la monarchie expirante et au commencement de la Révolution ; à peine s’il y avait eu, sous la Terreur, une courte éclipse. C’était l’effet d’une longue tradition, d’abord, et de la vie de société, si active au XVIIIe siècle ; et d’autre part, quand l’ancien régime finit par se dissoudre, on se pressa autour du seul pouvoir qui subsistât encore, le pouvoir de la femme. L’instant le plus brillant de cette souveraineté avait été l’époque de l’assemblée Constituante et de la Législative. Un étranger, un Américain, Gouverneur Morris, s’étonnait de cette « puissance presque illimitée des femmes, » Mme de Staël, de Chastellux, de Tessé, de Flahaut, qui s’exerçait sur les affaires du gouvernement, et « peut-être pas toujours pour le plus grand bien de la communauté[13]. » Il était de mode de les consulter, de leur lire les discours qu’on devait prononcer à l’Assemblée[14] ; l’amie de l’orateur donnait son avis, changeait, améliorait des passages. Plus tard, en pleine Révolution, au mois de décembre 1792, le ministre Roland disait très sérieusement, devant Mme Roland, à Barras stupéfait : « Vous pouvez parler : ma femme n’est point étrangère aux affaires de mon ministère[15]. » Après le 9 thermidor, la société, un instant dispersée, se rassembla de nouveau, et la puissance des femmes recommença à se faire sentir. Il s’agissait de réparer les maux de la Terreur, d’obtenir des hommes politiques la radiation de la liste des émigrés d’un parent, d’un ami. Les « femmes les plus gracieuses de l’ancien régime[16] » entouraient, flattaient ces rudes conventionnels. La Révolution avait confondu tous les rangs ; le raffinement monarchique tempérait l’âpreté républicaine. Suivant le mot d’un témoin Thibeaudeau, c’était partout, en 1795, un tourbillon de dîners et de soirées : » à la Chaumière du Cours-la-Reine, chez Mme Tallien, « Notre-Dame de Bon Secours, » saluée, adorée comme une divinité pour sa beauté et l’influence bienfaisante qu’elle exerçait sur son mari ; chez Mme Rovère, une ancienne femme d’émigré, qui avait épousé le conventionnel Rovère, devenu un farouche « réacteur ; » chez Julie Talma, la femme du tragédien, où se rassemblait « une coterie, chaque jour plus puissante[17], » le parti républicain modéré avec Sieyès, son véritable chef, Marie-Joseph Chénier, Louvet, Guyomard, Bailleul ; chez Mme Devaines, qui recevait d’anciens constituans, des conventionnels, des gens de lettres ; dans les « salons dorés » où l’ancienne noblesse exerçait une « influence immense[18], chez Mmes de Navailles, de Corvoisin, de Beauharnais, de Montesson, la princesse de Poix. Mais, de tous ces salons, le plus fréquenté, le plus célèbre c’était celui de Mme de Staël.

Son caractère distinctif était d’être ouvert à tous les partis. Chaque décadi se réunissaient rue du Bac, à l’ambassade de Suède, des sociétés fort différentes : en premier lieu, le corps diplomatique, assez réduit, les ambassadeurs bataves Van Grasveld et de Sitter, l’envoyé de Prusse Cervinus, le comte Carlelti, ministre plénipotentiaire de Toscane, Monroë, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis, Reybaz, ministre de la république de Genève : tous étaient aux pieds de la Convention et conspiraient, plus ou moins, contre elle[19] ; — quelques membres de l’ancien Comité de salut public, échappés à la réaction, amenés par M. de Staël et assez mal reçus par sa femme ; — les membres du comité actuel, des grands comités de la convention, de la commission des Onze[20], les représentans les plus influens de l’Assemblée, que Mme de Staël pourchassait de lettres, d’invitations, de sollicitations de toutes sortes[21] : le sage et honnête Daunou, principal rédacteur de la future constitution ; l’inflexible Thibeaudeau, surnommé Barre-de-Fer ; Louvet, l’auteur de Faublas, caractère inquiet, soupçonneux, irritable ; Marie Joseph Chénier, nature de poète élevée, généreuse, mais « le plus ombrageux des conventionnels[22] ; » Sieyès, le métaphysicien de la Révolution, impénétrable et sibyllin, dur et tranchant dans la discussion, prudent à l’excès, circonvenu par Mme de Staël dont il se méfie ; Barras, qui avait commandé la force armée au 9 thermidor, gentilhomme d’allures élégantes et de mœurs faciles, traînant à sa suite un officier corse, de petite taille et de mine famélique[23] ; le girondin Isnard, corpulent et sanguin, à la voix puissante ; Lanjuinais et Boissy d’Anglas, qui inclinaient tous deux, disait-on, vers une monarchie limitée, l’un pétulant, avide de bruit et de prééminence, l’autre célèbre par son sang-froid, sa fermeté à la journée du 1er prairial ; — des personnages de moindre importance comme Devaines, jadis premier commis des finances sous Turgot, commissaire de la Trésorerie ; Colchen, qui, en mars 1795, avait succédé à Miot en qualité de commissaire aux Relations extérieures[24] ; des journalistes et des gens de lettres comme Rœderer, Suard, La Harpe, Lacretelle jeune, Adrien de Lezay-Marnesia, Riouffe, l’auteur des Mémoires d’un détenu pour servir à l’histoire de la tyrannie de Robespierre, applaudi, fêté dans les salons thermidoriens ; enfin Benjamin Constant, « de tous les muscadins le plus élégant[25], » au plus fort de sa passion pour Mme de Staël, ne quittant pas ce salon où défile sous ses yeux tout Paris, ce Paris qu’il rêve de conquérir.

Que résultait-il du mélange de tant d’élémens divers ? Beaucoup de défiance, peu de concorde. Chacun sortait de ces discussions mécontent, irrité, mais non pas convaincu, et les républicains sentaient redoubler leurs préventions contre cette femme qui avait des liaisons dans tous les partis, et une influence extraordinaire « dans les conseils, dans les bureaux, à la tribune même[26]. »

L’époque approchait, où la Convention allait se séparer ; on discutait alors le projet de constitution présenté par la commission des Onze. Un point préoccupait tous les esprits : la Convention allait-elle se survivre à elle-même, en faisant passer une partie de ses membres dans les nouveaux conseils ? Les royalistes étaient très acharnés contre une mesure, qui leur enlevait l’espoir d’avoir la majorité dans la prochaine assemblée et de renverser la république ; les conventionnels, au contraire, en étaient partisans, par souci de leur propre sécurité, par désir de conserver leur place, et dans la pensée très naturelle de maintenir les institutions qu’ils avaient fondées au prix de tant d’efforts, de crimes mêmes. Le 3 messidor (21 juin), Boissy d’Anglas déclarait à la tribune, au nom de la commission des Onze, que la Convention ne devait être renouvelée que par moitié, et l’assemblée paraissait disposée à aller plus loin encore que sa commission[27]. L’émoi fut vif dans le camp adverse. Mme de Staël, bien qu’elle se crût sincèrement républicaine et qu’elle tirât « bon parti des conventionnels pour la rentrée de ses amis[28], » manifestait « la plus vive indignation » à l’idée que ces mêmes conventionnels allaient se perpétuer au pouvoir. Sans réfléchir que les circonstances rendaient ce maintien nécessaire et qu’elle servait, en le combattant, les desseins de la contre-révolution, elle lança ses amis à l’attaque et, en particulier, Benjamin Constant.

Celui-ci brûlait de faire ses premières armes. Dès le jour de son arrivée à Paris, le 6 prairial, dans la candeur de sa foi républicaine, il datait son premier billet à la « citoyenne Nassau, » sa tante, de « l’an III de la République, une, indivisible et impérissable[29] ! » Persuadé que les républicains l’accueilleraient à bras ouverts, il avait couru chez Sieyès, muni d’une lettre de recommandation qu’Ælsner lui avait donnée à Berne ; Sieyès l’avait accueilli avec politesse, mais, depuis ce temps, le faisait surveiller[30]. Constant cherchait partout l’image de la liberté et ne la trouvait nulle part. Il avait beau écrire : « On veut l’ordre, la paix et la république, et on l’aura[31] ! » Le spectacle qu’offrait Paris, la contre-révolution s’étalant dans les cafés, les théâtres, les salons mondains, les sections, les journaux, donnaient à ses illusions un cruel démenti. Il était assidu aux séances de la Convention ; mais, au lieu de cette grande assemblée, dont l’énergie avait étonné le monde, il voyait avec stupeur des furieux qui s’invectivaient, des accusés pâles, couverts de sueur, se promenant d’un bout à l’autre de la tribune, sans pouvoir se faire entendre et dire une seule fois à ces « oppresseurs frénétiques déguisés en juges, » qu’ils n’avaient été jadis que les dociles exécuteurs de leurs sentences[32]. Au milieu de cette anarchie mortelle naissait la Constitution. Où était la liberté ? Nul ne paraissait s’en soucier, et les conventionnels semblaient plus préoccupés d’assurer leur sort que de fonder la république. Mme de Staël n’eut donc pas de peine à faire partager à Constant ses propres idées : il fallait que le peuple consulté exprimât librement ses suffrages ; et, répondant aux secrètes pensées de son ami, elle l’invita à prendre la plume et à combattre le projet de la Convention. Constant saisit l’occasion avec joie. Le 6, le 7 et le 8 messidor (24, 25, 26 juin) paraissaient dans le journal de Suard, les Nouvelles politiques, trois lettres, non signées, « à un député à la Convention. » L’auteur y discutait avec une logique serrée, une éloquence nerveuse et sarcastique, la mesure qui établissait pour une partie des membres de la Convention « le plus étrange des privilèges et les plaçait de droit, ou, pour mieux dire, de force au rang des représentans de la nation. » Il passait en revue tous les sophismes par lesquels on prétendait la justifier ; la nécessité de protéger la nation contre ses propres égaremens, l’imprudence commise en 1791 par l’Assemblée Constituante, la propre sûreté des conventionnels, le projet de faire ratifier cette prolongation de pouvoirs par le peuple en l’inscrivant à la suite de la Constitution ; et il concluait par ce dilemme ! « Vous avez à choisir en ce moment entre deux partis décisifs. La route de la sûreté, c’est le courage ; la crainte court à sa perte par le déshonneur[33]. »

Le succès des Lettres à un député fut très vif, dépassa même les espérances de l’auteur. Il croyait faire œuvre de républicain : on le prit pour un monarchiste. Tout le désignait à l’attention des royalistes, le sujet traité, le choix du journal. Les salons dorés lui « sautèrent au col ; » la princesse de Poix demanda à le voir ; une députation royaliste se présenta dans son logement de la rue du Colombier, l’invita à coopérer au l’établissement de la monarchie. Les républicains, en revanche, étaient fort mécontens. L’irascible Louvet, alors président de la Convention, tança vertement « l’intrigant » dans son journal, la Sentinelle (10, 11 et 12 messidor, — 28, 29, 30 juin) : il affirmait, avec les argumens d’usage, que le sort de la république était étroitement lié à celui des conventionnels, que ceux-ci périraient ou seraient sauvés avec elle. Louvet, qui était en relations avec Mme de Staël et Constant, ignorait-il qui avait inspiré, qui avait écrit les trois lettres ? Constant l’affirme[34]. Le fait est peu vraisemblable. Comment supposer qu’un secret, connu d’une moitié de Paris, n’ait jamais transpiré dans l’autre ! Il est plus probable que Louvet devina d’où venait le coup et que Constant n’eût plus qu’une idée : réparer sa maladresse à tout prix. Mme de Staël, mieux éclairée, ne fut pas la dernière à l’y engager. La Convention, malgré les clameurs de ses adversaires, avait décidé que les deux tiers de ses membres actuels seraient maintenus dans le nouveau corps législatif. Il s’agissait de savoir comment se ferait cette réduction : serait-ce par la voie du sort, par les démissions volontaires, par le choix du corps électoral ou par l’assemblée elle-même ? Louvet penchait pour ce dernier moyen, qui, d’ailleurs, ne fut pas adopté. Il proposait Constant de lui faire son discours. Celui-ci, qui n’attendait qu’une occasion de rentrer en grâce, accepta avec empressement : « Nous nous mîmes à l’ouvrage, dit-il, et nous passâmes deux jours et deux nuits à me réfuter ! » Le 3 et le 4 fructidor, Louvet prononça son discours qui, sauf une phrase malencontreuse, fut assez applaudi, et Benjamin, du fond d’une tribune, put savourer son éloquence[35].

On ne s’étonnera guère de cette prompte volte-face : elle prépare, elle annonce celle des Cent jours, qui est beaucoup plus célèbre ; mais celle-ci est en germe dans l’autre. Il y avait dans Constant, — qui donc le nierait ? — un ambitieux dépourvu de scrupules, aiguillonné à la fois par la femme qu’il aimait, par le spectacle d’une grande Révolution, la perspective d’une carrière ouverte à sa merveilleuse intelligence. Mais c’était aussi un esprit d’une mobilité extrême, d’une rare inconstance, dont il lui arrivait de plaisanter lui-même : Sola inconstant in constans ! Il aimait sincèrement la république, il l’aimait à cette époque avec naïveté, avec candeur. Il était sincère en écrivant ses trois lettres, en s’indignant d’un privilège exorbitant, que pouvait justifier la raison politique, que repoussaient en lui le sentiment intime et l’amour juvénile de la liberté. Il était sincère aussi dans sa conversion ; il s’était vu applaudi des royalistes qu’il méprisait, honni des républicains qui avaient toutes ses sympathies ; et sollicité par l’ambition, poussé par Mme de Staël, sans mauvaise foi comme sans vergogne, il avait fait volte face. En agissant ainsi, il avait montré une parfaite sincérité envers lui-même, beaucoup d’audace et un profond mépris, qu’on lui a bien rendu, de l’opinion et des hommes.

Cependant que faisait Mme de Staël ? Elle était à la fois toute à la République et à ses chers émigrés. Elle ne perdait pas une occasion d’afficher ses sympathies envers le parti républicain. Le jour même où l’on apprenait la mort du Dauphin au Temple, elle assistait avec son mari « vrai sans-culotte[36] » à une fête somptueuse donnée par le ministre de Toscane, le comte Carletti. Elle se montrait à toutes les grandes séances de la Convention[37] ; mais, en même temps, secrètement, elle travaillait de tout son pouvoir au retour des émigrés. Cette pensée lui tenait à cœur, flattait sa passion maîtresse, la pitié. D’autre part, Mme de Staël était bien persuadée que la république ne s’établirait en France que par l’ascendant des hommes modérés, et elle avait projeté de substituer ses amis, les constitutionnels, aux « hommes de sang, » plus ou moins souillés des crimes de la Révolution. Enfin, sans qu’elle s’en rendît bien compte, peut-être, elle cédait au goût très vif, qu’elle avait toujours eu pour les hommes de l’ancienne société et de l’ancienne cour, leurs manières élégantes, leur esprit, leur savoir-vivre : la pensée qu’un Louvet, un Thibeaudeau tenaient la place d’un Narbonne, d’un Montmorency, d’un Talleyrand, lui était insupportable. Bref, elle aimait la république, mais avec les monarchistes.

La situation, il faut l’avouer, était dangereuse pour la Convention. Chaque jour, les émigrés rentraient par toutes les frontières ; le parti constitutionnel gagnait « en force et en influence[38]. » Déjà Mme de Staël avait rappelé auprès d’elle, en thermidor (août 1795), son ami Mathieu de Montmorency ; on annonçait qu’il serait suivi « de plusieurs de ses compagnons d’exil[39]. » La brochure de Rœderer Des fugitifs français et des émigrés venait de paraître, suivie de près par celle de l’Espagnol Marchena intitulée Quelques réflexions sur les fugitifs français depuis le 2 septembre ; Marchena demandait, comme Mme de Staël, qu’on fit des constitutionnels les « pierres angulaires de l’édifice républicain[40]. »

Cependant Paris était rempli d’intrigans, étrangers suspects, émissaires royalistes, agens des princes et de l’Angleterre ; tout ce monde conspirait, tenait des assemblées secrètes jusque a chez les ministres des puissances étrangères[41] ; » diplomates, académiciens, femmes du monde, « vieux feuillans » tripotaient la radiation des émigrés[42]. On n’osait encore attaquer de face la Convention ; mais on ourdissait, on resserrait autour d’elle un vaste filet d’intrigues. Il était bien évident, pour tout observateur sensé, qu’on allait « de biais » au royalisme ; on n’attendait, pour se déclarer, que le moment favorable.

La Convention, ainsi menacée, songe à se défendre. Déjà Louvet, à une réunion chez Formalaguez, parlait de réarmer les terroristes[43]. Le 23 messidor (11 juillet), la Convention adopte un décret, qui expulse de France les étrangers nés dans un pays avec lequel la République est en guerre. Le 3 thermidor, survient l’affaire de Quiberon, la défaite des émigrés ; le 9 thermidor, le rapport de Tallien à la Convention : le Comité de salut public ordonne d’appliquer les lois ; les émigrés pris les armes à la main sont fusillés. Le 1er fructidor (18 août), sur la proposition de son Comité de Sûreté générale, la Convention décrète que tout individu prévenu d’émigration devra sortir de Paris, se retirer dans sa commune et y rester sous la surveillance de la municipalité. Ce même jour, à la même séance, a lieu un grand éclat : Mme de Staël est dénoncée publiquement à la tribune de la Convention.

C’est le député Legendre, homme sans éducation, mais républicain courageux et sincère, orateur violent et passionné, qui dirige l’attaque. A propos du décret proposé par le Comité de Sûreté générale, il prend la parole en ces termes : « Oui, citoyens, il n’est que trop vrai que les émigrés rentrent de toutes parts… On m’assure que Malonet, Jaucourt et beaucoup d’autres de celle espèce sont à Paris. Ils y sont rappelés par l’influence de leur plus grande protectrice, qui, après avoir répandu à l’étranger un écrit en leur faveur [44], est passée de Suisse à Paris pour consommer apparemment son ouvrage… Je dirai plus, car je ne puis rien garder sur mon cœur : je connais des membres estimables du gouvernement, dont j’honore les principes et les intentions, qui ont eu la faiblesse d’aller dîner chez cette correspondante des émigrés. Quand ils auraient juré d’être incorruptibles, me répondront-ils d’être sourds aux séductions de ces sirènes enchanteresses ? Que les représentans du peuple dînent en famille, qu’ils dînent avec leurs collègues et leurs amis, mais qu’ils fuient ces banquets, où l’on cherche à les corrompre. Il n’est pas un membre de cette assemblée, qui n’ait reçu des invitations fréquentes d’aller chez cette femme, dont je me défie ; j’en ai reçu moi-même, ainsi que mon collègue Dumont.[45], et plusieurs autres. Sachons résister à toutes les séductions, conservons le gage de nos assignais, et que les membres du gouvernement se souviennent que la patrie doit passer avant tout, et qu’ils ne doivent se livrer aux embrassemens de leurs amis qu’après avoir consolidé la liberté. »

Un tonnerre d’applaudissemens accueille ces paroles. M. de Staël, qui, de la tribune diplomatique assistait à la séance, sort de la salle.

Une attaque aussi personnelle nous étonne, surtout quand il s’agit d’une femme. Mais ce procédé, peu courtois, était conforme aux mœurs révolutionnaires. Déjà trois ans auparavant, en septembre 1792, Mme de Staël avait été dénoncée, injuriée à la Société des Jacobins pour avoir procuré un passe-port à Narbonne[46] ; et, cette même année 1795, le 2 janvier, le député Duhem faisait à la tribune de la Convention une violente sortie contre Mme Tallien. Mais il s’agissait cette fois d’une insulte faîte à la femme d’un ambassadeur d’une puissance amie et alliée ; les journaux protestèrent[47]et le corps diplomatique s’émut. Des ambassadeurs et ministres étrangers se réunirent, et l’on agita la question de savoir si l’on adresserait au gouvernement français des représentations officielles. Finalement on résolut « d’ensevelir dans l’oubli cette pitoyable scène. » Il est probable cependant que M. de Staël se plaignit officieusement au Comité de salut public. Ce diplomate se trouvait dans une situation singulière : il désirait ardemment ne plus être entravé dans sa carrière, et sa femme ne cessait de le compromettre ; il connaissait le caractère ombrageux et susceptible des membres du Comité de salut public, avec lequel il avait entamé les négociations longues et délicates, qui devaient aboutir au traité du 28 fructidor, et il souhaitait qu’aucun incident ne vint troubler la bonne harmonie entre la Suède et la France. D’autre part, le Comité de salut public savait gré à l’ambassadeur de Suède de sa modération et de sa courtoisie, mais il était également persuadé qu’il ne pouvait lui rendre de plus grand service qu’en éloignant Mme de Staël. Il insinua donc à M. de Staël, comme il le lui avait insinué dès le mois de juin[48], qu’il ferait bien de conseiller à sa femme un séjour à la campagne. Cette fois, l’invitation était pressante ; il fallait y déférer. Mais Mme de Staël ne se tient pas pour battue, avant de partir, elle enlève, de haute lutte, le rappel de son « aimable », son a excellent ami[49] », que la barbarie des Anglais a relégué en Amérique, Charles-Maurice Talleyrand-Périgord.

L’affaire est délicate. La Convention est très irritée contre les émigrés. Le 5 fructidor (22 août), Legendre, revenant à la charge à propos de la brochure de Rœderer, s’écrie au milieu des applaudissemens de l’assemblée : « Souvenez-vous qu’il faut que la république serve de tombeau aux émigrés, si jamais ils rentrent sur son territoire[50] ! » Le 13 fructidor (30 août), sur la proposition de Bourdon de l’Oise et de Tallien, malgré l’intervention de Lanjuinais, la Convention décrète la suspension des radiations provisoires. Mais rien ne décourage Mme de Staël. Elle a « monté la tête de Chénier[51], » qui présidait, il y a peu de jours, la Convention ; elle veut le rappel de Talleyrand et elle l’aura. On commence par discuter le cas du général Montesquiou. Mais l’affaire de Montesquieu ne sert qu’à masquer celle de Talleyrand, à préparer l’opinion : si Montesquiou échoue, Tallyrand attendra ; sinon, il passera par la brèche. Le 17 fructidor, après un débat orageux, Montesquiou est autorisé à rentrer en France. Le 18, Chénier fait son rapport sur la pétition de Talleyrand, prouve, ce qui est vrai, qu’il n’a point émigré, qu’il est sorti de France avec une mission du gouvernement et des papiers en règle. « Je réclame, s’écrie-t-il, Talleyrand-Périgord au nom de ses vertus et de son patriotisme, au nom de votre haine pour les émigrés, dont il serait la victime comme tous les autres républicains !… Républicain par âme et par principes, ce fut au sein d’une république qu’il porta ses pas ; c’est dans la patrie de Franklin qu’il a attendu que la France eût des juges et non des bourreaux[52] ! » En vain Legendre demande l’ajournement ; Boissy d’Anglas s’écrie : « On n’ajourne pas la justice ! » Le rappel est voté au milieu des applaudissemens de l’assemblée.

Mme de Staël triomphait. Elle avait, au péril de sa sécurité, de son repos, préparé le retour de l’ami qui lui était cher ; elle devait, deux ans plus tard, lui ouvrir le chemin d’une haute fortune, sans penser un instant qu’il pût jamais reconnaître tant de bienfaits par un complet oubli et la plus noire ingratitude.

Satisfaite alors, elle quitte Paris dans les premiers jours de septembre ; elle se retire à la campagne, à Saint-Gratien, chez Mathieu de Montmorency, avec Benjamin Constant[53]. C’est le moment où les assemblées primaires se réunissent (20 fructidor — 6 septembre), où Paris devient bruyant ; elle feint de donner satisfaction au Comité de salut public. Mais Saint-Gratien n’est guère qu’à trois lieues de Paris, et elle continue ses dîners, ses réceptions à l’ambassade de Suède, comme par le passé[54]. En même temps, au fond de sa retraite, elle corrige les épreuves d’un petit ouvrage, écrit avec toute son âme, tout son cœur, qui est imprimé, prêt à paraître en vendémiaire, mais qu’elle ne publiera pas, parce que la marche rapide des événemens le rendra inutile : ce sont les Réflexions sur la paix intérieure[55]. Ces pages méritent qu’on s’y arrête : elles font date dans l’histoire des idées politiques de Mme de Staël et du parti républicain en France.

La grande pensée de ce petit livre, c’est l’appel à la concorde, à l’union de tous les citoyens, « projet presque puéril » aux yeux des profonds politiques ; mais les « Français rapprennent toutes les pensées, elles ont reçu le sacre du malheur, et c’est avec une sorte d’enthousiasme qu’on dit ce qui a toujours été vrai, tant on se trouve heureux de revenir à le croire et de pouvoir l’exprimer. » Il s’agit d’écarter ce qui peut diviser, de rechercher ce qui doit unir. Or, tout montre chez les Français une volonté générale d’établir la liberté : la haine du despotisme, l’enthousiasme de la république, la crainte des vengeances, l’ambition des talens ; c’est l’opinion qui réunit « le plus grand nombre de Français. » C’est donc à la liberté qu’il faut se rallier. Mais comment l’établir ? Elle a deux sortes d’ennemis : d’une part, les défenseurs de la monarchie absolue, ceux qui s’unissent à l’étranger pour combattre la France : « Ils sont étrangers ; qu’ils soient combattus et traités comme tels ! » D’autre part, les sectaires de la tyrannie démagogique, les terroristes. Restent alors les « royalistes amis de la liberté » et les ce républicains amis de l’ordre. » Ce sont les deux partis, vers lesquels se tourne Mme de Staël ; ce sont eux qu’elle supplie d’abdiquer leurs méfiances, leurs rancunes, pour s’unir et fonder la vraie liberté.

En premier lieu, elle s’adresse aux royalistes constitutionnels[56]. Il était naturel, en 1789, de vouloir établir la monarchie limitée ; la république était impossible. Mais, en 1795, les circonstances s’opposent au l’établissement de la royauté. Où prendre un roi depuis la mort de Louis XVI « qui ne se soit montré l’ennemi de la liberté ? » Comment traiter avec lui ? Comment croire à ses promesses ? Peut-il renier son parti, laisser à la frontière ses plus zélés défenseurs ? Mais, dira-ton, ne peut-on choisir un roi, qui n’ait rien de commun avec les émigrés ? — « En général, remarque judicieusement Mme de Staël, il n’y a dans les passions des hommes que de quoi faire deux partis[57]. » Ces partisans d’une nouvelle dynastie verront s’unir contre eux tous les républicains et tous les royalistes non constitutionnels. La force, dont il faudrait user pour renverser les républicains, mènerait tout droit au pouvoir absolu ; les émigrés seraient les maîtres, et l’homme redevenu roi aurait un « pouvoir inouï depuis des siècles. » « La France peut s’arrêter dans la république ; mais pour arriver à la monarchie mixte, il faut passer par le gouvernement militaire[58]. » Paroles vraiment prophétiques, dont Mme de Staël n’a peut-être pas senti toute la portée et que l’avenir devait se charger de justifier.

Puisqu’il n’existe pour les constitutionnels aucun moyen de s’opposer à la violente réaction, qui suivrait en France le l’établissement de la royauté, il faut qu’ils « se jettent dans le courant, » qui les rapprochera de leur but le plus possible. Ceux qui s’isolent servent l’ennemi commun, sans faire triompher leurs propres idées. Le vrai génie politique consiste non pas à créer la nature des choses, mais à « s’en emparer les premiers. » Que sert la vaine fixité des principes, quand elle conduit à des résultats opposés à nos vœux ?

Donc, il faut que les constitutionnels se rallient sincèrement à la république ; les circonstances l’exigent et aucun de leurs principes ne s’y oppose. Il serait dangereux de mettre entre les mains d’un seul homme, le roi, le droit de commander à des armées considérables, comme celles qui sont actuellement nécessaires à la sécurité de la nation. Il serait impossible d’établir en France une autre autorité que celle qui résulte « de la propriété et des lumières » la seule qui soutienne « l’analyse de la raison. » Il est nécessaire de faire l’essai loyal de la république, qui, seule, peut donner « un résultat certain sur la nature même de ce gouvernement. » Mais surtout, il ne faut pas que les royalistes abandonnent la république à elle-même, à l’ascendant des partis violens. La Convention est « naturellement révolutionnaire ; » c’est miracle que la commission, issue d’une telle assemblée, ait pu présenter, faire applaudir « des idées plus saines en gouvernement que celles qu’on avait adoptées dans la première assemblée de l’Univers, l’Assemblée Constituante. » Mais que les sages citoyens se hâtent, s’ils se mettaient à l’écart de la république, ils appelleraient « la Terreur plutôt que la royauté. » Et, dans une invocation émue, vraiment éloquente, Mme de Staël adressait à ses amis, les constitutionnels, ce suprême appel en faveur de la liberté : « Mais vous, à qui il est ordonné de penser, puisque vous professez l’amour de la liberté ; vous qui avez fait les premiers pas dans cette carrière, devenue trop fatale, s’il ne restait de vos efforts que des ruines et des massacres, en vain auriez-vous travaillé vous-mêmes à rétablir l’autorité royale. Ce sang versé seulement pour honorer le retour du despotisme, retomberait sur vos innocentes têtes. Pardonnez, si l’on vous le rappelle, vous dont les intentions étaient si différentes des horribles effets, dont vous avez été les premières victimes. Pardonnez, si l’on vous le rappelle, sans vous il n’aurait pas existé de révolution ; il faut que la liberté survive à cette terrible époque, pour que vous soyez, non pas heureux, trop de douleurs sont jetées dans votre vie, mais présentés à l’estime des nations, comme les premiers défenseurs humains et justes des principes qui seront alors observés[59]. »

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Mme de Staël s’adresse aux « républicains amis de l’ordre ; » elle leur montre la nécessité de s’attacher les hommes de 1789, les constitutionnels. Comme les républicains, les constitutionnels soutiennent la division du corps législatif, l’indépendance de l’exécutif, la condition de propriété. Il n’y a qu’une idée par où ils se séparent des républicains, la royauté héréditaire. Ils doivent y renoncer ; mais que, de leur côté, les républicains amis de l’ordre renoncent à s’appuyer sur les démocrates et n’accordent les seuls droits politiques qu’à la propriété. C’est en dehors de leur parti que ces républicains peuvent recruter d’utiles alliés. La République a besoin de citoyens purs, dont les mains ne soient point souillées du sang des victimes. « Depuis que la République est proclamée, tant de juges, d’assassins, de témoins et de bourreaux ont crié Vive la République ! que ses vrais défenseurs doivent sentir le besoin d’acquérir de nouveaux partisans. » Il faut écarter « ces coupables de trois années » qui, semblables à lady Macbeth ne peuvent effacer de leurs mains la tache sanglante[60] ; » il faut repeupler la France d’hommes distingués par leurs talens et leurs vertus : « Quel désert pour la gloire que notre malheureuse patrie !… Découvrez, rendez-nous le plaisir de l’admiration ! Il y a trop longtemps que, dans la carrière du beau, l’homme n’a étonné l’homme ; il y a trop longtemps que l’âme froissée n’éprouve plus la seule jouissance de la vertu sur cette triste terre, cet abandon complet d’enthousiasme, cette émotion intellectuelle, qui vous fait connaître, par la gloire d’un autre tout ce que vous avez vous-même des facultés pour juger et pour sentir. »

Il faut calmer et consoler[61] : C’est sur cette noble pensée que se termine l’ouvrage. L’effroi des malheurs passés, la vive appréhension de nouvelles douleurs, l’amour de la France, « cette vraie patrie des âmes passionnées, » tels sont les sentimens qui ont inspiré Mme de Staël. Plus encore qu’à son esprit, ce livre appartient à son cœur.

Il ne fut pas publié ; il était trop tard pour qu’il pût l’être[62]. Mais l’eût-il été deux mois plus tôt, qu’il n’eût rien changé à la marche fatale des événemens. Il ne suffit pas, en temps de révolution, de prêcher la concorde et la paix ; il faut compter avec les passions des hommes : l’esprit de parti, la mauvaise foi, le désir de vengeance. En 1795, rouvrir toutes grandes les portes de la France aux émigrés « constitutionnels, » introduire dans la république tant d’hommes aigris par l’infortune, ce n’était pas, comme le pensait Mme de Staël, fonder la liberté, c’était préparer le retour de la monarchie avec toutes ses violences. Le sort de la république était lié à celui de la Convention ; il fallait en prendre son parti, ne point se hâter, attendre l’avenir. Il est une belle et profonde parole, que le père de Mme de Staël, M. Necker, adressait aux États-Généraux, le jour de l’ouverture de l’Assemblée : « Ne soyez pas envieux du temps ! »

Elle eût bien fait de s’en souvenir.

Cependant, à Paris, l’agitation est extrême. Les royalistes dirigent le mouvement dans l’ombre ; les intrigans, les ambitieux, les naïfs, la bourgeoisie parisienne, tous ceux qui détestent la Convention, les suivent. On s’insurge contre les fameux décrets des 5 et 13 fructidor ; les assemblées primaires « retentissent de motions incendiaires[63]. » C’est le moment que choisit Mme de Staël pour adresser à ses amis un dernier appel : elle a vu le danger qui la menace, elle veut le prévenir.

Dans les derniers jours de fructidor, elle accourt à Paris. Elle donne un grand dîner, auquel elle invite les meneurs du mouvement, les orateurs les plus fougueux des sections, de la section Le Pelletier surtout, qui est l’âme de la résistance ; Castellane, président de la section, Suard, l’abbé Morellet, Dupont de Nemours, le fougueux La Harpe, converti au christianisme, auteur d’une brochure intitulée Le Salut public, ou la Vérité dite à la Convention par un homme libre[64], le beau et noble Adrien de Lezay-Marnesia, Quatremère de Quincy, et ce jeune et ardent Lacretelle, qui a pris la parole à la barre de la Convention le 11 fructidor, qui est le collaborateur dévoué de Suard aux Nouvelles politiques, et dont Mme de Staël a plus d’une fois inspiré les articles : elle lui a témoigné le désir de lui parler, de le voir, et il accourt à son appel[65]. Tout ce monde aspire à rétablir la royauté et se soucie fort peu de la république. Le diner est silencieux ; chacun s’observe. Mais enfin la « sibylle » cède au dieu qui l’oppresse : l’ardent amour de la liberté, l’intérêt qu’elle porte à ses amis, la pensée de nouveaux malheurs, de nouveaux supplices, enflamment son beau regard, donnent à sa voix un accent prophétique. Nécessité de finir la Révolution, souveraineté du peuple, pouvoir de l’opinion, tous ces sophismes dont retentit chaque jour la tribune des sections, elle les perce de son ironie, de ses sarcasmes.

« Vous parlez, Messieurs, d’en finir avec la Révolution, et vous prenez la meilleure marche pour la recommencer. Avez-vous affaire à des hommes tout prêts à vous céder la place ? Ces disciples de Danton, ces vieux Cordeliers ne voient-ils pas qu’il s’agit ici, pour eux, de vie ou de mort ? Ils vous combattront avec un pouvoir absolu qu’ils gardent encore, et avec îles armes que vous ne connaissez pas, celles des révolutionnaires. Vous êtes bien neufs à parler souveraineté du peuple ! Vous bégayez une langue qu’ils connaissent mieux que vous et qu’ils ont fabriquée pour leur usage ! » Point de doute : il faudra en appeler aux armes. « Ne voyez-vous pas ces régimens qui bordent vos murs ? » — « Mais, dit-on, comme au 10 août, les troupes fraterniseront avec les citoyens et ne tireront point sur eux ! » — « Croyez-vous, s’écrie Mme de Staël, qu’il sera difficile à la Convention de vous représenter aux soldats comme les émissaires des rois qu’ils ont vaincus !… Je ne vois que du sang, et le sang de mes amis inutilement versé ! » La Harpe s’indigne : « L’opinion est pour nous ! » Et elle lui lance cette foudroyante réplique : « Je demande à M. de La Harpe de quel calibre sont les canons de l’opinion publique ! » Et le supplie ses amis de garder, de ménager cet ascendant de l’opinion, qui renversera, mais par degrés, les lois révolutionnaires, de craindre avant tout la défaite ; et comme, à ce mot, l’auditoire s’irrite : « Je craindrais, s’écria-t-elle, votre victoire même !… Ignorez-vous que beaucoup de royalistes marchent dans vos rangs ?… Vous allez rallumer tous les feux de la guerre civile ! »

Nulle scène n’est plus capable de nous donner une juste idée de l’éloquence de Mme de Staël, dont ses écrits ne sont que la pâle image : trente ans plus tard, elle vit encore dans l’esprit du témoin qui nous en a laissé le souvenir. Nulle aussi ne montre mieux l’équivoque dont elle souffre, le conflit entre ses affections et ses principes : suspecte aux républicains pour ses relations avec les royalistes, haïe des royalistes pour ses idées républicaines, elle erre sans cesse entre les deux partis, agitant vainement le rameau d’olivier. Le résultat fut contraire à ses espérances ; les républicains se crurent trahis par elle, et les royalistes lui surent mauvais gré d’avoir prophétisé leur défaite.

On connaît la suite des événemens : Barras, nommé général en chef de l’armée de l’intérieur, les sections foudroyées au cul-de-sac Dauphin par l’artillerie de Bonaparte, la Convention victorieuse. Pendant que les représentans attendaient dans le plus profond silence l’issue du combat, la loge des ambassadeurs s’ouvrit, et l’on vit paraître M. de Staël, solennel, le sabre au côté, comme s’il se fût armé pour la défense de l’Assemblée. Cette manifestation théâtrale produisit une impression profonde et, quelques semaines plus tard, à la réception du corps diplomatique, le Directoire remerciait publiquement l’ambassadeur de Suède[66].

Mais si l’on savait gré à M. de Staël de son zèle, on redoutait toujours les intrigues de sa femme. On n’ignorait pas qu’elle allait et venait de Saint-Gratien à Paris, qu’elle recevait à sa table tous les partis :


Staël à tous les partis commande en souveraine ;
Toutes les factions assistent à sa cour ;
Chez elle, on voit s’assembler nuit et jour
Le Centre, le Marais, la Montagne et la Plaine…[67].


Après le coup d’État du 13 vendémiaire, elle est au désespoir. Elle profite de ce que les barrières, de Paris restent ouvertes, accueille les proscrits, cache à Saint-Gratien Lezay-Marnesia poursuivi. Elle intervient de la laçon la plus pressante auprès de Daunou, empêche Lacretelle de passer devant le conseil de guerre[68]. Mais enfin le Comité de salut public perd patience : manifestement, Mme de Staël compromet son caractère de femme d’ambassadeur. Le 15 vendémiaire (7 octobre), Lakanal propose à la Convention d’établir dans Paris une « police terrible, » de reconduire aux frontières tous ceux qui ne veulent pas de république. Le 23 (15 octobre), sur la proposition de Tullien, la Convention se forme en comité général pour connaître les noms des chefs de la conspiration : Mme de Staël est accusée à la tribune d’avoir « dirigé le mouvement des sections[69]. » Cette accusation est ridicule et fausse : Mme de Staël a tout fait, au contraire, pour détourner ses amis de prendre les armes. Mais on veut se débarrasser d’elle. Donc ce même jour, 23 vendémiaire, le Comité de salut public prend un arrêté, qui lui ordonne de sortir de France dans un délai de dix jours ; l’arrêté est envoyé à M. de Staël.

Ce diplomate est fort perplexe : le régent de Suède se plaint que la France ne paye pas les subsides promis, et sa femme le brouille, encore une fois, avec la République. Il se rend au Comité du salut public, se plaint mollement et avec embarras d’une mesure « contraire au droit des gens. » Staël parti, Boissy d’Anglas fait remarquer à ses collègues qu’il faut ménager le prince régent et l’alliance suédoise, que M. de Staël tient à son ambassade beaucoup plus qu’à sa femme, qu’il aimera mieux garder l’une et renvoyer l’autre. Cet argument persuade le Comité, jet l’on se met d’accord pour déchirer l’arrêté et autoriser la section des relations extérieures à arranger l’affaire. Il est convenu que Mme de Staël restera quelque temps à la campagne ; ensuite, les apparences étant sauves, elle pourra quitter la France.

Mais Mme de Staël est peu pressée de partir : elle espère que le gouvernement, de guerre lasse, fermera les yeux sur sa présence. Le Directoire va succéder à la Convention ; elle a parmi les Directeurs un ami, Barras, et elle compte s’en servir. D’autre part, son père, M. Necker, lui écrit de Suisse que sa déférence et celle de M. de Staël aux invitations pressantes du Comité de salut public lui paraissent « entachées de faiblesse[70]. » Aussi, dans les derniers jours de brumaire (vers le 15 novembre), elle est de retour à Paris. Mais aussitôt elle est signalée, surveillée par la Commission de police administrative d’abord, puis par le Bureau central qui la remplace (13 frimaire an IV). La contre-révolution n’a point désarmé : les émigrés abondent à Paris, rôdent autour de l’ambassade de Suède, du corps diplomatique ; Mme de Staël est accusée de favoriser leurs projets, de leur donner asile[71] ; on sait qu’elle « recèle » Mathieu de Montmorency, qui va être arrêté aussitôt après son départ, le 5 nivôse. Son ami, le comte Carletti, ministre de Toscane, dont on soupçonne les menées royalistes, reçoit du Directoire l’ordre de quitter Paris ; il part le 25 frimaire. Mme de Staël, enfin, se décide, bien à regret, à suivre son exemple. Elle fixe son voyage d’abord au 1er décembre, puis au 15, puis au 20 ; enfin le 30 frimaire au soir (21 décembre), elle monte en chaise de poste avec Benjamin Constant, tout au « bonheur de l’accompagner. »

Tous deux, malgré leurs mésaventures, sont fort « lestés en espérances républicaines[72]. « Benjamin n’a pas mal fait ses affaires. Il a acheté pour 35.000 fr. de biens d’émigrés qui lui rapportent 7.000 fr. de rente « en fonds de terre ; » il possède à Hé-rivaux, près de Luzarches, à quatorze lieues de Paris, une jolie propriété qui, sans compter l’agrément, peut lui être utile pour ses vues ambitieuses. Il a, grâce à Mme de Staël, de nombreuses relations politiques ; il espère revenir en France et, quoique Suisse, se faire reconnaître citoyen français. Alors, à la remorque d’un Sieyès, d’un Barras, il pense conquérir la fortune et la gloire.

Mme de Staël, elle aussi, est déjà consolée ; elle ne croit pas à l’exil ; elle veut prendre sa revanche, et c’est avec un air de défi qu’elle s’écrie : « La République française me reverra[73] ! »


PAUL GAUTIER.

  1. Mallet du Pan (Corresp. inéd. avec la cour de Vienne, I, 92) dit qu’il fallait treize ou quatorze jours pour le trajet de Suisse à Paris qu’on faisait ordinairement en cinq jours. — La date de l’arrivée de Benjamin Constant et de Mme de Staël nous est donnée par le fragment des mémoires de Constant, publié par Coulmann (Réminiscences, III, 44) ; Constant se trompe d’un jour ; ce n’est pas le 5, mais le 6 que furent jugés les dix-huit gendarmes.
  2. Barras, Mémoires, I, 227 ; Mercier, Nouveau Paris, III, 91 ; Un séjour en France de 1792 à 1795, p. 280, publié par Taine ; Mallet du Pan, Corr. inédite, 1, 93 ; Aulard, Paris pendant la Réaction thermidorienne, t. II.
  3. Cela résulte de la correspondance de Mathieu de Montmorency avec la cousine de Mme de Staël, Mme Necker de Saussure, en particulier d’une lettre datée de Gléresse (août 1795), où Mathieu écrit : « Tous ses amis, on se rappelant ses conversations, ne peuvent pas douter que ce ne soit là réellement ce qu’elle pense. » Cette correspondance appartient à M. L. Perrot de Montmollin, qui a bien voulu nous la communiquer.
  4. Papiers de Barthélémy, publiés par Kaulek, IV, 620 : Frisching à Barthélémy, 21 février 1795. — Voir les nombreuses dépêches de 1794 et 1795, concernant Mme de Staël. Son prochain départ pour la France est annoncé par Barthélémy au Comité de salut public dès le 4 floréal (23 avril).
  5. Il est reçu en grande pompe à la Convention dans la séance du 4 floréal an III (23 avril 1795). (Journal des hommes libres, du 5 floréal.)
  6. Lettre de Necker à sa fille, la veille de son départ de Lausanne, conservée dans les archives de M. Perrot de Montmollin. Cette lettre, très belle et très longue, est tout à l’honneur de Necker et montre qu’il prévoyait les dangers auxquels s’exposait Mme de Staël.
  7. Voir la réponse de Mme de Staël dans les Nouvelles politiques du 15 prairial (3 juin) : « Je vous remercie, messieurs, d’avoir ajouté le mot Article communiqué à l’astucieuse inculpation que l’on vous a demandé d’insérer dans votre journal… »
  8. Notons, en passant, qu’elle se donne vingt-six ans dans sa lettre. Elle en avait, en réalité, vingt-neuf, étant née en 1766, le 22 avril.
  9. Journal de Paris, 19 prairial (7 juin 1795.) — Rœderer dit que les Réflexions sur la paix ont été « publiées en Suisse et répandues dans toute l’Europe depuis plus de six mois. » Il se trompe : c’est en février que le livre parut en Suisse, imprimé à la Neuveville, et en mai à Paris.
  10. Réflexions sur la paix (OEuv. compl., éd. 1820, tome II, p. 93.) Il est probable que c’est Mme de Staël qui a inspiré à Rœderer sa brochure Des fugitifs français et des émigrés, qui paraît en août 1795. (Nouvelles politiques, du 23 août.)
  11. Par exemple, le jeune Camille de Roussillon. Voir sa lettre à Mme de Charrière du 11 messidor. (Mme de Charrière et ses amis, par Th. Godet, II, 207.)
  12. Papiers de Barthélémy, IV, 620. Dépêche du 21 février 1795, Frisching à Barthélémy.
  13. Journal de Gouverneur Morris, traduction Pariset (Plon, 1901, page 14.)
  14. Gouverneur Morris, page 345. Clermont-Tonnerre lit un discours chez Mme de Staël et prend l’avis des personnes réunies dans son salon.
  15. Barras, Mémoires, I, 84.
  16. Staël, Considérations, 3e partie, ch. XX.
  17. Mallet du Pan, Corr. inéd., I, 269. à la date du 2 août 1795.
  18. Thibeaudeau, Mémoires, I, 138.
  19. Benjamin Constant, Mémoires. (Coulmann, III, 44.)
  20. Chargée de préparer la constitution.
  21. Discours de Legendre à la Convention, le 1er fructidor.
  22. Benj. Constant. Souvenirs historiques. (Revue de Paris, 1830, p. 123.)
  23. Barras, Mémoires, I, 285 : « J’avais introduit Bonaparte chez Mme Tallien, Chateaurenaud, de Staël, et dans plusieurs autres maisons où il trouvait accueil et dîner. » Il est certain qu’à cette époque Bonaparte passa à pou près inaperçu de Mme de Staël ; mais il fit assurément son profit de ce qu’il remarquait dans son salon.
  24. Rœderer, Œuvres, VIII, 646. Lettre de Mme de Staël invitant à dîner Rœderer, Colchon, Isnard et Devaines.
  25. Ph. Godet, Mme de Charrière. Lettre de l’émigré Camille de Roussillon, du 11 messidor : « Il ne dit rien. On ne le prend pas cependant pour un sol. »
  26. Bailleul (ancien député de la Convention), Examen critique des Considérations de Mme de Staël, II, 397 et suivantes.
  27. On sait que la Convention, par les décrets des 5 et 13 fructidor, adjoints à la Constitution, décida que les assemblées électorales ne pourraient prendre moins des deux tiers des membres de la Convention pour former le corps législatif.
  28. Benjamin Constant, Mémoires dans Coulmann, ouvr. cité. — Cf. Considérations sur la Révolution française, 3e partie, ch. XX.
  29. Lettres publiées par Mme Melegari, à la suite du Journal intime.
  30. Benjamin Constant, Revue de Paris, 1830 ; Coulmann, ouv. cité.
  31. Lettre du 6 prairial.
  32. Mémoires dans Coulmann, ouv. cité.
  33. Les articles ne sont pas signés ; mais il n’y a aucun doute sur leur auteur. Constant, sans nommer le journal, parle lui-même dans ses Mémoires, (Coulmann, t. III) des trois articles anonymes qu’il écrivit contre les décrets des 5 et 13 fructidor, et la lettre de Camille de Roussi lion, publiée par Godet, Mme de Charrière, II, 208, le désigne comme en étant l’auteur : « Vous avez vu de son ouvrage dans les Nouvelles politiques des 6, 7, 8 messidor. »
  34. Mémoires dans Coulmann, t. III.
  35. Constant, dans le fragment de Mémoires cité par Coulmann, t. III a conté de façon plaisante sa palinodie pour en sauver le caractère scabreux. Il en a accentué le cynisme. Il semble, selon lui, qu’elle ait eu lieu quelques jours après les fameuses lettres. Voici la vérité sur ce point : 1o entre les lettres de Constant et le discours prononcé par Louvet (séances des 3 et 4 fructidor), il s’écoule un intervalle de deux mois ; 2o il ne s’agit pas, à proprement parler dans ce discours de la question du maintien des deux tiers des conventionnels dans la prochaine assemblée, mais, ce point étant acquis, de savoir comment on procéderait pour désigner les députés qui resteraient ; 3o le discours de Louvet ne fut point accueilli par des huées, comme le prétend Constant, mais ce fut une simple phrase, dans la séance du 4 fructidor, qui excita des murmures.
  36. Mallet du Pan, Corresp. inédite, p. 233, à la date du 21 juin 1795.
  37. Ibid., p. 270 : « Le baron de Staël et sa femme y étalèrent leur impudence ordinaire. »
  38. Mallet du Pan, Corresp. inéd., à la date du 23 août 1795.
  39. Lettre inédite de Mathieu à Mme Necker de Saussure, du 5 août 1795, annonçant son prochain départ. — Sa présence à Paris est signalée par le Courrier français du 6 fructidor (23 août).
  40. Page 40.
  41. Discours de Bourdon de l’Oise (séance du 13 fructidor).
  42. Journal des Hommes libres (27 messidor, 5 fructidor).
  43. Thibeaudeau, Mémoires, I, 200.
  44. Les Réflexions sur la paix adressées à M. Pitt et aux Français.
  45. La Revue des autographes, juin 1891, signale une lettre de Mme de Staël à André Dumont, datée du 22 messidor.
  46. Aulard, La Société des Jacobins, tome IV, séance du 21 septembre.
  47. Voir les Nouvelles politiques du 9 fructidor (26 août), et le Courrier français, du 5 fructidor (22 août).
  48. Ceci ressort d’une lettre inédite de Mathieu de Montmorency à Mme Necker de Saussure (juin 1895) : « Elle ne me parle plus de son séjour d’un mois à la campagne, qui me paraissait pour elle un mauvais signe. » Thibeaudau (Mémoires I, 236) parle formellement d’une « insinuation faite à son mari par le Comité du salut public, » avant l’arrêté pris en vendémiaire contre Mme de Staël.
  49. Mme de Staël à Meister, 12 mars 1794.
  50. Courrier français, 6 fructidor (23 août).
  51. B. Constant, Mémoires, dans Coulmann.
  52. Courrier français (19 fructidor — 5 septembre).
  53. Necker à Meister, 27 sept. 1795 : « Ma fille est en campagne à trois lieues de Paris ; elle a cru devoir se tenir à l’écart pendant le moment des élections et des assemblées primaires. » — Cf. Lettre de B. Constant du 30 fructidor (16 sept.) (recueil Menos), où il dit qu’il est à Ormesson, près de Saint-Gratien, chez Sterheim, pseudonyme de Mathieu.
  54. Autrement, on ne s’expliquerait pas les vers satiriques du Messager du Soir, du 11 vendémiaire. (AULARD, Réaction thermidorienne, II, 293.)
  55. La table chronologique des écrits de Mme de Staël (Œuv. compl., t. XVII) signale cet ouvrage comme « imprimé, non publié en 1795. » Cela est exact ; on n’en trouve pas trace dans les journaux de l’époque. D’autre part, les allusions aux massacres de Quiberon, à la mort de Sombreuil, au vote de la constitution de l’an III, fixent en juillet-août l’époque de sa rédaction. Benjamin Constant, dans une lettre à son oncle Samuel du 30 fructidor, parle des Réflexions comme étant sur le point de paraître.
  56. Première partie : Des royalistes, amis de la liberté.
  57. Réflexions sur la paix intérieure, Œuvres complètes, t. II, page 111.
  58. Ibid., page 113.
  59. Œuv. compl., tome II, p. 137.
  60. Chapitre II de la deuxième partie, p. 158.
  61. Page 170.
  62. « Quiconque écrit pour la gloire doit ajourner toute publication. Il est question d’échapper au despotisme et à l’anarchie, et entre ces deux écueils on n’a point le temps de lire. » (B. Constant a son oncle Samuel, 30 fructidor 16 septembre).
  63. Benjamin Constant à Mme de Nassau. 28 (et non 18) fructidor an III. (Recueil Melegari, à la suite du Journal intime.)
  64. Journal de Paris (22 fructidor — 8 septembre).
  65. Lacretelle, Dix années d’épreuves, p. 248 et suiv. Tout le récit de cette curieuse entrevue se trouve dans cet ouvrage.
  66. La Sentinelle, du 16 vendémiaire. — Le Journal de Paris, 1er frimaire 22 novembre.)
  67. Le Messager du Soir, 11 vendémiaire (3 octobre). (Cf. AULARD, Réaction thermid., t. II, 215.)
  68. Lacretelle, Dix ans d’épreuves, p. 267.
  69. Lacretelle, Histoire de France, t. XIV, le Directoire, p. 55. — Thibeaudeau, mémoires, 1, 236, dit : « On l’accusa même d’avoir excité la révolte. » Il paraît certain que ce fut dans cette séance secrète de la Convention, le 23 vendémiaire, dont le compte rendu ne fut pas publié, que Mme de Staël fut accusée ; il n’est pas fait mention d’elle à la tribune de la Convention depuis l’intervention de Legendre, et cependant la double affirmation de Lacretelle et de Thibeaudeau est très nette. Par conséquent nous avons adopté cette date du 23 vendémiaire, qui concorde également avec la date de l’arrêté d’expulsion pris par le Comité du salut public, d’après Thibeaudeau.
  70. Necker à Meister, déc. 1795. (Recueil Usteri et Ritter, p. 133.)
  71. Rapports du 2 et du 17 frimaire (23 nov., 8 déc). (AULARD, II, 421, 483.) — Journal des hommes libres du 25 frimaire. — Benjamin Constant à son oncle Samuel, 17 frimaire, an IV (8 déc. 1795).
  72. Necker à Meister, 2 janv. 1796.
  73. Mme de Staël à Meister (18 mars 1796.)