Le Pouvoir exécutif aux États-Unis - Les Fonctions présidentielles

LE POUVOIR EXÉCUTIF
AUX ÉTATS-UNIS

LES FONCTIONS PRÉSIDENTIELLES

L’odieux attentat qui vient de clore si tragiquement la carrière gouvernementale du président Mac Kinley, en appelant inopinément aux affaires, par le jeu naturel des institutions fédérales, le second magistrat de la République Américaine, a ramené l’attention sur le mécanisme de la Constitution des États-Unis, si différente de la nôtre, malgré la similitude apparente des deux régimes. C’est la cinquième fois, depuis 1789, qu’un vice-président est promu aux fonctions suprêmes et, par une série de coïncidences assez singulière, chacun de ceux à qui est échu ce rôle tout accidentel s’est trouvé exercer sa charge pendant une période qui a presque égalé la durée d’une présidence ordinaire.

William Harrison n’était que depuis quelques semaines à la Maison Blanche (mars à avril 1841) quand sa mort y fit entrer, pour près de quatre ans, John Tyler. Le vice-président Fillmore qui recueillit, en 1850, la succession de Zacharie Taylor, resta trois années à la tête de l’Union fédérale. Lincoln venait d’inaugurer son second terme présidentiel, lorsqu’il fut assassiné par l’acteur Booth (13 avril 1863), laissant, jusqu’au 4 mars 1867, la direction des affaires à Andrew Johnson. Garfield n’était lui-même en fonctions que depuis six mois quand l’attentat dont il fut victime amena fortuitement au pouvoir, en 1881, Chester A. Arthur. La seconde présidence de M. Mac Kinley ne datant que du 4 mars 1901, l’héritage politique qu’il laisse à M. Roosevelt, ne représente pas une période moins étendue.

L’instantanéité avec laquelle la vacance présidentielle est comblée, en cas de décès du titulaire, forme un frappant contraste avec les longs délais que nécessite, dans les conditions ordinaires, l’élection du premier magistrat des Etats-Unis. Le lecteur qui a bien voulu nous suivre dans un précédent article à travers les multiples étapes d’une de ces campagnes électorales[1] a pu se rendre compte de l’impossibilité matérielle où seraient les partis de renouveler, à de plus courts intervalles, des efforts si prolongés et si coûteux. C’est à cette pensée et au désir d’épargner au pays une agitation stérile qu’ont obéi sans aucun doute les fondateurs de la Constitution en tranchant par avance au profit du vice-président, la question de la succession présidentielle. Le Congrès a jugé utile en 1886 de compléter ces sages dispositions par des prescriptions nouvelles qui élargissent singulièrement le champ de ces prévisions. Pour parer aux conséquences d’une double catastrophe qui priverait successivement la République des deux chefs auxquels est dévolue par droit électif la mission de diriger ses destinées, il a été décidé que, si un vice-président investi des fonctions présidentielles venait à son tour à mourir avant l’expiration de son terme légal, il serait remplacé à la Maison Blanche par un des ministres en exercice.

Cette loi qui n’a pas encore trouvé son application, mais qui conserve toute son efficacité, règle comme suit l’ordre de préséance dans lequel cette succession écherrait à ceux qu’elle concerne :

1° Le ministre des Affaires étrangères (Secretary of State) ;
2° Le ministre des Finances (Secretary of the Treasury) ;
3° Le ministre de la Guerre (Secretary of IWar) ;
4° Le ministre de la Justice (Attorney General) ;
5° Le ministre des Postes (Postmaster General) ;
6° Le ministre de la Marine (Secretary of the Navy) ;
7° Le ministre de l’Intérieur (Secretary of the Interior) ;
8° Le ministre de l’Agriculture (Secretary of Agriculture) ;

Notons en passant que les ministres susceptibles d’être ainsi appelés à la présidence de la République ne tiennent leur mandat gouvernemental d’aucun suffrage électoral, ni direct ni indirect, puisque les membres du Cabinet américain n’appartiennent pas au Parlement. En leur conférant ce pouvoir éventuel, le Congrès a voulu épargner à la nation les risques que pourrait lui faire courir un trop brusque changement de politique : le même parti est ainsi assuré, quoi qu’il arrive, de rester quatre années aux affaires, et il y a tout au moins de très grandes chances pour que les principes généraux dont s’est inspiré le président défunt soient respectés par celui de ses collaborateurs qui recueillerait sa succession. Cette règle conservatrice semble d’autant plus justifiée qu’aux Etats-Unis l’action présidentielle peut revêtir un caractère plus personnel.

On n’a, le plus souvent, qu’une idée assez vague de l’importance que peut prendre ce rôle individuel et, trompés par les apparences, les écrivains les plus autorisés se sont parfois mépris complètement sur l’étendue réelle des attributions dévolues à la Présidence de l’autre côté de l’Atlantique.

Voici, par exemple, ce qu’en dit Prévost-Paradol dans la France nouvelle : « Le premier magistrat de la République américaine a si peu de pouvoir que sa responsabilité contenue, comme ce pouvoir même, dans les plus étroites limites, semble ne devoir jamais être mise en jeu. Il ne peut ni faire la guerre ou la paix, ni traiter sans l’aveu du Congrès, ni choisir ses principaux agens, ambassadeurs et ministres sans l’assentiment du Sénat, et, en l’absence du droit de dissolution, le veto suspensif est la seule arme que la Constitution lui ait laissée pour tempérer l’ascendant presque absolu du Congrès fédéral[2]. »

A première vue l’étude théorique de la Constitution américaine paraît justifier ces conclusions. Un Président de république assisté de ministres qui ne peuvent prendre part aux débats du Congrès, — un Sénat investi d’un droit de contrôle qui s’exerce jusque sur la nomination des fonctionnaires, — une Cour de justice qui peut casser les décisions législatives alors même qu’elles sont revêtues de la sanction présidentielle, tels sont les traits les plus saillans d’une organisation qui semble devoir en effet restreindre singulièrement la liberté d’action du chef du pouvoir exécutif. Les détails qui vont suivre, puisés en partie à des sources nouvelles et empruntés notamment aux confidences faites par plusieurs Présidens américains, montreront qu’il en est tout autrement dans la pratique et contribueront à dissiper l’obscurité dont une question aussi complexe reste toujours plus ou moins enveloppée pour un étranger qui n’a pu l’étudier sur place.

Pour se rendre un compte exact du rôle qui incombe au Président des États-Unis il importe de ne pas perdre de vue : 1° qu’il tient son mandat directement de la nation par une sorte de plébiscite à deux degrés ; 2° qu’il personnifie la victoire d’un parti avec toutes les conséquences qu’elle comporte. Cette origine plébiscitaire donne à la Présidence américaine une base d’autorité d’autant plus solide qu’elle se trouve fortifiée par l’accord tacite établi de longue date entre le parti dépossédé et celui qui lui succède aux affaires quant à l’usage presque discrétionnaire qui peut en être fait par le vainqueur pour la répartition des emplois. L’Exécutif doit compter, il est vrai, à cet égard avec le contrôle sénatorial, mais dans des limites beaucoup moins strictes qu’on ne le suppose, et même dans ces questions de nominations, source ordinaire, dans le nouveau monde comme dans l’ancien, des plus ardentes compétitions, son initiative, ainsi qu’on le verra tout à l’heure, s’exerce beaucoup plus librement que celle de la plupart des chefs d’État européens. Pour en donner la juste notion nous essaierons de suivre dans l’exercice de ses fonctions un des hôtes de la Maison Blanche, au lendemain de son inauguration.


I. — LA FORMATION DU CABINET

En tout pays, le premier acte officiel d’un chef d’État, qu’il tienne sa mission de l’hérédité ou de l’élection, est de procéder à la constitution d’un cabinet. Mais quand son arrivée au pouvoir n’implique aucun changement d’orientation dans la politique intérieure ou extérieure de la nation, ce n’est là d’ordinaire qu’une simple formalité. Lorsque, par exemple, un Président nommé par l’Assemblée de Versailles entre à l’Elysée, il est d’usage que les ministres lui remettent leur démission, mais si le cabinet démissionnaire est manifestement en communion d’idées avec la majorité du Parlement, il est naturellement reconstitué sur les mêmes bases. Il en est tout autre nient aux Etats-Unis, où l’arrivée aux affaires d’un nouveau Président, quel que soit le parti auquel il appartient, correspond inévitablement à la création d’un ministère composé d’élémens distincts du précédent.

Un Président républicain succédant à un autre Président républicain ne conservera pas plus le cabinet de son prédécesseur qu’il n’eût gardé celui d’un Président démocratique. Un vice-président, fortuitement investi du pouvoir, demeure libre de tout engagement vis-à-vis des ministres nommés par le Président défunt et jouit d’une entière latitude pour le choix de ses collaborateurs. Lorsqu’en 1881 le vice-président Arthur fut appelé subitement aux affaires après le meurtre de Garfield, un seul membre de l’ancien cabinet lut maintenu en fonctions. Encore dut-il cette faveur au nom qu’il portait : il s’agissait du fils de Lincoln.

A l’heure où nous écrivons, on ignore encore si le président Roosevelt suivra à cet égard l’ancienne tradition. En annonçant à l’avance d’importans changemens ministériels, les journaux américains ont donné quelque crédit à cette supposition. Vrais ou faux, leurs pronostics indiquent tout au moins que l’opinion publique reconnaît sur ce point au nouveau Président toute liberté d’action.

Associés, à titre en quelque sorte personnel et non en vertu d’un mandat parlementaire[3], à l’administration présidentielle, les ministres américains ne sont soumis au contrôle du Congrès qu’en ce qui concerne leur nomination. Celle-ci une fois sanctionnée par le Sénat, ils ne sont plus responsables qu’envers le Président, sauf le cas purement hypothétique de haute trahison. Quels que soient les votes des Chambres, quelques modifications qu’elles puissent subir, ils conservent leurs portefeuilles aussi longtemps que le Président, dont ils tiennent leur existence officielle, reste lui-même en exercice.

Il serait excessif de dire que la politique ne joue qu’un rôle secondaire dans leur désignation, leur fortune ministérielle étant souvent en effet la récompense de services rendus pendant la campagne électorale. Un certain nombre d’entre eux néanmoins, qui n’ont pris part qu’accidentellement aux luttes de leur parti, sont, avant leur entrée aux affaires, inconnus en dehors du cercle des amitiés de la Maison Blanche et rentrent pour toujours dans l’obscurité en résignant leur mandat.

Si le secrétaire d’Etat est hiérarchiquement le personnage le plus en vue du cabinet, il ne s’ensuit pas qu’il ait en rien les pouvoirs de nos présidens du Conseil. Non seulement il n’est pas consulté sur le choix de ses collègues, mais ses attributions sont strictement limitées aux questions qui sont de son domaine proprement dit.

Il semble néanmoins qu’à l’origine la secrétairerie d’Etat ait été considérée comme une sorte d’étape vers la magistrature suprême. Des huit premiers Présidens des Etats-Unis (1789 à 1837) cinq, Thomas Jefferson, James Madison, James Monroe, John Quincy Adams, et Martin van Buren, avaient passé par ce stage préalable avant d’entrer à la Maison Blanche. Leurs successeurs n’auront plus la même fortune, et James G. Blaine, deux fois placé à la tête du département d’Etat (1881 et 1889), sollicitera vainement, à trois reprises différentes, les suffrages de son parti pour une élection présidentielle.

Huit ministres suffisent, comme on l’a vu, au fonctionnement de la machine gouvernementale. Les travaux publics, l’instruction publique, les colonies, les cultes, qui forment chez nous des ministères spéciaux, ne figurent pas dans cette nomenclature. Pour les cultes, la chose va de soi, les églises étant, comme on sait, aux Etats-Unis indépendantes du gouvernement. Des raisons analogues expliquaient dans le passé l’absence d’un ministère colonial, puisque la République fédérale n’avait pas de possessions en dehors du continent américain. Quoique la situation ait changé depuis les récentes annexions faites par les Etats-Unis, la nécessité de créer un nouveau département ministériel ne s’est pas encore fait sentir. Les Sandwich et Porto-Rico sont administrées provisoirement par un gouverneur dont la désignation appartient au président. L’administration de Cuba et des Philippines conserve un caractère militaire en attendant que leur organisation politique ait pu être définitivement réglée.

Les affaires commerciales, n’étant pas considérées en Amérique comme réclamant une tutelle aussi constante qu’en Europe, relèvent simplement de la secrétairerie du Trésor. Quant aux questions d’instruction publique, elles sont réglées comme des questions d’intérêt local par les différens États de l’Union sans la participation du gouvernement fédéral. Toutes les informations se rattachant à cette branche de service sont néanmoins centralisées dans un bureau spécial relevant du département de l’Intérieur.

Enfin, les Travaux publics ressortissent aux différens ministères qu’ils concernent, notamment à celui de la Guerre, qui a dans ses attributions non seulement les ouvrages destinés à assurer la défense du territoire, mais même la construction des ports et l’amélioration des rivières.

Chacun des ministres reçoit un traitement uniforme de 8 000 dollars (40 000 francs). Aucun ne réside au siège du département qu’il dirige et c’est à leur domicile privé qu’ont lieu les réceptions officielles qu’ils donnent pendant leur passage aux affaires et qui sont forcément beaucoup plus restreintes que les nôtres. Plusieurs ministères, le département d’Etat, la Marine et la Guerre, sont d’ailleurs agglomérés dans un bâtiment unique voisin de la Maison Blanche, également à proximité des Finances, ce qui permet au Président de se tenir plus aisément en communication constante avec ses principaux collaborateurs.

Cette concentration des grands services publics est rendue possible par le chiffre relativement minime[4] des fonctionnaires dont se composent les ministères fédéraux. Etant moins embarrassée que la nôtre par le respect des traditions, la bureaucratie américaine échappe plus aisément au formalisme excessif qui, chez nous, complique trop souvent la marche de la machine. Beaucoup de petites affaires, qui passent en Europe par une triple et quadruple filière, sont traitées directement aux États-Unis avec l’employé qui est appelé finalement à les résoudre. D’où une économie sensible de temps et de personnel.

D’autre part, la besogne de l’administration fédérale est considérablement allégée par le système d’extrême décentralisation sur lequel repose le principe même de son organisation. Chacun des quarante-cinq États de l’Union ayant sa vie administrative propre, la plupart des questions dont l’étude ou tout au moins la solution échappe à la compétence de nos services provinciaux et incombe à l’un ou l’autre de nos ministères parisiens, sont réglées sur place, simplifiant d’autant le travail du gouvernement central.

Nous avons dit qu’il n’y avait point aux États-Unis de premier ministre. Les fonctions de président du Conseil y sont en fait exercées par le Président de la République. Dans quelle mesure chacun des membres du cabinet est-il associé à la direction générale des affaires ? C’est une question à laquelle il est assez difficile de répondre a priori, le tempérament particulier des présidens, leur plus ou moins d’activité, leur esprit de décision entrant naturellement ici en ligne de compte dans une proportion très variable. De toute façon leur action personnelle est considérable. Elle peut, dans certains cas, devenir presque impérative, si on en juge par les confidences qui ont été faites, en 1889, par un ancien Président, M. Rutherford B. Hayes, et reproduites avec son autorisation par M. W. -B. Lawrence, dans une brochure peu connue, intitulée : Notes of conversation of the author with President Hayes. Nous en traduirons ci-après les passages essentiels, en laissant, pour plus de clarté, la parole à l’ex-Président que l’auteur américain fait parler à la troisième personne.

« En ce qui concerne les relations générales avec leur cabinet, déclare M. Hayes, les présidons sont maîtres de la situa-lion, non seulement en vertu de la loi, mais par ce fait que les ministres sont nommés par l’Exécutif et restent dans sa dépendance. Les usages ont quelque peu varié dans le passé. Certains présidens ont cédé plus que d’autres à la pression de leur Cabinet, le président Buchanan notamment, qui n’avait pas assez de fermeté pour imposer sa volonté. Au contraire, le président Lincoln a rédigé sa proclamation pour l’émancipation des esclaves sans consulter ses ministres et ne la leur a lue qu’en vue des amendemens qui pouvaient lui être suggérés[5]. »

« Pour ma part, poursuit l’ex-président Hayes, il m’est arrivé une fois d’imposer à mon cabinet une mesure à laquelle il était contraire. L’y sachant opposé, je ne lui demandai pas son opinion et je me bornai à lui faire connaître ma décision… J’ai agi de même dans deux circonstances où j’étais en désaccord avec les chefs d’un département ministériel. Assuré d’avance que mes opinions n’étaient pas partagées, je notifiai simplement ma volonté. »

Interrogé par M. Lawrence sur la question de savoir si les résolutions à prendre pour la conduite ordinaire des affaires font l’objet d’un examen préalable en conseil de cabinet, l’ex-Président fournit à son interlocuteur des renseignemens non moins intéressans. « Il n’y a pas à cet égard de pratique uniforme. Chaque ministre est naturellement plein d’idées personnelles pour ce qui est de son département. Quand il désire prendre quelque décision nouvelle, il est d’usage qu’il consulte le Président en particulier (privately). Si ce dernier n’est pas favorable à la proposition il va de soi qu’elle est écartée. En fait, il ne peut pas y avoir d’autres mesures adoptées que celles qui ont reçu l’approbation du Président et ont été introduites par lui. »

Les déclarations qui vont suivre et que nous détachons également du compte rendu de l’entretien de l’ex-président Hayes avec M. W. B. Lawrence sont plus caractéristiques encore.

« Pratiquement, ajoute l’homme d’Etat américain, le Président a la nation en main. Il commande en chef l’armée et la marine et a le contrôle des affaires extérieures. Aux termes de la loi, le Congrès possède seul le droit de déclarer la guerre, mais la réalité de ce pouvoir réside dans l’Exécutif… Une fois la guerre déclarée, le Président est investi de pouvoirs spéciaux (war powers) qui n’ont jamais été définis ni limités. La puissance de l’Exécutif est d’autant plus grande qu’elle n’est point fixée par la Constitution. L’étendue réelle n’en a jamais été expérimentée parce que les présidens qui se sont succédé jusqu’ici étaient imbus de principes conservateurs et qu’étant avant tout des hommes consciencieux, ils ont assigné d’eux-mêmes des [6] limites à leur autorité… Les pouvoirs assumés par le président Lincoln, lors de la guerre de Sécession, eussent à peine pu être plus étendus sous une dictature. On ne s’est jamais rendu bien compte de l’extension que peuvent recevoir les attributions de l’Exécutif et la liberté d’action dont ont disposé les présidons, même d’une énergie ordinaire (ordinarily strong) a toujours été plus grande que ne l’ont imaginé tous ceux qui ont décrit nos institutions. »

Les confidences de M. Hayes ont été complétées il y a quelques années par celles d’un autre ex-président des États-Unis, M. Benjamin Harrison[7], dans une série d’articles signés de son nom et parus sous le titre de This Country of Ours (Notre Pays) dans une Revue périodique de New-York, le Ladies Home Journal. Les emprunts que nous allons lui faire achèveront de nous initier aux détails de cette organisation gouvernementale qui ressemble si peu à l’idée qu’on s’en fait généralement.

« Il avait été question, — fait observer M. Harrison[8], — dans la Convention de 1887, de placer à côté du Président un Conseil exécutif en vue de restreindre dans une certaine mesure sa liberté d’action. Mais cette suggestion a été sagement rejetée. Un exécutif à plusieurs têtes doit nécessairement manquer de la vigueur et de la promptitude de décision qui sont souvent une condition de salut public. Le sénateur S… aurait, dit-on, récemment exprimé l’opinion que chaque membre du Cabinet devrait être indépendant dans la direction de son département… L’adoption de ce système nous donnerait huit chefs exécutifs exerçant non point une action commune, mais un contrôle isolé sur les différentes subdivisions du Pouvoir exécutif, que la Constitution a entendu réserver au Président. Ce serait la mise en ferme (farming out) de ses pouvoirs constitutionnels.

M. Harrison nous montre ailleurs[9] dans quelles conditions les Ministres prêtent leur concours au chef de l’État. « Dans toutes les matières de quelque importance le Président est consulté et tout ce qui est en dehors de la routine ordinaire des affaires reçoit son attention… Il n’y a que les questions générales qui soient discutées en Conseil, mais elles donnent rarement lieu à des votes. Quand un ministre désire, prendre l’avis de ses collègues sur une question qui intéresse spécialement son département, il en saisit le Conseil, mais d’ordinaire les affaires sont réglées en conférence privée entre le Président et le chef du département qu’elles concernent… Il ne s’agit pas, bien entendu, de réduire les Ministres au rôle de « clercs ; » ces conférences donnent lieu à un échange de vues et à des concessions réciproques. »

Le Président des Etats-Unis prend, comme on vient de le voir, une part personnelle à la direction de toutes les affaires essentielles. On verra par ce qui suit qu’il ne se borne pas à donner à ses collaborateurs ministériels des instructions générales, mais qu’il intervient jusque dans la rédaction des documens officiels qui lui paraissent dignes de fixer son attention et que quelques-uns sont en entier de sa main[10].

« Il peut arriver, poursuit M. Harrison, que le Président prépare lui-même un projet de dépêche et qu’après consultation avec le secrétaire d’Etat, celle-ci soit expédiée ensuite sans modification. D’autres fois la dépêche aura été rédigée par tel ou tel de ses collaborateurs et remaniée par lui[11]… Il est d’usage, par exemple, que le département d’Etat envoie au Président la minute des proclamations à adresser au peuple américain à l’occasion du Thanksgiving-Day (jour d’actions de grâces)[12]. D’après mes souvenirs, sur les quatre proclamations de ce genre que j’ai eu à lancer pendant ma Présidence, deux avaient été rédigées au département d’Etat et je ne les avais que légèrement modifiées. Les deux autres avaient été écrites par moi dans leur entier. »


II. — POUVOIRS PRESIDENTIELS RELATIFS A LA NOMINATION DES FONCTIONNAIRES

La principale tâche du Président, une fois son cabinet constitué, est de procéder à la nomination des très nombreux fonctionnaires qui, aux Etats-Unis, naissent à la vie officielle à chaque changement d’administration[13]. Rien dans notre organisation ne peut donner l’idée d’un semblable renouvellement des services publics. Les crises ministérielles en France, sauf des cas tout à fait exceptionnels, n’influent que d’une façon insignifiante sur la composition du personnel administratif. Quelques mutations isolées, de loin en loin une révocation presque toujours suivie d’une compensation sous une autre forme, la nomination d’un chef de cabinet ou d’un secrétaire particulier à l’arrivée du nouveau ministre, parfois, à son départ, une ou deux promotions testamentaires et c’est tout. Les révolutions mêmes, chez nous, laissent en place la grande majorité des employés subalternes et souvent aussi un assez grand nombre de chefs de service qui, n’étant point mêlés à la politique militante, ne se sont point compromis vis-à-vis du gouvernement du lendemain, heureux de son côté de mettre à profit leur expérience des affaires.

Un système tout à fait opposé a, comme on sait, prévalu de temps immémorial aux Etats-Unis où, dès 1829, Jackson caractérisait par un mot célèbre (« les dépouilles du vaincu appartiennent au vainqueur ») ce droit de conquête des offices publics. On raille volontiers la passion des Français pour les fonctions officielles et on a voulu y voir une infirmité particulière à la race latine plus sensible que toute autre au clinquant des honneurs administratifs. Ce qui se passe en Amérique prouve que la perspective de détenir une parcelle, si minime qu’elle soit, de la puissance gouvernementale exerce en tout pays la même attraction. L’exemple des Etats-Unis est à cet égard le plus probant de tous puisque la modicité des salaires officiels ne s’allie point, comme chez nous, à la sécurité du lendemain et à l’espoir d’une retraite.

Parmi les 200 000 fonctionnaires ou salaries de tout ordre relevant du gouvernement fédéral, 125 000 environ sont exposés à disparaître tous les quatre ans avec l’administration à qui ils doivent leur existence éphémère. Les employés des postes figurent à eux seuls sur cette liste funèbre pour 85 500, toute une armée. Ces chiffres étaient beaucoup plus élevés encore avant la création du service civil (1883) auquel nous avons fait allusion dans un précédent article et qui a eu précisément pour objet d’endiguer, dans la mesure du possible, ce bouleversement périodique[14].

Il va de soi que le Président n’intervient pas directement dans la distribution des emplois subalternes, dont la répartition est faite par ses ministres ou leurs collaborateurs immédiats, mais pour toutes les charges de quelque importance, il est personnellement consulté et on n’évalue pas à moins de 5 000 les nominations sur lesquelles il est appelé à se prononcer.

Cette prérogative, au dire de M. Benjamin Harrison, serait le plus lourd des fardeaux pour les hôtes de la Maison Blanche. « Il n’y a pas de devoir, déclare-t-il dans l’ouvrage déjà cité, qui soit pour le Président plus absorbant ni qui lui cause plus de soucis et parfois plus de perplexité (distress of mind). » On se figure en effet l’embarras que doit éprouver un chef d’Etat disposant d’un seul coup de cinq mille offices vacans, obligé par surcroît de ne faire que des choix qui soient acceptés par le Sénat. Sur ce dernier point la difficulté est toutefois moindre qu’on n’est porté à l’imaginer.

Le paragraphe de la Constitution d’où découle ce droit de contrôle est ainsi conçu :

Article II. § 2. — «… Le Président désignera et, sur l’avis et du consentement du Sénat, nommera les ambassadeurs et autres ministres publics, les consuls, les juges de la Cour suprême et tous autres officiers des Etats-Unis, à la nomination desquels il n’aura pas été autrement pourvu et qui seront créés par une loi ; mais le Congrès peut, par une loi, attribuer la nomination de tels officiers inférieurs qu’il lui paraîtra utile, soit au Président seul, soit aux cours de Justice, soit aux chefs des services publics[15].

« Le Président aura le pouvoir de remplir toutes les vacances qui viendront à se produire dans l’intervalle de deux sessions du Sénat, en accordant des Commissions provisoires qui prendront fin, de droit, à la clôture de la session suivante du Sénat. »

Pour la désignation des hauts fonctionnaires et notamment des chefs des départemens ministériels, le Président, tout en évitant naturellement les choix qui pourraient éveiller les susceptibilités parlementaires, conserve en somme une très grande liberté d’action. Il n’y a pas d’exemple, à notre connaissance, que le Sénat fédéral ait jamais refusé sa sanction à la nomination d’un membre du cabinet. Une dérogation à cette règle ne constituerait en tout cas qu’une exception d’où on ne pourrait tirer aucun argument sérieux contre l’indépendance présidentielle.

Le Sénat s’est montré plus jaloux de ses prérogatives en ce qui concerne la Cour suprême, sans doute à cause de l’inamovibilité acquise à cette magistrature, dont les pouvoirs peuvent aller jusqu’à casser les décisions du Congrès. Sa censure notamment s’est exercée, il y a une dizaine d’années, sur deux candidatures qui lui avaient été successivement soumises par la Maison Blanche pour un même poste de juge à ladite Cour. Pour couper court à tout conflit, le Président a finalement porté son choix sur un membre du Sénat qui a été immédiatement agréé, une règle de courtoisie voulant qu’un sénateur proposé pour des fonctions publiques soit validé par ses collègues sans discussion, en dehors de toute question de parti. Une nouvelle vacance s’étant produite peu après à la Cour suprême, la Présidence a, du reste, pris sa revanche en nommant à ce poste si convoité le frère d’un des candidats précédemment évincés. Celle dernière nomination n’a plus rencontré d’opposition.

Il est arrivé d’autre part que, trouvant insuffisamment justifiées les objections soulevées par une candidature combattue dans la Haute Chambre, le Président fait maintenue malgré le vote hostile dont elle avait été l’objet. Le cas s’est produit, en 1886, pour un homme de couleur chargé d’un important service de cadastre, dont la nomination avait été rejetée par le Sénat et qu’un second décret présidentiel, accepté sans protestation, a investi, quinze jours plus tard, des mêmes fonctions.

On nous cite l’histoire plus récente d’un fonctionnaire deux lois frappé de l’ostracisme sénatorial, renommé une troisième fois, et qui a fini par occuper son poste, à titre soi-disant « provisoire, » la Haute Assemblée, qui était près de se séparer, s’étant abstenue, sans doute pour ne point envenimer ce désaccord, de statuer de nouveau sur son sort.

Ces exemples témoignent, en somme, d’un désir réciproque d’éviter des conflits qui seraient hors de toute proportion avec les questions en litige. À ce point de vue, les Américains font généralement preuve d’un sens pratique qu’on ne trouve pas toujours au même degré en Europe, où l’opposition politique, qui revêt si aisément l’apparence d’une taquinerie, rend plus difficile la tâche des gouvernans. La ratification des nominations présidentielles est faite d’ailleurs en séance secrète ; elle ne donne lieu, par suite, à aucune publicité acrimonieuse.

Le contrôle sénatorial s’exerce plus strictement sur les fonctionnaires appelés à résider dans leurs circonscriptions électorales. Pour éviter toute difficulté, une entente préalable a généralement lieu entre le gouvernement et les représentais de l’Etat intéressé. Les nouveaux candidats n’ayant point de passé administratif, sont d’ailleurs le plus souvent inconnus du pouvoir central qui ne peut guère que s’en remettre aux sénateurs et aux députés de son parti du soin de les lui désigner et qui n’aurait aucun intérêt à agir autrement. Aussi la ratification parlementaire leur est-elle presque toujours acquise d’avance.

Quoique ces questions de nominations soient celles où l’initiative du Président s’affirme le moins librement, on voit à quoi se réduisent, en somme, les prétendues entraves apportées à son pouvoir en ce qui touche le choix des fonctionnaires, dont la désignation a pour lui quelque intérêt. Elles lui laissent en réalité une latitude que lui envierait plus d’une monarchie. Pour tout le reste, son indépendance et son autorité personnelle sont plus manifestes encore. L’examen ci-après des conditions dans lesquelles s’exercent les rapports du Pouvoir exécutif avec le parlement fédéral nous permettra de nous en convaincre.


III. — LE POUVOIR EXÉCUTIF DANS SES RAPPORTS AVEC LE CONGRÈS

Tout d’abord il importe de noter qu’au moment où le Président inaugure ses fonctions (4 mars), la Chambre des Représentans, qui assiste à la prestation de son serment, est arrivée au terme de son mandat. En théorie, l’existence officielle des nouveaux députés commence, comme celle du Président, le 4 mars. En fait, l’exercice de leurs pouvoirs législatifs est presque toujours ajourné jusqu’au premier lundi de décembre, date impérative fixée par la Constitution pour l’ouverture du Congrès. Cette date n’est devancée que si le Président, qui est seul juge de la question, croit devoir convoquer le Parlement en session extraordinaire, ce qui n’a point lieu généralement.

Le Sénat, qui se renouvelle tous les deux ans en même temps que la seconde Chambre, mais seulement par tiers, et qui, par suite, ne meurt jamais tout entier (continuous body), ne reste, de son côté, en session que le temps strictement nécessaire (quatre ou cinq jours d’ordinaire) pour confirmer les premières et les plus importantes nominations de l’Exécutif. La Constitution donne, d’ailleurs, comme nous l’avons vu, toute latitude au Président pour pourvoir, à titre provisoire, les postes vacans de nouveaux titulaires, et leur ratification peut être différée jusqu’à l’hiver et même au-delà.

Durant les neuf premiers mois qui suivent son installation, le chef du Pouvoir exécutif gouverne donc en réalité le plus souvent sans le concours de la représentation nationale. Pendant ces longues vacances parlementaires, il a ainsi tout le loisir de préparer, en collaboration avec ses ministres, l’étude des questions qui fixent plus spécialement son attention. Dès le mois de juin, d’ailleurs, la capitale, où sévissent des chaleurs prématurées, est graduellement désertée par la plupart de ses habitans, et jusqu’à l’automne, la vie politique y est suspendue. Elle l’est au point que plusieurs membres du Cabinet ont pu parfois, sans inconvénient pour la chose publique, franchir à ce moment l’Océan et faire en Europe un séjour de plusieurs semaines. Il est d’usage que le Président des États-Unis, qui ne dispose point, pour l’été, d’une résidence officielle, passe cette période caniculaire dans une campagne privée dont la tranquillité n’est interrompue que par les visites qu’il reçoit de temps à autre de ses ministres, lorsque l’expédition des affaires l’exige.

L’approche de la réouverture du Congrès ramène à Washington, vers la fin de novembre, le monde politique et parlementaire. Le Président va entrer cette fois en contact avec les Chambres. Le message qu’il leur adresse au début de la session lui fournit l’occasion d’exposer ses vues générales sur la politique intérieure et extérieure du pays. Il ne s’agit point ici d’une sorte de « discours du trône » en quarante ou cinquante lignes, comme celui qui est lu, au nom du Roi, en Angleterre, ou comme celui qui était transmis en France au Corps législatif, sous le second Empire, dans lequel il est fait une allusion plus ou moins directe aux principales questions à l’ordre du jour. C’est un compte rendu minutieux de tous les événemens de quelque importance qui se sont accomplis depuis la dernière session parlementaire, en même temps qu’un véritable programme de gouvernement, développé dans un mémoire qui, parfois, n’a pas moins de quarante pages in-octavo.

Nous avons sous les yeux le texte du message présidentiel du 3 décembre 1895. Il y est question successivement, tant au point de vue politique que commercial, de la République Argentine, du Brésil, du Chili, de la Chine, du Japon, de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Italie, des îles Sandwich, du Guatemala, du Mexique, du Nicaragua, de la Russie, de l’Espagne, de Cuba, de la Turquie et des affaires Arméniennes. La politique intérieure n’y tient pas moins de place. L’exposé de la situation financière des Etats-Unis y remplit à lui seul 17 pages.

Le message présidentiel ne comporte point de réponse et ne donne pas lieu (comme par exemple en France sous Napoléon III) à la rédaction d’une « Adresse » destinée à mettre en relief les « desiderata » du Parlement. Il ne fournit non plus matière à aucune discussion générale. Il ne faut y voir qu’une sorte de mémorandum où sont consignées les vues du chef de l’Etat. Le Congrès est invité à s’en inspirer, il s’en inspire souvent, surtout lorsque la majorité ; de ses membres appartient au même parti que le Président, mais il n’est point tenu de le faire, pas plus d’ailleurs que le Président n’est obligé de tenir compte des vœux du Congrès même exprimés par une série de votes, à moins que ces votes ne revêtent une forme spéciale (joint resolutions) que nous aurons l’occasion de définir plus complètement[16].

Le Président ne se borne pas, d’ailleurs, à l’envoi de son message de décembre. Toutes les fois que la situation lui paraît justifier son intervention, il appelle, dans une communication spéciale, l’attention du Congrès sur telle ou telle affaire, sur telle ou telle mesure législative, au sujet de laquelle il juge opportun de faire connaître son sentiment. Il n’y a guère de session où il ne soit fait usage à huit ou dix reprises différentes, souvent davantage, de cette prérogative.

Les rapports entre le Pouvoir exécutif et les Chambres fédérales n’ont pas lieu uniquement par voie de messages. Si l’accès du Congrès est interdit aux ministres américains, il n’en est pas de même des commissions où il leur est loisible de se rendre pour traiter les questions sur lesquelles ils croient utile d’appeler l’attention du Parlement. Lorsqu’il s’agit d’établir le budget, chaque département ministériel commence par dresser un devis des crédits qui lui sont nécessaires. Ces évaluations sont transmises par le « secrétaire des Finances » au président de la Chambre des Représentans qui, à son tour, les fait parvenir aux diverses commissions compétentes. Avant de les soumettre au Congrès, le président de chacune de ces commissions se met eu rapports avec le ministre dont il est chargé d’examiner les demandes budgétaires et dans des conférences privées, tenues soit au siège de son département, soit dans une salle du Capitole, il discute avec lui les points qui peuvent donner lieu entre eux à des divergences d’opinion. Le sort final de ces propositions dépend néanmoins beaucoup plus de lui que du ministre.

Les choses se passent à peu près de même en ce qui concerne la préparation des lois ordinaires. En théorie, l’initiative en appartient au Congrès seul. Dans In pratique, quoique la Constitution soit muette sur ce point, l’influence du Président se fait fréquemment sentir, soit pour la mise à l’ordre du jour des projets de loi dont il souhaite l’adoption, soit pour le retrait de ceux qu’il regarde comme inopportuns[17].

Le droit d’interpellation tel qu’il est pratiqué en Europe, dans les pays parlementaires, n’existe pas aux Etats-Unis. Lorsqu’un sénateur ou un député désire obtenir du Gouvernement un renseignement ou une explication sur une question politique, il en fait la proposition à la Chambre, qui la met aux voix. Si elle réunit une majorité suffisante, la demande est transmise au Président des Etats-Unis, qui est prié de communiquer au Parlement lesdites informations, « au cas où elles ne lui paraîtraient pas incompatibles avec l’intérêt public » (if not incompatible with the public interest). Si le Président juge cette communication sans inconvéniens, il adresse au Congrès un message contenant les l’enseignemens souhaités en l’accompagnant généralement d’un rapport du département ministériel spécialement mis en cause. Dans le cas contraire, il s’abstient de répondre ou ne répond qu’en partie aux questions qui lui ont été posées.

Pendant les deux premières années de son administration, il y a de grandes chances pour que le Président reste en communion d’idées avec la majorité parlementaire. La nomination des députés et le renouvellement partiel des sénateurs coïncidant avec sa propre élection, les uns et les autres appartiennent le plus souvent au même parti politique. Mais, dans l’intervalle, l’orientation des esprits a pu se modifier et, pendant ses deux dernières années d’exercice, un président démocrate peut parfaitement se trouver en face d’un Congrès républicain, beaucoup moins disposé naturellement à se plier à ses suggestions. Il arrive aussi assez fréquemment que la majorité sénatoriale représente des opinions différentes de celles qui dominent dans l’autre Chambre et que les votes de la haute assemblée soient neutralisés par ceux des députés ou réciproquement.

Le lecteur français habitué à considérer l’accord harmonique de nos deux Chambres comme un élément nécessaire de leur fonctionnement régulier, et leur entente avec le pouvoir exécutif comme une condition essentielle de la stabilité gouvernementale, sera tenté ; de voir dans cet état de choses une source de difficultés incessantes, susceptibles de prendre un caractère alarmant. Cette conclusion n’est pas justifiée en ce qui concerne les États-Unis. La ligne de démarcation qui y sépare les différens pouvoirs est si tranchée que les dissentimens qui les divisent ne les mettent point directement aux prises. Tout au plus peuvent-ils retarder la mise en pratique de certaines réformes dont l’ajournement n’a point de répercussion sérieuse sur la marche des affaires publiques.

Les Chambres américaines n’ont, d’ailleurs, aucun intérêt pratique à pousser un conflit jusqu’à ses dernières limites, étant donné qu’il n’en peut sortir aucune modification gouvernementale. Une crise ministérielle ne saurait se produire, puisque les ministres ne relèvent point du Congrès et que leur nomination une fois ratifiée par le Sénat (nous avons vu que ce n’est le plus souvent qu’une simple formalité) ils échappent à tout contrôle parlementaire. Une crise présidentielle est tout aussi impossible. Elle ne pourrait avoir lieu en effet que si le chef de l’État, à la suite d’une mise en accusation (impeachment), émanant de la Chambre des représentans, était convaincu de « trahison, de corruption ou d’autres grands crimes ou délits graves. » (Art. 2 de la Constitution.) Il va de soi que cette hypothèse a peu de chance de se réaliser. En pareil cas, la cause est réservée au jugement du Sénat, exceptionnellement constitué en Haute Cour de justice, sous la présidence du chef de la Cour suprême. La condamnation ne peut être prononcée que si elle réunit une majorité comprenant les deux tiers des votans[18].

Cette question d’impeachment ne s’est posée qu’une seule fois dans l’histoire des États-Unis, au lendemain de la guerre de sécession et à une époque où les passions violemment surexcitées avaient porté au comble les défiances des partis. Soupçonné de partialité envers la cause sudiste, le vice-président Andrew Johnson, que la mort du président Lincoln avait appelé, d’une façon tout inopinée, à la Présidence, fut déféré, en 1867, au jugement du Sénat. Trente-cinq membres de la haute assemblée admirent sa culpabilité, dix-neuf seulement se prononcèrent pour la négative. La majorité des deux tiers exigée par la Constitution n’étant point atteinte, l’accusé bénéficia d’un acquittement que le déplacement d’une voix eût suffi pour transformer en condamnation. L’idée de démissionner avant le terme légal est si éloignée des traditions de la présidence américaine qu’Andrew Johnson ne songea pas un instant à résigner ses fonctions et que personne autour de lui ne s’en étonna[19]. Il demeura deux ans encore au pouvoir, continuant à vivre en fort mauvaise intelligence avec le Parlement, sans que ce conflit prolongé ait jamais provoqué aucun désordre public.

La Constitution fédérale n’accorde point au Président des Etats-Unis le droit de dissoudre la Chambre des représentais, qui est reconnu chez nous au Président de la République après avis conforme du Sénat. Si l’on songe que les Congrès américains se renouvellent tous les deux ans, qu’ils n’ont généralement qu’une seule session annuelle dont, une fois sur deux, la durée n’est que de trois mois, on verra que cette garantie, jugée indispensable dans les pays constitutionnels d’Europe, n’a point de raison d’être en Amérique. Des élections aussi rapprochées équivalent à une sorte de dissolution périodique. Si au lieu de se prolonger en principe pendant six ans les pouvoirs de la Chambre des communes étaient limités à deux années, il est à supposer que le droit de dissolution dont il est fait un si fréquent usage en Angleterre deviendrait à peu près superflu. On sait d’autre part que si l’exercice en est sans danger chez nos voisins d’outre-Manche, où il est consacré par une longue tradition, il semble n’en être pas de même en France, où l’unique expérience qui en a été faite depuis le rétablissement de la République s’est dénouée par une crise présidentielle.

Si la Constitution des Etats-Unis dénie au Président le droit de dissolution, elle lui confère en revanche un droit de veto suspensif dans des conditions analogues à celui que la Charte de 1826 et plus tard celle de 1830 avaient reconnu à la royauté française. Le veto n’était toutefois sous l’ancienne monarchie qu’un expédient suprême auquel il était entendu qu’on ne devait recourir que dans des cas d’une extrême gravité. Il n’a point ce caractère en Amérique. Très rare au début du régime fédéral, il est devenu peu à peu d’un usage très fréquent. Washington, pendant ses huit années de présidence, n’y avait eu recours que deux fois ; Monroe une fois seulement. Andrew Johnson, dont nous avons rappelé les constans dissentimens avec le Congrès, ne compte à son actif que 21 vetos. Avec le général Grant nous arrivons au chiffre de 42. Nous redescendons à 12 avec le président Hayes, à 4 avec le président Arthur. Jusqu’alors le nombre total des vetos présidentiels ne dépassait pas 133 (en quatre-vingt-seize ans). Il allait s’accroître tout à coup dans des proportions considérables, M. Cleveland, à lui seul, pendant sa première présidence (1885 à 1889) ayant frappé de nullité 299 résolutions parlementaires[20]. Son successeur, M. Harrison, a ajouté à ce total 18 autres vetos qui se sont encore augmentés de 31 après le retour aux affaires de M. Cleveland[21]. M. Mac Kinley n’a usé que rarement de cette prérogative : il n’y aurait, si nous sommes exactement informé, eu recours que quatre fois pendant sa première présidence.

La plupart de ces vetos, surtout ceux qui s’échelonnent sur les quinze dernières années, ont trait à des dépenses financières votées par le Congrès et désapprouvées par le Président, parfois pour des travaux publics, le plus souvent pour des pensions militaires attribuées aux combattans de la guerre de sécession ou à leurs familles. On sait que ces sortes de pensions ont été accordées avec une telle libéralité que les crédits qu’elles comportaient dépassaient, il y a quelques années, 800 millions de francs, égalant ainsi presque notre budget de la Guerre et de la Marine réunis.

Chaque veto est accompagné d’un message spécial expliquant les raisons qui l’ont motivé. Nous donnerons ci-après un de ces documens pris au hasard dans la collection qui en a été publiée par les soins du Sénat fédéral. Il porte la date du 22 juillet 1886 et la signature du président Cleveland.

« Je retourne sans l’approuver le bill sénatorial n° 1383 intitulé : « Loi accordant une pension à Harriet Welch. »

« La bénéficiaire nommée dans ce bill sollicite une pension comme veuve d’un ancien soldat blessé au service en 1864 et pensionné en 1867. Après avoir vu cette pension augmentée en 1876, Welch a fait en 1877 des démarches en vue d’obtenir une nouvelle augmentation et, en revenant de se faire examiner par une commission médicale, il est tombé de voiture et s’est tué. Personne n’a été témoin de l’accident. Sa chute et, par suite, son décès sont aujourd’hui attribués à la blessure qu’il avait anciennement reçue. Le bureau des pensions a rejeté cette réclamation.

«… Quoique la veuve du soldat susnommé admette qu’avant de l’épouser elle était mariée à un autre homme dont tout ce qu’elle peut dire c’est qu’elle « croit » qu’il était décédé, je considère sa situation comme digne de pitié et je voudrais pouvoir contribuer à la soulager. Malheureusement les devoirs officiels ne peuvent pas s’inspirer uniquement des considérations de sympathie et de charité. »

Il ne s’agissait naturellement ici que d’un crédit tout à fait secondaire. Sa suppression par voie de veto n’en fait que mieux comprendre le rôle conservateur assumé aux États-Unis en matière financière par le pouvoir exécutif.

La constitution reconnaît au Parlement fédéral le droit de passer outre au veto présidentiel pourvu que ses résolutions soient confirmées par un nouveau vote comprenant les deux tiers des voix dans l’une et l’autre Chambre. Cette condition est néanmoins d’une réalisation assez difficile et en fait les décisions du Président sont presque toujours respectées.

La statistique officielle des bills parlementaires qui sont devenus lois, malgré le refus de sanction qui leur avait été opposé par la Maison Manche, est à cet égard très concluante. De 1792 à 1886, sur 246 « bills » rejetés par les Présidens américains, 25 seulement ont obtenu un nombre de voix suffisant pour les rendre exécutoires malgré le veto présidentiel. Treize d’entre eux avaient trait à des résolutions combattues par le président Johnson dont on n’a pas oublié la situation particulière vis-à-vis du Congrès. D’autre part, sur les 113 vetos dont les actes du Parlement fédéral ont été frappés par le président Cleveland pendant la session parlementaire de 1885-1886 on n’en compte qu’un seul qui ait été annulé par un vote ultérieur des deux Chambres. Le parti représenté à la Maison Manche disposait alors, il est vrai, de la majorité dans le Parlement, et l’influence présidentielle pouvait par suite s’y faire sentir efficacement sans grand effort. Par un de ces brusques reviremens que nous avons notés comme un exemple d’ailleurs assez rare de ces sautes de vent électorales qui peuvent mettre tout à coup les Chambres en opposition avec le Pouvoir exécutif, M. Cleveland s’est trouvé pendant les deux dernières années de sa seconde administration (1894-1896) vis-à-vis d’un Congrès où l’influence dominante avait passé des Démocrates aux Républicains. Nous n’avons pas sous les yeux la statistique relative à cette période, où le Parlement se trouva moins docile aux vues présidentielles, mais elle ne saurait modifier, d’une façon sensible, les règles de proportion qu’on peut établir d’après les chiffres donnés plus haut.


IV. — POUVOIRS MILITAIRES DU PRÉSIDENT

L’action personnelle du Président des Etats-Unis ne se fait pas sentir seulement dans le domaine des choses civiles. En vertu de la Constitution il est investi du commandement en chef des armées de terre et de mer. Ce n’est pas une simple formule. On sait jusqu’où est allé, au temps de Lincoln et du général Grant, l’usage de cette prérogative. La situation était, à vrai dire, exceptionnelle. Mais, même dans des conjonctures moins critiques, l’initiative présidentielle peut toujours trouver, en matière militaire, l’occasion de s’exercer d’une façon décisive, si elle est justifiée par les circonstances. En principe, le Congrès étant seul maître de faire la paix ou la guerre, une expédition ne saurait être engagée et des armées ne peuvent être levées qu’avec l’assentiment du Parlement. Mais, dans la pratique, la déclaration de guerre ne fait souvent que consacrer officiellement un état d’hostilités déjà existant[22]. Or, c’est le droit et le devoir du Président de prendre, en vue d’une éventualité menaçante, les mesures que comporte la situation et ce droit deviendrait illusoire s’il n’impliquait la faculté de pourvoir d’urgence aux nécessités financières et autres qui en découlent. Il lui est loisible d’ailleurs, sans outrepasser ses pouvoirs, d’employer les forces militaires et navales du pays « pour assurer la protection des citoyens américains menacés dans leur vie et dans leurs biens, » et l’application de ce principe est susceptible de la plus grande extension. C’est elle en effet qui, en 1900, lors des événemens de Chine, a permis au Président de coopérer avec les Puissances européennes et le Japon à la délivrance des Légations assiégées dans Pékin par l’envoi immédiat de bâtimens et de troupes dans l’Extrême-Orient[23]. Les premiers frais d’expédition ont été prélevés sur les budgets ordinaires de la Guerre ; et de la Marine. En ratifiant dans sa session suivante les décisions prises à cet égard par la Présidence, le Congrès a donné une sanction nouvelle aux principes dont elle s’était inspirée.

Même en temps de paix, l’autorité du Président s’étend à tout ce qui touche à l’administration des deux départemens de la Guerre et de la Marine et, s’il s’en remet aux ministres à qui sont confiés ces deux portefeuilles du soin de régler les questions de détail, son intervention s’exerce directement dans toutes les affaires d’un réel intérêt.

Une loi du Congrès stipule en effet « que le ministre de la Guerre suivra (perform and execute) les instructions qui, de temps à autre, lui seront données par le Président des Etats-Unis en conformité avec la Constitution, relativement à la formation des commissions militaires, à l’organisation des forces de guerre, à l’approvisionnement des troupes ou autres matières du même ordre ; qu’en un mot, les affaires de ce département seront conduites suivant les directions présidentielles. » — Une autre loi renferme les mêmes prescriptions en ce qui concerne le ministre de la Marine.

Quand l’armée de l’Union, par exemple, est appelée à réprimer les soulèvemens des tribus indiennes (le fait devient de plus en plus rare, mais se produit encore de loin en loin), elle ne peut se mettre en mouvement que sur un ordre du Président. Lorsque les troupes sont utilisées pour la répression des désordres publics, il reste également seul juge de l’emploi des forces fédérales. Parfois cette intervention armée se fait à la requête des autorités de l’État où la tranquillité est menacée. Parfois aussi elle a lieu contre la volonté de ces mêmes autorités, jalouses de maintenir leur indépendance vis-à-vis du Pouvoir central. Le cas s’est présenté, notamment en 1894, lors des grèves de Chicago, qui avaient dégénéré en émeutes et provoqué l’interruption des trains et des services postaux. C’est sur l’initiative de la Maison Blanche, et malgré les protestations du gouverneur de l’Illinois, que les contingens fédéraux ont été employés contre les grévistes.

L’exercice de ce droit qui avait été contesté a donné lieu, en septembre 1896, à une consultation juridique de l’Attorney General des États-Unis, qui renferme à cet égard des déclarations instructives. « Le Congrès, y est-il dit, par l’article 5297 des Revised statutes[24] a conféré au Président la faculté de disposer des forces fédérales pour venir en aide aux autorités des États de l’Union quand il en est requis par elles conformément à la Constitution. En vertu de l’article 5298, il lui appartient également de décider de sa propre initiative (upon his own judgment alone) si ces mêmes forces militaires doivent être employées pour mettre fin aux « obstructions illégales, aux associations ou rassemblemens faits sur un point quelconque du territoire de l’Union en vue de transgresser par la force les lois des États-Unis ou d’entraver leur exécution. »

On voit, par tout ce qui précède, le vaste champ qui est ouvert à l’activité du Président fédéral. L’étendue de ces pouvoirs, qui a été parfois perdue de vue, n’avait pas échappé à ceux de nos compatriotes qui, à la fin du XVIIIe siècle, suivaient avec un sympathique intérêt l’évolution politique des anciennes colonies anglaises d’Amérique et dont quelques-uns avaient pris avec La Fayette une part si brillante à leur affranchissement. Dans ses Sources de la Constitution des États-Unis[25], M. C. Ellis Stevens cite une curieuse lettre que le duc de la Rochefoucauld écrivait à Franklin, en 1789, sous l’influence des idées nouvelles qui faisaient alors sentir leur action même dans le monde de la Cour et où il exprime sa surprise que les Américains iraient pas cru devoir assigner des limites plus étroites à la puissance présidentielle.

Vingt-cinq Présidens ont depuis lors gouverné les États-Unis d’après les principes que nous venons d’esquisser, sans que l’exercice de ces prérogatives ait soulevé les susceptibilités des Chambres fédérales. On a pu voir même par les détails donnés plus haut qu’elles se sont montrées disposées à en étendre plutôt qu’à en limiter l’application.

Il est à noter d’autre part que les Présidens qui ont obtenu le bénéfice d’une réélection ont presque toujours été ceux dont la personnalité s’est le plus énergiquement affirmée et qui avaient le plus manifestement usé de leurs pouvoirs. À ce point de vue, la liste des hôtes de la Maison Blanche est intéressante à consulter. A l’origine de la République, le renouvellement du mandat présidentiel est presque de règle[26]. Des sept premiers Présidens des Etats-Unis (1789-1837) cinq, Washington, Jefferson, Madison, Monroe et Jackson, sont restés aux affaires pendant huit années consécutives : chacun d’eux avait marqué son administration d’une empreinte très personnelle. Vingt-huit ans (1837-1865) se passent ensuite avant qu’un autre Président réussisse à fixer pour un second terme les suffrages de la nation. Depuis lors, il semble qu’il y ait une tendance à en revenir aux traditions d’autrefois et quatre Présidens, sur sept, ont eu les honneurs de la réélection : leurs noms seuls suffisent à rappeler l’importance du rôle qu’ils ont joué, à des titres divers. Lincoln et Grant avaient traversé une période d’action militaire qui prêtait à leur administration un caractère tout spécial d’autorité. Plus que tout autre peut-être, M. Cleveland a laissé derrière lui le souvenir d’une fermeté individuelle devenue proverbiale aux Etats-Unis. Quoique plus soucieux de demeurer en communion d’idées constante avec le Congres, M. Mac Kinley avait dû prendre devant son pays et devant l’histoire des responsabilités plus graves que toutes celles que ses prédécesseurs avaient assumées dans le passé. En renouvelant leurs pouvoirs, le Corps électoral a montré dans quel sens s’affirment ses préférences. Qu’en conclure, en effet, sinon que les Présidens les plus populaires ont été ceux dont l’action personnelle a été le plus manifeste, et que le peuple américain, si épris qu’il puisse être de sa liberté, aime néanmoins à sentir la main qui gouverne.


J.-P DES NOYERS.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1900, Une Campagne présidentielle aux Etats-Unis.
  2. Le brillant écrivain, qui devait, quelques semaines avant la chute de l’Empire, être envoyé aux États-Unis comme ministre plénipotentiaire, eût vraisemblablement modifié ce jugement si presque au lendemain de son arrivée à Washington le plus inexpliqué des suicides n’eût, comme on sait, brusquement mis fin à une vie encore si pleine de promesses.
  3. Le Président peut choisir pour collaborateurs des membres du Congrès à la condition qu’ils démissionnent, mais la plupart d’entre eux sont d’ordinaire pris en dehors des Chambres.
  4. Les dernières statistiques officielles indiquent, pour le département d’État, trois « assistant secretaries » (sorte de directeurs) et huit chefs de bureau ; pour le ministère des Finances, trois « assistant secretaries » et une quarantaine de chefs ou de sous-chefs de bureau ; pour le ministère de la Guerre, un seul « assistant Secretary » et une trentaine de chefs de service : pour la Marine, un « assistant secretary » et dix-huit chefs de service ; pour les Postes, un secrétaire général, « chief clark, » et sept chefs de bureau ; pour l’Intérieur, deux « assistant secretaries » et dix-sept chefs ou commis principaux ; pour la Justice, quinze chefs de service ; pour l’Agriculture un » assistant secretary » et vingt et un chefs de service.
  5. Dans un article antérieur paru dans le North American Review (nov. 1880), M. W. B. Lawrence va jusqu’à affirmer que « Lincoln ne tenait presque jamais (seldom or never) de conseil de cabinet. »
  6. Il semble en avoir été ainsi dès les premiers temps de la République. Dans l’article du North American Review par lequel il avait préludé à ces curieuses informations, M. Lawrence nous apprend « que Jefferson (1801-1809), quoiqu’il eût certainement autant de confiance dans ses conseillers officiels qu’aucun autre président, ne prit point leur avis sur les deux mesures les plus importantes peut-être de son administration, l’achat de la Louisiane à la France et le retrait du traité négocié en 1806 avec l’Angleterre par Monroe et Pinckney. »
  7. M. Benjamin Harrison, qui ne doit pas être confondu avec son grand-père William Harrison, également président des États-Unis (1841), a occupé le pouvoir de 1889-1893.
  8. This Country of Ours, février 1891.
  9. This Country of Ours, mars 1896.
  10. This Country of Ours, juillet 1896.
  11. Ce dernier système semble avoir été suivi de tout temps aux États-Unis. M. Harrison cite à ce propos une note du secrétaire d’État Jefferson (1789 à 1794) adressée à George Washington et ainsi conçue :
    « Le secrétaire d’Etat envoie ci-joint au Président plusieurs lettres destinées à son examen, en le priant d’y faire librement (freely) toutes les modifications qu’il jugera utile d’y introduire.
  12. En vertu d’un usage qui remonte à la fondation de la République, le Président invite chaque année par une proclamation spéciale le peuple américain à se réunir dans ses temples « pour y remercier Dieu (to give thanks) des bienfaits répandus sur les États-Unis. » Cette fête religieuse, à laquelle la nation est officiellement conviée sans distinction de culte, a lieu le dernier jeudi de novembre, date choisie à l’origine par Washington pour sa célébration et qui a été jusqu’ici conservée par ses successeurs.
  13. Il va de soi que les détails qui vont suivre s’appliquent à une inauguration présidentielle, effectuée dans des conditions normales, à la suite d’une élection, et ne visent pas le cas tout spécial d’une présidence intérimaire.
  14. Du 16 janvier 1883 au 4 mars 1885, 15 573 fonctionnaires ont été incorporés par le président Arthur dans la catégorie des employés permanens (« classified service »). Leur nombre s’est augmenté de 7259 sous la première administration de M. Cleveland (1885 à 1889), de 8 690 sous celle de M. B. Harrison (1889 à 1893). Le total général en a plus que doublé après le retour aux affaires de M. Cleveland, près de 30 000 employés de plus ayant été alors, en une seule année, rattachés au « classified service ». En fait, 75 000 fonctionnaires échappent déjà aux hécatombes. Le personnel central des Départemens ministériels notamment, à l’exception de quelques grands chefs nommés en dehors de la filière des examens, n’est plus sujet aux fluctuations politiques.
  15. C’est sur ce principe nue repose le fonctionnement du Civil service.
  16. Même alors il reste encore au Président la faculté de frapper les résolutions parlementaires d’un veto qui, bien que n’étant que suspensif, suffit neuf fois sur dix, comme nous le verrons tout à l’heure, à en arrêter la promulgation.
  17. Les confidences faites à cet égard par le président Hayes sont très catégoriques. « Une grande partie des projets de loi soumis au Parlement, déclare-t-il, sont préalablement, examinés par le cabinet et introduits dans le Congrès, à la suite d’une entente privée entre les ministres et les membres des comités parlementaires… Il est exact que le Président des États-Unis ne possède pas, en matière législative, de moyen régulier d’exercer son initiative ; une forte proportion des actes législatifs qui reçoivent, pendant son administration, la sanction du Parlement, et parfois les plus importans, n’en émane pas moins de lui. Il peut aussi, dans une certaine mesure, faire écarter à l’avance les projets de loi qui lui déplaisent ou même faire modifier et amender les bills déjà présentés dans le Congrès, en faisant savoir officieusement qu’il les désapprouve et qu’il songe à les frapper de son veto. »
    (Notes of conversation with President Hayes, by W. B. Laurence.)
  18. L’auteur anglais James Bryce, dans le remarquable ouvrage (American Commonwealth) qu’il a publié sur les États-Unis, apprécie en ces termes l’usage qui peut être fait du droit de mise en accusation conféré au Congrès fédéral :
    « L’impeachment est la plus grosse pièce d’artillerie qui figure dans l’arsenal du Congrès, mais elle est d’un maniement si difficile qu’on ne saurait s’en servir dans les circonstances ordinaires. C’est comme un canon de cent tonnes qui ne peut être mis en position qu’après les manœuvres les plus compliquées, qui nécessite une énorme charge de poudre et ne peut être pointé que contre un but de larges dimensions. Ou, pour varier la comparaison, c’est une médecine héroïque, un remède extrême qu’on peut utiliser contre un fonctionnaire coupable de crimes politiques, mais non pour punir des fautes légères. »
  19. Le Président des États-Unis tenant directement son mandat de la nation et non du Parlement, à la suite d’une lutte électorale qui consacre le triomphe de son parti, considère un peu son poste comme un poste de combat qu’il n’a pas le droit d’abandonner avant l’expiration de ses pouvoirs. La situation d’un Président français élu par une majorité parlementaire dont les élémens peuvent se modifier est différente. Il est plus libre en tout cas de décliner des responsabilités qu’il juge excessives si ses intentions sont méconnues ou s’il cesse d’être en communion d’idées avec les Chambres. Cette distinction néanmoins n’est pas comprise de l’autre côté de l’Océan et ce n’est pas un mince sujet d’étonnement pour un Américain de voir que, des cinq premiers présidons qui se sont succédé à l’Elysée, quatre ont résigné volontairement leurs fonctions.
  20. 113 pendant la session de 1885-1886.
    30 — — 1886-1887.
    128 — — 1887-1888.
    28 — — 1888-1889.
    Total. 299
  21. 5 pendant la session de 1893-1894.
    10 — — 1894-1895.
    16 — — 1895-1896.
    31
  22. Les hostilités se poursuivaient depuis quatorze mois entre les États-Unis et le Mexique quand l’« état de guerre » fut proclamé en 1848.
  23. Cette question, qui a fourni alors une ample matière aux appréciations de la presse américaine, a été traitée avec quelques développemens par le New-York Herald dans son numéro du 20 juillet 1900. « Si le Président, disait en substance ce journal, n’a pas le droit d’affecter des troupes et des bâtimens à une expédition hostile sans la sanction expresse du Congrès, il peut néanmoins en décréter l’emploi pour protéger la vie et les biens des citoyens américains. Il peut, en pareil cas, envoyer à l’étranger telle force qui serait jugée nécessaire et faire face à ces dépenses à l’aide du Trésor public. Ce droit n’a jamais été mis en question et a été souvent exercé… C’est sur cette théorie que s’appuient dans l’allaire chinoise le Président et son cabinet pour donner à leur action une base constitutionnelle sans recourir à la convocation du Congrès… »
  24. On nomme ainsi la collection des lois des États-Unis ayant un caractère permanent.
  25. Sources of the Constitution of the United States, New-York, 1894.
  26. La question de la durée des pouvoirs présidentiels avait donné lieu à de longues discussions dans le congrès de Philadelphie, où fut élaborée en 1787 la Constitution, et il s’en fallait de beaucoup que l’unanimité fût acquise à l’idée qui a prévalu de la limiter à quatre années. Le terme de six ans comptait d’assez nombreux partisans ; celui de quatre a été finalement adopté comme intermédiaire entre les six années du mandat sénatorial et les deux ans assignés aux députés.
    M. C. Ellis Stevens, dans l’ouvrage déjà cité, exprime le regret que cette période ne soit pas plus longue et croit pouvoir en prédire l’extension dans un délai plus ou moins rapproché. « Une notable fraction de la nation, écrit-il à ce propos, et la plus intelligente, est on faveur d’un amendement constitutionnel qui prolongerait la durée du terme présidentiel. Une longue présidence a pour elle tant d’argumens que les dangers qu’elle peut offrir ne sont pas nettement perçus et que vraisemblablement l’opinion publique s’orientera tôt ou tard dans cette direction. »
    Quoique ce pronostic nous paraisse quelque peu hasardé, l’auteur américain peut invoquer à l’appui de sa thèse l’exemple du Mexique qui, avec un système fédératif rappelant de très près celui des États-Unis, jouit depuis vingt ans, sous la Présidence cinq fois renouvelée du général Porfirio Diaz, d’une tranquillité et d’une prospérité qu’il n’avait pas connues jusqu’alors.