Le Portrait de Monsieur W. H. (recueil)/L’Artiste

Poèmes en prose
Traduction par Albert Savine.
Le Portrait de Monsieur W. H. (p. 213-214).


I

L’ARTISTE


Un soir naquit dans son âme le désir de modeler la statue du Plaisir qui dure un instant. Et il partit par le monde pour chercher le bronze, car il ne pouvait voir ses œuvres qu’en bronze.

Mais tout le bronze du monde entier avait disparu et nulle part dans le monde entier on ne pouvait trouver de bronze, hormis le bronze de la statue du Chagrin qu’on souffre toute la vie.

Or, c’était lui-même, et de ses propres mains, qui avait modelé cette statue et l’avait placée sur la tombe du seul être qu’il eût aimé dans sa vie. Sur la tombe de l’être mort qu’il avait tant aimé, il avait placé cette statue qui était sa création, pour qu’elle y fût comme un signe de l’amour de l’homme qui ne meurt pas et un symbole du chagrin de l’homme, qu’on souffre toute la vie.

Et dans le monde entier il n’y avait pas d’autre bronze que le bronze de cette statue.

Et il prit la statue qu’il avait créée et il la plaça dans une grande fournaise et la livra au feu.

Et du bronze de la statue du Chagrin qu’on souffre toute la vie, il modela une statue du Plaisir qui dure un instant.