Le Port allemand de Wilhelmshaven

LE PORT ALLEMAND DE WILHELMSHAVEN

Il se passe actuellement de l’autre côté du Rhin, des faits de la plus haute importance au sujet desquels il nous semble utile d’appeler l’attention publique : le gouvernement allemand ne recule devant aucun sacrifice pour utiliser les ressources de la science, au point de vue militaire, et pour doter l’empire d’une marine formidable, capable de rivaliser avec celle des premières nations maritimes. Des travaux gigantesques, que nous croyons pouvoir mentionner comme des merveilles de l’art des constructions de l’ingénieur, ont été exécutés sur les côtes de l’empire d’Allemagne, qui, si exiguës qu’elles soient, ne s’en hérissent pas moins, d’appareils formidables, de ports puissants, et de forteresses défendues par les fameux canons d’acier, que l’ingénieur Krupp sait fondre dans ses usines. Le mois dernier, les membres du conseil fédéral et du Reichstag allemands, ont été invités à visiter le nouveau port allemand de Wilhelmshaven. D’après le Sperneshe zeitung, les visiteurs, firent la traversée de Bremerhaven à Wilhelmshaven sur un navire « pavoisé, comme dans un jour de fête, orné de pavillons et de banderolles. » La Revue maritime, publie d’après le Rivista maritima, de curieux détails sur une solennité, qui a fait sensation en Allemagne.

Le maréchal de Moltke était l’objet de l’admiration générale. « À notre passage, dit un des témoins de cette fête, nous pûmes observer avec plaisir les favorables dispositions des ports des deux gracieuses villes de Geestemünde et de Bremerhaven, qui maintenant comptent environ 30,000 habitants chacune, et qui voient apparaître chez elles et sur le Weser un nombre extraordinaire de navires, véritable forêt de mâts. Ceci prouvait à chacun de nous qu’une flotte militaire doit être pour l’Allemagne quelque chose de plus qu’un objet de luxe. Dès que le Mosel eut son avant tourné vers la rade de Jahde, nous aperçûmes un certain nombre de navires, parmi lesquels nous reconnûmes les corvettes Hertha et Ariadne et le navire en essai la Loreley. Tous les yeux se dirigèrent sur ces bâtiments avec un intérêt marqué ; car c’était un spectacle tout nouveau pour plusieurs d’entre les conseillers qui étaient à bord du Mosel, que celui d’un simulacre de combat en pleine mer…

Wilhelmshaven est bâtie, au bord de la mer, sur un terrain qu’il a fallu disputer pied à pied, à l’eau, et ce qui est pis encore à la vase et aux marais. Çà et là s’élèvent les habitations, isolées et groupées, formant de longues rues et présentant partout l’aspect d’une cité naissante. Avec quel intérêt naturel, les membres de la commission ne durent-ils pas contempler ces établissements maritimes, pour lesquels on conçoit de si belles espérances et on a voté de si grosses sommes !…

Les visites que nous fîmes au Grosser Kurfürst continue notre narrateur allemand, et à la frégate Prinz Friedrich Carl, en activité de service, furent très-intéressantes ; nous admirâmes à bord de celle-ci, les canons Krupp, qui lancent des projectiles du poids de 200 kilogrammes.

Pendant le petit nombre d’heures de notre séjour dans cette ville, nous n’eûmes pas le temps de faire une visite sérieuse aux grands établissements maritimes que l’on y a construits ; nous pûmes à peine jeter un coup d’œil sur les machines et les ateliers, et remarquer la série des navires placés sur les deux côtés du grand bassin : l’Augusta, les deux frégates Kronprinz et Friedrich Carl, l’imposant Kœnig Wilhelm, le Prinz Adalbert, l’aviso Falke, l’Alder, etc.

À 7 heures du soir, nous nous rendîmes à bord du Kœnig Wilhelm, toute la batterie avait été transformée en un grandiose salon. Six cents personnes prirent place à la table, somptueusement servie. Le feld-maréchal de Moltke porta le premier toast : « À la santé de S. M. l’empereur, qui accroît toujours l’empire et se montre le conservateur de la paix, grâce à l’armée et à la flotte. » Les canons de la plage saluèrent ce toast de 101 coups de canons. Le chef de l’Amirauté, ministre de la marine, von Stosh, prit ensuite la parole et acclama le Conseil fédéral, le Reichstag, et les hôtes qui se trouvaient à bord du Kœnig Wilhelm. En qualité de Prussien, il pria les assistants de vouloir bien lui permettre de rappeler que 20 ans auparavant, Wilhelmshaven, était un désert, et que la valeur, unie à un esprit sérieux et à la constance, avait seule pu produire ces grandioses constructions que les fédérés admirent aujourd’hui. »

C’est à vous Messeigneurs du Reichstag et du Conseil fédéral, dit en terminant l’orateur, qu’il appartient de nous aider à accroître nos avantages et élever notre flotte à la hauteur qu’exige la dignité, l’honneur et la sécurité de l’Allemagne. »

Pendant trop longtemps, nous avons failli, par excès d’indifférence, ne daignant même pas jeter les yeux par-dessus nos murs. Que les terribles leçons d’un passé récent, nous soient salutaires, et que l’exécution d’un port allemand de l’importance de celui de Wilhelmshaven, ne reste pas inaperçu de ce côté du Rhin. Ces travaux qui viennent d’être inaugurés en Prusse, sont la conséquence directe de la science ; qu’on ne l’oublie pas : c’est par la science qu’une nation peut s’élever aujourd’hui, c’est à la source vivifiante de l’étude qu’elle peut puiser sûrement les éléments de sa grandeur.

G. T.