Le Pont-Neuf frondé




Le Pont-Neuf frondé.
À Paris.
M.DC.LII1.
In-4.

Mazarins, il faut tous partir ;
Ma muse vous vient advertir
Que vous couriez comme des Basques
Deguisez en habits fantasques,
Pour vous fourer je ne sçais où,
C’est-à-dire en un petit trou.
La ville est ores trop suspecte
Pour des messieurs de votre secte ;
Les cailloux y volent à tas
Sur tous ceux qui ne crient pas :
Vive le roy ! vive les princes !
Vive ces apuis des provinces !
Ils vont recoigner les voleurs,
Partisans et monopoleurs,
Et par eux, tous tant que nous sommes,
Nous aurons pour rien pain et pommes.
Mais, quand vous diriez tout cela,
Vous ne mettriez pas le hola :
On vous connoistroit à la mine ;
Chacun diroit : Eschine ! eschine !
Ce sont pendars de Mazarins.
Et lors je vous tiendrois bien fins
Si, par un tour de passe-passe,
Vous amusiez la populace,
Qui viendroit à grands coups de poing
Faire tope sur vostre groing,
Sur tout si dans l’autre semaine,
Auprès de la Samaritaine,
Dame Anne2 eust peu vous descouvrir :
Vous auriez eu bien à souffrir.
Branquas, qui n’est pas une beste,
Ne fut jamais à telle feste
Qu’il se vit, un certain mardy,
Sur le Pont-Neuf, après midy,
Encore qu’il soit pour la Fronde,
Comme il le jure à tout le monde.
Il entendit crier bien fort :
Assomme ! il en veut à Beaufort.
Lors, estourdy d’un : Tue ! tue !
Il sent que sur luy l’on se rue ;
Il perd de ses cheveux dorez ;
Il voit ses habits deschirez,
Et, s’il n’eust bien dit : Ouy et voire,
On l’auroit contraint de trop boire.
Toutes fois, pour leur peine encor,
Il donna quelques louys d’or :
Si bien, pour seureté plus grande,
Que le battu paya l’amende ;
Encor ne fut-il pas fasché
D’en estre quitte à ce marché3.
Ce vacarme cessoit à peine,
Et l’on alloit reprendre haleine,
Quand un carrosse orné de vert
Par fortune fut descouvert.
Il trainoit avecque vitesse
Vers le palais de son Altesse
La mareschale d’Ornano,
Qui souvent, comme un Godeno,
Montroit le nez à la portière,
Et puis se tiroit en arrière.
À voir son habit un peu neuf,
On la madame d’Elbeuf,
Qui (cecy dit par parenthèse)
Est dehors de ce diocèse4.
À l’instant, sans plus consulter,
Le cocher vint à culbuter,
Et, frappé de plus d’une pierre,
Donna bien-tost du nez en terre.
Les laquais ne furent pas mieux :
Les rondins volèrent sur eux,
Mais avec tant de violence,
Que c’est un fort grand coup de chance
Qu’ils ne furent pas ajustez
Comme chair à petits pastez.
La mareschalle, epouventée,
Fut un peu trop près visitée :
Un chacun la vint saluer,
Non pas sans plusieurs coups ruer,
Et luy faire une reverence
Qui luy deplut, comme je pense :
Car, sans qu’elle le treuvast bon,
On la deschargea d’un manchon,
Pendant que les pauvres suivantes
Se laissoient foüiller dans leurs fentes,
Et ne gagnoient rien à crier
À haute voix, à plein gozier,
Les meschans ayant peu d’envie
De leur sauver bagues ny vie.
Or les anneaux on fricassa,
Et la vie on ne leur laissa
Qu’après que leur beau corps d’albastre
Eust esté battu comme plastre.
La populace, après cela,
N’en voulut pas demeurer là :
De mesme qu’un hidre feroce,
Elle deschira le carrosse ;
Le cuir n’eut aucune mercy ;
Les essieux sautèrent aussy,
Et les deux rideaux d’escarlatte
Tombèrent encor souz sa pate.
Les chevaux eurent du bon-heur,
Car on les mit en lieu d’honneur
Dans un cabaret assez proche,
Où loge un Suisse sans reproche,
Qui, de ce gage faisant cas,
Fit à la trouppe un grand repas,
Cependant que la mareschalle
Fut voir son altesse royale
Sur la mule des cordeliers,
Aux depens de ses beaux souliers.
Mais, tandis que je vous amuse,
J’oy desjà, si je ne m’abuse,
Un bruit de gens determinez
Dont vous serez fort mal menez.
Sus, pour sauver vos belles trongnes
Du baston ferré des yvrongnes,
De la fronde des escoliers,
Du tire-pied des savetiers,
De la griffe des harangères,
Du croc des dames chifonnières
Et du levier des porte-fais,
Dites-nous adieu pour jamais.




1. Cette pièce est curieuse et rare, selon M. Moreau. (Bibliographie des Mazarinades, t. 2, p. 364, nº 2819.)

2. Revendeuse des halles qu’on produisoit « comme une femme mystérieuse, parcequ’elle étoit la plus insolente et la plus hardie de son quartier. » (Advis desinteressé sur la conduite de M. le coadjuteur… (6 juillet 1651,) ad finem.) Dans une mazarinade portant la même date : Lettre d’un marguillier de Paris à son curé sur la conduite de monseigneur le coadjuteur, dame Anne et un nommé Pesche, son compère en rébellion, sont représentés comme étant « des enfans de chœur elevez par monseigneur le coadjuteur..., l’un et l’autre chantant les leçons du bréviaire qu’il leur avoit enseignées. » Les leçons de ce bréviaire, selon Mme de Motteville, étoient des « chansons infâmes contre le respect qui étoit dû à la reine. » Dame Anne, cette coureuse qui les chantoit, fut arrêtée. « Je le dis à la reine, continue Mme de Motteville, à la prière de Mme de Brienne, qui ne voulut pas lui en parler, par quelque motif que je ne pus savoir. Cette princesse ne me répondit rien, et je ne lui en parlai plus. Quelques jours après, la même Mme de Brienne me dit qu’elle avoit été voir cette dame Anne et qu’elle ne l’avoit plus trouvée dans sa prison, qu’elle étoit alors dans une chambre voisine, bien servie, bien couchée et bien nourrie, et qu’on ne savoit pas d’où pouvoit procéder cette merveille. Nous sûmes alors que la reine seule avoit fait cette belle action, et, quand nous lui en parlâmes, elle ne voulut pas nous écouter. Et l’histoire finit ainsi. » (Mémoires de Mme de Motteville, coll. Michaud, 2e série, X, 422.)

3. Cette vive algarade faite à M. de Bramas eut lieu, en effet, sur le Pont-Neuf, dans la semaine de Pâques 1652, au moment où tout ce qu’il y avoit de noblesse dans Paris se rendoit au devant de M. le Prince, qui revenoit après sa victoire de Bleneau. Brancas ne fut pas le seul maltraité : la duchesse de Châtillon, Fontrailles, le marquis de Mouy, le commandeur de Saint-Simon, le prince de Tarente, le commandeur de Mercé, Mme de Bonnelle, la fille de Bullion, furent aussi insultés. Mme d’Ornano, comme on va le voir avec plus de détail, fut injuriée et volée. C’étoit un coup de main dont l’auteur de l’Avis important et necessaire donné aux Parisiens, qui entre à ce sujet dans quelques détails, accuse tout ensemble Mazarin et le coadjuteur.

4. Catherine Henriette, fille légitimée de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, et femme du duc d’Elboeuf, étoit en Angleterre depuis que ses intriques contre Richelieu l’avoient fait exiler de la cour.