Le Poète historien littéraire

Le Poète historien littéraire
Revue des Deux Mondes, 2e période2e période, tome 6 (p. 438-457).
LE POÈTE


HISTORIEN LITTERAIRE




M. de Lamartine définit quelque part la critique d’une manière assez peu bienveillante, et pourtant, si j’ai bonne mémoire, il n’a pas trop à s’en plaindre. Depuis trente-six ans, il a toujours été choyé par la critique. Les Méditations, les Harmonies, Jocelyn, n’ont recueilli que des éloges, et c’était justice. Si la Chute d’un Ange et le Voyage en Orient n’ont pas rencontré la même sympathie, ce n’est pas la faute de la critique, mais la faute du poète, et le poète ne devrait pas l’oublier. Si l’Histoire des Girondins, l’Histoire de la Restauration, l’Histoire de l’Empire ottoman, l’Histoire de la Russie, n’ont pas été acceptées comme des prodiges d’érudition, M. de Lamartine doit savoir pourquoi. L’opinion publique s’est prononcée spontanément, et la critique n’a pas eu besoin d’intervenir. M. de Lamartine apprend et enseigne en quelques mois ce qui demanderait aux esprits les plus pénétrans plusieurs années d’études; ce que MM. de Hammer et Schnitzler ont amassé péniblement, il prétend l’acquérir sans peine, et il s’étonnerait de l’indifférence des lecteurs ! Chacun sait qu’il ne sait pas, qu’il n’a pas eu le temps d’apprendre, et il trouve de mauvais goût qu’on dédaigne ses livres d’histoire comme des romans destinés à distraire les oisifs ! Enfant gâté du public et de la presse, il se fâche contre ceux qui l’ont toujours traité avec une extrême indulgence. En vérité, c’est de l’ingratitude. Il a peut-être oublié maintenant les termes dont il s’est servi pour définir la critique; mais ceux qui ont voué leur vie à l’analyse des œuvres de l’intelligence ne peuvent les oublier, Il y a dans cette définition une rancune mal déguisée dont nous devons tenir compte. « Cette puissance des impuissans, » c’est ainsi que M. de Lamartine qualifie la critique. Heureusement la critique ne ressemble pas à la démocratie dont parle avec tant d’éloquence M. de Pontmartin : si elle concevait des ressentimens, elle ne voudrait pas les venger. Il n’appartient qu’aux écrivains gentilshommes de rêver de telles vengeances. Les écrivains roturiers se contentent de venger des injures[1]. Or la définition donnée par M. de Lamartine n’a rien d’injurieux. C’est une boutade de poète en colère parfaitement inoffensive, et qui peut tout au plus amener le sourire sur les lèvres.

D’ailleurs M. de Lamartine a pris soin lui-même de réfuter sa définition d’une manière victorieuse. Ceux qui avaient pu le croire sur parole pensaient sans doute que les poètes n’avaient qu’à tenter la critique pour révéler sur-le-champ et sans effort leur puissance souveraine dans ce domaine nouveau. Le jugement que vient de porter M. de Lamartine sur l’ensemble de la littérature française doit leur prouver qu’ils se sont trompés. La puissance des impuissans n’est pas si facile à conquérir que les poètes se plaisent à l’affirmer. Pour donner son avis, ce qui est sans doute un bien maigre lot, il faut encore prendre la peine d’étudier les hommes et les choses dont on parle; mais un pareil souci n’est pas digne d’un vrai poète, et M. de Lamartine s’est évertué à nous le prouver. Son érudition ne l’embarrasse pas. Il y a dans le développement de sa pensée une franchise, une liberté qui n’ont rien à démêler avec le doute. Voilà ce qui s’appelle prouver sa puissance. Les petits esprits qui n’ont jamais rien inventé, qui ont dépensé toute leur vie à chercher la raison du sentiment qu’ils expriment, se croient obligés de connaître les hommes dont ils parlent. M. de Lamartine inaugure dans la critique un système tout nouveau. Il parle sans hésiter des hommes et des choses dont il a entendu parler. Quel admirable entrain, quelle verve d’imprévoyance, quelle magnificence d’oubli ! Il ne s’inquiète pas de savoir si la seconde page contredit la première; à quoi bon? Un pareil souci n’appartient qu’aux impuissans; les poètes devinent tout, et n’ont besoin de rien apprendre; étudier, réfléchir, hésiter, comparer, sont des nécessités misérables que les poètes ne connaissent pas. Ils savent parce qu’ils veulent savoir, et la volonté leur tient lieu d’étude. Précieux privilège que je leur envie! Malheureusement j’ai la faiblesse de croire que pour parler il faut savoir, que pour savoir il faut étudier. Cette croyance naïve ne s’accorde pas avec la fécondité : quand on se laisse arrêter par de telles minuties, il n’y a pas moyen de lutter avec la plume facile de Scudéri, et M. de Lamartine, pour humilier les impuissans, tient à produire bon an mal an quelques milliers de pages. Nous autres gens de peu, nous sommes confondus. Nous ne pouvons lutter avec lui. Nous voulons savoir pourquoi nous parlons, et nous hésitons avant de parler. M. de Lamartine n’hésite jamais. Quelques esprits chagrins se permettront de relever çà et là, dans les jugemens qu’il prononce, quelques erreurs de chronologie; ils ont grand tort, et je les plains, c’est la manière la plus sûre de trahir leur impuissance. Les poètes ne relèvent pas de la chronologie; ils parlent, chacun le sait, la langue des dieux, et vivent dans l’éternité. Nous autres petits esprits, qui ne parlons que la langue humaine, nous prenons la peine d’apprendre dans quel temps, dans quel lieu les événemens se sont accomplis. Les écrivains qui vivent dans l’éternité ne s’occupent jamais de ces menus détails, et j’avoue qu’ils ont bien raison; ils profitent de leur privilège.

Tout irait bien jusque-là, si les admirateurs de M. de Lamartine, parmi lesquels je tiens à me ranger, ne poussaient leur indulgence un peu trop loin. Ils ne permettent pas qu’on relève les erreurs du poète devenu critique. Il est vrai qu’il a choisi la critique, personne ne l’ignore, comme un pis-aller, comme un délassement. Il juge les vivans et les morts, parce qu’il n’est plus en humeur d’inventer. C’est une manière ingénieuse de justifier la définition de la critique. Il ne peut plus inventer, et il veut juger. Cette démonstration ne me paraît pas victorieuse. On ne m’accusera pas de dénigrement, je l’espère du moins. Personne n’admire plus que moi les Méditations et les Harmonies, ose même dire que personne ne les a jamais louées avec plus d’empressement; mais quand je vois M. de Lamartine s’aventurer sur le terrain de la critique, je regrette sa crédulité. Je me rappelle involontairement l’anecdote de ce grand seigneur du siècle dernier à qui l’on demandait s’il savait jouer du violon et qui répondait : « Je n’ai jamais essayé. » M. de Lamartine, qui a dépensé les plus belles années de sa vie dans l’expression de ses joies et de ses douleurs personnelles, et qui, dans ce domaine étranger à l’étude, a conquis une gloire retentissante et légitime, s’est avisé un beau matin de toucher à l’histoire littéraire, non pas pour l’étudier, fi donc ! mais pour la raconter, ou plutôt pour la deviner. Hélas! la divination est un art perdu, tout dégénère; les plus puissans, comme les plus infimes, sont aujourd’hui obligés de s’informer avant de parler. L’âge d’or est passé depuis longtemps, nous sommes aujourd’hui dans le siècle de fer. On a beau parler la langue des dieux, bon gré mal gré, il faut accepter cette cruelle nécessité. Adam, de qui les poètes ne relèvent pas, puisqu’ils sont de race divine, puisque chacun les prend pour des anges sur la terre, Adam dans le paradis terrestre nommait chaque chose et chaque créature par son nom, et pourtant il n’avait appris aucune langue. Les poètes veulent aujourd’hui faire pour l’histoire ce qu’Adam faisait pour la création. Leur prétention est de tout deviner. Quand ils se trompent, c’est pure étourderie, ce n’est jamais ignorance. C’est du moins l’opinion de leurs plus fermes admirateurs. Ils ne peuvent ignorer, puisqu’ils sont doués de la science intuitive. Ils ont tout au plus oublié. Ils sont si loin du ciel, leur première patrie, que les défaillances de leur mémoire ne doivent pas nous étonner. Leur patrie nouvelle, la patrie que l’exil leur impose, est si pleine de misères, que leur nature s’appauvrit à leur insu. Ils oublient, parce qu’ils ne sont pas au milieu de leurs pairs. Ainsi, quand on se permet de leur dire qu’ils se trompent, on commet une impardonnable bévue. On les accuse de paresse, d’ignorance, on ne devrait s’en prendre qu’à leur mémoire. Ignorer, oublier sont deux choses qu’il n’est pas permis de confondre. L’ignorance est purement humaine, l’oubli ne doit pas nous étonner de la part des créatures divines. Quand il plaît à M. de Lamartine de raconter à sa manière l’histoire de la littérature française, nous aurions mauvaise grâce à lui demander pourquoi il traite les documens dont l’autorité n’a jamais été contestée avec un sans-façon qui blesse les hommes studieux. Les poètes ne sont pas faits pour écouter, encore moins pour accueillir de telles questions. Que leur parole s’accorde ou ne s’accorde pas avec les faits accomplis, peu importe. Notre premier, notre plus impérieux devoir est d’entendre leur parole avec respect.

Les conseils que je donne ici au lecteur ne m’appartiennent pas. Je ne suis qu’un écho, je répète humblement ce que disent en toute occasion les admirateurs de M. de Lamartine, non pas les admirateurs éclairés, mais ceux qui confondent la dévotion avec la superstition. Je crains pourtant, et pourquoi ne le dirais-je pas? qu’ils ne discréditent leur idole en lui attribuant de trop nombreux privilèges. La divinité des poètes n’est peut-être pas aujourd’hui un argument sans réplique. On veut bien ne pas la révoquer en doute, pourvu qu’ils se contentent de chanter ou de pleurer. Dès qu’ils désertent l’ode et l’élégie, et s’aventurent dans le champ de l’histoire, on écoute ce qu’ils disent comme des paroles purement humaines, et le doute commence, doute impie, je l’avoue, mais enfin doute avéré. Je crois donc que les admirateurs superstitieux de M. de Lamartine agiraient sagement en lui conseillant l’étude de l’histoire politique et littéraire, si toutefois il peut s’y résigner. S’ils continuent à l’encourager dans le dédain des faits accomplis, ils lui rendront, sans le vouloir, un très mauvais service. Les esprits sceptiques, et le nombre en est grand parmi nous, se méprendront sur le sens de cette indulgence. Ils croiront qu’on veut tout lui pardonner, comme à un enfant, et ce n’est pas là sans doute ce qu’on espère. Les amis du poète proscrivent la contradiction comme une impiété. Les sceptiques ne les prendront pas au mot, et se diront peut-être : « Nous avions tort en effet de juger les caprices d’un enfant comme des œuvres viriles. Il ne sait pas l’histoire, il ne l’a jamais étudiée, mais il lui plaît d’en parler. A quoi bon le troubler dans cette innocente fantaisie? Ses méprises ne peuvent égarer personne. Ceux qui veulent connaître le passé savent d’avance qu’ils ne doivent pas consulter ses livres. Il est donc parfaitement inutile d’en discuter la valeur. » J’ai lieu de penser que les admirateurs superstitieux de M. de Lamartine n’ont pas prévu les conséquences de leurs invectives. Ils accusent de méchanceté, de perfidie, d’ingratitude ceux qui se permettent de ne pas approuver toutes les pages signées de son nom. Ne feraient-ils pas mieux de ranger M. de Lamartine parmi les écrivains de race humaine et de lui indiquer les bévues qu’il commet, pour épargner aux sceptiques le triste soin de les signaler? En lisant les éloges qui lui sont prodigués, je me rappelle involontairement la fable de l’Ours et l’Amateur de Jardins. Ses panégyristes l’assomment en voulant le défendre. Dans ces hymnes ferventes, il n’y a pas une strophe qui ne soit un pavé : « Vous l’accusez d’ignorer, s’écrient-ils d’une voix irritée, pourquoi lui reprocher son ignorance? Admirez plutôt la magnificence de ses pensées. Ceux qui savent le passé n’auraient jamais trouvé ce qu’il trouve. » Ainsi leurs louanges mêmes sont un aveu. Ils le condamnent en croyant le glorifier. S’ils avaient relu La Fontaine, ils n’auraient jamais risqué ces paroles imprudentes.

M. de Lamartine nous avait promis un cours familier de littérature, et ceux qui croient à la puissance divinatrice des poètes attendaient ses leçons avec impatience. Il n’a pas à se plaindre du public, chacune de ses pages est accueillie par la foule avec une respectueuse déférence. Il raconte ses premiers succès de collège, et l’on applaudit. Il retrouve dans un vieux tiroir oublié ou bien il refait une description du printemps, et l’on bat des mains, on admire la précocité de son génie, on se demande comment un écolier de douze ans a pu choisir des images si bien assorties, disposer si habilement des paroles si harmonieuses: personne ne songe à discuter l’authenticité de cette trouvaille inattendue. Il plaît à M. de Lamartine de faire une excursion dans l’Inde, et chacun s’empresse de le suivre dans ce lointain voyage. Malheureusement, en commençant son cours familier de littérature, il n’avait aucun plan préconçu. Sous sa plume dévorante, l’épopée indienne s’est bientôt consumée, et nous voici, par un détour un peu long, ramenés à la littérature française. Les premières pages du cours familier traitaient de l’origine des langues, et si l’auteur n’a pas jeté un jour nouveau sur cette question difficile, il faut avouer du moins qu’il en a parlé avec une hardiesse héroïque. Il tranche toutes les difficultés par la révélation, et sur ce terrain la philologie ne peut engager la discussion. Aujourd’hui nous sommes bien loin de l’origine des langues, bien loin de l’épopée indienne; nous sommes en France, au milieu des hommes que nous avons connus et dont le nom retentissait à nos oreilles quand nous étions encore assis sur les bancs du collège. Il nous est donc permis de contrôler les jugemens que prononce M. de Lamartine. Il n’y a ni témérité ni présomption à discuter ce qu’il affirme, à combattre les croyances qu’il professe. Pour le suivre sur ce terrain qui nous est familier, l’érudition et la sagacité de Court de Gébelin ne sont pas de première nécessité : c’est la bonne foi qui doit jouer le premier rôle; mais au moment de parler, je me trouve arrêté par une difficulté singulière, par un obstacle inattendu. Comment discuter l’enseignement littéraire de M. de Lamartine? L’enseignement lui paraît sans doute chose trop futile pour occuper ses loisirs. Le cours familier qu’il nous a promis est une suite d’extraits entremêlés de récits très nombreux. Je n’ai rien à dire des extraits, qui sont en général choisis avec discernement, mais dont le choix ne demande pas de grands efforts d’intelligence. Quant aux récits, dont quelques-uns ne manquent pas de charme, nous pouvons tout au plus les accepter comme une distraction. Avec la meilleure volonté du monde, le plus habile ne réussirait pas à y découvrir une leçon. M. de Lamartine ne possède pas l’esprit didactique; loin de moi la pensée de lui en faire un reproche. Son plus grand bonheur, si je dois me prononcer d’après son cours familier, est de raconter non pas les événemens publics, mais sa vie personnelle. Les moindres épisodes de son enfance ou de sa jeunesse ont à ses yeux une immense importance. Il n’y a pas dans ses souvenirs une journée indifférente. Tout ce qu’il a pensé, tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a rêvé, tout ce qu’il a vu prend sous sa plume les proportions d’un événement. Il reprend dans son cours familier son auto-biographie. Nous avons lu avec plaisir ses Confidences, surtout les premières, et nous trouvons qu’il en atténue l’effet en les prolongeant.

Nous ne tenons pas à savoir pourquoi M. de Lamartine parle de Chateaubriand avec une admiration embarrassée, et parfois même avec amertume; mais nous avions le droit d’attendre un jugement sur un écrivain qui tient une si grande place dans l’histoire littéraire de notre temps, et au lieu d’un jugement M. de Lamartine nous offre un récit dont la puérilité se joue de toute vraisemblance. Le jeune écolier du collège de Belley désirait ardemment voir l’auteur de René. Lui parler, il n’y songeait pas, ses vœux n’allaient pas si loin. Accompagné d’un camarade animé du même désir, il s’aventure dans le bois d’Aulnay. Il savait confusément que Chateaubriand s’était retiré dans la vallée-aux-Loups. Demander sa maison, à quoi bon ? Il y a dans les murs où respire un homme de génie quelque chose de particulier qui ne se définit pas, mais qui se devine. Le futur auteur des Méditations poétiques ne s’y trompe pas. La maison de Chateaubriand est fermée. Comment apercevoir le grand écrivain ? Les deux écoliers de Belley grimpent sur un arbre. À cheval sur une maîtresse branche, ils attendent patiemment que Chateaubriand paraisse. Il paraît enfin, il descend de son perron, il ouvre la porte du jardin. O bonheur inespéré ! c’est bien lui. Il ne dément pas son portrait ; grosse tête et jambes grêles, il n’y a pas à se méprendre. Socrate jouait aux osselets : Chateaubriand joue avec son chat. Quelle joie pour les deux écoliers de surprendre le génie dans ce passe-temps familier ! Le chantre de Velléda, d’Eudore et de Cymodocée jette à son chat qui le suit hors de son jardin des boulettes de pain, et le chat court après les boulettes. N’est-ce pas là un souvenir plein d’intérêt ? Nous apprenons par la même occasion que les deux écoliers, avant d’apercevoir le grand homme, ont déchiré leurs habits en grimpant sur la crête d’un mur couvert de tessons de bouteille. C’est en écrivant de telles pages que M. de Lamartine veut initier ses lecteurs à l’histoire littéraire de notre pays.

Je voudrais n’avoir pas à citer d’autres anecdotes de la même valeur ; mais il faut garder le silence, ou dire sa pensée tout entière. Quand il s’agit d’un écrivain dont la renommée repose sur des titres légitimes, les ménagemens seraient pure faiblesse. Nous ne pouvons oublier les Méditations et les Harmonies, qui placent M. de Lamartine au premier rang de nos poètes. Nous aurions voulu le voir demeurer dans le rôle qui lui a donné la gloire. Puisqu’il recommence à tout propos le récit de sa jeunesse, nous sommes obligé de noter dans cette narration les pages puériles, qui malheureusement sont trop nombreuses. On se demande comment un écrivain parvenu à la maturité peut écrire de pareils enfantillages. Nous aimerions mieux nous trouver en face de pensées sérieuses, mais il ne dépend pas de nous d’élever le débat. M. de Lamartine raconte avec emphase les détails les plus futiles sans réussir à exciter dans l’âme du lecteur une émotion, même passagère. Il désirait, comme son ami Auguste Bernard, voir Mme de Staël. De la part d’un écolier, c’était sans doute un désir très naturel ; mais le moyen imaginé pour contenter ce désir est presque aussi ingénieux que l’expédition de la Vallée-aux-Loups. Pour apercevoir Mme de Staël, les deux amis passent une journée entière dans un fossé sur la route de Nyons à Coppet. Leur courage est dignement récompensé; il leur est enfin donné d’entrevoir la moderne Sapho à travers la poussière soulevée par les roues de son carrosse : bonheur précieux que M. de Lamartine célèbre dignement! Cette nouvelle personnification le frappe d’un second respect pour la fécondité intellectuelle de son siècle. Ces dernières paroles, qu’on pourrait trouver étranges, ne m’appartiennent pas : l’arithmétique appliquée à l’admiration est une invention aussi aimable que hardie, que je n’entends pas revendiquer. M. de Lamartine, par ses relations de famille, aurait pu facilement pénétrer dans le salon de Mme de Staël comme dans le salon de Chateaubriand; mais s’il eût employé de tels moyens, toute sa jeunesse se fût décolorée, il serait descendu au rang de personnage prosaïque. Voir Chateaubriand du haut d’un châtaignier, Mme de Staël du fond d’un fossé, à la bonne heure ! voilà qui est poétique. Un homme qui débute ainsi dans la vie se détache vigoureusement sur le fond monotone de notre société; il ne fait rien comme tout le monde, chacun sent qu’il est réservé aux plus grandes choses. Il y a trente-six ans, quand je lisais pour la première fois les Méditations poétiques, je m’étais contenté prosaïquement d’emprunter le livre à un de mes camarades. Si je m’étais caché dans un fossé sur la route que devait suivre M. de Lamartine, si j’avais épié son passage pour lui demander un exemplaire de ses Méditations, qui sait ce que je serais devenu? Il est probable que ma vie tout entière se fût ressentie de ce premier début, la renommée m’aurait témoigné plus d’indulgence; mais je suis demeuré platement dans les conditions prosaïques de la vie ordinaire. Je n’ai guetté ni M. de Lamartine ni Chateaubriand. J’ai lu ce qu’ils ont écrit sans grimper sur les châtaigniers pour les apercevoir, et me voilà Gros-Jean comme devant. Que la jeunesse médite cet enseignement!

La manière dont M. de Lamartine aperçoit lord Byron est plus in- génieuse encore que l’expédition de la Vallée-aux-Loups et la jour- née passée dans un fossé sur la route de Nyons à Coppet. L’orage gronde, la foudre sillonne la nue; l’amant désolé que nous avons connu dans les Pages de la Vingtième année sous le nom de Raphaël s’est réfugié dans une grotte au bord du lac du Bourget, entre un vieux mendiant et un petit berger. La pluie tombe par torrens. Que c’est beau! Tout à coup un cri se fait entendre, un cri de détresse. Une barque paraît sur la cime des vagues écumeuses, une barque armée de quatre vigoureux rameurs. Une rame vient de se briser; l’abîme va les engloutir. Sur l’avant de la barque, Raphaël aperçoit un beau jeune homme, immobile, intrépide et souriant, mais si beau, si beau, que pour voir son pareil il faut s’adresser aux contes de fées. Tout naturellement Raphaël interroge le vieux mendiant, qui connaît tous les gens du pays et les étrangers qui viennent promener leur ennui dans les montagnes de la Suisse et de la Savoie. Le mendiant ne sait pas le nom de l’intrépide navigateur, mais il peut du moins vanter sa bienfaisance et traiter sévèrement ceux qui parlent de sa méchanceté. Quoiqu’il écorche un peu le nom de lord Byron, Raphaël réussit pourtant à le deviner. Il n’a fait qu’entrevoir le poète anglais pendant quelques minutes, à la lueur des éclairs, mais cette rapide apparition a suffi pour graver son image dans la mémoire du voyageur. Que dites-vous de cet épisode ? Peut-on rêver une rencontre plus poétique entre l’auteur des Méditations et l’auteur du Corsaire? Quelle admirable réunion de circonstances imprévues! Puis vient l’éloge du visage entrevu tout à l’heure sur l’avant de la barque livrée à toute la fureur des vents, car j’omettais de dire que le gouvernail s’était brisé en même temps qu’une rame. À ce propos, M. de Lamartine cite un passage de Moore, qui sans doute est mal traduit, puisqu’il n’offre aucun sens, et un passage de Beyle, dont il écrit le nom, par méprise ou par étourderie, comme celui de l’auteur du Dictionnaire historique et critique. Après le panégyrique des yeux et de la bouche, nous avons le panégyrique du menton, qui paraît jouer un rôle immense dans l’harmonie souveraine de ce poétique visage. Mais la phrase la plus étonnante est celle qui s’applique à la beauté du front : le front de lord Byron était plus haut que large, et cette singularité s’explique d’autant plus facilement, qu’il rasait ses tempes et ramenait ses cheveux sur son front. L’explication, je l’avoue, n’explique pas grand’chose. Pour arriver à louer Byron en termes si étranges, ce n’était pas la peine de s’abriter sous un rocher, entre un mendiant et un berger, pendant une terrible tempête. La pompe de l’exorde ajoute encore à la puérilité de la narration.

Il y a dans les souvenirs de M. de Lamartine une confusion que nous avons peine à comprendre, qui étonne tous les témoins des choses qu’il raconte. Les événemens les plus récens, les rencontres de la veille prennent dans sa mémoire un caractère inattendu, qui peut convenir au roman, mais dont l’histoire littéraire ne s’accommode pas. En lisant les pages signées de son nom qu’il nous donne pour un cours de littérature, les hommes qui ont franchi les années de la jeunesse marchent de surprise en surprise, et se demandent à bon droit s’ils rêvent ou s’ils veillent. Sa première entrevue avec Victor Hugo semble écrite par un étranger qui n’aurait jamais connu l’auteur des Orientales, qui ne saurait rien de sa famille. On dirait, qu’il s’agit d’un épisode des temps héroïques, sur lesquels les historiens les mieux informés peuvent varier sans manquer à la bonne foi. Chateaubriand, en parlant de Victor Hugo, l’appelait l’enfant sublime. Le duc de Rohan, qui plus tard fut archevêque de Besançon, conduit M. de Lamartine chez Victor Hugo, dont le nom commençait à grandir. Or tous ceux qui ont connu Victor Hugo savent très bien qu’il était le plus jeune fils du général Hugo. L’aîné de la famille était Abel Hugo, le second fils s’appelait Eugène ; le Conservateur littéraire, publié sous la restauration, était signé tour à tour par les trois fils du général. Cependant M. de Lamartine, en racontant sa première entrevue avec Victor Hugo, intervertit l’ordre des naissances avec un sans-façon qui serait à peine excusable chez un étranger. Savoir ce que je rappelle n’est certainement pas un mérite; mais à quoi bon dénaturer les faits? Comment ne s’est-il pas trouvé près de M. de Lamartine un ami assez hardi pour lui dire qu’il se trompait? Le narrateur aperçoit deux enfans blonds et sourians sur les genoux de leur mère, Abel et Eugène, les aînés de Victor; il pénètre dans un cabinet d’étude et se trouve en face du poète adolescent, dont les tempes sont couvertes de la moiteur du génie. C’est à lui qu’appartiennent ces dernières paroles. Il ne comprend pas le poète sans les frissons de la pythonisse. L’intelligence d’Eugène Hugo, qui avait jeté de vifs éclairs dans le Conservateur littéraire, s’est de bonne heure obscurcie, et son nom n’est demeuré que dans la mémoire de ses amis. Quelques pages sur André Chénier attestent chez lui un sentiment très fin de la beauté poétique. Abel Hugo, mort il y a quelques années, a publié sous la restauration quelques pièces traduites du Romancero. Comment donc M. de Lamartine a-t-il pu voir sur les genoux de leur mère Abel et Eugène Hugo, tandis que leur plus jeune frère, déjà parvenu à l’adolescence, portait sur ses tempes la moiteur du génie? Ceux qui ne savent pas avec quelle facilité l’auteur des Méditations poétiques dénature les faits familiers à tout le monde pourraient se demander s’il a jamais connu Victor Hugo.

Selon son habitude, M. de Lamartine n’assigne aucune date à l’entrevue qu’il raconte, mais il caractérise l’entretien engagé entre l’enfant sublime et le chantre d’Elvire en termes qui ne se recommandent pas précisément par la modestie. Les deux poètes parlaient entre eux comme deux exilés du ciel qui se retrouvent sur la terre. Nous savons depuis longtemps que la poésie est la langue des dieux : c’est une vérité consacrée qu’on apprend sur les bancs du collège; mais je crois qu’il serait de bon goût, quand on a l’honneur de parler soi-même la langue divine, de ne pas traiter la terre avec un dédain si superbe. Il y a de certains éloges qu’on ne doit pas s’adresser, qu’il vaut mieux attendre. On est de race divine, on n’en dit rien, et tout le monde vous en sait gré. Les premiers vers de Victor Hugo ont été publiés en 1822, c’est-à-dire deux ans après les Méditations poétiques. Il serait donc intéressant de connaître la date de cette entrevue où la moiteur du génie joue un rôle si important. Malheureusement M. de Lamartine a négligé de nous dire en quelle année le duc de Rohan le conduisit chez Victor Hugo. Le visiteur est né onze ans avant l’exilé du ciel qui s’entretenait avec lui des misères de cette terre d’épreuves, il est donc probable qu’il a dû lui parler avec une autorité un peu plus que fraternelle; mais à cet égard le récit est muet, nous ne savons rien de cet entretien, sinon qu’ils appelaient le ciel leur patrie et la terre un lieu d’exil.

Que M. de Lamartine ignore l’histoire de l’Europe, je ne m’en étonne pas : les émotions de sa vie ne lui ont pas laissé le temps de l’étudier. Qu’il oublie les journées mêmes dont sa vie est faite, voilà ce qui sera pour moi un perpétuel sujet de surprise. Et ce qui m’étonne encore davantage, c’est que personne ne relève, en marge de ses épreuves, les méprises qu’il prodigue presque à chaque page. Victor Hugo n’est pas un homme des temps fabuleux; pourquoi faire de lui l’aîné de sa famille? Quand on voit le narrateur se fourvoyer à ce point en recueillant ses souvenirs personnels, quelle confiance peut-on accorder à ses récits historiques? La connaissance du passé exige des études laborieuses, la vie des nations ne se laisse pas deviner; mais ignorer sa propre vie, parler de ses contemporains, de ceux qu’on a coudoyés, comme si on ne les avait jamais rencontrés, voilà qui me confond. Il y a des écrivains qui n’inventent rien et qui croient inventer en transcrivant leurs souvenirs. M. de Lamartine invente à son insu. C’est une erreur que nous devons condamner même dans un cours familier de littérature. Une mémoire plus fidèle, une plus grande simplicité de langage seraient le meilleur moyen d’enchaîner l’attention du lecteur. Les erreurs que je relève, et que chacun aperçoit, éveillent une défiance trop légitime.

J’avais déjà lu dans les Confidences de M. de Lamartine une anecdote que j’aurais voulu ne pas retrouver dans le Cours familier de littérature. Nous avons tous admiré dans notre jeunesse l’ode adressée à M. de Bonald, et qui s’appelle le Génie. Nous prenions pour sincères les sentimens exprimés dans cette pièce lyrique. Nous apprenons aujourd’hui pour la seconde fois que l’auteur, en écrivant ces vers, dont le rhythme et la mélodie nous ont charmés, ne consultait pis ses souvenirs personnels, et se faisait l’écho des salons. Il ne connaissait pas une page de M. de Bonald; il avait entendu parler de la Législation primitive, et les éloges recueillis au passage lui suffisaient pour composer une ode. C’est peut-être un procédé usité parmi les poètes, je n’en sais rien : usité ou non, il n’est pas prudent de le révéler. Célébrer le génie sur ouï-dire, et le confesser, n’est pas le moyen le plus sûr d’établir l’autorité morale de la poésie. C’est là une espièglerie dont on peut se vanter entre initiés, mais qu’il n’est pas sage de confier aux profanes. Dire à toute une génération, aujourd’hui parvenue à la virilité : « Ce que vous avez pris pour une émotion vraie n’était qu’un jeu d’esprit; j’ai assemblé en strophes harmonieuses des paroles qui n’avaient pour moi qu’une valeur musicale, » en vérité, c’est pousser trop loin le dédain de ses lecteurs. Après un pareil aveu, l’auteur aurait mauvaise grâce à dire que la critique le traite avec irrévérence. Parmi les juges les plus sceptiques, jamais un seul n’eût songé à porter contre M. de Lamartine une telle accusation. Chacun prenait les premières méditations poétiques pour des pages empreintes d’une émotion réelle, et voici que M. de Lamartine vient nous détromper. Nous étions dupes de son habileté. J’ai besoin de croire que toutes les pièces de son premier recueil n’ont pas été composées dans les mêmes conditions que l’ode adressée à M. de Bonald. Si des aveux du même genre venaient à se multiplier, la poésie ne serait plus une œuvre d’imagination, mais une œuvre de mensonge. En relisant cette confession renouvelée, dont l’auteur du Cours familier de littérature pouvait très bien se dispenser, je me suis demandé quel motif le poussait à cette cruelle .franchise, cruelle pour lui-même, bien entendu, et je n’ai pas réussi à le deviner. Est-ce humilité, repentir, ou bien est-ce un caprice de vanité? A-t-il cru qu’en nous contant cette supercherie, il nous donnerait une preuve éclatante de sa supériorité? Quelle que soit la vraie cause de sa conduite, je pense qu’il s’est fourvoyé. Orgueil ou repentir, peu importe : il valait mieux nous laisser notre croyance. Puisqu’il avait célébré en vers harmonieux la Législation primitive, il devait respecter notre confiance comme une partie de sa gloire. Nous aurions pardonné au poète d’avoir pris dans sa jeunesse un sophiste pour un philosophe, quoique en 1820 il fût en âge de se renseigner. Quand nous le voyons, trente-six ans plus tard, donner son enthousiasme comme une niche ingénieuse qu’il s’est plu à nous jouer, et parler pourtant de la Législation primitive en homme qui ne la connaît guère, notre étonnement se change en dépit. En appliquant les doctrines de M. de Bonald, nous n’aurions pas un gouvernement dont les ministres seraient nommés par Dieu! Je crois bien que M. de Lamartine, aujourd’hui comme en 1820, en parle sur ouï-dire.

A propos de l’ode adressée à M. de Lamennais, l’auteur des Méditations poétiques ne confesse aucune supercherie. Nous devrions penser qu’il parle pertinemment de l’Essai sur l’Indifférence. Cependant le doute s’éveille en nous quand nous lisons dans le Cours familier de littérature que depuis Jean-Jacques Rousseau jusqu’à l’auteur d’Indiana jamais style pareil ne s’était vu. La parenté littéraire de Lamennais et de Jean-Jacques n’est contestée par personne; mais l’Essai sur l’Indifférence a précédé Indiana de plusieurs années, et le second terme de comparaison manque de justesse. Si nous en croyons les pages publiées cette année, le disciple de Rousseau, qui défendait l’autorité de l’église dans la langue du vicaire savoyard, après avoir lu les premiers vers de M. de Lamartine, se serait écrié comme Archimède : Eurêka. Et notez que l’abbé Lamennais, en poussant cette exclamation, avait le coude appuyé sur son oreiller! Qu’il ait exprimé son admiration en grec ou en français, peu nous importe. Ce que nous devons constater d’après le témoignage de M. de Lamartine, c’est qu’en répétant le cri du géomètre de Syracuse, il voyait dans l’auteur des Méditations un défenseur de l’église. Qu’eût-il pensé de l’ode du jeune poète en lisant ce que nous venons de lire? Il avait étudié tour à tour Bossuet et Rousseau, et plus d’une page de l’Essai sur l’Indifférence rappelle l’Histoire des Variations, tandis que la page suivante réveille le souvenir de l’Emile; mais eût-il pardonné à son panégyriste de placer l’Essai sur l’Indifférence après Indiana? Il est au moins permis d’en douter. Les éloges que M. de Lamartine donne aujourd’hui à l’abbé Lamennais ne s’accordent pas précisément avec l’ode publiée en 1820, et ne paraissent pas inspirés par une lecture très attentive de ses œuvres. De quelque manière en effet qu’on juge les variations politiques et religieuses de cet illustre écrivain, qu’on le plaigne ou qu’on l’approuve, qu’on lui attribue la connaissance de la vérité au début ou à la fin de sa vie littéraire, on a peine à comprendre la manière dont M. de Lamartine le baptise. Grand agitateur de style! C’est un étrange panégyrique. Ou les termes ne signifient rien, ou bien ils signifient que l’abbé Lamennais a passé sa vie à remuer des mots. C’était bien la peine de s’écrier : Eurêka, pour obtenir après sa mort un éloge aussi énigmatique. Agitateur de style, autant vaut dire rhéteur. S’il est arrivé à l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence de déclamer comme Rousseau, on ne peut contester la puissance de sa dialectique, et je crois qu’il a souvent remué des idées. En étudiant les pages signées de son nom, on est amené à penser qu’il n’a jamais été assez franchement théologien pour répudier la philosophie, ni assez franchement philosophe pour répudier la théologie ; mais l’éloge que lui accorde M. de Lamartine est bien voisin de l’ingratitude.

M. de Lamartine essaie de tracer le portrait de Balzac, et j’avoue que les premières lignes ont excité en moi une vive curiosité. Entre l’auteur des Méditations poétiques et l’auteur de la Comédie humaine, l’abîme est si profond, que je me demandais comment le poète lyrique avait pu toucher à de telles œuvres. Hélas ! ma curiosité a été cruellement déçue. Pour tracer le portrait qui m’avait alléché, le poète n’a pas eu besoin de regarder son modèle. C’est une œuvre de fantaisie dans le sens le plus réel du mot. Il est vrai que, pour simplifier sa tâche, le peintre s’est dispensé de nommer les récits sur lesquels il donne son jugement. J’avais peine à me figurer M. de Lamartine lisant César Birotteau, le Lys dans la Vallée, ou la Peau de Chagrin. J’avais raison. Je ne crois pas maintenant qu’il ait jeté les yeux sur une seule page de ces récits très peu lyriques. Il fait pour Balzac ce qu’il avait fait pour M. de Bonald; il parle de lui sur ouï-dire. Par un caprice singulier, en même temps qu’il exalte la Comédie humaine, il traite la personne de l’auteur, ou du moins l’extérieur de la personne, avec une sévérité railleuse à laquelle je ne m’attendais pas. Il parle de ses vêtemens trop courts et trop étroits. Il va même, et c’est une hardiesse étrange pour ceux qui ont connu Balzac, jusqu’à lui donner des bas bleus. Il est vrai que le romancier était parfois négligé dans sa tenue, mais il avait de grandes prétentions à l’élégance, et s’efforçait de prendre place parmi les lions quand il allait dans le monde. Il préférait les bottes vernies aux bas bleus, et je ne sais pas pourquoi M. de Lamartine se plaît à le représenter comme un collégien que sa famille aurait laissé grandir sans renouveler son costume. Quant au jugement prononcé sur la valeur littéraire de Balzac, il a de quoi nous étonner. Nous apprenons aujourd’hui pour la première fois que l’auteur de la Comédie humaine est supérieur à Molière par la fécondité : s’il demeure au-dessous de lui, il ne doit s’en prendre qu’à l’imperfection de son style. Voilà ce qui s’appelle un portrait vraiment original, une découverte inattendue; jamais personne ne se fût avisé de ce rapprochement singulier. Il était réservé à l’auteur des Méditations poétiques de placer Molière en regard de Balzac, et d’assigner à Molière le second rang dans l’ordre intellectuel. C’est ainsi que M. de Lamartine écrit l’histoire !

A-t-il voulu témoigner de la bienveillance à M. Sainte-Beuve ? Vraiment je n’en sais rien. Il fait de lui un Protée merveilleux dont toutes les métamorphoses défient la sagacité des plus hardis prophètes; mais après avoir dit que sa conversation ravissait Mme Récamier, qu’il luttait de charme et d’imprévu avec Chateaubriand, il ajoute qu’il a étudié les grands hommes à la loupe, il fait de lui l’inventeur d’une sorte d’entomologie littéraire. Si j’étais à la place de M. Sainte-Beuve, j’hésiterais avant de remercier. Cet éloge est mêlé de tant d’égratignures, qu’on peut le relire deux fois sans deviner l’intention du panégyriste. L’auteur des Consolations, plus pénétrant que moi, plus familier avec les réticences, les demi-mots et les sous- entendus, sait sans doute à quoi s’en tenir. Pour M. Alfred de Vigny, le pinceau de M. de Lamartine n’est pas moins capricieux. Le nouvel historien littéraire, qui veut bien descendre parmi ceux qu’il avait si cruellement condamnés, caractérise le talent de l’auteur d’Eloa en termes que les critiques ordinaires, je veux dire ceux qui ne possèdent que la puissance des impuissans, n’auraient jamais imaginés. Il le place sur un isoloir pour le préserver du coudoiement de la foule. Il fait de lui une espèce de Siméon Stylite, immobile et majestueux. Est-ce un éloge, est-ce une épigramme? J’abandonne aux critiques de nos jours le soin de se prononcer. Mais d’abord M. de Lamartine sait-il bien ce que c’est qu’un isoloir? On enseigne aux écoliers qu’un corps électrisé placé sur un isoloir est préservé de toute communication avec le réservoir commun, avec la terre que nous habitons. M. de Lamartine a-t-il pensé aux conséquences qu’on pourrait tirer de cette comparaison scientifique? En vérité je n’ose le croire, car, sans se piquer de malice, le lecteur pourrait se dire : M. Alfred de Vigny est un homme à part, tellement à part, que la foule ne prend aucun souci de sa parole, et dans ce cas l’épigramme ne serait pas d’accord avec la raison. M. de Lamartine, pour compléter le portrait, ajoute que le Moïse du poète rappelle le Moïse de Michel-Ange. Je veux croire que l’auteur a visité l’église de Saint-Pierre-aux-Liens, et connaît le tombeau de Jules II; mais je m’épuise en efforts inutiles pour trouver un point de comparaison entre l’œuvre du statuaire et l’œuvre du poète. Je crains que M. de Lamartine n’ait choisi le nom de Michel-Ange au hasard comme un nom sonore qui devait embellir sa période.

Ceux qui connaissent l’histoire littéraire de notre temps se rappellent sans doute un échange d’épîtres entre M. Alfred de Musset et M. de Lamartine. L’auteur de Rolla, après avoir témoigné sa profonde et légitime admiration pour l’amant d’Elvire, laissait échapper un soupir de découragement, et le poète dont les tempes commençaient à se dépouiller traitait son jeune ami avec une sévérité paternelle. Aujourd’hui voici que l’amant d’Elvire essaie de caractériser le talent de M. Alfred de Musset comme pourrait le faire un critique étranger au commerce des muses. Il parle en prose, et nous avons le droit de le juger comme un simple prosateur; mais les hommes habitués à parler la langue des dieux s’avisent de bien des choses que les profanes ne trouveraient pas. Au témoignage de M. de Lamartine, M. Alfred de Musset applique les couleurs du Corrège sur les contours de l’Albane. C’est pour l’Albane un grand honneur, pour Corrège un sujet d’étonnement. C’est à peu près comme si l’on disait : les vers de Racine sur la pensée de Florian. Il est impossible d’imaginer un rapprochement plus imprévu. Décidément je commence à croire que la plus sûre manière de révéler sa puissance est de ne rien étudier. On garde une plus grande liberté d’allure, on n’est pas arrêté à chaque pas par des souvenirs importuns. Les critiques ordinaires qui connaissent le Corrège et l’Albane n’oseraient les rapprocher. M. de Lamartine, qui sans doute les ignore tous deux, ne montre pas tant de timidité. Nous pouvons maintenant nommer les aïeux de M. Alfred de Musset ; c’est une découverte inattendue.

Pour compléter le tableau de la littérature contemporaine, M. de Lamartine parle avec une prédilection marquée des orateurs qui ont illustré la tribune française. On pouvait, on devait croire qu’il se trouverait plus à l’aise sur ce nouveau terrain, car personne n’a jamais mis en doute le talent oratoire du nouvel historien de notre littérature. Malheureusement le désir d’écrire des mots à effet l’a entraîné bien loin de la vérité. En parlant de la restauration, il avait déjà essayé le portrait de Royer-Collard, et ses plus fervens admirateurs sont obligés d’avouer qu’il n’avait pas réussi. Il revient à cette grande figure, et j’ai le regret de dire que la seconde tentative n’est pas plus heureuse que la première. Il voit dans Royer-Collard un homme philosophe par nature, orateur par réflexion, et il ajoute que les discours de l’orateur philosophe ne se comprenaient qu’à la seconde, et souvent même qu’à la troisième lecture ; aveu que nous devons enregistrer, mais qui ne révèle pas chez l’historien une grande puissance d’attention, car les discours de Royer-Collard se recommandent tout à la fois par l’élévation des idées et la clarté du langage. Il est vrai qu’il ne se complaît pas dans les lieux communs, mais ce n’est pas une raison suffisante pour l’accuser d’obscurité. Sous la plume de notre historien, M. Lainé devient une figure antique, non pas de celles qui se trouvent dans Plutarque, mais une figure détachée d’une page de Tacite. M. de Lamartine a choisi Tacite pour son parrain et donne à entendre en toute occasion qu’il le préfère à tous les autres modèles. C’est de sa part une admiration bien désintéressée, puisqu’il n’a jamais imité la concision de son parrain. A l’égard de M. de Serres, l’admiration de M. de Lamartine se conçoit plus aisément, si l’on consent à prendre au sérieux la définition du modèle. M. de Serres serait le plus lyrique de tous nos orateurs, et M. de Lamartine veut être avant tout un orateur lyrique. Au premier aspect, cette définition est inoffensive ; mais si l’on prend la peine de l’approfondir, on ne tarde pas à découvrir qu’elle proscrit l’étude technique des questions. Un orateur lyrique méprise les chiffres ou les assouplit. Tout ce qui touche à la matière l’effarouche, comme la boue effarouche l’hermine. Il craindrait de souiller sa pensée en descendant jusqu’aux vulgaires intérêts dont se compose trop souvent la vie des nations. Pour lui, vivre c’est planer ; fouler la terre, c’est déroger. Cette définition ne s’accorde pas précisément avec les discours de M. de Serres; mais qu’importe? C’est un caprice de peintre qui a du moins le charme de l’imprévu, et d’ailleurs ce caprice se comprend d’autant mieux que M. de Lamartine, secrétaire d’ambassade à Naples, en congé à Paris, était chargé d’initier M. de Serres, nommé ambassadeur, aux récentes révolutions d’Italie.

Après les portraits de MAI. Laine et de Serres, je n’ai pas grand’chose à mentionner. Les signes imaginés par le peintre pour caractériser ses modèles sont tellement indécis, qu’ils demeurent à peu près inutiles. M. Thiers, dont la voix n’est ni mélodieuse ni sonore, discute les questions et tient à mettre l’auditoire au fait. M. de Lamartine l’admire avec une sorte d’étonnement : ce n’est pas là ce que j’appellerai un trait indécis; mais en parlant de M. Guizot, de M. Barrot, il n’est pas tout à fait aussi clair. M. Guizot est caractérisé par son nom. Quant à M. Barrot, il représente l’universalité. Est-ce une ironie, est-ce un compliment? Pour ma part, je n’en sais rien, mais j’avouerai humblement que M. Barrot ne s’était pas révélé à moi comme un esprit encyclopédique. J’ai toujours rendu justice à l’élévation de son talent. Quant à l’universalité de son intelligence, je n’ai pas été assez pénétrant pour la découvrir. Il m’a semblé qu’il disposait d’un certain nombre de principes assez vrais, assez libéraux, mais qu’il éprouvait quelque embarras quand la discussion l’amenait sur le terrain des faits. Me suis-je trompé? La raison et la vérité sont-elles du côté de M. de Lamartine? Ce n’est pas à moi qu’il appartient de le décider.

Je ne veux pas insister cependant sur l’histoire de la tribune française, car on m’accuserait à bon droit d’abuser de l’évidence. Le peintre a mis tant de fantaisie dans ses portraits, que les modèles sont difficiles à reconnaître. Il me paraît plus expédient d’appeler l’attention du lecteur sur quelques figures du siècle dernier dessinées en traits hardis et nouveaux. On pensait jusqu’à présent que le style de Jean-Jacques Rousseau était plus laborieux que celui de Voltaire. M. de Lamartine est d’un autre avis. Il voit dans Voltaire le grand monétisateur de l’esprit humain. Nous ne le chicanerons pas pour un barbarisme de plus ou de moins : il est habitué à ne reculer devant aucune témérité; quand la langue lui résiste, il la meurtrit sans pitié; mais il fait de Rousseau un écrivain spontané, et vraiment on est tenté de croire qu’il n’a jamais lu une page de l’Emile ou de la Nouvelle Héloïse. Chose étrange, après avoir vanté le style de Jean-Jacques comme naturel et involontaire, il le compare au style de Platon. Or les lecteurs du Phédon ou du Timée n’ont jamais pensé que Platon fût un écrivain spontané. Il était réservé à M. de Lamartine d’en faire un esprit naïf. C’est abuser des privilèges du génie. Il paraît que Jean-Jacques a inondé l’Europe de ses romans. Quelle découverte ! les ignorans croyaient jusqu’à présent qu’il n’avait écrit qu’un seul roman, la Nouvelle Héloïse. Ce n’était pas assez pour inonder l’Europe. Quelle erreur ! Jean-Jacques Rousseau, pendant trente ans, a chanté le ranz des vaches à la France étonnée et charmée. Pour la Nouvelle Héloïse, passe encore, il ne faut pas se montrer trop sévère ; mais l’Émile, mais les Confessions, mais le Contrat social, comment les ramener au ranz des vaches ? Et le Discours sur les sciences, et le Discours sur l’origine de l’inégalité, est-ce encore le ranz des vaches ? Qui diable se serait avisé de cette merveilleuse comparaison ? Un projet de constitution pour la Pologne, une lettre à l’archevêque de Paris, toujours le ranz des vaches ! Quelle mélodie ! C’est à désespérer tous les musiciens. Il faut voir cependant comme M. de Lamartine juge les prosateurs qui ont précédé Rousseau. Il les tance vertement. Fénelon, prose molle ; Bossuet, prose brusque. On croyait que Fénelon, en écrivant les Aventures de Télémaque, avait abusé du souvenir de l’Odyssée, mais on se plaisait à reconnaître l’élégance de son style : autre bévue que nous devons enregistrer ; l’élégance n’est que de la mollesse. Nous pensions que les Oraisons funèbres et le Discours sur l’Histoire universelle pouvaient se comparer, pour l’abondance et la majesté, aux plus belles pages de Cicéron : que nous étions mal informés ! Le seul mérite de Bossuet, c’est la brusquerie. Quant à Buffon, il est trop majestueux, et décrit les mœurs des animaux sans témoigner la moindre sensibilité. M. de Lamartine n’hésite pas à le baptiser du nom d’athée. Le mot est dur, mais l’ombre de Buffon pourra se consoler en songeant au ranz des vaches chanté pendant trente ans par Jean-Jacques Rousseau ; puis il a préparé la langue de la science pour Herschel et Audubon, un astronome et un naturaliste qui ne s’en doutaient pas. Le portrait de Buffon est un des plus curieux que nous puissions citer, car l’écrivain français se trouve avoir préparé dans un autre idiome la langue d’un astronome et d’un naturaliste. Je ne crois pas qu’on puisse aller plus loin dans le domaine de l’invention.

L’éloge donné à M. Michelet ne manque pas non plus d’originalité. Shakspeare de l’histoire ! Reste à savoir si la science historique et l’art dramatique s’accommodent de cette alliance. M. Cousin aurait enseigné à la France la philosophie de l’enthousiasme ; malheureusement on attendait de lui le mot de Dieu, et il n’aurait dit que des demi-mots. Si l’Ecosse et l’Allemagne lisent le portrait de M. Cousin, elles s’étonneront quelque peu, j’imagine. Reid, Dugald Stewart, Hamilton, ne sont pas précisément des enthousiastes. Leibnitz et Kant, Fichte, Schelling, Hegel, ne sont guère connus sous cette dénomination. Parmi les cinq noms que je viens de rappeler, il y en a trois au moins qui ont toujours signifié la science la plus austère, et je n’ai pas besoin de les désigner ; mais M. de Lamartine ne s’inquiète pas de ces menus détails.

Sa conversation avec M. de Talleyrand donnerait à penser que le diplomate vieilli dans les négociations, qui avait connu Mirabeau, voyait dans l’auteur des Méditations poétiques l’héritier de ce grand nom. Je ne voudrais pas prendre sur moi de contester l’authenticité du récit. Je me demande seulement si le narrateur, dont je ne révoque pas en doute la parfaite sincérité, n’est pas dupe d’une raillerie.

Plus d’un lecteur, je ne l’ignore pas, me trouvera bien sévère pour M. de Lamartine, et se demandera pourquoi j’épluche avec tant d’attention des pages improvisées. Je prévois le reproche, et ne suis pas embarrassé pour le réfuter. Je n’ai jamais considéré la science comme une obligation. Il y a d’heureuses natures qui peuvent conquérir la renommée sans pâlir sur les livres, et je n’hésite pas à ranger M. de Lamartine parmi ces natures privilégiées. Les Méditations, les Harmonies et Jocelyn, qui n’ont rien à démêler avec l’étude, sont d’admirables ouvrages, que j’ai loués en toute occasion de manière à prouver que personne n’estime plus haut que moi le génie lyrique de l’auteur ; mais les esprits que le ciel a traités avec le plus de générosité ne peuvent se dérober à la condition commune, à la nécessité d’étudier, dès qu’ils veulent parler d’histoire et de philosophie. Maîtres souverains de leur pensée, affranchis de toute lecture, tant qu’ils demeurent dans le domaine de leurs impressions personnelles, tant qu’ils parlent de leurs espérances, de leurs regrets, ils trébuchent à chaque pas, s’il leur prend fantaisie de se mêler à la discussion. Ils ne savent pas et dédaignent d’étudier. Soit paresse, soit présomption, ils essaient de tout deviner, et ne devinent rien. Des esprits très ordinaires, je le veux bien, moins richement doués, j’y consens, mais qui ont vécu dans le commerce des livres, qui connaissent le passé, qui le connaissent d’une manière précise, qui n’ont jamais essayé de le deviner, s’attribuent le droit de relever leurs bévues, et là-dessus les courtisans se récrient. Les hommes de génie ne relèvent pas de)a loi commune. Quand ils se trompent, il faut s’incliner devant leur méprise, car il y a dans leur méprise même une part de vérité que le vulgaire ne saisit pas. J’avouerai que cette prétention me semble exorbitante. Que les hommes de génie ignorent l’histoire et la philosophie, qu’ils dédaignent l’étude et se nourrissent des pensées que leur suggère la vie réelle et présente sans les renouveler, sans les agrandir par le spectacle d-e la vie des nations pendant les siècles évanouis, c’est un droit que je ne veux pas leur disputer ; mais qu’ils s’abstiennent de parler des choses qu’ils ignorent, ou s’ils méconnaissent les conseils de la prudence la plus vulgaire, qu’ils se résignent de bonne grâce au contrôle de l’opinion.

Les courtisans littéraires de M. de Lamartine, qui se comptent par centaines, ne l’entendent pas ainsi. Ils renoncent à soutenir qu’il connaît les choses dont il parle, mais ils trouvent de très mauvais goût qu’on se permette de relever ses méprises. Pour se dérober au reproche d’impiété, la critique devrait se taire et s’agenouiller. Si cette prétention était accueillie, les idées les plus fausses deviendraient bientôt la monnaie courante de la conversation. Pour témoigner son respect à M. de Lamartine, la génération nouvelle serait obligée d’accepter comme vraies-toutes les affirmations qu’il lui plaît de signer de son nom, c’est-à-dire que l’adulation et le mensonge prendraient le gouvernement de notre littérature. Il ne dépend pas de nous d’empêcher l’avènement d’un tel régime et d’assurer la domination de la franchise; mais il nous est du moins permis de protester. Le Cours familier de littérature, nous tenons à le dire, est un des livres les plus puérils qui aient paru depuis longtemps, un livre qui n’enseigne rien aux ignorans, et ne réveille aucun souvenir dans les esprits à demi éclairés. Est-ce un livre amusant? Les plus frivoles n’oseraient l’affirmer. Ce confus entassement de noms célèbres ne donne pas même aux désœuvrés une heure de distraction. Inutile à ceux qui veulent s’instruire, sonore et enfantin pour ceux qui savent, ce livre singulier à force de puérilité n’a pas de raison d’être. Si M. de Lamartine était entouré d’amis sincères, il renoncerait à le continuer. Il n’y a pas une page de son Cours familier qui n’amoindrisse sa renommée poétique. Tous les beaux vers qui ont ému notre jeunesse se confondent à notre insu avec ces périodes pompeuses, et la frivolité de l’historien rejaillit sur l’auteur des Méditations. Si la science n’est pas faite pour M. de Lamartine, qu’il ne touche pas à la science, c’est le parti le plus sage. S’il ne veut étudier ni l’histoire, ni la philosophie, qu’il ne compromette pas son nom dans ces causeries sans portée où s’escriment aujourd’hui trop d’esprits vulgaires; qu’il ne donne pas pour une série de leçons des souvenirs ramassés au hasard, qui sont la négation évidente de tout enseignement. Voilà ce que disent tout bas les amis dévoués qu’il n’a jamais rencontrés; voilà ce qu’il faut lui dire tout haut. C’est la meilleure manière de lui témoigner l’admiration qu’il a méritée par les œuvres de sa jeunesse et de sa virilité, qu’il s’applique à déconcerter par les œuvres de son âge mûr.


GUSTAVE PLANCHE.

  1. S’ils n’aiment mieux les dédaigner en les estimant juste ce qu’ils estimaient les obséquiosités et les flatteries de la veille.