Le Peuple vosgien/n°1 du 15 décembre 1849/Chronique locale

Chronique locale.

 « Mes chers Concitoyens,

» Par décret du 5 décembre, le président de la République a prononcé la dissolution de la garde nationale d’Épinal, à l’exception de la compagnie de pompiers. Dès l’instant que la loi a parlé, il n’y a plus qu’à obéir.

» La principale conséquence de cette mesure, c’est le désarmement. Par sa lettre du 9 décembre courant, M. le préfet m’invite à y faire procéder. MM. les gardes nationaux se rappelleront que l’état est resté propriétaire des armes dont ils ne sont que les détenteurs, et que, par conséquent, il conserve le droit d’en exiger la remise. C’est pourquoi je viens les inviter à en faire le rapport à la mairie dans l’ordre suivant :

» La compagnie d’artillerie, le 12, à 8 h. du matin.

» La 1re idem du bataillon, le 13, idem.

» La 2e idem le 14, idem.

» La 3e idem le 15, idem.

» La 4e idem le 16, idem.

» La 5e idem le 17, idem.

» La 6e idem le 18, idem.

» La 7e idem le 19, idem.

» Je suis convaincu que MM. les gardes nationaux n’hésitoront pas à satisfaire aux prescriptions de la loi ; car dans les circonstances graves et difficiles que depuis deux ans nous avons péniblement traversées, ils ont fait preuve de tant de calme, de modération et de prudence, qu’à coup sûr au cas particulier ils ne se démentiront pas.

» Au surplus, les gardes nationaux qui se refuseraient à faire la remise prescrite, se rendraient coupables de détournement, pour lequel ils encourraient les peines portées par la loi.

» Épinal, le 10 décembre 1849.CLAUDEL »


Le 10 décembre, anniversaire de l’élection de M. L.-N. Bonaparte, est arrivé à Épinal un décret qui dissout la garde nationale.

Les motifs apparents de cette dissolution sont généralement connus, cependant nous devons quelques mots d’explication à ceux de nos lecteurs qui ne seraient pas suffisamment éclairés sur cette affaire.

Les officiers de la garde nationale, invités à assister à la messe du St-Esprit, célébrée à l’occasion de l’installation de la magistrature, se réunirent, sur l’invitation du commandant Guilgot qui voulait les consulter. La majorité, ou plutôt, la presqu’unanimité s’étant prononcée pour la négative, le corps des officiers n’assista pas à la cérémonie.

M. le préfet fit d’abord son rapport à M. le ministre de l’intérieur, puis convoqua chez lui les officiers… Ils s’y rendirent… Mais quelle fut leur surprise, lorsqu’ils apprirent par M. le préfet, qu’ils n’avaient pas été appelés pour donner des explications ; mais pour s’entendre dire qu’un délit ayant été commis, il fallait une répression, et que M. le préfet l’avait demandée au ministre.

Ils répliquèrent, pour la forme seulement, puisque le rapport était parti ;

1o Qu’il n’y avait pas eu délibération.

2o Que s’il y avait eu délibération, elle avait eu lieu sur une incitation et non sur un ordre.

Enfin, au bout d’un mois d’incertitude, le rapport de M. le préfet vient d’obtenir pour résultat la dissolution de la garde nationale.

Accueilli avec une surprise mêlée d’un sentiment plus vif, le décret ne devait cependant, comme l’événement l’a prouvé, rencontrer qu’une obéissance passive. La proclamation de M. le maire avait suffi pour ramener le calme au milieu d’une population qui n’a jamais montré que du respect pour la loi ; lorsqu’une nouvelle proclamation de M. le préfet est venue jeter le trouble dans la cité.

Cette proclamation, que nous citons plus bas, exigeait une réponse du commandant Guilgot, on vient de nous la communiquer ; nous la publions sans commantaires… La dignité du citoyen offensé ne pouvait s’exprimer en termes plus fermes et plus convenables.


Épinal, le 15 décembre 1849.

Monsieur le Préfet,

Vous venez de publier la proclamation suivante :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Liberté, Égalité, Fraternité.
PROCLAMATION
AUX HABITANTS DE LA VILLE D’ÉPINAL.

« Citoyens,

» Un décret du président de la République a dissous la garde nationale de cette ville.

» Je suis chargé de veiller à l’exécution de cette mesure. Je remplirai mes devoirs.

» Quelques meneurs, non contents de vous avoir rendus solidaires de leurs actes systématiquement hostiles à l’administration, et d’avoir attiré sur tous une peine qu’il eut été désirable de pouvoir n’appliquer qu’à eux seuls, cherchent encore à vous pousser à des manifestations qui seraient la critique publique d’un acte du chef de l’État, et qui, par conséquent, attireraient sur leurs auteurs de nouvelles rigueurs.

» Défiez-vous de ces perfides incitations. Elles vous compromettraient pour une cause qui n’est pas la vôtre : la cause de partis qui conspirent la ruine de la République. Vous ne regarderez pas, je pense, comme des amis de la République, mais bien comme ses plus cruels ennemis, ceux qui la perdent dans l’opinion en prêchant sans cesse, en son nom, l’insubordination, l’insoumission aux lois, l’irrévérence envers le chef de l’État.

» Mais le piége qu’ils pourraient tendre à votre bonne foi sera détourné de vos pas. Je ne souffrirai point que, pour venger quelques amours-propres ou pour servir des calculs de partis hostiles à la République, on vous engage dans une voie où il y aurait violation de la loi et répression assurée.

» Nulle manifestation publique ne sera donc tolérée. Des mesures sont prises en conséquence. Il y aurait perfidie de la part des uns et aveuglement répréhensible de la part des autres, si cette sorte de défi était de nouveau adressé à l’autorité.

» Dans tous les cas, je le répète, je connais mes devoirs, je n’y faillirai pas.

» Épinal, le 12 décembre 1849.

 » Le Préfet des Vosges, Eug. DEPERCY. »

À la lecture de votre proclamation, le rouge m’est monté au front et si j’avais écouté mon premier mouvement, il est probable……… La prudence, l’a emporté et je viens, aujourd’hui plus calme, mais non moins triste, repousser vos perfides insinuations………

Jusqu’ici je voulais rester étranger au débat, mais votre proclamation me fait un devoir d’y répondre.

Vous donnez à entendre que quelques uns, étant seuls coupables, vous regrettez que la peine ait dû frapper toute la garde nationale !!!! Jamais, M. le préfet, vous ne ferez croire, qu’un corps entier doive être puni, pour la faute d’un de ses membres !!!! S’il y a un coupable, et je le conteste, au sujet de notre délibération, c’est moi seul qui le suis, puisque c’est moi, seul, qui l’ai provoquée.

Dans quel but parlez-vous donc ainsi ?… dans l’espoir, sans doute, de faire retomber sur moi et sur mes amis, toute l’indignation qu’inspire la rigueur du pouvoir… Mais votre calcul est déjà déjoué… l’opinion du peuple est infaillible, et son indignation ne se trompe pas ; on voit assez à votre redoublement de surveillance, quel est celui de nous deux, qui a peur.

Vous parlez de meneurs et chacun devine, clairement, à travers la transparence de votre langage, qui vous désignez. Comme citoyens, nous avons le droit de défendre la République ; c’est ce que nous faisons ; et si, éclairer le peuple et le soutenir dans la défense de ses droits, suffit à vos yeux pour être considérés comme des meneurs, à ce titre, nous le sommes et nous le serons, tant qu’on n’aura pas enchaîné notre langue, notre bras ; tant qu’on n’aura pas étouffe le dernier souffle, dans notre poitrine.

Quant aux manifestations hostiles, elles n’existent que dans votre esprit, qui regarde tout, à travers le verre grossissant d’une imagination effrayée…

Prenez garde M. le préfet aux renseignements de ceux qui vous entourent… ils vous égarent, et vous entraînent à des précautions inutiles et dangereuses.

Peut-être est il venu à quelques citoyens, l’intention de donner, à ceux qu’ils estiment, des preuves de sympathies… Nous en avons fait connaître le danger, et les sentiments resteront dans les cœurs, sans éclater au dehors.

Il est des époques malheureuses ou serrer la main à ceux qu’on aime est un crime, un motif de persécution et de répression.

Les partis hostiles à la République, sachez le bien ; sont ceux qui veulent la faire craindre quand il leur serait si facile de la faire aimer.

Que parlez-vous d’amours-propres à venger ? il ne vous manquait plus que d’essayer de nous jeter, à la face, ce dernier outrage !!! faites, M. le préfet.. Vous êtes, aujourd’hui, le plus fort.

Dans la douleur que m’inspirent des rigueurs, qui pèsent sur tous, quand elles devraient peser sur moi seul, je vois avec bonheur, que la garde nationale ne sort pas du calme, de la modération et de la prudence, dont elle a toujours fait preuve, comme se plaît à le dire M. le maire, dans son adresse du 5 décembre, au sujet du désarmement… C’est la seule consolation que je voulais ; elle suffit pour venger mon amour propre… pour me faire oublier vos colères et vos insinuations.

Ch. GUILGOT.

La proclamation conciliante du maire d’Épinal pour la reddition des armes de la garde nationale, a été dit-on enlevée quelques instants après avoir été apposée. — Par qui ?


Il paraît que les dissentiments les plus graves ont éclaté entre le maire et le préfet. Par sa proclamation, le maire reconnaît que les gardes nationaux d’Épinal ont donné dans les circonstances difficiles que depuis deux ans nous avons péniblement traversées tant de preuves, de calme, de modération et de prudence, qu’à coup sûr au cas particulier, (du désarmement) ils ne se démentiront pas.

Celle partie de la proclamation du maire, implique un blâme sur la conduite du préfet dans cette triste affaire. Indè iræ.

Le préfet aurait fait appeler le premier adjoint, M. Berhéer, et lui aurait offert la mairie, que celui-ci aurait refusé.

Que le maire s’entoure de son conseil municipal, il est certain que ce corps électif ne lui fera pas défaut.


La compagnie de pompiers, exceptée dans la dissolution de la garde nationale dont elle fait cependant partie, a, par esprit de solidarité déposé en partie ses armes à la mairie.


Par arrêté de M. le préfet de la Haute-Saône, du 25 novembre dernier, la compagnie de sapeurs-pompiers de la ville de Gray, a été suspendue pour deux mois, et un arrêté du président de la République, du 5 décembre courant, a prononcé la dissolution de ce corps.


Le citoyen Aubert, instituteur à la commune de Saint-Nabord depuis 30 ans, vient d’être suspendu pour trois ans. Encore une victime de la réaction.


Grand-Claude père et ses deux fils, de Saint-Maurice, accusés d’incendie et de vol, ont été condamnés, jeudi 13 courant par la cour d’assises d’Épinal, tous trois, aux travaux forcés à perpétuité.


HÔPITAL D’ÉPINAL.

Il y a quelque temps, une pauvre et honnête fille, qui était en condition dans notre ville, tomba subitement malade en l’absence de la maîtresse de la maison. Une hernie qu’elle portait depuis deux ans venait de s’étrangler pour la deuxième fois ; il fallait des secours actifs, éclairés, trop dispendieux pour elle. Le médecin qui fut appelé lui conseilla de se faire transporter à l’hôpital, ce qui fut fait sur-le-champ.

Ce qui advint de cette malheureuse, MM. Haxo et Drapier, médecins de l’hôpital, voudront bien nous le dire car cette femme a perdu là, non-seulement la santé, mais l’honneur. Cette hernie, l’on a prétendu que c’était une tumeur syphilitique, et cette affirmation est sortie de l’hôpital. Nous, ne voulons accuser personne, mais il faut que lumière se fasse, qu’honneur et justice soient rendus à Thérèse Hatton. Cette femme n’a subi aucun traitement anti-syphilitique, bien plus la tumeur herniaire seule a été inspectée et maintenant elle est remplacée par l’infirmité la plus dégoûtante, un anus contre nature. Nous avons vu à sa sortie de l’hopital Thérèse Hatton, le cœur navré, le désespoir dans l’âme ; elle fait pitié et ce qui la désespère pardessus tout, c’est que chacun la suspecte ; ses amis l’abandonnent, parce que l’on a dit à l’hôpital qu’elle avait une maladie secrète. L’honneur d’une femme, fût-elle la fille d’un prolétaire, vaut bien la peine qu’on s’en occupe et nous invitons de nouveau MM. Haxo et Drapier, qui lui ont donné leurs soins à répondre à ces deux questions. 1o Thérèse Hatton avait-elle à son entrée à l’hopital, une hernie étranglée qui s’est terminée par un anus contre nature ? 2o Cette femme aurait-elle la maladie syphilitique ?


Corcieux, le 4 décembre 1849.

Citoyen rédacteur,

Les concitoyens de James Demontry, voulant honorer sa mémoire d’une manière digne de lui et de la noble cause à laquelle il appartenait, ont résolu de lui élever un monument. Une commission vient d’être nommée à Dijon à cet effet. Les démocrates du département des Vosges, dans le nombre desquels le grand citoyen que nous avons perdu, comptait quelques amis, entendront l’appel de leurs frères de la Bourgogne et s’associeront à l’érection du monument funèbre.

Permettez à son vieil ami de prendre l’initiative de cette œuvre politique et fraternelle.

Salut et fraternité,
Quillot, notaire à Corcieux.

Une souscription est ouverte à cet effet au bureau du Peuple Vosgien à Épinal ; les fonds seront versés chez notre ami Quillot, notaire à Corcieux.

Le Patriote de samedi 8, annonce par un avis important, que la publication du Peuple Vosgien est ajournée indéfiniment. — La meilleure réponse que nous puissions faire est de lui adresser le 1er numéro que nous tirons à 3000 exemplaires.