Le Petit neveu de l’Arretin/La vieille scandalisée

N. Laurenceau
Chez don B… aux trois Pucelles (p. 107-109).

La vieille scandalisée.

Conte.


Dans une église du Poitou,

Est-ce du haut ou du bas ? il m’importe :
Un saint, pour n’être pas fait de bois d’acajou,
Était placé près de la porte.
Dans cet état humiliant
Pas la moindre petite dose
D’orémus, pas un seul client ;
C’était du paradis un avocat sans cause.
Il n’était si mince marmot
Qui, sortant, ne lui fît la nique.
Si le bon saint trouva mauvais, inique
Ce procédé d’un public indévot,
C’est ce que je ne sais : ce que dit la chronique
Est qu’au moins il n’en sonna mot.

Une vieille pourtant, veuve sexagénaire,
Un culte assidu lui rendait :
Tous les matins elle venait
Le prier, et puis le baisait ;
C’était du Benoît saint le petit ordinaire,
Et l’on dit qu’il s’en contentait

Faute de mieux ; enfin de cette église,
Pour son bonheur, le curé trépassa ;
Et celui qui le remplaça,
Trouvant le saint plus à sa guise,
D’un fin vernis vous le fait habiller,
Ordonne qu’au plus beau piller
On le place en superbe niche,
Citoyen saint, vous allez être riche,
Et maintenant vous ne chommerez plus
De prières et d’orémus.

Le lendemain du jour que fut fini l’ouvrage
La vieille arrive ; près du saint
On avait laissé, sans dessein,
Et l’échelle et tout l’équipage.
Quand elle a fait son oraison,
La voilà qui se dresse, et grimpant, non sans peine,
Elle va donner au patron
L’accolade quotidienne.
Tout allait bien sans un maudit mic-mac,
Qui vint brouiller l’idole et la dévote ;
Les mains du bienheureux, joignant sur l’estomach,
Par cas fortuit accrochèrent le sac

Qui servait de jupon à l’antique bigote,
Si bien qu’en descendant son jupon se levait
D’une façon fort immodeste ;
Depuis trente ans la vieille qui n’avait
Éprouvé procédé si leste,
Entre deux yeux regardait le patron,
Étrangement contre lui courroucée,
Et tâchait d’abaisser sa jupe retroussée.
Le bon saint ne bougeait ni plus ni moins qu’un tronc,
Si que toujours le bas du cotillon
Aux doigts de bois tenait comme à des roches ;
Lors la douarière éclate en durs reproches,
Et ne pouvant modérer son transport :
Ô maudit saint, dit-elle, on eut bien tort
Quand on te fit un saint de conséquence ;
Si chaste était dans ton humble indigence,
En t’élevant on t’a gâté,
La luxure et l’impureté
Avec les honneurs chez toi naissent :
Plus les gens aujourd’hui haussent en dignité,
Hélas ! et plus leurs vertus baissent.