Éditions Prima (Collection gauloise ; no 57p. 13-16).

iv

Le crime



— Onze heures et demie ! Filons !

Mary Racka, d’un coup de reins, jeta presque Sirup hors du lit où les deux amants reposaient côte à ôdte. Il se mit debout. Elle rit :

— Tu as l’air d’un gosse après la fessée.

Sirup redressa l’échine, cambra la poitrine et dit gaillardement :

— Prends garde que je ne te donne cet air-là, authentiquement, toi !

Elle fit la pirouette en chantonnant :

— Plus tard, on verra ça… Pour l’instant, nous allons essayer d’autres jeux.

Elle fouilla dans un cabinet ancien, à cuivres ciselés et marqueteries charmantes.

— Tiens, voilà trois pistolets. Lequel prends-tu habituellement, pour assassiner ?

— Ma foi, répondit-il avec un air malin, c’est toujours celui-ci que je préfère.

Ce disant, il saisit le plus petit, qui, sans doute, devait être le moins dangereux…

— Bon ! charge-le !

Et elle lui donna une boîte de balles.

Sirup n’avait jamais manié le moindre browning. Il regardait le sien avec une curiosité béate, poussait ici et tirait là, tout en espérant découvrir le secret de cet ustensile, sans avoir — ce qui le compromettrait évidemment — à interroger Mary Racka. Elle errait dans la pièce, prenant des outils, une pince minuscule à charnière, des petits bibelots d’acier, et même un superbe coutelas.

L’aimable voleuse s’était déshabillée et, nue, circulait sans façons, au grand émerveillement de Sirup. Il l’admirait, le pistolet d’une main, une douzaine de balles dans l’autre.

Il pensait aussi : « Si ce n’est pas malheureux d’aller tuer des gens chez eux, quand on est deux, qu’on s’aime, qu’on sait se le prouver, et qu’il fait dehors un temps de chien ! »

Enfin, profitant de ce que son amie lui tournait le dos, il mit les balles du browning dans une poche et l’arme dans une autre, puis vint chatouiller Mary Racka.

Mais elle, furieuse, leva un grand surin.

— Tu en veux un petit coup dans la bedolle, pour te calmer ?

Il recula. Elle était pourtant belle, nue, avec ce corps étiré, jambes droites et longues, ces seins rigides et écartés, ce torse plein, porté sur un bassin large, et ces signes fascinants de la féminité !

Elle l’appela en chaussant des feutres et tendit des tiges fines de métal.

— Prends ces objets-là ! Bon. Mets-les dans une poche accessible. Ce couteau ! Tu sais comment le tenir ouvert sur soi et l’amener dans la main d’un geste ?

— Bien entendu, affirma Sirup héroïquement.

Alors, elle mit un maillot noir et, dessus, posa une robe d’un seul tenant fermée par devant.

— Tu comprends ! d’un coup de doigts, je laisse cette draperie tomber. Pour s’occuper, ça géne, tout ça.

Elle avait un petit sac noir sur la hanche, avec tout son outillage de voleuse de grande classe.

— On y est ?

— J’y suis, murmura Sirup d’une voix éteinte.

Ils sortirent tous deux, lui le cœur battant, elle froide, sans émotion, la face dure et cruelle.

Dehors, il bruinait. Ils s’avancèrent doucement, d’abord à la file, puis côte à côte. Bientôt, dans une petite rue, elle s’arrête. La pluie tombe maintenant.

— Colle-toi dans le renfoncement, et attends sans bouger.

Elle le quitte.

Lorsqu’elle reparaît, en cinq secondes, d’un coup de quelque objet inconnu, elle tire le cordon de la porte. Tous deux ont des chaussons. Ils entrent…

Elle referme délicatement, passe devant Sirup qui la suit à l’odeur, car elle sent la rose violemment et voluptueusement.

En passant devant la loge, ils entendent deux ronflements jumeaux.

Voici l’escalier, suivi jusqu’au quatrième. Sirup ne sait plus où il en est. Cette puissante et aphrodisiaque parfumerie qu’il respire, cette mutité, ces armes qui pèsent dans ses poches, tout lui fait l’effet d’une sorte de film sans conséquences et pourtant aussi redoutable qu’excitant.

À une porte, Mary Racka, armée d’une petite lampe à verre bleu se penche, travaille, sonde, tire. On entend imperceptiblement des aciers qui bougent.

La porte est ouverte. Elle entre. Sirup suit. Une seconde porte est attaquée et livre ses secrets dans le silence. Ensuite, on se trouve dans une chambre à l’air lourd et chaud.

L’habile voleuse prend Sirup par le bras et le mène à un lit. L’obscurité est totale. Elle lui dit très bas :

— Je vais opérer. Guette soigneusement, et si elle se réveille, tu la prends à la gorge et tu serres…

Il ne répond rien, mais un froid de glace coule sur son dos, et il se sent une envie atroce de fuir à toutes jambes, de fuir…

Deux minutes passent. Mary fouille partout. Sirup entend ses pas furtifs et les tiroirs qui s’ouvrent en craquant. De temps à autre, un peu de lumière vient d’elle sur le lit. Et soudain le malheureux sent ses cheveux qui se hérissent sur son front. Il a bien vu… Il y a deux personnes couchées devant lui…

Au même instant, la femme s’éveille. Ses bras s’agitent. Sa tête tourne. Elle a dû percevoir enfin Mary Racka qui remue quelques objets de métal, et elle crie :

— Au voleur ! !

Comme malgré lui, Sirup tend les deux mains vers la gorge qui appelle. Il l’empoigne, il serre. Mais il s’est trompé. La voix crie toujours. Sa maîtresse se sauve, la femme, que rien n’immobilise, saute alors du lit et se précipite sur un commutateur. La lumière jaillit. Sirup se voit en train de finir la mise à mort d’un individu qui râle déjà. Il est au sommet de l’épouvante. La guillotine l’attend… Mais, ô surprise, la volée, une femme non point vieille comme on l’avait dit, quadragénaire au plus, d’ailleurs bien conservée, regarde tranquillement et simplement la scène, sourit à Sirup, voleur et assassin, et, au lieu de courir chercher la police avec la justice, elle lui frappe sur l’épaule :

— Continuez !…