Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/54.me Lettre
Je ſais, chère petite Sœur, que mon Frêre
d’ici écrit à ton Mari, ét je profite de l’occasíon,
qui eſt ſûre, pour qu’on te remette
ma Lettre en-main-propre, ét qu’elle ne ſait-vue
que de Quî tu voudras. Hé-bién, ma
chère Fanchon ? ce que je ſentais dans mon
cœur, Edmond le ſentait auſſi, ét Manon était
ſa famme, que nous-ne-nous-en-doutions
pas plûs ici que chés nous ! Tout-cela ſ’eſt-fait
par m.r Gaudéêt-d’Arras, que tu connais,
l’ayant-vu ici, quand tu y-vins avec toute la
Famille pour le mariage qui n’eut-pas-lieu pour
lors, ét cela ſ’eſt-arrangé le plus-ſingulièrement-du-monde,
comme on le ſait apresent !…
Heureusement que nos chèrs-bons Parens ont conſenti
à ratifier ! ét ils ont bién-fait, pour
éviter le ſcandale ; car qu’aurait-on fait à mon
Frère d’ici ? beaucoup de peine ! M.me Parangon, la plus-aimable des Fammes, a-pris
la chose on-ne-peut-mieus : mais que dirait
Edmond, ſ’il ſe-doutait ſeulement combién
elle verſe de larmes, dont elle me donne à
moi (ét peutêtre à elle-même), une toute
autre cause, que celle que je ſais ? Car enfin,
elle avait-fait venir ici m.lle Fanchette, pour
amuser mon Frêre d’une petite amourette,
en-attendant les grandes amours : ét elle me
disait à moi, mais bién en-ſecret : Fanchette eſt-jeune ; mais je la remplacerai quelques années, par mes attencions pour ſon petit
Mari, ét enſuite elle le charmera par elle-même-.
C’eſt une grande bonté ! mais je
crais que la chère Dame ſ’attacherait
plûſ-qu’elle ne le voudrait, ſ’il n’y-avait
pas des empêchemens. Auſſi, on ne
peut rién voir en-Garſon, qui vaille notre
Edmond, pas même ici : De-jour-en-jour il
deviént plus-aimable, ét le mariage ne lui a-pas-du-tout-nui.
Cependant je ne comprens
rién à la façon d’être ét d’agir ! Car il aime
m.me Parangon, au-point que ſouvent je l’en-aurais-cru-amoureus,
ſi cela avait-été-poſſible,
après en-avoir-épousé Une-autre, tant
il marquait d’émocion en-la voyant ! mais ſon
mariage m’en-ôte toute idée, ét la reconciliation
de m.me Parangon avec ſa Cousine,
qu’il a-faite ces jours-ci, me tranquilise au-ſujet
de m.me Parangon ; quoiqu’enverité je crais
que je l’aurais-excusé ! ſi ce n’eſt pourtant
l’offenſe de Dieu. Mais ſon Mari**…, Dieu
le beniſſe ! ſans étre laid, car il eſt bel-homme
aucontraire, il n’eſt guère aimable ! Enfin,
voila notre Edmond marié : ſa Famme eſt
tous les jours avec nous ; ét enverité il n’y-a
que m.me Parangon qui ſait plus-aimable
qu’elle. Oh ! ſi tu voyais que de jolies petites
mignardises elle me-fait ! J’en-avais-vu-faire
à m.me Parangon ; mais ce n’était rién, comparé
à ce que je vois, depuis que ſa Cousine
eſt avec nous, ét qu’elle lui en-fait ! m.me Parrangon
lui en-fait auſſi, ainſi qu’à nous, ét
mieus, je crais, que notre Belleſœur : c’eſt charmant, ét je m’y-accoutume avec elles,
ſur-tout avec m.lle Fanchette, qui eſt une aimable-enfant,
ét qui m’aime bién. M.me Canon
ne goûterait pas trop tout-ça ; mais nous
reservons toutes ces jolies-choses, pour quand
nous ne ſommes que nous, chés m.me Parangon,
où nous paſſons la moitié-du-temps ; ce
qui eſt heureus ! car m.me Canon eſt tanante.
Je te dirai, ma chère Sœur, que c’eſt l’Épouse d’Edmond qui règle apresent ma mise, ét je ne ſuis ni plûs ni moins qu’elle ; ce qui me va, à ce qu’on dit. Je ſuis-beaucoup-blanchie, mais à un point que je n’aurais-pas-eſperé ; car je ſuis brune, ét fort-brune, aumoins par les cheveus : mais la Ville m’a-donné une blancheur-de-peau, qui ne me rend pas reconnaiſſable, au prix de ce que j’étais. Manon me temoigne bién de l’amitié ! elle me dit quelquefois : — Vous êtes la ſœur biénaimée de mon Mari ; vous le remplacez quand il eſt abſent ; je crais, d’ailleurs, par votre reſſemblance, le voir enfille à-côté de moi-… Je porte à-present des ſouliers ét des mules, où enverité je n’auraispas-cru pouvoir mettre le bout du piéd enarrivant ici ; il faut que les miéns ſ’y-ſaient rappetiſſés, ét j’en-ſuis-vraiment-étonnée ! On me fait des complimens de tout-ça, ét m.me Parangon la première. C’eſt ce qui fait que je paſſe d’agreables momens du matin-au-ſoir, à n’entendre que des choses grâcieuses ét qui font plaisir. Je te dirai, que je crais que ma petite figure a-fait ici quel qu’impreſſion ſur des Gens aſſés comme-il-faut : on ne ſe-doute pas que je m’en-doute ; et en-effet, je me comporte comme ſi je ne m’en-doutais pas ; car une Fille raisonnable doit ignorer ou paraitre ignorer ces choses-là : Etpuis, J’ai ici de bons Amis ét de bonnes-Amies ; mon Frére, m.r Loiseau, ma bonne ét chère Protectrice, ma Sœur-Edmond, ét Tiénnette, qui eſt bién demoiselle, ét charmante, comme tu le verras dans la Lettre de notre chèr Frère à ton Mari ; toutes ces chères Perſones-là ſ’aperçoivent pour moi de tout ce qu’il faut voir. Les Hommes me paraiſſent aimables ici : aulieu que chés nous, leur rudeſſe me les rendait odieus, ét c’était ſincèrement que je les fuyais. Je n’aurais pourtant pas haï ton Frère, ſ’il eût-vecu : auſſi, je ne ſais qu’Edmond, qui lui fût-comparable, pour la douceur de la figure… Je te conte tous mes petits ſecrets, chère Sœur, ét je ne te deguise rién : car je t’aime de tout mon cœur, ét je ne veus-pas avoir une penſée qui te ſait-cachée. J’embraſſe nos chères Sœurs, ét deux-fois Chriſtine, qui m’a-toujours-la-plûs-aimée. Tu diras un-mot de ma Lettre à notre bonne Mère, ét que je n’oublie pas le reſpect que je dois à notre bon Père, dont ton Mari eſt le lieutenant. Je t’embraſſe mille-fois. Urſule R★★.
P.-ſ. Mon Frêre m’a-parlé de me mettre, pour la conſcience, entre les mains du Père, ſon Ami : j’y-ſerais-aſſés-portée ; c’eſt un aimable hommez mais trop peutêtre pour une Jeunefille. Je conſulterai m.me Parangon là-deſſus.