Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/47.me Lettre

47.me) (Le Même, au Même.

[Melange de bién ét de mal ; mais ce dernier l’emporte.]

1751, 30 janvier.


Huit jours ſans m’écrire ! es-tu-malade, mort, enſeveli, enterré ? oubién la petite Cousine[1]… Mafoi, autant vaut, mon Papa : la petite Cousine m’a-preſqu’aneanti. Je l’aime, je l’adore, j’en-ſuis-fou, je ne pouvais la quitter : je l’ai-retenue juſqu’à ce moment. Ce qui te-paraitra ſingulier, c’eſt que mon goût pour elle ayant-percé, la vertueuse m.me Parangon ſ’eft-fait un devoir de le proteger ; l’on dirait que tout Objet eſt bon, pourvu qu’il m’arrache à ſa Cousine. Enfin, je pers aujourd hui tous mes plaisìrs ; Laurette part : mais nous-reſtons encore ici huit-jours ; m.me Parangon le veut.

Rién n’a-donc-pu ralentir le zèle de ma Bellemère ét de ma Belleſœur ! elles ont-pris le voile. En-ſondant mon cœur, je trouve que j’en-ſuis-fâché ; ſi je te ſoupçgonnais de les avoir ſollicitées, je t’en-voudrais,… comme on peut en-vouloir à un Ami trop-chaud. Ma Famme ſe-porte bién. Cette nouvelle m’a-fait un plaisir infini. Entre nous, mon Papa, je me-propose de n’être infidel que juſqu’à notre reünion : aprés, nous vivrons comme deux Tourtereaus, toujours ſoupirant leur tendreſſe, ét ſatiſfesant leurs desirs. Ainfi tu vois qu’il n’eſt pas neceſſaire de m’embarquer dans l’avanture dont tu me parles : ſi je determinais ma petite Cousine à ſe-rendre furtivement à la Ville, ne pourrait-elle pas être decouverte ? Alors, quel boulevaris dans la Famille ! Non, cela ne ſe-peut pas. D’ailleurs, ma Famme vaut ſon prix ; elle m’aime, ét je l’aime à mon tour, ne fût-ce que par-reconnaiſſance. J’en-fuis pour les vertus morales ; ſans elles, on n’eſt pas digne de vivre, car l’on doit racheter les vices par quelque-chose. Tu penſes ét tu fais-mieus que tu ne dis, mon Papa : tu as en-partie les defauts de tes Camarades : mais cinquante Couvens de Cordeliers n’ont pas autant de veritable attachement, de magnanimité que mon ami Gaudét-D’Arras. Ne ſais-je pas combién tu as d’humanité ? n’es-tu pas le plus-obligeant, le plus-genereus des Hommes ? Tu fais ſecrettement du bién à des Inconnus ! ét tu voudrais que je fiſſe une injuſtice à ma Famme !… Ah ! ſouffre que j’imite auſſi tes vertus, puiſque je prens ſi-volontiérs tes vices ! Aurefſte, peutêtre as-tu un retentum, ét Laure reſterait-elle pour ton compte, afin-de remplir certains projets ?…

Je ne desapprouve pas que ma Bellemère ait-mis ſes fonds en-argent-comptant, ét que tu travailles en-mon nom à l’acquisicion de ce joli bién, proche le couvent des Benedictines. Les prés, les terres-à-bléd, les moulins-à-écorce ét à-farine, avec l’enclos en-vignes ét en-vergers peuvent rapporter, ſuivant ce qu’on m’en-a-dit, troismilleſixcents-livres ; c’eſt pluſ-que l’interêt de notre ſommes ; ainſi, tu peus conclure à ſoixantedixmille-francs, avec un honnête pot-devin, puiſque m.me Paleſtine dit qu’elle en-a ſoixantequinze-mille de reſte chés ſon Notaire.

Quand je ſonge à à tout ce que cette Dame a-fait pour moi, je ne ſaurais m’empêcher de m’accuser d’ingratitude ; je manque à ſa Fille, en-conſideration de laquelle cette bonne Mère me cède toute ſa fortune !… M.r Parangon nous a-plûs-fait de mal, à mon Épouse ét à moi, qu’on ne ſaurait-craire[2] ! J’en-veus à Tous-ceux qui m’ont-inſtruit : pourquoi l’avoir-fait ? ſans eux, je me-fuſſe-reſpecté davantage… Oui, ma Famme eſt une imprudente ; m.me Parangon… oh ! pour celle-là, telle chose qu’elle faſſe, je ne ſais quoi me-dit qu’elle eſt-fondée : mais j’en-veus à m.lle Tiénnette, à m.r Loiseaus ; je tâche d’en-vouloirà ma Sœur ellemême… Cependant ou eſt le tort d’Urſule ? Je ſuis de-mauvaise-humeur ; rappelons des idées plus-riantes,

Tu me-fais envisager pour l’avenir une vie fort-agreable : je m’en-trace le tableau d’avance. Nous ſerons-unis ; nous-nous-verrons tous les jours : j’eſpère que nous pourrons unjour reconcilier m.me Parangon avec ma Famme : alors nous ſerons une petite ſociété charmante, dont tu ſeras le filosofe ét le directeur. Je desire vivement cet arrangement, ét je travaille dès-à-present à le preparer. M.me Parangon m’a-toujours-tant-fait d’amitiés, que j’eſpère beaucoup d’une âme auſſi-belle que la ſiénne…, Je vais reconduire la petite Cousine.

Adieu, chèr Mentor : modère tes plaisirs, ét menage ta ſanté pour Ceux qui t’aiment.

P.-ſ. Si tu n’as-pas-encore-gravé ta dixieme figure, attens mon retour ; J’ai-deſſiné une ſituacion qui te-plaira.

  1. Ces mots icaliqs ſont d’une Lettre du Père à Edmond, qui ne ſ’eſt-pas-retrouvée, par la raison qu’on Verra dans la 65.me (L’Éditeur.
  2. Voila un trait de lumière, qui penètre le cœur d’Edmond : il en-a ſouvent de pareils ! ce ſont des lueurs qui éclairent ſa turpitude, ſans le corriger.