Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/3.me Lettre

3.me) (Pierre, à Edmond.

[J’encourage mon Frère.]

1749.
1 decemb.


Mon chèr Frère : Je t’écris ces lignes, pour te faire-à-ſavoir que j’ai-reçu la tiénne, en-date du premier du courant ; & en-même-temps pour te dire, que nous avons-été-charmés d’avoir de tes nouvelles ; ét que du-depuis que tu n’es plus à Saci, nous n’avons plus de divertiſſemens ; ét que ma Mère pleure tous les jours de ne te plus voir ; ét quant à nos Frères, nos Sœurs ét à moi, il nous-ſemble qu’il y-ait dix-ans que nous ne t’avons-vu. Il faut pourtant prendre-courage, mon pauvre Edmond ; car on dit qu’il n’y-a que les commencemens qui coûtent : ét quant à ce qui eſt de Nous-tous, nous voudrions-bién que tu fûs ici ; mais notre Père dit que ça n’eſt pas ton avantage ét ça nous conſole unpeu de ce que tu n’es plus avec nous. Et pour quant à ce qui eſt de ces Gens de Villes, il ne faut pas que ça t’étonne, ni te faſſe-peine : prens-patience ; car quand tu ſauras ton metier de Peintre, tu ne dependras plus de Perſone : C’eſt un bel-ét-bon metier, malgré le proverbe, quand on y-eſt habile : car ton Maître eſt riche, ét tous les Seigneurs des Châteaus des environs veulent l’avoir ; ét il a-dit comme ça à notre bon Père, quand il lui parla à V★★★, qu’un Peintre de Portugal, qui ſe nommait Avelar, avait-acheté les maisons d’une rue toute-entière dans la ville de Liſbonne, qui eſt comme une eſpèce de Paris, ét que ce Peintre avait-fait-changer le proverbe ; car on dit apresent dans la ville de Liſbone, » Riche comme le Peintre Avelar » ; ét qu’il n’y a que les Débaûchés qui ſont gueus ét miserables : Or tu ne l’es pas, toi, mon Edmond, ni porté-à-l’être, Dieu-merci. Par-ainſi, porte-toi-bien ; ſois gaillard, ét viéns nous voir ces fêtes-de-noël. Urſule, ét tous nos Frères ét Sœurs te font-bién-des-amitiés, ét Fanchon-Berthier qui ſ’y-joint, te remercie de ton bon ſouvenir.

Notre bonne Mère t’embraſſe : Elle me disait à-ce-matin ces propres paroles : » Marque lui qu’il craigne le Bondieu, qu’il ſoit sage ; ét rién ne lui ſaûra ». Ne te gêne pas en-m’écrivant ; car tu ſais bién que c’eſt toujours moi qui retire les Lettres de la poſte en-alant à V★★★ pour le marché, ét que je ne montrerai que ce qu’il faudra montrer.