Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/10.me Lettre

10.me) (Reponſe du p. D’Arras.

[Il admire comme on ſ’y-était-pris pour ſubjuguer l’eſprit d’Edmond.]

1750.
18 auguſte.


La jolie Cousine m’avait-deja-prevenu ; j’accepte : envoyez, ici demain, à huit heures, votre petit Campagnard : il ſera bién-recalcitrant, ſi je n’en-viéns pas à-bout.

La manière dont m.lle Manon m’a-raconté que vous-vous-y-étiez-pris avec ce Jeune-garſon, eſt trés-filosofique, ét prouve que vous avez une parfaite connaiſſance du cœur humain. Comment donc ! je n’aurais-pas-mieux-fait ! vous l’aviliſſez, vous le faites-manger à la cuisine, afin-qu’il ſe mette naturellement fort-audeſſous de vous ; m.lle Manon l’a-rebuté, humilié, mortifié, pour qu’il ſentit davantage le prix de ſes bontés, quand elle en-aurait ! Mafoi ! pour une Fille de dix-neuf-ans, c’eſt l’entendre ! ét la Jeuneſſe d’à-present a-bién-raison de craire qu’elle a plûs d’eſprit, de ſens ét de maturité, que les Vieillards d’autrefois ! Je vous ſeconderai ; mais ne m’ayez qu’une obligation mediocre ; ce ſera vous qui aurez-tout-fait.

Je viéns de recevoir le portrait : Je trouve que vous avez-embelli la petite Perſone, êt que vous l’avez-peinte precisement comme elle crait-être : c’eſt une nouvelle marque de votre talent ſuperieur ; vous voyez par l’air que l’on prend, la figure qu’on ſe-ſuppose, ét la fisionomie qu’on veut avoir. Vos deux petits tableaus ſont delicieus ; c’eſt un present que j’ai-deviné que notre Gardién voulait faire à unejolie Devote, ét que je lui fais en-conſequence, ſachant combién je l’oblige par-là : je vous dirai cela quand nous-nous verrons (ét ce-ſera biéntôt, car ma deserte finit dimanche). Une Dame qui les examine tandiſ-que j’écris, desirerait à certaine partie, ce quelque-chose que vous devinerez ; j’obſerve que toutes les Femmes ont ce goût-là, même en-peinture ; c’eſt pourtant bién aſſés qu’on trouve ce quelque-chose dans les realités. Le ſecret inviolable ſur ces tableaus ét le portrait ; Celle à quî on les deſtine ne pourra les laiſſer-voir, ét vous faire-honneur d’un ſi-beau travail, qu’autant qu’on ignorera la main dont ils viénnent : elle a une Mère qui eſt la complaisance même ; tout ce que donne un Homme », c’eſt un cadeau de la Maman, ét Toutes-deux y-trouvent leur compte ; le Mari cherit une Maman ſi-bonne, ét lui rend ce que les Galans ont-donné à la Fille ; enſuite la Fille et la Mère partagent. Une chose qui vous prouvera la ſincerité de mes éloges, c’eſt que j’ai-trouvé tant d’expreſſion à vos deux tableaus, que je veus les multiplier par mon burin ; vous ſavez ce qu’il vaut.

Adieu, chèr Parangon : ne m’épargnez jamais dans tout ce qui vous regardera, même indirectement ; un ſervice que vous me fourniſſez l’occasion de vous rendre, eſt un vrai plaisir que vous me faites.

P.-ſ. Et cette chère Moitié, quand reviéndra-t-elle ? Je la crayais une ange ; mais elle eſt femme, je le vois à ſon goût pour la Capitale.