Le Parti socialiste et la politique générale

Le Parti socialiste et la politique générale
La Voix populaire (p. 9-10).

L’Abandon de la Réforme Électorale

Ah ! cette réforme électorale, comme il s’est trouvé des républicains pour nous reprocher de l’avoir passionnément défendue ! Ils nous disaient que nous faisions le jeu de la réaction. Eh bien ! voulez-vous que je vous dise le fond de ma pensée ? À l’exclusion d’une élite d’hommes, comme Charles Benoist et quelques autres, le gros des modérés et le gros des conservateurs n’ont jamais voulu au fond réaliser la réforme électorale.

Ils voulaient en parler, ils voulaient qu’on en parlât et, parce que les radicaux en majorité la combattaient, ils croyaient jouer un bon tour à ceux-ci en la réclamant. Mais au fond, ils n’en voulaient guère.

Je vois maintenant dans les journaux que nous, socialistes, nous abandonnons la réforme électorale ; or, il n’y a que nous qui ne l’ayons jamais abandonnée. Vous m’entendez bien, il n’y a que nous parmi les proportionnalistes qui ne lui ayons pas été infidèles un seul jour.

Dans la crise ministérielle qui a suivi la chute du ministère Briand renversé devant le Sénat sur la réforme électorale, il y a eu un vote ; nous avons demandé, pendant que le président de la République appelait les candidats ministériels, que la majorité proportionnaliste déclarât qu’elle ne donnerait sa confiance qu’à un ministère qui continuerait à soutenir la proportionnelle.

Ce jour-là, c’est une partie des proportionnalistes radicaux augmentée de quelques proportionnalistes de droite qui fit défaut : nous fûmes battus.

M. Poincaré vit par là que la Chambre n’avait pas gardé à la proportionnelle une fidélité plus inflexible que la sienne ; aussi M. Barthou put paraître devant la Chambre en renonçant à la proportionnelle et en s’autorisant du vote que la majorité venait récemment d’émettre.

Après cette défection d’une partie des proportionnalistes radicaux, ce fut le tour de ceux de la droite et du centre.

Il y a avait eu une réunion des groupements proportionnalistes à l’hôtel du Musée social et l’engagement réciproque avait été pris, formel, solennel, public, que si le ministère nouveau, quel qu’il fût et quel que fût son programme, n’apportait pas la proportionnelle, on voterait contre lui.

Mais M. Barthou arrivait avec l’auréole élyséenne autour du front, il arrivait en promettant à la réaction la loi de trois ans, et comme la loi de trois ans ne pouvait pas attendre, comme la frontière était menacée, comme il était urgent d’y envoyer pour la défendre deux classes de conscrits qui ne savent pas encore tenir le fusil, la droite dit : « Tout doit passer derrière la Patrie : j’ai un gouvernement qui me plaît, un président de la République qui me plaît, je serais bien folle de m’attarder à cette vieille R. P. dont les deux lettres ne signifient plus maintenant que les deux initiales R. P. que vous connaissez. »

Eh bien ! citoyens, je dis que les radicaux s’apercevront que c’est nous qui faisions acte de prévoyance républicaine, d’esprit organique républicain, lorsque nous proposions, lorsque nous défendions la réforme électorale, et peut-être ne sera-t-il pas trop tard pour eux maintenant, après des années de conservatisme ou d’équivoque, après avoir habitué une partie de leurs adhérents à s’engager dans les voies de la réaction, après en avoir logé une partie dans la forteresse réactionnaire de la loi de trois ans, ne sera-t-il pas trop tard pour eux pour se dégager et s’organiser ?