Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 17-19).

LE MARI CONFESSEUR.
CONTE.


Meſſire Artus, ſous le grand Roi François,
Alla ſervir aux guerres d’Italie,
Tant qu’il ſe vit, après maints beaux exploits,
Fait Chevalier en grande cérémonie.
Son Général lui chauffa l’éperon,
Dont il croyoit que le plus haut Baron
Ne lui dût plus conteſter le paſſage.
Si s’en revient tout fier en ſon village,
Où ne ſurprit ſa femme en oraiſon.
Seule il l’avoir laiſſée en ſa maiſon ;
Et la retrouve en bonne Compagnie,
Danſant, ſautant, menant joyeuſe vie,
Et de muguets avec elle à foiſon.
Meſſire Artus ne prit goût à l’affaire,

Et ruminant ſur ce qu’il devoit faire,
Depuis que j’ai mon Village quitté,
Si j’étois cru, dit-il, en dignité
De Cocuage & de Chevalerie !
C’eſt moitié trop ; ſachons la vérité.
Pour ce s’aviſe un jour de Confrairie
De ſe vêtir en prêtre, & confeſſer.
Sa femme vient à ſes pieds ſe placer.
De prime abord ſont par la bonne Dame
Expédiés tous les péchés menus ;
Puis à leur tour les gros étant venus
Force lui fut qu’elle changeât de game.
Pere, dit-elle, en mon lit ſont reçus
Un Gentilhomme, un Chevalier, un Prêtre,
Si le mari ne ſe fût fait connoître
Elle en alloit enfiler beaucoup plus ;
Courte n’étoit pour ſûr la kirielle.
Son mari donc l’interrompt là-deſſus,
Dont bien lui prit. Ah ! dit-il, infidèle !
Un Prêtre même ! à qui crois-tu parler ?
À mon mari, dit la fauſſe femelle.
Qui d’un tel pas ſe ſçut bien démêler.
Je vous ai vu dans ce lieu vous couler
Ce qui m’a fait douter du badinage.
C’eſt un grand cas qu’étant homme ſi ſage,
Vous n’ayez ſçu l’énigme débrouiller.
On vous a fait, dites-vous Chevalier,
Auparavant vous étiez Gentilhomme ;

Vous êtes Prêtres avecque ces habits.
Béni ſoi Dieu, dit alors le bonhomme,
Je ſuis un ſot de l’avoir ſi mal pris.

Lafontaine.