Le Parnasse contemporain/1869/Rêves, Anxiétés, Soupirs

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 193-195).
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LOUISA SIEFERT

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I


Sans le soupir, le monde étoufferait.
Ampère.


Rêves, anxiétés, soupirs, sanglots, murmures,
Vœux toujours renaissants & toujours contenus,
Instinct des cœurs naïfs, espoir des têtes mûres,
O désirs infinis, qui ne vous a connus !

Les vents sont en éveil ; les hautaines ramures
Demandent le secret aux brins d’herbe ingénus,
Et la ronce épineuse où noircissent les mûres
Sur les sentiers de l’homme étend ses grands bras nus.

« Où donc la vérité ? » dit l’oiseau de passage.
Le roseau chancelant répète : « Où donc le sage ? »
Le bœuf à l’horizon jette un regard distrait.

Et chaque flot que roule au loin le fleuve immense
S’élève, puis retombe, & soudain reparaît,
Comme une question que chacun recommence.

II


Tout corps traîne son ombre & tout esprit son doute.
Victor Hugo.


À vingt ans, quand on a devant soi l’avenir,
Parfois le front pâlit, on va, mais on est triste ;
Un sourd pressentiment qu’on ne peut définir
Accable, un trouble vague à tout effort résiste.

Les yeux, brillants hier, demain vont se ternir ;
Les sourires perdront leurs clartés. On existe
Encor, mais on languit ; on dit qu’il faut bénir,
On le veut, mais le doute au fond du cœur subsiste.

On se plaint, & partout on se heurte. Navré,
On a la lèvre en feu, le regard enfiévré.
Tout blesse, &, pour souffrir, on se fait plus sensible.

Chimère ou souvenir, temps futur, temps passé,
C’est comme un idéal qu’on n’a pas embrassé,
Et c’est la grande soif : celle de l’Impossible !


III


Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir.
Corneille.


À l’honneur du combat qu’importe la victoire ?
Celui qui pour mourir se couche en son drapeau,
Suaire que son sang a fait tout rouge, est beau :
C’est la fatalité, mais c’est aussi la gloire !


Toute âme est le champ clos d’une bataille noire
Sans trêve ni merci, sans soleil ni flambeau.
Chaque illusion morte y trouve son tombeau
Et dans sa chute entraîne au néant sa mémoire.

Ainsi fiers seulement du devoir accompli,
Tristes cercueils où dort l’amour enseveli
Près des élans fougueux & des grandes pensées,

Nous traînons le fardeau de nos forces lassées ;
Et, nous nous survivons dans cet immense oubli,
Sentant s’ouvrir le ciel sur nos têtes baissées.