Le Parnasse contemporain/1866/Concepcion

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 179-181).


CONCEPCION


Hier, à l’heure où l’essaim folâtre
Des romanesques visions
Dans les campagnes de théâtre
Vient tenter nos illusions,

Ardeur, jeunesse, fantaisie,
Vous avez, — O Concepcion !
O bel oiseau de poésie,
Éclos aux bois où Caldéron

Aimait à voir sous la ramée
Passer les muses au grand vol ! —
Converti mon âme charmée
Aux douceurs du ciel espagnol.

J’avais horreur des cantatilles
Sous les balcons des posadas,
Des caméristes, des mantilles,
Et de ces ollas podridas


Dont vivent depuis vingt années
Les compilateurs les moins lus,
Thème usé, grenades fanées
Dont le libraire ne veut plus !

J’étais fatigué des Mauresques
Qui viennent ici chaque été
Nous imposer leurs pas grotesques
Sans décence et sans volupté ;

Fronts bas où l’humanité manque ;
Corps où rien n’est intelligent ;
Agilité de saltimbanque
Et réserve de vieux sergent !

Quand la foule accueillait les bandes
De tous ces pitres zingari
Qui conduisent leurs sarabandes
Au milieu d’un charivari,

Moi je pleurais les Terpsichores,
Blanches nymphes des jours anciens,
Sous les couchants, sous les aurores
Excitant les musiciens !

Mais vous paraissez ! La basquine
De ses contours roses et blancs
Ceint votre hanche qui taquine
Le désir des yeux indolents,

Et soudain l’Espagne plus pure
Revit par vous, astre des soirs
Par vous sa plus fraîche figure,
Et tous nos cœurs sont des miroirs !


C’est le contraste qu’on demande,
Après Gil Blas et Figaro,
Ce motif de valse allemande
Qui perce sous le boléro,

Cette eau pleurant ses notes tristes
Dans les bassins des Alhambras,
Quand les doigts fous des guitaristes
Racles des airs aux señoras !

C’est, avec sa grâce guerrière,
L’Espagne des Campeadors
Raillant l’Espagne roturière,
L’Espagne des toréadors,

C’est doña Florinde ou Chimène
Qui, dans cette évocation,
Reparaît, libre de sa peine,
Heureuse de sa passion,

Tandis que, sous les lourdes grilles
Du monastère d’Avila,
Dans le groupe des chastes filles
Que le vœu chrétien y voila,

Thérèse livre aux chaudes brises
Son front que l’extase a jauni,
Et s’abandonne aux convoitises
De la croix et de l’infini.