Le Parnasse contemporain/1866/Cauchemar

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 140-141).
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CAUCHEMAR


J’ai vu passer dans mon rêve
— Tel l’ouragan sur la grève, —
D’une main tenant un glaive
Et de l’autre un sablier,
Ce cavalier

Des ballades d’Allemagne
Qu’à travers ville et campagne,
Et du fleuve à la montagne,
Et des forêts au vallon
Un étalon

Rouge-flamme et noir d’ébène,
Sans bride, ni mors, ni rêne,
Ni hop ! ni cravache, entraîne
Parmi des râlements sourds
Toujours ! toujours !

Un grand feutre à longue plume
Ombrait son œil qui s’allume
Et s’éteint. Tel, dans la brume,
Eclate et meurt l’éclair bleu
D’une arme à feu.

Comme l’aile d’une orfraie
Qu’un subit orage effraye,
Par l’air que la neige raie,
Son manteau se soulevant
Claquait au vent,


Et montrait d’un air de gloire
Un torse d’ombre et d’ivoire,
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.