Le Parnasse contemporain/1866/À une femme

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 47-48).


A UNE FEMME


Quand l’auteur du seul poëme,
Le soir du sixième jour,
Ayant tout fait, fit l’amour,
Il s’en admira lui-même !

Il se dit : « Non ! c’est trop beau !
Alors, pour le ciel que faire ?
Si je mets cela sur terre,
Que mettre dans le tombeau ? »

Il voulut donc nous reprendre
Ce grand amour près duquel
Toutes les flammes du ciel
Ne seraient plus qu’ombre et cendre.


Mais, comme il vint à penser
Que ses pauvres créatures,
Contre cent mille tortures
N’avaient rien que leur baiser,

Il laissa, père flexible,
L’amour au triste univers ;
Mais il y mit pour envers
Le plus de douleur possible.

Il fit que, joie et souci,
Pleur qui rit, rire qui pleure,
Notre chose la meilleure,
Hélas ! fût la pire aussi.

C’est pourquoi, ma bien-aimée,
Tout nous sépare, et pourquoi
L’avenir est devant moi
Comme une porte fermée.

Parfois, voyant s’abîmer
Notre espoir dans la nuit noire,
Nous en venons à nous croire
Malheureux de nous aimer !


AUGUSTE VACQUERIE.