Le Parfum des prairies (le Jardin parfumé)/11


CHAPITRE XI

DE LA MALICE DES FEMMES


Écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu protège !

Dieu a donné comme apanage aux femmes la malice ; elles en sont cousues à faire envie au diable. Leurs ruses sont infinies et Satan, qui les redoute, se sent pauvre auprès d’elles et en rougit de honte.

Voici une histoire :

Histoire du mari mystifié

Un homme était amoureux d’une femme jeune, jolie, bien faite, enfin charmante de tous points.

Il la supplia bien des fois de le recevoir chez elle, mais inutilement. Il se ruina en présents, qu’elle accepta, sans être plus avancé.

Lorsqu’il n’eut plus que ses larmes, il les laissa couler abondamment ; mais cette monnaie n’ayant jamais eu cours auprès des dames, il fut repoussé impitoyablement. Il demeura longtemps inconsolable, puis, un beau jour, il raconta ses soucis à une vieille femme fort expérimentée en pareille manière, qui lui promit ses bons offices à la condition qu’il se calmerait, puisqu’elle lui promettait les joies du paradis.

— Je vais, de ce pas, chez celle que tu aimes, lui dit-elle.

Et comme elle s’informait quelques instants après du moyen de parvenir près de la cruelle, les voisins lui répondirent que la chose était impossible, parce qu’une chienne terrible, placée vers la porte par le mari jaloux, se précipitait à la face de ceux qui faisaient mine d’entrer dans la maison.

Je suis servie à souhait, pensa la vieille toute contente, et Dieu veut que ma promesse soit accomplie.

Elle retourna bien vite chez elle, prépara un plat de pâtes mêlées de viandes et se dirigea de nouveau vers l’habitation de la jeune femme. Elle poussa la porte et comme l’animal s’avançait vers elle, l’œil rouge de sang, elle lui tendit le vase de nourriture. La chienne, radoucie, vint caresser la vieille en balançant sa queue, puis elle se mit à manger. L’Adjousa embrassait la bête, passait ses mains sur son dos et disait :

— Ô ma pauvre sœur, je t’ai donc enfin retrouvée, il y a si longtemps que je te cherche que mes cheveux ont eu le temps de blanchir.

Et la maîtresse de la maison, ne comprenant rien à ce qui se passait, regardait avec étonnement :

— Ma mère, dit-elle, connais-tu donc cet animal ?

Mais l’autre, faisant semblant de pleurer, ne disait mot et continuait à flatter la bête.

— Mais réponds-moi donc.

— Ma fille, dit enfin la vieille, cette chienne, il y a longtemps de cela, était mon amie, car alors elle était femme. Un jour, on vint nous prier toutes deux d’assister à la fête d’une de nos parentes ; nous eûmes bientôt revêtu nos plus brillants habits pour faire honneur à celle qui nous conviait. Ma sœur, ainsi parée, était jolie à ravir ; sa beauté étincelante et son regard limpide avaient la grâce de ton délicieux visage, et lorsque je te regarde, il me semble encore la voir. Mon amie rencontra, ce soir-là, un beau jeune homme qui devint éperdûment amoureux d’elle ; il fit tous les sacrifices possibles pour vaincre sa vertu ; sa fortune entière s’épuisa en folles dépenses, mais ma sœur était sage et rien ne put la séduire. Son amant, fou de désespoir, la menaça d’une vengeance terrible.

— Fais, dit-elle, je ne crains ni toi ni tes menaces.

Mais lui, poussé à bout par ses dédains insultants, obtint de Dieu, à force de prières, qu’elle fût changée en chienne.

À peine eut-elle terminé ces mots que de longs sanglots étouffèrent sa voix.

— Ô Allah ! s’écria la jeune femme, s’il m’en arrivait autant.

— Comment cela ? dit la vieille, qui ne perdait rien de ce qui se passait.

— Hélas ! reprit l’autre, un beau seigneur m’aimait follement, pour moi, il a dépensé ses biens, il ne lui reste plus que la salive de sa bouche et je crains qu’il ne se venge de la même façon.

— Prends garde, dit la rouée, Dieu ne pardonne pas aux femmes qui font tant souffrir. Crois-en mon ancienne expérience et cède aux désirs de ton amoureux pour qu’il ne t’arrive aucun mal.

— Mais où le prendre ? Je ne sais où il habite, comment faire pour le trouver ?

— Pour Dieu, je t’aiderai et je jure de le découvrir.

— Ô ma mère, fais cela, je t’en prie, et demain j’irai le rejoindre chez toi.

La vieille sortit, puis alla vite rejoindre son protégé qui promit d’être exact au rendez-vous.

Le lendemain, la jeune dame fut la première arrivée ; elle attendit une heure, deux heures… mais l’amant, retenu sans doute par une affaire grave, ne venait point, et les deux femmes, mécontentes, ne savaient que penser de cet impertinent retard.

— Comment se fait-il qu’il ne vienne pas ? disait la jeune impatiente.

— Je l’ignore, répondait l’autre, je vais même voir si je puis le trouver ; si mes recherches sont vaines, je te présenterai un beau garçon pour conjurer le mauvais sort aujourd’hui, quitte à t’amener demain celui que nous cherchons.

— Va ! s’écria la femme, irritée des dédains de son ancien amant.

La vieille, à peine sortie, rencontra tout près de chez elle un homme grand, bien fait, distingué et richement vêtu. Voilà qui fera bien l’affaire de la femme qui attend chez moi, pensa-t-elle. Aussitôt elle l’accosta :

— Mon Seigneur, je ne suis point surprise de l’amour que tu inspires : ta charmante tournure en a fait rêver plus d’une. Mais béni soit Dieu qui m’a permis de te rejoindre après de nombreuses démarches. Viens chez moi et, tu verras là, une ravissante fille à laquelle tu as fait perdre l’esprit.

— S’il en est ainsi, répondit le beau musulman, marche, je te suis. Prends cette pièce d’or pour ta peine, et, si ma conquête est aussi belle que tu le dis, j’arrondirai ta bourse.

Un instant après, la vieille disait :

— Ma dame, je n’ai pu trouver notre fugitif, mais celui que j’ai entraîné vaut mille fois l’autre.

Et la curieuse, regardant par un trou de la porte, reconnut son mari.

Alors, furieuse, elle s’élança brusquement à sa rencontre et le frappant rudement à la poitrine :

— Misérable, dit-elle, est-ce ainsi que vous me trompez ! Que venez-vous faire ici ? Vous êtes à la poursuite des femmes, tandis que vous me croyez seule à la maison. Voilà longtemps que je doutais de votre cœur. Vous êtes enfin tombé dans mon piège. Où sont les serments de fidélité avec lesquels vous m’assourdissez tous les jours les oreilles. Qu’avez-vous fait de cette sagesse dont vous parliez si haut ? Méchant, votre trahison est découverte ; vous avez suivi la caouada que j’envoie chaque jour à votre rencontre. Allez, votre échafaudage d’hypocrisie est détruit, aujourd’hui même le cadi nous séparera.

Que de cadeaux et de promesses dut faire ce pauvre mari, qui se croyait seul coupable, pour rétablir la paix dans son ménage. Je vous le laisse à penser.

Regardez ce dont sont capables les femmes !

Histoire du Marabout et de la femme ardente

Une femme aimait un marabout qui avait une grande réputation de vertu. Bien des fois elle le fit prier de venir la voir en voisin ; mais il résistait à toutes les séductions, car il craignait Dieu plus que la malice des femmes.

Elle se mettait souvent sur le seuil de sa porte, lui faisant de tendres signes à son passage. Tout était inutile.

Il faudra bien qu’il arrive, pensa la méchante.

Un jour, elle appela sa négresse et lui dit :

— Il faut que j’aie cet homme et, pour cela, tu m’aideras.

— Je ferai selon ta volonté, dit l’esclave.

— Eh ! bien, écoute. Prends une lourde pierre et frappe à la porte de dehors comme si tu voulais l’enfoncer ; un instant après, heurte la seconde porte qui est en dedans, en laissant celle de la rue ouverte. Mais agis de façon que personne ne puisse découvrir notre stratagème ; dès que tu apercevras une figure à l’extérieur, rentre bien vite dans la maison pour que nul ne te reconnaisse.

La négresse ayant commencé le vacarme, le marabout l’entendit ; et comme il était homme de bien, bon musulman et empressé à rendre service, il demanda à sa femme ce que cela pouvait être.

— Les voleurs sont probablement chez notre voisine, répondit-elle.

Sans entendre davantage, il sortit, traversa la rue et franchit la porte laissée ouverte par la négresse. Mais à peine se trouva-t-il dans la maison que l’entrée fut refermée précipitamment derrière lui, et qu’il se vit prisonnier de sa maîtresse qui criait toujours plus fort.

— Mais qu’avez-vous donc ? lui dit-il, et pourquoi tant de bruit ?

— Enfin, te voilà donc ici, dit la femme amoureuse. Je jure que si tu ne fais pas ce que je désire, je dirai à tous que tu es l’auteur de ce tapage ; je raconterai que, depuis longtemps, tu m’obsèdes de tes poursuites et, qu’irrité de mes refus, tu es venu ici comme un insensé pour me faire céder à la force.

— Grand Dieu ! s’écria le marabout, toi dont la puissance est immense, inspire-moi le moyen de sortir des mains de cette tigresse !

Alors il se dirigea vers la porte, qu’il chercha à ouvrir ; mais les deux femmes, recommençant à hurler de plus belle, faisaient accourir autour de la maison tout le voisinage ameuté.

— Je suis vaincu, dit le sage, sauve ma réputation et je t’appartiendrai.

Aussitôt elle l’enferma à clef dans sa chambre, et retournant auprès de la foule qui se pressait autour de l’habitation :

— Merci, mes bons amis, dit-elle, le nigaud s’est laissé prendre comme le rat par la chatte ; je n’ai plus besoin de vos bons secours.

Et la rue redevint bientôt déserte.

La mauvaise rejoignit son marabout, qu’elle garda pendant sept jours, ne renvoyant à sa femme qu’un vilain outil bien usé et impropre au plus petit service.

Voyez, mes frères, et jugez de la malice des femmes.

Histoire du mari trompé par son âne

Une dame avait épousé un porteur qui, pour la commodité de ses corvées, avait acheté un âne superbe.

Cette femme, dont le caractère était acariâtre et boudeur, avait pris son mari en haine parce qu’il avait un zeb tout petit, qu’il jouissait trop vite et niquait rarement.

Il était maigre et faible, tandis qu’elle était grasse et plantureuse ; son zouque magnifique et bien fendu aurait trouvé difficilement, parmi les hommes, un tota à sa mesure.

Chaque soir elle portait l’orge à l’étable ; mais une fois occupée de l’âne, elle oubliait son époux, qui lui dit un jour :

— Pourquoi es-tu si lente à revenir ? J’attends depuis longtemps que tu me serves le repas du soir.

— Votre âne est fatigué des fardeaux énormes dont vous l’accablez, disait-elle ; je l’encourage et le presse de manger afin qu’il ne faiblisse pas sous la charge du lendemain et je ne le quitte que lorsqu’il a broyé son dernier grain.

Elle a quelquefois du bon, pensait l’imbécile, qui allait se coucher et s’endormait sans penser à mal.

Et il continua à la laisser exclusivement chargé du soin de son favori.

Cette femme était mauvaise et sans honte, son dévergondage n’avait pas de limite. Pendant que l’animal mangeait, elle plaçait sur son dos le bât, qu’elle fixait en nouant les sangles sous son ventre ; puis elle s’imprégnait le fordj de fiente d’écurie et, ainsi barbouillée, elle mettait ses mains par terre, élevait son derrière à la hauteur du nez du bourriquet, qui, à l’odeur abominable qu’elle exhalait, la prenait pour une ânesse et, en moins de rien, l’avait enfourchée.

Elle prenait alors par-dessous le membre de l’âne, le tortillait pour le faire arriver à un état satisfaisant, puis, écartant davantage ses jambes, elle s’en frottait le tortouche et l’entrée du zouque. Quelquefois, elle l’introduisait dans l’intérieur, mesurant avec sa main la longueur qui devait pénétrer, en augmentant ou diminuant les proportions, suivant l’ardeur de ses désirs.

Un soir, le mari, se réveillant, aiguillonné par certaines idées lubriques, chercha sa compagne qu’il croyait près de lui ; il étendit les bras jusqu’au bord du lit sans rien trouver. Il se leva furieux, descendit à l’étable et resta ébahi de voir son âne qui allait et venait sans bouger de place.

— Hé ! ma femme ? cria-t-il.

— Méchant, répondit une voix qui semblait sortir de dessous terre, pourquoi Dieu t’a-t-il créé sans pitié ?

— Moi ? sans pitié, fit le cocu, pour quelle raison ?

— Parce que tu ne laisses prendre aucun repos à la pauvre bête. Lorsque je lui ai apporté ce soir sa nourriture ordinaire, elle n’a pu manger ; j’ai caressé son dos qu’elle a ployé sous ma main, et, toute désolée, j’ai voulu la soutenir un instant et me suis mise sous elle. Et il était temps, car tu as vu toi-même comme ses jambes étaient tremblantes. Après cela, si tu veux que ton âne crève, ajouta-t-elle en se dégageant de ses pattes, c’est comme tu voudras, tu porteras la charge.

Le mari remercia sa femme et la pria de donner à l’avenir double ration à l’animal pour qu’il pût faire un meilleur service : ce dont ils ne se plaignirent ni les uns ni les autres.

Voyez et frémissez à la pensée des femmes malignes.

Histoire de la femme qui prit la place de son amie

Deux voisines habitaient la même maison. L’une avait un beau zouque dodu et bien nourri ; l’autre possédait un fordj mince, maigre et de triste apparence.

La première était grande et forte, la seconde petite et courtaude. Cette dernière était chagrine, d’humeur triste et sa paupière rougie soutenait sans cesse une larme prête à tomber. Sa compagne, au contraire, était joyeuse du matin au soir et le sourire restait fidèle à ses lèvres de corail.

— Je suis heureuse, disait-elle à son amie, mon lit est doux, je prends ce que mon mari me cède et je me donne à mon époux qui me caresse. Ses baisers sont de feu ; et il garnit si bien ma chambrette que l’espace compris entre les quatre murs, le plancher et le plafond, est complètement occupé ; et tous deux, de plaisir, arrosons ce petit réduit de nos doux pleurs.

— Mon chagrin est grand, disait l’autre, ma couche est dure et misérable comme mes amours ; nos baisers ont la grâce de ceux qui travaillent pour rien ; et nos cœurs, peu sympathiques, ne se comprennent guère ; mon mari a beau meubler ma chambre, il n’y paraît point, et nos larmes d’ivresse sont taries.

Elles parlèrent longtemps ainsi de leurs joies et de leurs peines ; si bien que la seconde femme, toute jalouse, voulut savoir si le zeb du mari de sa voisine la guérirait de ses soucis. Pour cela, elle tâcha d’éloigner son époux, lui conseillant d’aller faire une visite à sa famille dont les tentes étaient à une journée de marche.

— Va, disait-elle, ne négligeons pas ceux qui nous aiment.

Lorsqu’elle se trouva seule, elle se parfuma d’essences et attendit la nuit avec impatience.

Quand le jour fut tombé et qu’elle pensa que le temps du sommeil était venu pour ses voisins, elle s’introduisit furtivement dans leur chambre, s’approcha du lit, sentit bien doucement la position des deux corps et franchit le premier pour se placer entre eux. Ceux-ci, dans ce moment trop serrés, crurent que l’un tombait sur l’autre ; pour être plus à l’aise, ils se retirèrent chacun de son côté vers le bord du lit.

Bientôt après la voisine entendit la respiration égale et tranquille de son amie qui s’était rendormie ; alors, se rapprochant plus près de celui dont elle convoitait les faveurs, elle laissa une place vide entre elle et la dormeuse. De son côté, l’époux, excité par l’odeur des parfums qui lui montaient au cerveau, ne tarda pas à éprouver l’aiguillon des désirs ardents, et passant ses bras autour du corps de la femme qui était auprès de lui, se rapprocha tout près d’elle, qui disait :

— Mon bien aimé, laisse-moi,

— Tais-toi, répondait le mari, tu vas réveiller les enfants ; tu sais qu’ils ont le sommeil léger ; viens donc contre moi et prends mon tota comme d’habitude.

Elle resta émerveillée des proportions gigantesques de ce membre à nul autre pareil ; et son zouque s’étant grand ouvert, elle l’introduisit avec volupté à l’intérieur.

Le mari, amoureux comme un lion, ne reconnaissait plus la manière d’opérer de sa femme ; mais l’autre se donnait grand mal, et son fordj serrait le zeb de son amant avec tant de violence que celui-ci ne pensa qu’au plaisir, sans regarder plus loin.

La trompeuse, qui n’avait jamais eu tant de bonheur, fut heureuse trois fois de suite et le mari de son amie, abîmé d’un excès de volupté, ne tarda pas à fermer les yeux.

Alors elle se leva avec précaution et, toute satisfaite, regagna sa couche.

Quand le soleil revint, l’époux se réveillant, dit à sa femme :

— Mohima, qu’avais-tu donc hier au soir ? Je ne t’ai jamais vue aussi caressante, et puis tu avais couvert ton corps de toutes les essences du ciel.

— Tu es fou, répondit la femme ; tu as rêvé filles et parfums, et tu veux me faire les honneurs de ton songe. Merci, j’aime mieux la réalité.

L’époux resta tout ébahi.

Voyez, mes frères, de quelles tromperies les femmes sont capables.

Leurs détours sont innombrables, leur adresse infinie. Elles feraient monter un éléphant sur le dos d’une fourmi, et laboureraient avec des insectes imperceptibles de quoi semer la plus abondante récolte.

Dieu a créé les femmes rusées et leurs pensées méchantes.