Le Parfum des prairies, (le Jardin parfumé)/Texte entier


AVERTISSEMENT


La traduction que nous publions pour la première fois donne le texte exact et littéral de l’ouvrage connu, jusqu’ici, sous le nom de Jardin Parfumé du Cheikh Nefzaoui et qui se nomme, en réalité, Le Parfum des Prairies.

Elle est antérieure à la traduction du baron R***, revue plus tard pour l’édition de 1886, donnée par Isidore Liseux, et qui fit connaître en France ce remarquable échantillon de l’érotologie arabe.

Elle a, sur celle-ci, l’avantage de serrer de plus près le texte arabe, et de lui laisser sa poésie. Une simple comparaison des deux traductions permettra de s’en rendre compte.

Pour le reste, nous renvoyons le lecteur à la Notice placée à la fin du présent volume, où il trouvera tous les renseignements historiques et bibliographiques qui se rapportent au Jardin Parfumé, à ses traductions et à ses différentes éditions.

H.


À MON AMI JOSÉPHIN SOULARY


En vous offrant cette traduction, mon cher Soulary, je crois devoir vous dire dans quelles conditions elle a été entreprise.

Dans une petite maison d’Alger, une des rares habitations ayant conservé leur style mauresque bien pur, cour dallée de marbre, colonnes tourmentées aux chapiteaux fleuris, chambre longue dont les murs sont garnis de vieux carreaux émaillés qui forment des dessins de cachemire, je recevais chaque soir une petite société d’Arabes.

J’avais grande envie d’apprendre la langue et je trouvais ce moyen parfait, ma paresse instinctive me commandant de proscrire les professeurs et tous ces livres arides des premiers travaux, qui sentent le collège dont je n’ai pas gardé un bien touchant souvenir.

Je voulais donc m’instruire en jouant.

Mes convives habituels étaient le Crodja Mohammed, le même qui a écrit votre manuscrit ; Sid-el-Adj-Ali ben Turqui, musulman pieux et lettré qui revenait de son troisième voyage de La Mecque ; et enfin Nefissah, la belle et gracieuse Mauresque à laquelle je dois le travail que je vous prie d’accepter.

Le Crodja Mohammed était un homme de trente ans, d’une taille élancée, maigre de figure, aux pommettes saillantes, au nez d’aigle ; ses yeux avaient le feu de la fièvre ; son teint bilieux et sa lèvre fine, qui se crispait à la moindre impression, faisaient songer qu’il eût été un aussi brillant guerrier qu’il était parfait écrivain.

Du reste, ses ancêtres avaient fait parler la poudre ; son père suivit Abd-el-Kader dans toutes ses expéditions, et Mohammed lui-même avait assisté, bien jeune, à quelques épisodes de la Guerre Sainte, épisodes qu’il racontait avec émotion.

Mais après la reddition du grand Chef, sa famille, préférant la liberté à ce que nous appelons la civilisation, gagna le Sud, où elle s’enfonça davantage à mesure que nous agrandissions nos conquêtes, établissant sa tente sous l’œil de Dieu — le souverain maître — tandis que l’enfant, fait prisonnier, fut ramené à Alger. Là, son intelligence précoce, remarquée de quelques officiers de notre armée, le fit attacher aux bureaux arabes en qualité de Crodja (secrétaire).

Sid-el-Adj ben Turqui, le seigneur pèlerin, appartenait à une ancienne maison de Stamboul ; il avait occupé, du temps des Turcs, une position influente dans l’administration algérienne ; mais après l’envahissement des Français, il s’était entièrement voué aux choses pieuses, laissant les hommes pour ne s’occuper que de Dieu. Il passait les derniers jours de sa vie sur la route de La Mecque et prétendait gagner encore de longues années d’existence à ces saints mais fatigants pèlerinages : car Allah, disait-il, laisse les bons sur la terre pour servir d’exemple.

C’était un vieillard de 70 ans, à la démarche vénérable ; sa barbe blanche, bien soignée, tombait soyeuse sur sa poitrine ; son regard était doux et bienveillant et sa parole affectueuse.

En Orient, les sages prétendent que l’on connaît la valeur d’un homme à l’histoire de ses aïeux et le caractère d’une femme à l’éclat de son œil. C’est pourquoi je ne vous parlerai pas de la famille de Nefissah, mais seulement d’elle-même.

Néfissah est une superbe créature ; sa taille souple quoique forte, rappelle les statues antiques ; elle possède, au suprême degré, cette nonchalance de corps qui produit, lorsqu’elle marche, ce balancement gracieux que les Arabes admirent ; ses cheveux noirs aux reflets bleus, cachés en partie sous une étoffe de satin de couleur vive et une triple couronne de jasmin, sont roulés en turban autour de sa tête ; son front est puissant ; ses yeux verts de mer ont parfois des rayons d’orgueil dédaigneux, mais le plus souvent ils restent sans regards et comme absorbés par les pensées intérieures que rêve son imagination ardente. Son nez est légèrement arqué, ses narines se dilatent frémissantes ; sa bouche, un peu épaisse, respire la volupté et malgré l’exquise sensualité empreinte sur ses traits, l’ensemble de sa figure est froid. Sa nature est contemplative, elle vit beaucoup en elle-même et sacrifie seulement à l’idéal de son esprit.

Nous étions groupés sur un amas de coussins, tout autour d’une petite table mauresque ornée avec goût d’arabesques brillantes se détachant sur un fond bleu de ciel. La négresse Fatma avait soin d’en garnir le tour de café, de sorbets et de gâteaux au miel, tandis qu’au centre s’étalait un panier à larges bords en paille du Soudan, rempli de tabac indigène.

Alors le Crodja Mohammed prenait votre manuscrit ; il lisait une phrase que Sid-el-Adj-Ali traduisait en langage d’Alger, faisant ressortir avec science l’idée de l’auteur, appelant spécialement l’attention sur les mots qui avaient une certaine portée littéraire et mettant à se faire comprendre une patience toute musulmane.

Ensuite venait le tour de Nefissah, qui me donnait le mot à mot français en roulant une cigarette qu’elle fumait pendant l’explication de la strophe suivante.

Ainsi faisions-nous chaque soir et je vous assure, cher ami, que cette comparaison constante de l’idiome arabe ancien et moderne avec notre langue, tâche que nous avions entreprise avec un plaisir persévérant, a été pour moi un utile travail, que j’espère bien recommencer à mon prochain voyage en Algérie.

In cha Allah (si Dieu le veut !)

Cette œuvre du Cheikh Mohammed Nefzaoui, à laquelle il a donné le nom d’Attar el Araoud (Essence des Prairies) a le caractère oriental parfaitement déterminé. Le poète suit le cours de ses idées, sans ordre, comme marche la fantaisie de son cerveau ; il passe brusquement, sans transition, d’une chose à une autre : après un conte, l’explication des songes ; ensuite une observation tout à fait en dehors du sujet, pour revenir encore à la question des rêves, qu’il quitte bien vite pour entamer une dissertation médicale dont il a un peu abusé. Enfin ne critiquons pas trop son livre, il a peut-être, de bonne foi, voulu rendre service.

Ne trouve-t-on pas dans Horace des chapitres érotiques qui pourraient faire pendant à ceux de Nefzaoui ? Pourquoi exigerions-nous plus de moralité de l’écrivain d’un peuple encore dans l’enfance, que du grand poète des civilisations anciennes ?

Et puis n’oublions pas que l’Arabe est d’un matérialisme qu’il pousse jusqu’au cynisme ; il a deux vies bien distinctes : la vie extérieure et la vie intérieure. En public sa fierté est grande, sa parole brève, sa tournure méprisante ; chez lui il devient causeur, bavard même, joue avec les femmes comme jouent les enfants et pleure quelquefois au moindre caprice de celle qu’il aime. La conversation intérieure est toujours lascive, et les mots que nous considérons comme malséants passent chez eux inaperçus.

Mohammed Nefzaoui est considéré en Orient comme un conteur aimable, sachant le monde et aimant les femmes bien plus pour les plaisirs d’amour que pour les besoins de l’âme ; et les hommes lui donnent raison ; mais les dames le condamnent ; car elles sont ambitieuses et égoïstes, et veulent tout pour elles : le cœur et les sens.

Cédons la place au poète, il vous intéressera plus que moi. Je ne dois conserver pour ma part dans ce livre que le plaisir de vous en offrir la traduction.

Antonin Terme.


ATTAR EL ARAOUD,
À LA MAURESQUE NEFISSAH


I


Rébus des peuples morts, logogryphes des stèles,
Vous nous rappelez l’homme et consacrez le laid.
Mais, ô Maure fervent ! où passe ton stylet,
La fleur s’épanouit en vivantes dentelles.

Ta phrase est un parterre où danse la houri ;
Le mot luxuriant en corbeille s’étale ;
La lettre monte en jet, le point s’ouvre en pétale,
L’alinéa se perd en un sentier fleuri.

Tes selams sont pour moi de lisibles féeries ;
Mon cœur savait, devant que la tête y pensât,
Que le manuscrit d’or traduit par Nefissah
Devait s’intituler Le Parfum des Prairies.

Tout n’est-il point parfum dans le pays des fleurs ?
Toi-même n’es-tu pas, dans ce pays, ô femme,
Et la fleur de la chair, et l’arôme de l’âme,
Et la gamme des sons, et l’iris des couleurs ?

II

Or ce livre du Cheikh Nefzaouï le sage
Est un missel d’amour qu’un prophète eût signé,
Mais qu’en France, Tartufe, en son zèle indigné,
Condamnerait au feu pour maint et maint passage.

Il est vrai que l’amour, grand sultan d’Orient,
Fit le sens pour le cœur, et le mot pour la bouche,
Tandis qu’il n’est chez nous qu’un sournois saint-n’y-touche
Très prompt au sens brutal, fort prude au mot riant.

Il est bien loin le temps où la forme ingénue
Avec moins de pudeur avait plus de vertu.
(Si tu n’étais coupable, Eve, rougirais-tu ?
C’est la faute qui fait la honte d’être nue.)

Rire comme on riait dans le Décaméron,
C’est bon pour la jeunesse, et quand la voix est fraîche ;
Aujourd’hui que la France est décrépite et sèche,
Le malin Dieu gaulois boude ce laideron.

Mais là-bas, on est jeune encor ! L’homme au front rude
Que nous craignons toujours, même en en triomphant,
Est, aux pieds de sa mie, un tout petit enfant
Contant mille déduits d’amour, sans lassitude.

Et la beauté naïve entend, sans sourciller,
Ces récits aiguisés au vif, dont le trait leste

Repasse, écho plaisant, par sa bouche céleste,
Comme ferait du sel dans l’or, sans le souiller.

III

Ah ! vive un sol semé de biblique légende,
Où chante encor la voix qui dit : Multipliez !
L’être y naît le front libre et les pieds déliés ;
La vie ouvre pour lui son aile toute grande.

Dieu marche, plus visible et plus près du banni,
Dans l’immense désert que le désert allonge ;
L’horizon n’est borné que par notre mensonge,
Et c’est l’homme qui cache à l’homme l’infini.

La Mère-solitude est la beauté sans gaze
Qui livre à son enfant son sein en plein soleil,
Et le berçant tout nu du bout de son orteil,
L’éveille d’un sourire et l’endort d’une extase.

Sous le figuier des puits le bonheur est caché ;
La brune Rebecca vient y puiser encore
L’eau vive qu’elle verse en inclinant l’amphore,
Aux lèvres de l’amant à ses genoux penché.

Il se tient dans les plis de la tente nomade,
Dans les jarrets d’acier du svelte mehari,
Dans le lait des troupeaux qui n’est jamais tari,
Et dans le sang du cœur qui n’est jamais malade.


Nous, les Roumis, polis à force d’être usés,
Nous faisons du bonheur un thème d’argutie,
Nous vivons de réserve et mourons d’asphyxie :
Barbares ! vous serez par nous civilisés.

IV

Ô fleur des oasis, ô gazelle des plaines :
Je jetterais au feu la lyre et le crayon,
Pour te voir un seul jour, sur ta peau de lion
Reposant, nonchalante, en tes splendeurs sereines.

Dans tes cheveux tordus en turban, noirs et lourds,
Scintille du jasmin l’étoile délicate,
Et le rire de l’or sur ta basquine éclate,
Quand le cœur y soulève en onde le velours.

Ton large front sculpté dans un massif d’opale
A d’un lac en repos le limpide poli ;
La ligne y court sévère, et son angle assoupli
Se noie en purs méplats sur ta peau mate et pâle.

Comme une coupe ouverte aux appétits ardents,
Saillit le bord puissant de ta lèvre lascive,
Rouge du suc d’irak, qui, mordant la gencive,
Met du baume à l’haleine et de l’émail aux dents.

De tes yeux verts de mer, profonds comme la vague,
Dont le khol élargit le contour azuré,

Sort le regard, tantôt comme un phare éclairé,
Tantôt surpris d’un rêve, et noyé dans le vague.

Tes doigts aux ongles fins dorés par le henné,
Roulent indolemment le papel blanc ou rose,
Empli du tabac blond qui du souci repose,
Ou du kif, le charmeur qui rend illuminé.

Et, comme en son éther, cette vision nage
Dans ce delta d’odeurs béni par le koran :
Trinité du benjoin, du musc et du safran,
Dont l’ivresse à la fois est suave et sauvage.

Atmosphère sans nom, pleine d’étrangetés
Où la femme apparaît, fluide et condensée,
Tu fais de trois mille ans reculer ma pensée,
Vers l’âge primitif des fortes voluptés ;

Et ton sens éclatant se dégage du mythe,
Comme fait le soleil des nuages menteurs,
Age d’or, où l’amour accourait aux senteurs
Qu’exhalait en marchant la jeune sulamite.

V

Je comprends que l’amour, ce grand mangeur d’encens,
Reste l’éternel Dieu d’une terre embaumée
Où, pour lui, la nature, éblouissante Almée,
Palpite par des sens qu’elle ajoute à ses sens.


Et je comprends aussi qu’aux vieux temps des Croisades,
Nos preux, pour avoir bu de cet air une fois,
Aient, au retour, fondé le rite des tournois,
Souvenir des Fatmés et des Schéhérazades.

Mais je ne conçois pas qu’un seul soit revenu
De ce friand rivage où la magique Armide
Verse l’oubli de tout dans ce sourire humide
Ouvert comme une rose au seuil de l’inconnu !

VI

Un jour, sous le niveau banal de l’industrie,
L’esprit noir du progrès, vieux fils de Thubalcain,
Aura courbé le front du centaure africain,
Et l’amour oubliera qu’il eut une patrie.

Et vous disparaîtrez, par la mode éconduits,
Bizarres ornements qui fûtes ses costumes,
Beaux us hospitaliers dont il fit ses coutumes,
Et vous, merveilleux faits des Mille et une Nuits.

Allah se coiffera d’une calotte noire,
L’Arabe ira plaider en pantalons collants,
La Mauresque, traînant une robe à volants,
Balancera son corps dans vingt mètres de moire.

Les minarets rasés recevront des toits plats.
Par le désert, honteux de ses lignes ferrées,

On ira, le dimanche, à des maisons dorées
Que les lions du jour bâtiront sur l’Atlas.

Dans les flancs étagés des ruches catholiques,
L’actif bourdon fera son miel grevé d’impôts,
Et sa reine pourra cultiver dans des pots
Les derniers spécimens des Flores symboliques.

Dans des livres moisis qu’on croira des romans,
Si l’on retrouve encor vos étranges images,
Les savants écriront : C’était du temps des Mages…
Les femmes penseront : Quels grotesques amants !

Le soleil blémira dans l’air chargé de suie,
La mer aura l’odeur d’un palus empesté,
L’Orient sera mort, et la société
Bâillera : Suis-je heureuse… Ah ! Dieu ! que je m’ennuie !

Joséphin Soulary.


Au nom du Dieu clément
et plein de miséricorde,
que nous implorons,
LE CHEIKH EL ADJ BOU ABDALLAH
MOHAMMED EL NEFZAOUI
raconte des choses vraies.


Que le Seigneur lui fasse miséricorde.

LE PARFUM DES PRAIRIES

LOUANGE À DIEU ! QUE SA VOLONTÉ SOIT ACCOMPLIE !


Il a fait les joies de l’amour pour les hommes et pour les femmes : les hommes trouvent le bonheur au fond du zouque et les femmes se réjouissent du tota des hommes.

Le zeb, après avoir envahi le fordj, se repose d’abord en lui plein de confiance ; ensuite un charmant combat commence et leur rencontre les met tous deux entre la femme qui s’agite et l’homme qui l’étreint avec ardeur en éprouvant des plaisirs d’une douceur qui fait mourir. Alors la jouissance arrive, la tête du tota baise la bouche d’Aoualda, et l’amant fait un dernier effort, tandis que sa maîtresse serpente sous lui. Puis ils se calment, s’embrassent tendrement à la bouche, aux joues, au cou, au menton, à la poitrine ; ils sucent leurs lèvres fraîches de jeunesse et de nouvelles émotions s’emparent de leurs sens.

Dieu, le souverain organisateur de toutes choses, a fait les seins des femmes arrondis ; il a fait leur cou ravissant, leur gentil menton et leurs joues belles et veloutées, gracieusement ornées d’anneaux d’or et de diamants qui semblent s’échapper de leurs oreilles fines et rosées : il a fait leur bouche pourprée qui irrite les désirs lorsqu’elle cherche à fuir sous les baisers de l’amant heureux, leurs paupières et leurs cils recourbés comme le sabre étincelant, leur ventre ferme et leur nombril charmant ; il a fait pour nous ce pli délicieux qui sépare le ventre de la cuisse, et leurs hanches lourdes et fortes.

Si la femme ouvre ses jambes, regarde, et tu verras entre elles et un peu en dessous, une figure qui, tout d’abord, ne te paraîtra peut-être pas engageante, car elle ressemble à la figure du lion qui rugit, prêt à saisir sa proie.

C’est ce qu’on appelle le fordj.

Que de gens morts pour cette tête de lion ! que d’yeux aveuglés par son éclat ! qu’il est triste de songer à tant de maux causés par une bouche qui n’a qu’une petite langue et deux lèvres !

Le zouque ressemble à l’empreinte que laisse le pied d’une gazelle sur le sable du désert. La sagesse de dieu l’a placé entre deux colonnes aux proportions ravissantes : elles ne sont ni trop longues ni trop courtes, et les formes gracieuses du genou, du mollet, de la cheville et du talon entouré de muscles qui rendent les contours moelleux, donnent un charme infini à cet ensemble que supportent de jolis petits pieds surmontés de krals merveilleux.

Les perfections de la femme sont immenses comme la grande mer. Il lui faut des vêtements parfumés, de brillantes ceintures et un sourire blanc.

Remercions Dieu qui les a créées si parfaites de formes. Il en a fait naître qui sont grasses et roses ; tout en elles est douceur ; il faut qu’elles aient dans leur démarche un léger balancement, que leurs yeux soient noirs et qu’elles entourent leurs paupières de kheul.

Une femme complète doit rendre fou. Les hommes sont sur la terre pour subir ses lois ; vers elles tendent leurs efforts, elle est le point de départ et le but convoité : elle fait vivre ou elle tue.

Je suis amoureux de cette femme de mes rêves. Voyez mon âme, elle est profondément brûlée à cause d’elle. Dieu m’a rendu triste et découragé ; mon être tout entier lui appartient et je la cherche en vain sans pouvoir la trouver.

Pauvre Mohammed ! triste créature de Dieu, bénis le Seigneur afin qu’Allah te donne l’oubli, afin que la vue des autres femmes ne te fasse pas songer à celle que tu aimes, afin que tu ne redoutes plus l’approche de celle que tu appelles ; car si tu peux un jour déchirer ton amour, le jeter au vent et demeurer sûr de ta force, alors crie : Dieu est dieu et Mahomet est son prophète !

Ce livre amusant et instructif, composé après mon œuvre intitulée : De l’Amour, a été écrit par moi, Mohammed ben Abdallah Nefzaoui, sur l’ordre du Vizir Mousemah bit Nouert el Bika (Mousemah le jardin des fleurs) du sultan de Tunis, Abd-el-Aziz (aimé de Dieu).

Ce ministre était intelligent et lettré, beau, aimable, d’une grande finesse, comprenant les femmes et la vie joyeuse. Il remplissait auprès du grand Seigneur la charge de poète et de secrétaire particulier ; le Sultan l’avait autrefois rencontré à Alger, il avait admiré sa science, lui avait accordé son amitié, l’avait emmené à Tunis, que Dieu protège, et l’avait fait Grand Vizir.

Un jour, mon manuscrit De l’Amour étant tombé entre ses mains, il me fit appeler, me priant de venir au plus tôt près de lui. Je m’empressai de me rendre à ses désirs, et, durant trois jours, je fus comblé par Sa Hautesse des marques de la plus grande faveur. Au bout de ce temps, me montrant le livre, il me demanda si je n’en étais pas l’auteur. Comme je rougissais sans répondre, il me rassura et reprit :

— Ne demeure pas interdit, car tout ce que tu racontes est juste et nul n’oserait le contredire. Du reste, tu n’es point le premier qui ait tenté un pareil sujet ; l’étude de l’amour est utile et nécessaire ; personne ne le conteste, si ce n’est les niais et les hommes paresseux d’intelligence. Cependant j’ai un désir à t’exprimer.

— Quel est-il, Seigneur ?

— Je voudrais, dit le Vizir, que tu complétasses ton livre en augmentant de détails certaines choses sur lesquelles tu passes trop rapidement ; tu as négligé d’indiquer les remèdes utiles à la volupté ; ceux qui consistent à augmenter le bonheur dans l’amour ; ceux qui font grossir et raidir un membre sans valeur ; ceux qui tendent à atténuer les vilaines odeurs malheureusement trop fréquentes sur le corps ; enfin développe plus longuement les histoires que tu racontes d’une façon trop brève, ce qui leur donne de la sécheresse. Et pour t’encourager à suivre mon avis, je te promets à l’avance que lorsque tu me présenteras le résultat de ce nouveau travail, ma munificence saura combler tes moindres désirs.

— Ô mon maître, répondis-je, j’ose espérer, avec le secours de Dieu, vous satisfaire sans grande difficulté.

Et je me suis mis aussitôt à composer ce volume que j’ai nommé :

ATTAR EL ARAOUD (Le Parfum des Prairies).

Que Dieu vous tienne toujours dans la bonne voie !

Il n’y a de Dieu que Dieu !

Dieu c’est le bien !

Qu’il vous envoie une parcelle de lui !

J’ai placé en tête de chaque chapitre un titre indiquant l’idée de ce qu’il renferme de choses utiles. En consultant ce manuscrit il est facile d’y trouver tout ce que la fantaisie peut enfanter de gracieux.

Les différents titres des 21 chapitres sont :

Chap. 1. — Des bonnes qualités des hommes.
2. — Des bonnes qualités des femmes.
3. — Des défauts chez les hommes.
4. — Des défauts chez les femmes.
5. — Du plaisir d’amour.
6. — De l’amour.
7. — Des inconvénients du plaisir d’amour.
8. — Des différents noms du membre des hommes.
9. — Des différents noms du système des femmes.
10. — Des différents noms de l’engin des bêtes.
11. — De la malice des femmes.
12. — De l’homme et de la femme.
13. — De la jouissance.
14. — Conseils aux femmes stériles pour avoir des enfants.
15. — Des hommes impuissants.
16. — Des fausses couches.
17. — Des totas mous.
18. — Moyen de grandir les petits totas.
19. — Des remèdes que doivent employer les personnes dont le corps répand une mauvaise odeur.
20. — Des femmes enceintes.
21. — Dans ce chapitre qui termine le livre on appréciera l’excellence de certains aliments qui facilitent les plaisirs amoureux.


CHAPITRE PREMIER

DES BONNES QUALITÉS DES HOMMES


Chez les hommes les qualités qui sont goûtées des femmes, Grand Vizir, que Dieu vous accorde ses bénédictions, sont de différentes natures.

Les hommes ont plusieurs manières d’aimer ; les unes sont agréables, les autres mauvaises.

L’homme qui sera apprécié des femmes est celui dont le zeb sera de bonne dimension, d’une grosseur raisonnable, toujours ferme et solide, et qui restera plus longtemps à faire le doux jeu d’amour que ne le font d’habitude les coqs. Il y a des hommes dont le plaisir est si violent qu’ils se pâment en jouissant, ceux-là sont fort admirés des dames et font leur admiration.

Les femmes désirent un homme vigoureux, toujours en l’air, qui ait le talent de les attendre pour jouir, léger de poitrine et lourd de cuisses, caressant vigoureusement et renaissant bien vite après sa douce mort.

Quand ses forces s’épuisent, il doit promener légèrement sa main du tortouche au zemoucka jusqu’à ce que l’ardeur de la femme lui donne une vie nouvelle ; alors qu’il ferme à fond avec un bon tota l’ouverture de sa maîtresse. Oh ! celui-là sera vraiment chéri des femmes.

Les chanteurs disent ainsi :

J’ai vu des femmes qui apprécient chez l’homme
Les qualités solides et durables ;
Elles aiment celui qui est beau, jeune, riche et fidèle,
Dont la jouissance vient lentement,
Paresseux et doux près de la femme qu’il caresse,
Et dont le corps est léger dans le combat d’amour ;
Qui, à peine désarçonné, remonte en selle ;
Qui salue deux fois sans sortir de chez lui,
Et qui, après ces deux saluts, recouvre sa première vigueur.
Ô créature adorée, je suis l’homme que tu désires,
Je guéris les femmes qui souffrent d’amour
Et je les enchante par ma douce adresse.

Un jour entre les jours, Abd el Malek ben Merouar ayant rencontré la belle Lila, Lila la Sauvage, il lui demanda bien des choses et, entre autres, celle-ci :

— Quelles sont, gracieuse Lila, les distinctions que les femmes aiment à voir chez les hommes ?

— Mon Seigneur, répondit-elle, nous aimons les hommes qui ont les joues comme nos joues.

— Vraiment ! et encore ?

— Ceux qui ont les cheveux comme nos cheveux.

— Ah ! et puis ?

— Ceux qui sont sultans comme toi, les sultans ne sont jamais vieux ; mais les vieux qui ne sont pas sultans ne seront jamais aimés des femmes qui les dédaignent et n’en font aucun cas.

L’homme que la femme aura en considération est celui qui aura douze doigts de zeb, ou trois poignées de main. Le membre le plus mauvais et le dernier de tous n’a que six doigts ou un poing et demi ; il y en a de passables qui ont dix doigts, d’autres moindres qui n’en ont que huit ; mais celui qui a moins de six doigts ou une main et demie, n’est pas un tota, il ne vaut rien, n’en parlons jamais.

Il faut que les amoureux qui couchent ensemble se couvrent d’ambre et musc. Le musc aide à l’amour, donne des forces à l’homme, exalte la femme et fait ouvrir son zouque tout grand pour recevoir le bonheur ; de son côté, le tota est séduit par cette jolie porte qu’il va franchir.

Du reste, il est d’usage chez les amants de se couvrir de parfums.

Histoire de Meslem

Un homme qui s’appelait Meslem, un menteur, que le démon saisisse ! faisait semblant d’être prophète ; il avait même des sectaires parmi ses amis arabes, mais Dieu a puni plus tard lui et ses amis.

Meslem, fils de Kiss, disait que les différents chapitres du nouveau Coran qu’il avait composé lui avaient été dictés par l’Ange Gabriel et il ajoutait que ses pages étaient plus parfaites que celles du sublime Mahomet.

Et de quoi parle-t-il dans son Coran, ce Meslem ? Il y raconte l’histoire d’un éléphant. Que le Seigneur confonde ce misérable ! Il dit qu’il est facile de reconnaître la créature de dieu, que l’on appelle ainsi, à sa queue et à sa grande trompe ; qu’Allah comble de mal ce menteur ! Il nous certifie qu’il changea des pierres en perles fines et qu’il nous fera choisir celles qui tenteront nos yeux ; il dit — l’hypocrite ! — Amenez-moi un homme sans cheveux et je les ferai repousser bien vite en posant mes mains sur sa tête.

Il prétend encore faire venir de l’eau dans un puits sec en y crachant, rendre la vue aux aveugles et faire vivre 500 ans un enfant malade sur lequel il fera des signes.

Il y a des malheureux qui ont vu ce Meslem, qui l’ont entendu parler, qui l’ont cru et qui l’ont suivi.

— Voyez ce que le prophète Mahomet a fait, lui dit un de ses disciples, pourriez-vous le faire aussi ?

— Ma puissance est plus grande encore, répondit le fourbe.

Cet homme a de la haine contre Dieu ; malheur à lui ! S’il met la main sur une tête chevelue, les cheveux tomberont ; s’il crache dans un puits plein d’eau, le puits sèchera ; s’il crache dans un bassin d’eau douce, l’eau deviendra salée ; s’il approche le doigt d’un œil malade, l’œil gonflera et crèvera ; s’il fait des gestes sur un enfant souffrant, l’enfant mourra.

Il y a des hommes qui ont des yeux et qui ne voient pas, ils ont le cœur noir ; c’est la destinée faite par Dieu.

Une femme de distinction, Banny Tzamime, avait écouté toutes les paroles dites sur Meslem.

— Il n’y a pas deux prophètes, s’écria-t-elle devant les gens de la tribu qu’elle commandait. Je veux m’assurer par moi-même des faits que l’on raconte ; j’irai trouver Meslem avec une escorte nombreuse et je verrai bien s’il est imposteur ou réellement prophète.

Cela se passait peu de temps après la mort de Sidna Mahomet.

Banny Tzamime écrit aussitôt une lettre dans laquelle elle grave ces mots : Dieu n’envoie pas deux prophètes dans la même année ; je vais à ta rencontre pour distinguer le vrai du faux. S’il a raison, dit-elle à ceux qui l’entouraient, nous le suivrons.

Alors elle ferma sa missive, la donna à un cavalier et lui dit : Va vite, précède-moi près de celui qu’on nomme le menteur, et remets-lui ceci ; dans peu de temps je te rejoindrai avec ma suite.

Le messager arriva aux tentes de Meslem après un jour et une nuit de marche.

Cependant Banny Tzamime était montée sur un merveilleux cheval, une foule nombreuse et richement équipée l’entourait et tous suivaient le chemin qu’avait pris l’ambassadeur.

Quand le cavalier fut conduit près de Meslem, il le salua jusqu’à terre et lui remit la lettre qui lui avait été confiée.

Meslem la prit, la lut et son trouble montrait l’embarras dans lequel le plongeait la nouvelle qu’il venait de recevoir.

Aussitôt il fit venir devant lui ses disciples un à un et leur demanda un bon conseil ; mais aucun ne put l’aider d’un avis consolant, ce qui le plongea dans une profonde tristesse.

Cependant, un vieillard à barbe blanche fit entendre sa voix parmi la foule. On le fit approcher, alors il dit :

— Meslem, je te veux du bien, Calme-toi, ne sois pas interdit ; je vais, selon ton désir, te tirer du mauvais pas où tu te trouves ; je te donnerai les conseils qu’un père donne à son fils.

— Parle donc, dit le faux prophète.

— Je te dirai la vérité, reprit le vieillard, mais fais exactement ce que tu vas entendre. Demain tu feras dresser une tente superbe à la limite de notre tribu ; mais une tente magnifique, étincelante de mille couleurs ; l’intérieur en sera orné d’étoffes de soie chatoyantes et resplendissant d’or. Ensuite tu y feras brûler les parfums les plus rares et tu t’introduiras à l’intérieur ; continue encore à brûler l’ambre et à répandre les essences ; fais couler à profusion l’eau de rose et de jasmin ; ferme les ouvertures afin que les odeurs se concentrent ; étends-toi sur les coussins et fais entrer la femme qui veut te voir. Alors reste seul avec elle et éloigne les yeux de ta retraite. Quand vous serez ainsi tous deux ensemble, les odeurs délicieuses que tu auras répandues montant au cerveau de la curieuse, elle ne tardera pas à perdre l’esprit, ses os craqueront et le plus grand désir de jouissance s’emparera d’elle. Lorsque tu la verras dans cet état, dis-lui que tu l’aimes, que tu veux la posséder. Si elle te laisse faire, ne crains plus rien d’elle : tu seras éloigné du mal qu’elle te veut et de la haine de ceux qui la suivent.

— Merci, dit alors le menteur, je profiterai de tes avis, et si je réussis, sois assuré de ma reconnaissance éternelle.

Il fit faire tout suivant les conseils du vieux rusé et lorsque Banny Tzamime arriva avec sa troupe, elle fut seule admise en présence de Meslem.

Aux premières paroles de sa visiteuse, il répondit avec des mots doux et bienveillants ; ils causèrent ainsi quelque temps, mais bientôt la belle orgueilleuse se sentit toute tremblante et intimidée devant lui. Et Meslem, pensant que le moment était venu d’agir amoureusement, lui dit alors :

Lève-toi, viens vers moi et ne crains plus,
Je me donne à toi tout entier.
Viens que je te couche à la renverse sur ces coussins,
Ou bien, si tu l’aimes mieux, sur mon lit brillant ;
Si tu le veux, mets-toi sur le ventre,
Ou bien incline ta tête et tes bras vers la terre, comme les Musulmans,
Veux-tu que nous soyons à côté l’un de l’autre, jambes contre jambes,
Viens, et je te rendrai heureuse de toutes ces manières ensemble.

— Ah ! mon prophète ! mon dieu ! s’écria tout à coup Banny Tzamime ; prends-moi, fais de mon corps ce que tu voudras, je t’appartiens.

Meslem se précipite aussitôt dans ses bras ouverts et jouit d’elle quatre fois de suite. Après elle sort de la tente, elle va trouver ses serviteurs qui lui demandent ce qu’elle a vu et ce qu’elle pense.

— Je l’ai lu tout entier, comme il m’a lue lui-même, dit-elle. Je jure que sa manière est bonne et je me déclare de sa religion.

Cependant Meslem vint la demander en mariage aux seigneurs qui formaient son escorte, ce que ceux-ci se gardèrent bien de refuser, mais ils réclamèrent son trésor, comme compensation d’une perte aussi sensible.

— Pour mériter cette fortune, dit le méchant, faites-vous, comme moi, la prière de quatre heures ? Si vous n’en êtes point capables ne réclamez rien, car à celui-là seul qui fait la prière de quatre heures doivent appartenir les richesses de toute nature. Mais savez-vous seulement ce que c’est que cette dévotion-là ?

— Hélas ! oui, répondirent consternés et en se retirant, les anciens amis de Banny Tzamime.

Banny Tzamime est la seule femme prophète citée par notre histoire. Deux vers anciens parlent d’elle, nous les rapportons ici :

Elle s’est faite un matin prophète et nous l’avons entourée ;
Elle était la prophétesse de notre tribu qui l’admirait.

Cependant Meslem, irrité contre les partisans de Sidna Mahomet, le seul grand, voulut faire mettre à mort tous ceux qui habitaient le pays qu’il commandait en souverain. Il remit à Sid ben Retab, un misérable, de grands biens pour assassiner un Marabout nommé Amezah ben Abda Moutalib, qui était le meilleur des hommes.

Mais, plus tard, ce Sid ben Retab occit Meslem à son tour et il attend que Dieu lui pardonne son premier crime. S’il a fait du mal en tuant Amezah ben Abda Moutalib, il a fait du bien en mettant à mort Meslem. Du reste, Sid ben Retab n’était pas musulman lorsqu’il accomplit son premier meurtre, mais il s’est converti après avoir puni le faux prophète de son imposture.

Quand le menteur eut disparu de la terre, Banny Tzamime se repentit. Elle demanda pardon à Dieu, redevint bonne musulmane et se remaria plus tard à un homme de bien.


Histoire du bouffon Baloul

Nous disons d’abord, que pour qu’un homme soit aimé des femmes, il faut que sa mise soit élégante et d’une exquise propreté ; que sa taille ait de la distinction ; qu’il ne mente jamais à sa maîtresse ; qu’il soit franc, généreux ; que son cœur soit ouvert, plein de loyauté et de courage ; il doit être d’une stature élancée, mais forte. Il faut que sa parole soit une, qu’il tienne les promesses qu’il a faites ; qu’il soit constant et fidèle, mais jamais coureur d’aventures.

Nous verrons, dans un instant, l’histoire d’un homme mauvais et rusé.

Du temps que Mahmoud était sultan, ce prince avait un bouffon qui s’appelait Baloul ; ce bouffon avait une grande réputation de drôlerie parmi les hauts seigneurs de la cour.

Un jour que le Sultan, vêtu magnifiquement, était dans la grande salle du palais, il commanda à Baloul de venir s’asseoir à ses côtés, ce que le bouffon s’empressa de faire. Mais Mahmoud, l’injuriant, lui dit :

— Hé ! Baloul, que viens-tu faire ici, fils de cahaba ?

— Je suis venu me prosterner à tes pieds, Sultan que Dieu bénisse !

Le prince reprit :

— L’on m’a dit que tu as deux femmes ; à quoi bon ce luxe ? Préfères-tu la dernière à la première ?

— J’aime mieux l’ancienne, dit Baloul, avec elle seule j’ai du bonheur ; la nouvelle ne me procure aucun plaisir :

— Eh ! pourquoi ?

— Parce qu’elle n’est pas riche.

— Tu crains donc la pauvreté, bouffon ? Dis-nous cela.

Alors Baloul chanta :

Je suis pauvre et je serai toujours pauvre,
Je suis pauvre à faire pitié ;
Je suis pauvre et le monde fuit ma misère,
Je suis pauvre et n’ai plus d’amis.
Je suis pauvre et prie Dieu d’être seul aussi malheureux ;
Je suis pauvre et honteux de mon dénûment,
Je suis pauvre et m’y habitue comme ma chemise fait à ma peau ;
Je suis pauvre et vais abandonner ma maison et la laisser seule.

— Tu veux quitter ta maison, reprit le Sultan, et où veux-tu donc aller ?

— Je veux aller chez Dieu, chez le prophète, ou chez toi, Sultan.

— Bien répondu, Baloul, celui qui demandera l’hospitalité à Dieu, au prophète ou au Sultan, sera toujours le bienvenu. Mais tu parlais tout à l’heure de tes femmes ; raconte-nous ce que tu as dit aux juges qui te demandaient des explications sur ce double mariage. Il me semble que nous avons entendu dire quelques mots de cette histoire.

Alors Baloul :

J’ai épousé deux femmes parce que je suis un grand sot ;
Un homme qui prend deux femmes a vraiment trop à faire.
J’étais entre elles comme un agneau,
Je fus d’abord très heureux entre ces deux brebis ;
Mais les brebis ont bientôt parlé et agi.
Alors j’ai souffert comme un mouton entre les griffes d’un chacal,
Donnant à chacune tour à tour une nuit
Où de dépit j’aurais voulu que le diable m’emportât.
J’aime assez l’une, mais l’autre… que le tonnerre l’écrase !
Quand finira cette fatigante comédie,
Je serai libre et prince de ma tête
Et j’aurai mon cœur à moi dans mes deux mains ;
Je vivrai seul et mourrai tranquille.
Une seule femme suffit pour damner une armée !

Le Sultan ayant entendu cette singulière poésie, se prit à rire et tomba de joie à la renverse. Quand il eut repris ses sens il donna à Baloul une bourse bien garnie et une robe en étoffe d’or si brillante qu’il était impossible de la fixer. Il le nomma, en même temps, non seulement Vizir, mais Grand Vizir, tant sa satisfaction était grande. Puis ayant été congédié, le bouffon rentra dans sa maison portant sur ses épaules son cadeau magnifique.

La femme du ministre, qui se trouvait par hasard à sa fenêtre, fut éblouie à la vue de Baloul, étincelant comme le soleil, et se tournant du côté de sa négresse, qui se tenait debout derrière elle, elle lui dit :

— Est-ce bien le bouffon du Sultan, que j’aperçois si splendidement vêtu ? Comment a-t-il fait pour avoir cette merveille ?

— Voulez-vous me permettre, Madame, dit la négresse, de lui demander pour vous sa robe ?

— J’y consens, mais emploie avec lui des paroles de miel pour le séduire en ma faveur.

— Je ferai ce que je pourrai, mais cet homme est fin et habile, il est savant à se venger en se moquant de ceux qui rient de lui. Nous ferions peut-être bien de le laisser tranquille, à moins que vous ne vous chargiez vous-même de la séduction.

— Va le chercher, répondit la dame.

La négresse partit et ayant trouvé Baloul :

— Ma dame te demande, lui dit-elle.

— Réponds à ta maîtresse que je vais immédiatement me rendre à ses ordres.

Le bouffon se leva et se rendit bien vite chez la dame, à laquelle il baisa les mains en arrivant.

— Ah ! te voilà donc enfin ! Ne veux-tu pas entendre une chanson ? dit la femme du ministre, dont la réputation de chanteuse s’étendait dans tout l’empire.

— Certes, avec bonheur, dit Baloul.

— Je vais donc te satisfaire, mais après les chansons tu voudras peut-être encore autre chose ?

— C’est possible, dit le bouffon.

Alors elle chanta avec une voix admirable de fraîcheur et de jeunesse. Quand elle eut terminé elle fit apporter à Baloul des gâteaux sucrés, des confitures et d’excellent vin ; et le gourmand se mit à manger comme un glouton.

— Baloul, lui disait la dame, plus je te regarde, plus je suis sûre d’avoir compris ta pensée ; je gage que tu veux m’offrir la robe que tu as sur toi.

— Peut-être, mais viens près de moi du côté droit. Maintenant je te préviens que je ne donnerai ma robe qu’à la femme à laquelle je ferai çà.

— Qu’est-ce que tu lui feras, Baloul ?

— Je lui ferai ce qu’un homme fait à sa femme.

— Est-ce que tu sauras le faire, Baloul ?

— Comment, si je saurais le faire ? Depuis mes jeunes ans je connais les femmes et je fais l’amour avec elles ; je sais très bien comment elles sont faites, je les connais dans leurs détails les plus intimes ; je sais leurs baisers brûlants et jusqu’à la façon dont arrive leur dem. Nul mieux que moi ne les apprécie à leur juste valeur et je l’ai payée largement ce qu’elles valent.

Et cette femme était l’épouse chérie d’un ministre, elle était charmante et pleine d’esprit ; elle avait une taille mince et élancée, une grâce infinie. Aucune n’était aussi blanche et aussi belle. Un grand de la terre serait devenu son esclave et l’aurait servie à genoux. En la regardant les yeux éblouis se remplissaient de larmes et ceux qui la voyaient perdaient la raison ; la seule vue d’une de ses mains en avait rendu plusieurs fous d’amour. Et Baloul ne l’aimait pas.

Il sortit dédaigneusement sans rien dire, laissant la dame, qui ne se sentant pas encore vaincue, l’envoya chercher quelques jours après ; mais il refusa de venir, il craignait de perdre son cœur comme les autres.

Cependant à un nouvel appel, il ne résiste plus, il se rend auprès d’elle, s’assied à son côté et commence à causer.

Quelquefois ses yeux s’arrêtent sur son doux visage ; puis son regard s’abaisse vers la terre ; il sent son cœur lui échapper. Elle voit son trouble et lui demande enfin la robe d’or ; mais lui, de son côté, la prie pour son zouque.

— Que me demandes-tu là, s’écria-t-elle ?

— Te niquer, Mahima.

— Comment, Baloul, mais tu ne saurais pas t’y prendre.

— Moi, ma dame, mais je croyais vous avoir dit déjà que je connais l’amour depuis que Dieu m’a mis au monde, et je pense même qu’il a créé les femmes un peu pour moi, car personne n’est plus sensible à leurs charmes. Il y a des hommes qui ne s’inquiètent durant leur existence que des soucis de leur triste vie, tandis que moi je ne m’occupe que de la passion de mon âme qui est tout entière aux dames qui sont brillantes et belles comme des autruches. Mon esprit songe sans cesse à soulager les cœurs souffrants et à guérir les zouques malades qui font éprouver des démangeaisons à leurs maîtresses et j’ai justement, pour cet usage, un instrument gros et long qui leur sied à ravir.

— Que dis-tu, Baloul ? Je ne te comprends guère ; parle-tu folie ou raison ?

— Je parle sagement, dit Baloul.

— Alors répète afin que j’entende mieux.

Baloul chanta :

Le monde n’est pour moi que fumée,
Le plaisir ne peut venir que de toi !
Mon âme est folle de joie quand mes yeux ont l’orgueil de te voir
Et de mon être ne s’exhale que joie et chansons.
Maintenant tout ne m’est plus rien ;
Les gerbes d’étoiles d’or dans le ciel, les terres immenses de l’Arabie,
S’évanouissent devant mon ardent amour.
Je t’aime, ô la plus belle créature de Dieu !
Il y a si longtemps que je suis privé de l’étreinte d’une femme,
Et que mon cœur souffre du vide qui l’entoure.
Le moment d’être heureux est-il enfin arrivé ?
Je sens mon zeb qui se lève bouillant d’ardeur,
Et le désir qui s’empare de mes sens lui donne un balancement nerveux ;

Tayny (mes yeux), toi qui es sublime de beauté et de grâce,
Guéris mon cœur de la torture qui l’obsède,
Et cesse de me cacher les trésors de ton corps.
Regarde comme je tremble devant toi,
Ne me chasse pas, mais partage mon délire ;
Fais de moi ton esclave et rends-moi heureux.
Je ne suis pas trompeur, lis dans mon âme ;
Approche-toi de moi, ne t’éloignes pas ainsi,
Viens calmer la fièvre qui me tue ;
Viens et restons seuls dans l’immensité des mondes,
Viens, que je te fasse vivre et laisse là la honte.
Que crains-tu ? Je suis discret comme la mort,
Je serai tout à toi comme toi toute à moi ;
Je te suivrai partout, tu seras ma maîtresse souveraine ;
Et laisse là de vaines frayeurs.
Ma bouche sera à jamais close,
Et Dieu seul connaîtra nos amours.
Viens ! Viens ! Je t’aime, je meurs !

À peine la femme du ministre eut-elle entendu cette chanson qu’elle se sentit toute émue. Elle vit le membre de Baloul dressé comme une colonne, alors elle se mit à réfléchir se disant à elle-même : Ferai-je cela, ou ne le ferai-je pas ?… Mais un désir passionné se glissant entre ses deux cuisses et le diable s’introduisant dans son pertuis, elle se sentit mûre et trouva délicieux de se livrer à lui ; pensant du reste que si Baloul racontait son aventure, personne ne le croirait. Alors elle lui dit :

— Ôte tes habits et entre dans ma chambre, je vais me parer pour toi.

Mais Baloul impatient s’écrie :

— Quand mon zeb se rassasiera-t-il donc de toi, ô femme divine ?

À ces mots elle se lève, frémissante de désirs, et dénouant sa ceinture, elle s’avance vers son appartement réservé, suivie du bouffon étonné qui se dit : Grand dieu ! Est-ce un rêve ou une réalité ?

Cependant la femme du ministre arriva près de son lit de soie, ruisselante de sueur, elle se retourna vers Baloul, l’entoura de ses bras, et se renversa sur les tapis comme un palmier qui tombe. Ses vêtements étaient relevés sur ses jambes, le sang coulait comme du feu sous sa peau nacrée et le bouffon eut bientôt dans ses mains tout ce que Dieu peut donner à une créature humaine.

Il se mit alors à examiner ce chef-d’œuvre, et il vit un ventre blanc comme un dôme de mosquée, un nombril bombé comme une coupe élégante ; puis il regarda plus bas et se trouva en face d’une créature terrible qui, tout d’abord, lui causa une grande frayeur. Mais peu à peu il reprit courage et, subjugué par cette figure qu’il redoutait quelques instants auparavant, il se prit à l’embrasser jusqu’à ce que sa maîtresse perdît ses sens.

Cependant un léger balancement de son corps et des soubresauts nerveux montraient que la vie ne s’était pas retirée de ses chairs d’ivoire.

Baboul l’appelle :

— Qu’as-tu, dit-il, ma bien-aimée ? Reviens à toi.

— Va-t-en, méchant ! (bon cahaba), répondit-elle, je suis comme un cavalier démonté par un cheval fougueux ; tes paroles m’ont séduite, comme elles séduiraient toutes les femmes, même les plus honnêtes. Tes chansons m’ont rendue folle, j’ai soif d’amour. Prends-moi, je veux être à toi ; mais dépêche, le soir va venir, je crains la rentrée de mon mari ; et pourtant le moment de jouir est arrivé.

— Hélas ! reprit Baloul, qui avait son projet, je crains bien de n’avoir plus d’eau pour faire l’amour avec toi ; mais viens sur ma poitrine et fais ce que tu voudras.

Il était couché sur le dos dans la position que prend la femme avec un homme, et son tota debout était raide comme un bâton. Alors elle se jeta sur lui, le saisit dans sa main, l’examina avec bonheur ; et elle était toute surprise de le voir si long, si gros, si large et si solide.

— Voilà donc, disait-elle dans son cœur, l’objet qui séduit tant de femmes et qu’elles convoitent si ardemment. Ô Baloul, qu’ai-je vu de plus magnifique que ce zeb !

Puis s’étendant sur le bouffon, elle plaça elle-même son membre dans son zouque, et, avec ses doigts, elle sentit si tout était bien entré. Alors éprouvant un bonheur immense dans tout son corps, elle s’écria :

— Oh ! ce sont de méchantes femmes, celles qui résistent à de pareilles joies !

En disant cela elle se soulève et s’abaisse sur Baloul, elle balance son corps de droite à gauche, monte et redescend en collant sa chair à celle de son amant, jusqu’à l’instant où, tous deux perdant l’esprit, restent pâmés dans une jouissance infinie.

Puis, après un instant, elle se leva, prit dans sa main le tota toujours raide de Baloul, et le regardant, elle disait :

— C’est ainsi que devraient être faits tous les hommes.

Alors elle l’essuya avec un linge fin. Mais le bouffon, se levant, déclara qu’il se retirait, la nuit était venue.

— Vous me laissez votre habit ? dit la dame.

— Je m’en garderais bien, dit le rusé, car ce n’est pas moi qui vous ai prise, mais bien vous qui m’avez séduit.

— C’est pourtant toi qui m’as entraînée, dit-elle ; et n’as-tu pas choisi la position, étendu sur ton dos, refusant de venir sur moi ?

— C’est possible, répondit Baloul, mais c’est toi qui as demandé à faire l’amour et qui as bien voulu te charger du soin de mon bonheur. Mais laisse-moi à mon tour te posséder et je laisserai ma robe de tes mains.

— Qu’il soit fait suivant ton désir, pensa la femme du Vizir, et cette fois l’étoffe brillante sera bien à moi.

Alors elle s’étendit sur son lit aux mille couleurs, comme un étendard déployé ; mais le méchant, se mettant près d’elle, lui déclara qu’il n’entreprendrait rien jusqu’à ce qu’elle fût complètement deshabillée et mise à nu, ce qu’elle fit aussitôt. Et le bouffon resta tout ébloui des beautés de ce corps de marbre ; il regarda avec passion tant de perfections, détaillant chaque contour avec complaisance ; mais arrivé un peu bas et vers l’endroit où se trouve le zouque, il se mit à embrasser et à mordre avec tant d’ardeur que la pauvre femme poussait tout à la fois des cris de douleur et de plaisir ; enfin lorsqu’elle fut arrivée au paroxysme de la jouissance ; Baloul se jeta sur elle, la serrant de toute sa force ; tous deux s’agitèrent en formant des courbes harmonieuses, puis ils crurent trouver le ciel.

Après un moment le fou se leva pour se retirer.

— Tu me laisses la robe ? demanda la femme du ministre.

— Pas encore, répondit son amant, tu ne l’as pas payée.

Alors la malheureuse s’écria :

— Je croyais avoir trop fait déjà pour la mériter.

— Écoute, dit le bouffon ; la première fois tu m’as pris, la seconde tu as été à moi, nous sommes quittes. Mais si tu consens à une troisième épreuve, t’ayant possédée deux fois contre une, je n’aurai plus rien à dire et je laisserai mon royal cadeau entre tes mains.

Alors elle se coucha tristement, en disant :

— Prends-moi.

Et Baloul revint à un furieux assaut ; puis abîmé de fatigue et de plaisir, il quitta la pauvre femme du Vizir, gisante sur les coussins, laissant à ses pieds la robe d’or qu’elle avait si chèrement payée.

À peine le bouffon fut-il parti que la négresse entra dans la chambre de sa maîtresse :

— Ne t’avais-je pas dit, ma dame, que ce fol est plus rusé que nous tous et qu’il se moque de ceux qui croient rire de lui ? Je te jure qu’il connaît le monde et qu’il le méprise.

— Tais-toi, interrompit la femme du ministre, laisse-moi en repos ; la chose est accomplie. Sur tous les zouques sont écrits les noms de ceux qui doivent les niquer, qu’ils veuillent ou qu’ils ne veuillent pas. Si le nom de Baloul n’était pas sur moi, il ne m’aurait jamais eue ; il en est ainsi de tous. Un homme bien plus beau que ce bouffon, possesseur des trésors les plus rares, me prierait en vain à genoux si son nom n’est pas sur mon zouque. La fatalité est forte !

Pendant qu’elles parlaient ensemble, elles entendirent frapper à la porte.

— Qui est là ? cria la négresse.

— Baboul, répondit-on.

La femme du Vizir pâlit et chancela.

— Que veux-tu ? demanda-t-elle, par le petit trou rond qui sert de croisée.

— Je veux boire un peu d’eau.

Alors la négresse porta au bouffon de l’eau dans une tasse de terre.

Il but et lâcha le vase qui se brisa sur le seuil de la porte que l’esclave referma bien vite. Mais le fol, restant assis à l’extérieur, se mit à pleurer jusqu’au moment où le Vizir vint pour rentrer chez lui.

— Que fais tu là, bouffon ? lui dit-il.

— Écoute ma peine, grand Vizir, que dieu t’accorde ses bienfaits ! Je passais devant ta maison hospitalière ; altéré d’une soif fièvreuse, je frappe et demande à boire ; ton esclave est venue m’ouvrir et m’a donné de l’eau dans une tasse dont tu vois là les débris : la coupe s’est échappée de ma main. Ta femme est venue, furieuse, et elle s’est emparée de la robe du Sultan en disant : Cela paiera ma tasse !

La malheureuse, entendant ce qui se disait à la porte, s’approcha, ne pouvant croire à tant d’audace.

— Méchante ! lui dit son mari, pourquoi prends-tu une robe d’or pour le paiement d’un vase de terre ?

Et la pauvre femme, tordant ses deux mains, disait à Baloul :

— Est-ce ainsi que tu agis avec moi ?

— Chez toi, j’étais fol, lui dit le misérable, mais à ta porte je suis sage.

La femme désolée du ministre ayant rendu au bouffon l’étoffe étincelante, chacun rentra chez soi.

Ainsi finit l’histoire de Baloul.



CHAPITRE II

DES BONNES QUALITÉS DES FEMMES


Écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu vous ait en sa sainte garde !

Il y a des femmes de natures bien différentes ; il y a en dont les qualités sont bonnes et d’autres qui sont pétries de défauts.

Les femmes qui plaisent aux hommes doivent être de belle stature ; elles doivent avoir les hanches fortes, les chairs fermes, les cheveux longs, le front large, les sourcils comme des arcs, les yeux grands, la bouche et le nez petits et sans mauvaise odeur, les lèvres et la langue rouges comme la fleur du rosier, le cou long, les épaules et la taille larges, le bas des reins lourd, la poitrine évasée, les seins droits, fermes et pleins, le ventre dur et poli, le nombril profond, le haut du zouque très bombé, l’entrée étroite et parfumée d’essences et les cuisses puissantes.

La femme doit être douce et polie. Elle doit avoir de petites mains et de petits pieds, les bras gros, les pommettes des joues peu proéminentes. Si la femme possède toutes ces qualités, elle est charmante ; si elle est mieux encore, elle fera mourir.

Quand elle s’assied, elle doit ressembler à un trésor ; quand elle se couche, elle doit être semblable à un matelas de brocard d’or et quand elle se tiendra debout elle sera comme un étendard déployé.

Une femme ne doit pas rire, elle doit parler peu, éviter les conversations inutiles, ne sortir que lorsqu’elle y est forcée et rester chez elle le plus possible. Elle n’ira pas constamment de sa maison chez sa voisine ; elle se gardera de faire son amie d’une femme. Elle doit savoir se passer de tout le monde et n’exister que pour son mari ; elle ne mangera que de sa main ou de celle d’un parent. Elle doit tenir ses promesses et n’être point trompeuse, disant aux méchants ce qu’elle pense d’eux. Si son époux la met au lit, elle ne doit désirer rien autre chose ; elle sera toujours couchée la première et elle assistera son mari dans toutes les choses, bonnes ou mauvaises, de la vie.

Elle ne se plaindra jamais, ne pleurera devant personne pour montrer ses larmes ; elle n’aimera que son intérieur, gardera ses peines pour elle et mourra plutôt que de trahir un secret de famille.

Histoire du nègre Debrom et de la belle
Boudroul Boudour

Voici une histoire que Dieu sait, car elle est vraie.

Il y avait un grand Sultan, qui s’appelait Aly ben Direm. Un soir entre les soirs, ayant fait un mauvais rêve, il se réveilla tout inquiet.

Il fit appeler aussitôt un des vizirs, son gardien de la nuit et quelques hommes de sa suite. Tous étant venus à son appel se mettre entre ses mains, il leur commanda de s’armer. Ayant donc pris leurs sabres, ils demandèrent au Sultan le motif de son ennui.

— J’ai fait un vilain songe, répondit-il ; pour l’oublier je veux me promener un peu avec vous.

— Nous te suivrons partout, dirent les siens.

— Alors, marchez, fit le Sultan, et que Dieu nous aide !

Ils chevauchèrent longtemps, faisant le tour de la ville, et ils allaient s’enfoncer dans un chemin creux, quand ils entendirent tout à coup une voix humaine. Les premiers de la troupe se dirigèrent du côté où se faisait le bruit et virent bientôt un homme ivre qui trébuchait et se frappait la poitrine avec des pierres. Cet ivrogne, qui se parlait à lui-même, disait : Mais il n’y a donc pas sur cette terre un bon Musulman qui préviendra le Sultan de ce qui se passe si près de son palais ! Il n’y a donc pas de justice, ni ici, ni au ciel ! Enfin il était furieux, et son cœur était noir comme la nuit.

Le Sultan commanda à l’un de ses officiers de lui amener ce criard.

— Prends-le doucement par la main, dit-il, ne l’effraie pas, afin qu’il s’approche sans crainte. Avant de l’aborder, ne manque pas de le saluer, car un musulman qui parle à un homme sans lui souhaiter le bien, semble lui montrer qu’il lui veut du mal.

Quelques instants après l’officier amenait l’homme vers le Sultan qui cachait le bas de sa figure pour n’être pas reconnu. Tous ses serviteurs, la main sur la poignée de leur sabre, faisaient silence autour de lui.

— Bonjour à toi, dit le Sultan à l’inconnu.

— Salut à toi, répondit celui-ci ; mais de quel droit me fais-tu conduire ainsi devant toi. Que t’importe ce que je fais et ce que je dis puisque je ne te connais pas ?

— Je ne sais pas davantage qui tu es, dit le seigneur Direm, mais raconte-moi le chagrin qui t’occupe et je t’accorderai ma protection.

— Il est affreux, reprit l’homme, de voir se passer dans l’empire du Sultan de pareilles infamies et de ne trouver personne qui puisse aller lui demander justice.

— Mais parle donc, dit le Sultan.

— Non, reprit l’autre, je ne me confierai qu’à celui qui pourra approcher du Grand Seigneur.

— Eh bien ! je lui présenterai ta requête, fais-moi part de tes infortunes et je jure de te venger.

— Que Dieu soit loué ! dit l’ivrogne, écoutez-moi, prince, et jugez de mon malheur. J’étais amoureux d’une belle créature, qui m’aimait aussi depuis longtemps, lorsqu’elle fut tout à coup enlevée par une affreuse vieille qui la conduisit dans un lieu infâme. Quand j’eus perdu celle qui remplissait mon cœur, il me sembla que ma vie s’en allait.

— Mais sais-tu où se trouve la maison où elle est renfermée ?

— Ma maîtresse a été menée chez un nègre qui s’appelle Debrom ; il a une quantité de femmes toutes blanches et belles comme la lune. Ces femmes, qui ont été faites par Dieu pour les délices d’un sultan, servent de jouets à un esclave. Ce noir était autrefois serviteur du Grand Vizir ; une épouse de ce prince se moquait sans cesse de lui, mais Allah l’a punie : elle devint amoureuse du nègre et, depuis lors, elle lui envoie des sommes énormes pour subvenir aux frais de son palais, se parer de vêtements magnifiques et satisfaire tous ses caprices.

À ces paroles le Sultan resta confondu d’étonnement.

— Fais-moi voir la maison de Debrom, dit-il.

— Quand je vous l’aurai montrée, que ferez-vous ?

— Tu le verras.

— J’ai peur pour vous : Debrom est cruel et puissant, vous ne serez point admis dans sa demeure, et si vous voulez y pénétrer de force, vous mourrez. Le nègre ne croit à rien et ne respecte personne ; tout le monde le craint et s’incline devant sa figure de Satan.

— Indique-moi cette maison, dit le Sultan d’un ton sévère, et marche devant.

L’inconnu obéit ; le prince marche derrière lui et ses serviteurs viennent après. Ils suivirent d’abord un chemin difficile, encombré de pierres et de lianes nouées entre elles, puis la route s’élargit, devient de plus en plus unie et bientôt la petite troupe se trouve en face d’un immense château sans croisées dont la porte massive est peinte de différentes couleurs et les murs élevés comme ceux d’une forteresse.

Tous sont saisis de surprise à la vue de cette demeure superbe, et cherchent en vain par où ils pourraient pénétrer à l’intérieur.

— Comment t’appelles-tu ? demanda le Sultan à l’ivrogne.

— Omar ben Saïd, répondit celui-ci.

— Es-tu rusé, Omar ? reprit le Sultan.

— Oui, fit Omar.

— Eh bien, aide-nous et nous entrerons, si Dieu le veut. En est-il un de vous, ajouta Direm, qui puisse franchir ces murs ?

— Non, répondirent-ils tous en même temps.

— Eh bien, j’y parviendrai, dit le Sultan, faites ce que je vais vous dire.

— Nous sommes prêts, répondirent les serviteurs.

— Quel est le plus fort d’entre vous tous ? demanda le Grand Seigneur.

Le Siof répondit :

— C’est moi.

— Qui es-tu, toi ?

— Je suis l’ami du gardien de votre personne.

— Et quel est le gardien de ma personne ?

— C’est le grand Vizir.

Le pauvre Omar, entendant cela, fut comblé de confusion, car il sut alors qu’il était devant le grand Sultan. Cependant il se sentait heureux car il voyait que sa vengeance était proche.

— Maintenant que tu sais qui nous sommes, dit le chef, sois discret, pour qu’il ne t’arrive aucun mal.

— Oui, mon Seigneur, s’empressa de répondre Omar.

Le Sultan, appelant alors le Siof, lui commanda de s’approcher du mur et d’appuyer ses mains contre les pierres en présentant son dos, sur lequel monta aussitôt un de ses gardes appuyant les pieds sur les épaules du premier et plaçant comme lui les mains sur le mur ; le Vizir vint après, escaladant le premier et le second, et s’arrangeant de la même manière, les poings contre la forteresse. Omar prit aussi sa place, grimpant sur les trois échelons et ne comprenant pas encore ce que signifiait cette manœuvre.

— Sire, dit-il, que Dieu soit avec toi et conduise ton drapeau !

Direm, considérant cette échelle humaine, s’écria :

— Que Dieu m’aide ! et en même temps se hissant à son tour, il dit à ses gens : Ne bougez pas de cet endroit et je vous rendrai tous puissants, si Dieu m’accorde vie !

Puis étant arrivé sur Omar, le plus élevé de tous, il lui dit :

— Sois fidèle, et je te ferai secrétaire de mes commandements.

Un instant après il avait franchi les créneaux et sautait d’un pied léger sur la terrasse du bordj. Alors il commanda à ses amis de redescendre à terre les uns après les autres ; et tous se rassemblant, parlèrent du courage du Sultan et de la force du Siof (bourreau), qui avait porté sur ses épaules quatre personnes chargées de leurs armes.

De son côté, le seigneur Direm cherchait partout une porte pour s’introduire dans l’intérieur de la maison ; mais les passages étaient fermés et le malheureux chef se voyait forcé d’abandonner son projet, quand l’idée lui vint d’attacher son turban à une aspérité de pierre et de descendre par ce moyen à l’intérieur du bâtiment.

Il déroule immédiatement l’écharpe de sa tête, la fixe solidement, se suspend dans l’espace et descend, descend jusqu’à ce que ses pieds touchent le sol ; il passe en revue la cour et aperçoit au milieu une porte armée d’une serrure redoutable.

— Que Dieu soit avec moi, dit-il, celui qui m’a inspiré le moyen de franchir le mur et de descendre dans la cour, fera naître dans mon esprit celui de vaincre d’autres difficultés.

Il regarde partout et voit que les chambres sont meublées de coussins magnifiques, de tentures d’or et de soie et de tapis aux mille couleurs. Puis il remarque, dans un coin, une porte ouverte à laquelle on arrivait par sept escaliers. De là venait, par moments, un bruit de voix stridentes.

— Qu’Allah me soutienne ! pensa le Sultan, qu’il me fasse sortir de ce lieu sans encombre, et qu’il éloigne le diable de ma personne.

Alors il monte la première marche, qui, ainsi que toutes les autres, était de marbre veiné de noir, de rouge, de blanc, de bleu et de bien d’autres couleurs. Au second escalier il dit :

Celui qui est aimé de Dieu n’a rien à craindre ; au troisième : Que Dieu me protège et rapproche le bien de moi ! Au quatrième : Dieu est plus grand que toutes choses !

Puis il franchit rapidement le cinquième, le sixième, et le septième et dernier degré et il se trouva tout près de la porte, devant laquelle tombait un rideau diaphane qui laissait apercevoir en transparence un appartement magnifique, orné de lustres et de chandeliers d’or et d’argent dans lesquels pleuraient des bougies ardentes. Dans le milieu de la salle se trouvait un bassin de marbre blanc plein d’eau pure, et, plus loin, une table abondamment servie de mets délicats et de vins généreux.

L’ameublement était si somptueux que les yeux en étaient éblouis. Autour de la table, douze filles et sept femmes, d’une merveilleuse beauté, étaient assises. Elles chantaient avec des voix d’enfants. Derrière les sept femmes, sept nègres se tenaient debout.

Une de ces dames, belle comme la lune, et la pleine lune, surpassait toutes les autres en charmes comme la montagne dépasse la vallée. Ses cheveux et ses sourcils étaient d’un noir d’ébène, sa figure fine et délicate, et l’aspect de son corps entier, gracieux comme un jeune arbre vert agité par la brise. Le Sultan, émerveillé, sentit son cœur se serrer et se dit : Mon Dieu, pourrai-je maintenant sortir de cette demeure. Ô mon âme ! abandonne toute pensée de luxure.

Cependant dans la salle, les carafes de vin passaient de bouche en bouche, l’ivresse succéda bientôt au festin. Comment pourrais-je prévenir mes compagnons ? pensa le Sultan. Tout à coup il entendit une des femmes, la plus rapprochée de lui, qui disait à sa voisine. N’as-tu pas sommeil ? Il est tard, prends un flambeau et viens te coucher avec moi. La bougie fut aussitôt allumée et toutes deux se dirigèrent vers la porte, contre laquelle se serra dans l’ombre le seigneur Direm. Elles descendirent les escaliers, traversèrent la cour et poussèrent une petite cloison qui donnait accès dans un réduit tout gracieux ; puis oubliant de fermer la chambre, elles pénétrèrent dans un cabinet attenant pour y faire leur toilette de nuit.

Le Sultan profita de leur absence pour s’introduire dans l’appartement et se cacher derrière un meuble où il attendit patiemment, envoyant son cœur à ses amis, qui, dans ce même instant, s’inquiétaient de la longue absence de leur maître.

Peu de temps après les deux femmes rentrèrent, quittèrent leurs vêtements, se mirent au lit et commencèrent à se caresser. Certes, pensa le Sultan, Omar avait raison de dire que cette maison est un mauvais lieu ; ce que je vois depuis que je suis ici me comble d’étonnement.

Cependant les deux cahabah, abîmées d’ivresse et de luxure, se sont endormies. Le prince sort de sa cachette, éteint la bougie, se dépouille de ses vêtements et se met au lit entre les deux dormeuses. Il avait entendu leurs noms pendant qu’il assistait à leurs doux ébats, de sorte que s’adressant à l’une d’elles, en contrefaisant la voix de l’autre :

— Où est la clef de la porte, Zara ?

— Reste donc couchée, répondait celle-ci ; tu sais bien que la clef est à sa place ordinaire.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! pensa le Sultan.

— Mais dis-moi donc où sont ces clefs, demanda-t-il encore, le jour n’est pas loin, je t’assure, et tu sais bien qu’au crépuscule la maison doit être mise en ordre et les chambres faites.

— Eh bien, cherche-les dans mon sein et dors encore ; il fait sombre. Si je ne craignais pas Dieu et si je ne ménageais pas un superbe exemple, je voudrais, sur l’heure, trancher la tête à ces deux misérables créatures, se disait le Sultan.

— Mais dis-moi, mon cœur, où sont ces clefs, je t’en prie.

— Ah ! acaca, s’écria la femme furieuse, ton zouque brûle donc ton ventre que tu ne peux attendre la fin de la nuit pour niquer. Prends donc exemple sur l’épouse du Vizir, qui, depuis six mois qu’elle est ici, n’a jamais consenti à appartenir à un homme. Va loin de moi, va trouver ton nègre Debrom, qui a dans son habit ce que tu me demandes ; mais ne lui dis pas : Prête-moi la clef ; mais : donne-moi ton zeb dont j’ai grande envie.

Après ces paroles, elle tourna le dos au Sultan pour s’endormir.

Dès qu’elle fut plongée dans le sommeil le prince se leva, prit ses vêtements et ses armes, cacha sa tête dans le capuchon d’un burnous de soie rouge appartenant à une des deux femmes, et, ainsi déguisé, il sortit lentement de la chambre pour rejoindre la porte d’où il avait vu la première scène d’orgie. Il regarda encore à travers le rideau et aperçut les nègres et les femmes qui continuaient à boire le vin, qui coulait à flots sur les nappes et sur les tapis de la salle.

Les uns étaient couchés sur les dalles, les autres se tenaient debout en chancelant ; le désordre le plus effroyable régnait partout. Direm poussa un soupir de plainte sur lui-même ; ces gens si méprisables lui causaient un invincible dégoût. Ceux-là, se disait-il, ne feraient pas meilleur cas du Sultan que du dernier de ses serviteurs. Puis, regardant son bras, il s’écria : Montre aujourd’hui ta force !

En disant cela il entra résolument dans la salle du festin, s’empara des bouteilles dans lesquelles il restait encore de la liqueur, et répandit ce qu’elles contenaient sur la figure et les vêtements brodés de ceux qui étaient là. Les femmes étaient furieuses, croyant qu’une de leurs compagnes, grise comme elles, voulait les injurier. Les nègres, de leur côté, pensaient que c’était une agacerie faite à leur vigueur, lorsque le plus fort de tous et qui paraissait leur chef, s’écria :

— Puisque tu veux absolument niquer, monte dans ma chambre, mets-toi dans mon lit et attends-moi ; je ne tarderai pas à te suivre.

— Dieu ! grand Dieu ! se disait le Sultan, Omar avait bien raison.

Il monte aussitôt vers l’appartement de Debrom, cherche les clefs dans tous les vêtements, mais ne trouve rien.

— Que la volonté de Dieu soit faite, dit-il, en regardant les premières lueurs du jour, qui traversaient les barreaux d’une petite fenêtre, percée dans un mur d’une épaisseur énorme.

Au même instant il voit scintiller dans un rayon de soleil levant une veste d’or suspendue près de la croisée. Il s’en empare, cherche à l’intérieur, et en retire un paquet de sept clefs qui devaient ouvrir les sept chambres des nègres. Les pièces étaient à la suite les unes des autres et la septième clef devait ouvrir la porte du bordj.

— Merci, mon Dieu ! dit le Sultan ; maintenant je ne sortirai pour toujours d’ici qu’après avoir fait bonne justice de ces misérables.

Alors il alla ouvrir la première porte et l’ayant franchie, il la referma après lui. Il fit de même pour les cinq autres ; la septième ouverte, il vit devant lui la campagne et ses amis qui l’attendaient dans l’anxiété.

— Qu’avez-vous vu, Seigneur ? demandèrent-ils tous.

— Je vous l’apprendrai plus tard, répondit le Chef. Venez dans la maison où vous verrez sept nègres, sept femmes et douze filles toutes plus belles les unes que les autres.

Chacun admirait la grandeur d’âme du Sultan, sa sagesse et sa vaillance.

— Quel singulier accoutrement avez-vous là ? lui dit son Vizir.

— Silence, répliqua Direm, qu’il te suffise de savoir que, sans ce vêtement, j’étais perdu.

En disant cela il enleva le burnous de dessus sa tête, le jeta loin de lui, et la petite troupe vit briller l’or, les diamants et les perles du costume de son seigneur.

Ils traversèrent les sept chambres et arrivèrent bientôt à la salle des nègres.

Tous cachés derrière le rideau, étaient en extase devant les belles créatures assises sur de voluptueux coussins.

— Je veux cette femme, dit tout à coup le Sultan, étendant la main du côté d’une dame qui se levait de son sopha, et je la veux pour moi seul.

Au même instant six nègres se levèrent ; chacun d’eux enlaça une femme dans ses bras, et tous disparurent avec leurs maîtresses, qui, joyeuses et charmantes, chantaient à rendre les oiseaux jaloux. Elles ne furent pas longtemps à revenir, mais elles étaient bien changées ; leur démarche était maladive, leur figure défaite, et leur tête courbée vers la terre.

Les nègres rentrèrent à leur tour et tous vinrent prier la dame qui était restée seule avec les douze jeunes filles, la même qu’avait montrée le Sultan, de leur accorder ses faveurs.

— Jamais, s’écria-t-elle, ni moi, ni les douze jeunes filles que je commande, ne vous appartiendrons.

Le noir Debrom, furieux, s’avança vers elle et la frappa en pleine figure avec son zeb, gros comme celui d’un âne. Voilà.

— Six mois, dit-il, que je te supplie de te donner à moi, et toujours tu remets au lendemain l’accomplissement de mon désir ; mais ma patience est lassée et, pas plus tard que sur l’heure, je vais jouir de toi.

Voyant le nègre complètement ivre et prêt à mettre son projet à exécution, la dame essaie, mais en vain, de le repousser ; il se précipite sur elle, qui, se voyant perdue, se jette à ses pieds et lui dit d’une voix suppliante :

— Ô mon beau Seigneur, attends jusqu’à ce soir, et je serai tout entière à toi ; viens près de moi sur ces coussins brillants, pose ta tête sur mes genoux, et je te bercerai, comme un enfant, en attendant le moment du bonheur.

— Ô Dieu, disait-elle en elle-même, envoyez-moi un homme au cœur valeureux qui me délivre des obsessions de ce démon.

Et prenant sa guitzera, elle se mit à chanter :

Je voudrais un lion jaloux qui m’empêchât d’être à personne,
Armé d’un tota majestueux comme un palmier,
Gros, long, admirablement proportionné à mon zouque,
La tête large comme une orange ;
Enfin si beau qu’il soit unique au monde.

Je le voudrais solide à percer un bouclier,
Toujours en l’air, insatiable de volupté,
Indomptable, inaccessible à la fatigue,
Et ne connaissant pas le sommeil.
Mon zouque pleure dans l’attente de ce zeb que je chante,
Mais il a beau gémir, personne ne vient.
Prends patience et souffre, mon pauvre zouque ;
Mais quand viendra l’amant que mon cœur appelle,
Mon zouque restera gonflé de trop de jouissance,
Mon corps sera brisé par ses caresses de fer,
Et son zeb se fixera pour toujours dans moi.
En entrant il donnera deux fois de la tête, comme un bélier,
Puis il caressera amoureusement mon tortouche
Alors qu’il me mette sur le ventre, sur le dos ou sur le côté,
Qu’il embrasse mes joues veloutées et mes lèvres roses,
Qu’il me serre dans ses bras à me faire mourir,
Et je resterai pâmée dans ses mains bien aimées.
Qu’il caresse mes sourcils et mes yeux,
Et que ma bouche sente les baisers brûlants de son cœur de feu.
Oh, qu’il vienne cueillir mon fruit qui est mûr,
Qu’il ouvre mes jambes pour embrasser le haut de mon zouque,
Et que sa main caressante remplace son tota absent ;
Puis, au moment délicieux, qu’il entre son zeb bien au fond,
Et qu’il s’agite en tournoyant, je l’aiderai de mon côté,
Puis il doublera de vitesse.

S’il me dit : prends ; je lui répondrai : donne ;
Donne ton âme, ami chéri, lumière de mon cœur,
Tu es mon seigneur et le plus beau des hommes ;
Mais reste toujours ainsi, toi dans moi,
Et ne me laisse jamais seule, si tu veux que je vive.
Ô Allah ! fais que mon désir s’accomplisse !
Fais que durant 70 nuits, mon corps et le sien ne fasse qu’un !
Et mon zouque, comblé de félicité suprême,
Rêvera encore après un bonheur qu’il n’aura plus.

Le Sultan resta tout troublé de la chanson qu’il venait d’entendre.

— Cette femme est la plus impudique des créatures, dit-il. Après cela son désir immense de volupté prouverait peut-être qu’elle n’est pas mariée. Qui sait même si elle n’est pas pucelle ?

— Sire, dit Omar, cette dame est mariée, mais il y a longtemps qu’elle n’a vu son mari. Malgré toutes les séductions qui l’ont entourée, elle a toujours été sage.

— Quel est son époux ? demanda le Sultan.

— C’est, répondit Omar, le fils du Vizir de ton père.

— Tu as raison, Omar, j’ai, en effet, entendu parler des vertus de cette dame et de ses charmes irrésistibles. L’on prétend qu’elle n’a jamais connu le vice. Il me la faut pour moi, j’y ferai tous mes efforts. Mais quelle est ta maîtresse parmi ces femmes, Omar ?

— Ne le devinez-vous point, mon Seigneur ?

— Je crois que la jeune fille qui se rapproche de la bien-aimée de mon cœur, ne t’est point indifférente.

— C’est bien elle, pensa Omar, tout surpris de la justesse d’esprit du prince.

Pendant ce temps Debrom pressait la dame de le suivre :

— Je suis fatigué de tes mensonges, Boudroul Boudour, disait-il !

Il a raison, pensait le Sultan, celui qui t’a donné ce joli nom.

Et la malheureuse femme s’étant levée, le nègre la poursuivait pour la frapper. Alors le sang monta tout à coup à la tête du seigneur Direm, qui devenait fou de jalousie :

— Vous verrez, disait-il à ses compagnons en se frappant sur le cœur, que je tuerai ce vilain de ma propre main. Mais laissons à ma belle sultane le temps de le mettre encore plus en fureur.

Celle-ci criait à Debrom :

— Ne perds donc ni patience, ni espoir. Mais pourquoi veux-tu donc tromper avec moi la femme du Grand Vizir, qui t’aime tant ? Où est donc ce violent amour que tu lui jurais naguère ? Reviens vers moi, sois calme et entends mes chansons :

Suis mes conseils à propos des femmes,
Leurs désirs sont écrits entre leurs deux yeux,
Mais le secret de leurs cœurs est impénétrable.
Ni la fille d’un sultan ni celle d’un esclave ne trahira la pensée qu’elle cache.
La femme qui cache son secret est l’image de la force
Et le plus grand roi de la terre est sans puissance devant elle.

Il ne faut pas avoir l’air de trouver toutes les femmes jolies ;
Il ne faut pas dire non plus : Il n’y a que celle-là de belle.

Dis à la femme que tu aimes : Viens partager mon âme ;
Mais garde-toi bien de lui laisser lire ta pensée.

Si dans ton lit une femme t’enchante, méfie-toi ;
L’Amour des femmes s’échappe comme l’eau d’un vase percé.
Tant que tu seras sur sa poitrine, tu demeureras son bien-aimé ;
Au moment d’être heureuse, elle t’appellera : Mon cœur. Nigaud !

Puis après, que seras-tu pour elle ? Le vide ;
Tandis que tu lui resteras attaché comme l’esclave à son maître.
Crois-moi car je dis bien vrai :
Un homme doit conserver son empire sur la femme ;
La femme est dans son rôle quand elle obéit ;
Elle ne jouira de la considération de tous qu’à ce prix.

L’homme auquel Dieu a donné la sagesse.
N’aura pas un jour dans sa vie confiance en sa femme.

Ceux qui étaient avec le Sultan se mirent tous à pleurer en entendant ces beaux vers.

— Assez ! dit le seigneur Direm.

Et le nègre Debrom, complètement gris, chanta à son tour :

Nous autres nègres, nous avons bien assez de femmes,
Devant nous leurs secrets tombent sans efforts.
Les hommes blancs craignent notre couleur noire,
Ils sont pâles et faibles ; à nous la force !

Les douze filles ne sont pas pour nous,
Nous aimons les femmes faites et dressées ;
Sans nous presser, jouissons de la vie ;
La maladie s’émousse sur nos corps d’airain.

Notre vigueur irrite les désirs des femmes,
L’union de leurs corps et des nôtres les perd ;

Nos caresses les enivrent et tuent leur esprit ;
Celles qui nous ont connus deviennent nos esclaves !

À peine eut-il terminé ce chant, qu’il se jeta aux pieds de Boudroul Boudour, qui le repoussa avec mépris. Le Sultan alors dégaina et entra dans la salle, suivi de ses compagnons. Les nègres et les femmes n’eurent pas le temps de réfléchir, que déjà les sabres menaçaient leurs fronts. Un des noirs se précipite sur le roi, qui, d’un coup de cimeterre, lui sépara la tête du tronc.

— Dieu est immense, s’écria-t-il, en regardant sa bien-aimée, ton désir est accompli ; je viens te délivrer de tes ennemis.

Un autre nègre s’élança furieux contre le meurtrier de son ami, et d’un coup de flambeau d’or brisa comme verre le sabre de Direm, qui avait paré de sa lame son corps menacé ; mais, celui-ci, voyant les débris de son arme merveilleuse, devint fou de colère et saisissant son agresseur de sa main d’acier, il l’éleva dans l’air, puis le jetant violemment contre le mur, il lui brisa les os.

— Dieu est grand, dit-il, mon bras ne faiblira pas.

Les nègres terrifiés n’osaient plus bouger. Le prince disait :

— Ceux qui ont osé porter la main sur moi ont été anéantis.

Aussitôt il donna l’ordre de lier solidement et d’enfermer les cinq noirs qui vivaient encore. Puis se tournant vers la Lune des Lunes, il lui dit :

— Ô la plus belle, dis-moi qui tu es ?

Elle lui raconta alors ce qu’Omar, fils de Saïd, lui avait déjà appris, et le Sultan, bientôt remis de sa fureur, reprit avec grâce :

— Que la bénédiction de Dieu soit sur toi. Dis-moi, ma bien-aimée, combien de temps une femme peut rester constante.

Et comme elle rougissait au lieu de répondre.

— Parle, lui dit le Sultan, au lieu de rougir.

— Ô mon maître, répondit-elle, la plus modeste, la plus sage, la plus vertueuse est fidèle pendant six mois ; et celle qui n’a aucun amour dans le cœur et qui rencontre une occasion entraînante ne restera pas si longtemps sans faiblir.

— Maintenant, dit Direm, nomme-moi les femmes qui sont là.

— Celle-ci, répondit-elle, est la femme du Cadi ; celle-là est l’épouse du Caïd : cette autre est la femme de l’écrivain ; celle-là la femme du petit ministre ; celle-là la compagne du chef des muphtis et celle-là la femme du gardien du trésor.

— Et les autres ? reprit le Sultan.

— Ce sont des invitées ou des femmes enlevées ; l’une d’elles a été amenée ici par une vieille caouada pour les plaisirs d’un nègre. C’était la maîtresse d’Omar.

— Et à qui appartient-elle ?

— À l’amine des marchands.

— Et ces jeunes filles, qui sont-elles ?

— Celle-ci est la fille du secrétaire du trésor ; cette autre est la fille du Caïd de la Caba ; après vient la fille du Mohatssib et plus loin la fille de l’amine des crieurs. Puis la fille du chef des Ulémas.

Et elle ne s’arrêta que lorsqu’elle les eut toutes désignées.

— Et comment se fait-il que tant de femmes se trouvent ainsi réunies dans ces lieux ?

— C’est le besoin de luxe, de beaux vêtements, de perles et de bijoux qui les amène ; et aussi le désir de niquer avec des hommes dont le tota, toujours en l’air, ne tombe qu’au moment où ils s’endorment.

— Mais que font-ils donc pour conserver ainsi leur vigueur ?

— Sire, ils ne se nourrissent que de jaunes d’œufs cuits dans du beurre et baignés ensuite dans du miel ; ils mangent avec cela du pain de semoule et ne boivent pas d’eau à la fin de leurs repas. Le chef des nègres, Debrom, a pris à son service une vieille femme fort habile qui cherche dans tout le pays les plus jolies filles pour les amener ici, au prix de beaucoup d’or et de pierres précieuses.

— Mais comment se fait-il que ce nègre soit si riche ?

La Lune des Lunes n’osa répondre, mais à son silence le roi comprit que la femme de son grand Vizir devait subvenir à ces énormes dépenses, comme le lui avait dit Omar.

— Écoute, Boudroul Boudour, dit le prince, nous sommes tous deux musulmans ; tu es belle entre les belles comme je suis puissant sur tous les hommes ; je te donne mon cœur. Veux-tu l’accepter ?

— Que Dieu éloigne le mal de toi, répondit-elle, et te comble de ses faveurs ; qu’il entoure de splendeurs toi et les tiens, et que ton front rayonne de gloire comme le soleil.

Tous deux se sentaient attirés l’un vers l’autre par un doux sentiment, et la sultane qui craignait qu’il ne lui arrivât malheur, à cause des scènes dont le Sultan avait été témoin, flattait son royal amant avec de douces paroles.

Cependant le grand Chef ordonna aux siens d’attacher les nègres à leurs maîtresses, deux à deux.

— Puisque l’union leur plaît tant, dit-il, je jure que maintenant ils ne se sépareront plus.

— Mais pourquoi ne m’as-tu pas fait prévenir de ce qui se passait ici, méchante ? demanda-t-il à la Lune des Lunes.

— Je ne le pouvais pas, dit-elle, j’ai été enlevée à mon mari qui ignore le lieu où l’on m’a conduite, et, malgré mes efforts, il m’a été impossible de m’échapper !

— Je suis sûr, reprit le Sultan, que tu as fait l’amour avec ces misérables nègres.

— Non, sur mon âme, je suis restée fidèle à mon mari, car jusqu’alors je n’avais vu personne qui pût lui être comparé en force et en beauté.

— Ma pensée est toute à toi, dit le Sultan, et après Dieu et le prophète, je n’aime rien autre mieux que ta ravissante personne. Cependant je ne te cacherai pas que j’ai trouvé tes chansons un peu légères pour une femme vertueuse et que je ne comprends guère que la sagesse s’allie aux paroles voluptueuses que je t’ai entendue prononcer.

— J’avais trois motifs, répondit-elle ; le premier, d’appeler à moi un aide généreux pour me délivrer de l’esclavage de ces démons ; le deuxième, de rappeler à ma mémoire, par les vers que tu as entendus, un temps meilleur, et le troisième, de faire prendre patience au nègre, qui se calme lorsqu’il m’entend chanter.

— Toi seule as su te faire respecter dans cet enfer, dit le prince, toi seule conserveras la vie.

Le Sultan allait se retirer lorsque Boudroul Boudour se vit entourée de nègres et de femmes qui la priaient à genoux de les sauver.

— Le Sultan écoutera ta voix, disaient-ils, et leurs larmes baignaient ses jolis pieds.

— Mon Seigneur, s’écria-t-elle !

— Prends patience, fit le prince, je vais envoyer de belles mules pour te prendre et te conduire à mon palais.

— Sire, je ne bouge pas d’ici que vous ne m’ayiez accordé une grâce.

— Parle, et sur le prophète ! Je ferai selon ton désir.

— Je veux d’abord que tu me fasses riche, et ensuite que tu m’accordes la grâce de ces pauvres femmes et de ces malheureuses filles, pour ne pas faire un scandale affreux si près de ta capitale.

— Je l’ai juré, ce que tu demandes sera fait.

Alors ayant appelé le Sief, il fit trancher immédiatement la tête à tous les nègres, excepté à Debrom, qui était un noir superbe, mais il lui fit couper le nez et les oreilles.

Quand le bourreau eut terminé son exécution, il arracha le tota de chacun des suppliciés et l’introduisit dans leur bouche, puis il cloua les têtes sur les créneaux de la maison et coucha sur la terrasse les six corps décapités.

Chacun alors retourna chez soi, le Sultan avec la belle Boudroul Boudour, assise sur une superbe monture ; Omar, que le prince venait de nommer son secrétaire particulier, avec sa bien-aimée ; le Sief et les autres de la suite chargés du trésor que l’on avait pris dans le bordj.

Le roi donna le château et les meubles au fils du Vizir de son père et garda sa femme. Puis il exila son grand Vizir ainsi que son épouse, qui avait entretenu pendant si longtemps et à si grands frais le nègre Debrom.

Ensuite faisant venir la vieille qui procurait des filles aux noirs :

— Pourquoi, dit-il, amènes-tu ainsi les femmes aux hommes ? Que signifie ce vilain métier ?

— Le métier est fort lucratif, répondit l’édentée, il y a dans ton royaume bon nombre de dames qui font comme moi.

Le Sultan se fit amener toutes les caouadas de son empire et ordonna qu’on les mît à mort. Il fit aussi périr toutes les femmes infidèles et tous les maris trompés, fit raser leurs maisons et passer le feu sur les ruines, pour détruire la graine du cocuage.

Mais en ceci il se trompa fort, car depuis comme avant, tout mari qui a confiance en sa femme et qui ne la surveille pas à chaque instant du jour et de la nuit, est sûr d’être cocu des pieds à la tête, et tellement bafoué qu’il vaudrait mieux pour lui se faire enterrer tout de suite dans un silo.

Ô Allah ! fais éloigner de nous les femmes mauvaises desquelles adviennent de si grands maux !



CHAPITRE III

DES DÉFAUTS CHEZ LES HOMMES


Écoutez, Vizir, mon maître, que Dieu bénisse !

La femme aura la plus grande aversion pour un homme sans fortune, à l’œil dur et au tota mou. Elle déteste celui dont les caresses sont indifférentes, dont la conversation est triste et sans couleur, qui paraîtra de glace sur sa poitrine et qui niquera avec peine.

La maîtresse de celui-ci remuera son corps une fois ou deux, puis elle le renverra avec mépris sans lui laisser achever son vilain ouvrage.

Un homme lourd de poitrine et léger de cuisses, fatigue les femmes ; il recommencera mille fois sans les habituer à sa pesanteur.

Celui qui jouit trop vite n’est pas estimé davantage, non plus que celui qui ne peut faire l’amour qu’une seule fois.

Un musulman, nommé Labesse, beau de figure et bien fait de corps, avait épousé une dame qui l’aimait avant son mariage ; mais ce pauvre mari avait un zeb tellement petit que, malgré tous ses efforts, il ne pouvait parvenir à échauffer sa femme, qui finit par le prendre en dégoût et à le tourner en ridicule devant ses amis.

Elle était riche et lui sans fortune. Lorsqu’il demandait à sa compagne quelque monnaie pour subvenir à ses besoins particuliers, il était repoussé cruellement, ce qui le mortifiait beaucoup et le comblait de chagrin. Aussi prit-il le parti de consulter les savants ayant étudié du monde les vices et les vertus.

— Le sanctuaire de la religion de la femme est dans son zouque, lui fut-il répondu. Trouve le moyen d’avoir un grand tota, et l’on ne te refusera plus rien.

Alors il alla demander les conseils des docteurs qui parvinrent à faire prendre à son zeb des proportions énormes.

Quand sa compagne le vit ainsi, elle fut toute effrayée ; mais bientôt se radoucissant, elle lui abandonna ses perles, ses bijoux ; tout ce qu’elle possédait d’argent et son corps avec.



CHAPITRE IV

DES DÉFAUTS CHEZ LES FEMMES


Écoutez, Vizir, que Dieu vous assiste !

Les femmes peu estimées des hommes sont celles dont le caractère est acariâtre et l’abord déplaisant ; ce sont encore celles qui ont les cheveux frisés, le front bas, les yeux louches et petits, le nez long, les lèvres pâles et bleues, la bouche mince et largement fendue, la figure ridée, les dents écartées, le dessous du nez malpropre, le menton relevé, les épaules étroites, la poitrine faible, les oreilles longues et pendantes comme une vieille peau de vache ; le ventre creux comme un baquet sans eau, le nombril proéminent comme une bonde de tonneau, les côtes apparentes comme des arcades, l’épine du dos comme les grains d’un chapelet, le zouque large, froid et puant ; elles n’ont aucun soin de leurs corps ; elles ont de gros genoux, de grands pieds, les mains rouges et les mollets minces.

Oh ! celles-là ne seront, certes, pas bonnes à l’amour, pas plus que les hommes qui les approchent, parce que Dieu fera éloigner de ces affreuses créatures les gens distingués.

Les femmes peu convenables encore sont celles qui rient beaucoup, en poussant de grands éclats ; leur inconvenance fait de celles-ci la moquerie des autres.

Il y a aussi celles qui jouent bruyamment : celles-là sont de vraies cahabah.

De vilaines femmes sont encore celles dont la voix est grosse, qui parlent beaucoup, qui ont le pied léger pour courir de droite à gauche, et qui ne savent jamais retenir leur langue ; qui sont cancanières, menteuses, rusées, grossières ; qui colportent les conversations, qui n’ouvrent la bouche que pour mentir et qui promettent avec la résolution de ne pas tenir ; qui cherchent des hommes et s’empressent d’être infidèles à leurs derniers amants ; celles dont la délicatesse est douteuse et qui n’écoutent les conseils de personne ; celles qui font des affaires des autres leurs propres affaires ; celles qui disent du mal de chaque chose, qui brouillent tout le monde, qui cherchent des histoires curieuses, qui tâchent de découvrir les secrets de chacun, qui ont toujours l’air de dormir et qui ont le sommeil léger pour surprendre ce qu’on leur cache ; elles sentent tout le monde, elles sont à l’affût d’un scandale ; ne respectant rien, elles ont des expressions mauvaises pour les autres comme pour elles-mêmes.

Ces femmes-là sentent mauvais ; quand elles arrivent elles font mourir ; quand elles partent chacun se sent à l’aise.

Tel est le portrait des femmes à craindre.



CHAPITRE V

DES PLAISIRS D’AMOUR


Écoutez, Vizir, que Dieu vous conserve !

Celui qui vivra d’une façon réglée, buvant et mangeant convenablement, sera vigoureux, lèvera facilement son zeb, et trouvera grande satisfaction auprès des femmes. Mais il faut bien se garder de niquer de suite après un repas : cela fatigue énormément et peut causer de graves désastres intérieurs.

Celui qui nique, l’estomac chargé, peut prendre une maladie grave, des suffocations ou un tremblement nerveux qui peut avoir les plus fâcheuses conséquences ; il urinera difficilement et sa vue, dans la suite, pourrait en souffrir.

Il faut toujours voir une femme à jeun pour n’être atteint d’aucune incommodité. Il ne faut pas dormir avec la femme qu’on n’aime pas. Lorsqu’on caresse sa maîtresse, on doit avoir l’eau du désir au tota ; la femme vous voyant ainsi sera plus vite heureuse, ce qui doublera votre jouissance sans fatiguer votre corps. Lorsque vous vous retirerez de la femme, descendez toujours du côté droit.



CHAPITRE VI

DE L’AMOUR


Écoutez, Vizir, que Dieu vous donne le bien !

Si vous dormez avec une femme, il est bon que vous ne soyez pas trop jeunes, vous et celle que vous aimez. Lorsque vous entrerez au lit commun, commencez par de douces caresses, embrassez délicatement, passez doucement vos mains sur son dos nu, ramenez-les ensuite vers ses seins, et quand vous lirez dans les yeux de votre maîtresse le désir du tota, entrez gentiment dans son zouque, combinez les mouvements de votre corps et du sien, et n’appuyez pas lourdement votre poitrine sur ses zizas, afin de ne point les flétrir. Quand vous niquerez, étendez votre femme sur les coussins, serrez-la doucement dans vos bras, et baisez tendrement sa bouche, son cou, ses sourcils, sa poitrine et le bout de ses seins ; mordez-la aux épaules, caressez son ventre et ses hanches, puis balancez ensemble vos deux corps unis. Alors vous la sentirez s’ouvrir, vous la verrez mûrir et prête à cueillir.

Lorsqu’elle sera dans cet état, faites-lui mieux sentir votre charmant tota et vous jouirez ensemble. Si vous manquez à ces conseils, vous arriverez avant elle, son bonheur restera en route, et elle ne sera point satisfaite de vous.

Quand vous aurez terminé, ne vous pressez pas de sortir, mais retirez-vous doucement en vous plaçant du côté droit. Si votre femme devient alors enceinte, elle accouchera d’un garçon. Ainsi le disent les médecins et les cadis.

Celui qui mettra sa main sur le ventre d’une femme grosse et qui fera sa prière, en disant, plein de confiance en la bonté d’Allah : Dieu est grand ! sera aidé par le Très-Haut, et il aura un enfant mâle.

Après avoir fait l’amour, gardez-vous de boire de l’eau, surtout de l’eau de terrasse ; elle affadit le cœur et peut donner la fièvre. Si vous voulez continuer de niquer, lavez votre tota chaque fois, cela vous rafraîchira le cœur et rendra vos baisers meilleurs.

Ne mettez jamais la femme sur vous ; cette manière de faire peut donner plus facilement un échauffement. Si vous sentez la jouissance venir, ne vous retenez pas, car il pourrait s’en suivre une maladie qu’on appelle la gravelle. L’on ne saurait prendre trop de précautions pour toutes les choses de volupté, car elles engendrent facilement une foule de maladies.

Quand vous sortirez de la femme, ne manquez pas de vous laver, mais laissez avant au zeb le temps de se calmer un peu. Quand il sera refroidi, passez-le dans l’eau, mais de l’eau pas trop froide.

N’allez jamais au bain sans manger. Quand vous serez dans l’étuve où l’on vous massera, une sueur abondante coulera de votre corps et vous affaiblira beaucoup, vous risquez de vous trouver mal si votre estomac est vide. Le sang peut aussi, dans ce cas, s’échauffer plus facilement et vous causer une éruption de boutons ou de rougeurs à la peau.

Des diverses postures

Nous ne parlerons pas de la façon de niquer une femme légitime, cela regarde uniquement son mari. Mais pour le faire à toute autre dame, nous nous permettrons d’indiquer quelques manières.

En voici une : il faut coucher la femme à la renverse, se mettre entre ses jambes à genoux et assis sur ses talons, puis la rapprocher de soi afin de faire l’amour, pour cela il est nécessaire d’avoir un tota fort long.

Celui qui, au contraire, a un petit zeb, placera sa maîtresse par terre, puis passant ses bras au-dessous de ses cuisses, fera lever son genou droit à la hauteur de son oreille droite et son genou gauche tout près de son oreille gauche, et de ses mains il soulèvera son zemouka. Ainsi posée sa mohima ne perdra pas une ligne.

L’on pourra aussi faire coucher la femme sur le tapis, se placer entre ses cuisses, faire passer un de ses pieds par-dessus son cou, mettre l’autre sous son bras ; les mains libres caresseront les zizas. On peut, de cette façon, faire durer le plaisir longtemps.

On peut encore, si l’on veut, mettre les deux pieds sur ses épaules.

Ou bien se coucher par côté et se mettre dans les jambes de la femme.

Celui qui nique toujours du même côté s’expose à prendre un engourdissement qui peut, plus tard, dégénérer en varices à la jambe qui supporte constamment le corps.

Autre manière : faire placer la femme à genoux, les mains appuyées sur le tapis, et prendre son zouque par derrière.

Autre chose : Mets la femme sur le côté, viens à genoux près d’elle, fait passer son mollet sur ton épaule, prends son corps par dessous et serre-la contre toi ; de son côté, elle t’attirera vers elle.

Tu peux encore la mettre par terre, les jambes serrées, monter à cheval sur elle, puis te baissant pour l’embrasser, ton tota sera à la hauteur de son zouque. Mais cette pose est incommode.

Mets encore la femme sur un lit dur, la poitrine appuyée sur le matelas et les jambes en bas ; ton zeb entrera tout entier et sa tête embrassera Aoualda.

Autre manière : Que la femme se suspende à l’une des barres qui se trouvent au-dessus du lit, viens en face et entoure ta taille de ses jambes ; prends toi-même la deuxième barre, qui est à côté de la première, puis, levant tes pieds, balancez-vous tous deux.

Tu peux encore mettre la femme sur le plancher, un coussin sous ses reins, de façon à élever son zouque, et te placer à genoux entre ses deux jambes, qu’elle tournera autour de tes hanches.

Il y a beaucoup d’autres manières, mais nous laisserons aux imaginations vives le soin de les chercher.



CHAPITRE VII

DES INCONVÉNIENTS
DU PLAISIR D’AMOUR


Écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu protège !

Les plaisirs d’amour sont dangereux ; ils donnent naissance à une foule de maladies dont il faut se garer.

Celui qui nique à genoux s’expose à un tremblement subit ; celui qui jouit le matin appauvrit son sang, perd ses forces et affaiblit sa vue ; s’il le fait dans un bain, il deviendra aveugle ou à peu près.

Prendre la femme sur soi est une déplorable habitude, la poitrine en souffre et l’eau qui coule du zouque de la femme peut donner un échauffement ou une inflammation au ventre.

L’on devra toujours se méfier des vieilles et s’éloigner d’elles, car leurs caresses sont plus amères que le poison. Une vieille est comme une maison qui s’écroule ne laissant que de la poussière qu’emporte le vent ; avec elle on jouira sans bonheur ; elle prendra le beurre, laissant à son jeune amant le petit lait ; c’est bien peu.

Malgré cela, il en est qui trouvent toutes les femmes excellentes, qu’elles soient pucelles ou qu’elles aient passé l’âge de faire des enfants. Ils niquent à tort et à travers jusqu’à ce que leurs bourses épuisées refusent la monnaie qui engendre les hommes.

Il ne faut jamais forcer sa nature ; il vaut mieux se rationner et suivre, suivant ses forces, un sentier toujours égal.

Le savant Sequelé Maquedaly, qui a traité la question du mariage d’une façon très approfondie, remarque qu’il est dangereux d’abuser du plaisir des sens. Il divise en quatre catégories la manière de faire l’amour. Il y a, dit-il, la manière jaune, la manière noire, la manière molle et la manière de sang. Il parle longuement là-dessus.

Mais laissons-le dire et occupons-nous plutôt du grand Aroun-al-Raschid, qui, pour le bien de son peuple, avait ordonné à tous les médecins de son empire et autres lieux de composer ensemble un livre enseignant les remèdes à suivre pour guérir toutes les maladies possibles. Ce volume est très considérable, mais les gens qui ont des égards pour leurs personnes, et il y en a beaucoup, en ont tiré des extraits relatifs aux indispositions les plus fréquentes, dont ils ont fait un petit manuscrit qu’ils portent toujours avec eux.

Parmi les vers suivants quelques-uns se rapportent à l’œuvre médicale du Commandeur des Croyants :

Si tu rencontres des traîtres qui t’empoisonnent, vois le livre, il te guérira ;
Ceux qui ont bu le poison avant toi ont été sauvés par lui.
Il est certaines choses que les dents sont paresseuses à manger,
Garde-toi d’avaler ce que ta bouche ne veut pas broyer.

Ne bois pas de suite après ton repas,
Cela gâte la digestion en noyant les aliments dans l’estomac.

L’homme colère est irrité même de l’accomplissement de ses désirs,
Il sera toujours balancé entre deux idées.

On voit quelquefois l’avenir dans les rêves,
Mais il est bien difficile de les interpréter sagement.

Bois avec confiance les remèdes du Commandeur ;
Ils descendront sur les parties malades de ton corps,
Et leur douceur calmera tes souffrances.
Tes forces alors reviendront,
Ton pied sera plus solide
Et ta démarche assurée.

Garde-toi de dormir avec une femme
Lorsqu’elle sent une seconde vie dans son ventre.

Écarte les vieilles de ton corps
Comme le poison de tes lèvres.
Il faut niquer sept fois pour dire : Je suis solide ;
Et pour être solide, il faut suivre les conseils du livre.

L’œuvre d’Aroun-al-Raschid est, en effet, pleine de bons avis. C’est une collection complète des moyens de guérir recueillis depuis notre premier père, Adam.



CHAPITRE VIII

DES DIFFÉRENTS NOMS
DU MEMBRE DES HOMMES


Écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu protège de tous les maux !

Le tota possède une quantité de noms ; on l’appelle :

El camara, l’élastique ; El denere, le membre ; El herc, le soufflet qui s’enfle ; Oul Armaka, qui produit le jus ; El zeb, oul hamer, morceau de viande ; Oul fenslady, qui se balance ; Oul Naace, le donneur ; Oul zedam, qui pousse fort ; Oul rehab, le batteur ; Oul Mouchéfy, qui guérit ; El ralif, le bien du cœur ; Oul Quérat, la percerette ; Oul dekaque, le frappeur ; Oul Aouhany, le nageur ; Oul dural, qui entre dedans ; Oul kroredj, qui sort ; Oul Aoueur, le borgne ; Oul dema, qui pleure ; Bou requehab, le grand col ; Oul fortass, le sans poils ; Ouad el Ayn, le cyclope ; Oul heuthery, l’énorme ; Bon quetaza, le poilu ; Oul bass, l’effronté ; Oul Mestay, le honteux ; Oul betay, qui reste longtemps ; Oul czez, la balançoire ; bou labah, qui frétille ; Oul chelbaque, qui bat l’eau ; Oul etzèque, qui déchire ; Oul fetseche, le chercheur ; Oul bakèque, le frotteur ; Oul Montalal, le curieux ; Oul Moncachef, le raide.

Le zeb est d’une grande importance et d’une haute utilité. Celui qui, à la suite d’un accident ou d’une maladie, ne connaît plus son sexe, entendra dire de lui : Cet homme est perdu ou à peu près ; son zeb est mort.

Le zeb a aussi une grande influence dans les songes ; celui qui rêvera à l’amputation de ce membre, doit s’attendre à un malheur prochain.

Voici encore la manière d’expliquer quelques rêves d’après les savants des temps anciens.

Celui qui voit tomber ses dents doit se préparer à mourir.

Si ses ongles se brisent, il verra ses projets déjoués ; mais s’il aperçoit les ongles de ses pieds venir à ses mains et réciproquement ceux de ses mains pousser à ses pieds, il aura victoire complète sur ses adversaires. Si c’est son ennemi dont les ongles s’éraillent, cet ennemi succombera dans la lutte.

Celui que deviendra gros et gras fera une longue maladie.

Si l’on rêve que l’on meurt, on éprouvera de grands soucis, car le songe donnant le repos, le réveil doit amener de tristes épreuves.

Celui qui, dans son sommeil, se verra entouré de roses, fera un rêve heureux ; il en sera de même de celui qui sera enveloppé de jasmins et de lilas ; le repos fleuri est toujours gracieux.

En rêve un homme qui trompe sera trompé.

S’il voit le vent dessécher un jardin, la misère est proche, mais si une douce rosée ranime les fleurs, l’opulence arrive.

Si l’on est dans un puits, malheur certain, inévitable.

Si on lutte contre le courant d’un torrent déchaîné, embarras, tracasseries, incertitude de succès.

Si l’on se cache après avoir commis une mauvaise action, lâcheté et couardise.

Celui qui scie du bois apprendra de bonnes nouvelles.

S’il voit un encrier, il obtiendra une recette excellente pour guérir les maux qui l’obsèdent.

S’il aperçoit un fourneau de pipe, oubli complet de ses chagrins d’amour, qui s’évanouiront comme la fumée dans l’air.

Celui qui verra son turban s’abaisser sur ses yeux, deviendra aveugle. Que le démon s’éloigne !

Le cavalier qui, après avoir laissé tomber son fusil, le trouve intact en le ramassant, celui-là vient d’échapper à un grand danger et pourra impunément faire parler la poudre. Mais si son arme est brisée, malheur à lui ! Il perdra bientôt la vie, ou tout au moins son cœur.

Quand on rêve à une fenêtre ouverte, la mauvaise chance s’éloigne avec d’autant plus de rapidité que la croisée sera plus grande. Si l’ouverture est très étroite, on aura grande peine à repousser l’adversité, mais l’on y parviendra.

Malheur ! trois fois malheur à celui qui verra le feu.

Celui qui verra les arbres vertement feuillés peut entreprendre un heureux voyage. La caravane arrivera sans encombre à destination, et le succès sera d’autant plus complet que les arbres seront plus grands.

Celui qui verra un fusil chargé prêt à faire feu pourra craindre une indiscrétion compromettante ; si le coup part, c’est un secret trahi.

Celui qui rêvera cruche cassée ne sentira jamais la raison habiter son cerveau. Si un verre se brise dans sa main, laissant couler à terre le vin qu’il contenait, il a quelques chances de devenir vertueux de vicieux qu’il était ; mais si le verre ne se rompt pas, il sera mauvais tout le reste de sa vie.

La vue d’une souris est de bon augure ; elle promet abondance et richesse.

Et l’ami voyageur auquel on souhaite le bien, ne tardera pas à venir vous demander la sainte hospitalité.

Lorsqu’en songe tu souhaiteras le bien à un ami
Qui depuis longtemps aura quitté sa tente,
Ne dis pas : Mon frère est bien loin,
Car vos cœurs sont proches et sa main va frapper à ta porte.

Un jour, Aroun-al-Raschid, assis près de son confident, causait avec lui de choses intimes, lorsqu’un puissant désir s’emparant de lui, il se leva pour aller trouver sa femme préférée. Mais ayant commencé d’amoureuses caresses, il se retira d’elle tout à coup, car il venait de s’apercevoir qu’elle avait le dem. Il revint tristement prendre place vers son ami, et sa langue se taisait, prisonnière dans sa bouche, son âme était sombre et son front rêveur. Il était ainsi depuis plusieurs heures, absorbé dans un morne silence, lorsqu’une négresse, esclave de sa bien-aimée, lui apporta de la part de sa maîtresse un sucrier rempli de douceurs.

— Que signifie cela, dit le Commandeur des Croyants.

Puis s’adressant à son confident :

— Pourrais-tu me l’indiquer, toi qui es poète ? Celui-ci, saluant Aroun-al-Raschid, chanta :

Du sucre elle a pour toi la douceur,
De ce cristal son corps a maintenant la pureté,
De ces bords la suave odeur qui s’exhale,
Fait penser ton cœur à son amour.
Va la rejoindre, elle t’en prie,
Et le dégoût fuira de ta pensée.

Et le Sultan, ayant suivi le conseil de son ami, se réjouit, ne trouvant plus aucune trace de ce qu’il redoutait tant.

Si l’on voit en rêve un sabre sorti du fourreau, c’est qu’un jour l’on déviera de la ligne droite.

Si l’on voit sa barbe devenir grande, l’on parviendra à la richesse et à la puissance.

Si l’on tombe à terre, on périra misérablement.

L’homme qui a la barbe touffue, a toujours la tête légère. Ainsi le disent d’anciens manuscrits.

Celui dont la barbe pousse rapidement a peu de cervelle.

Celui dont le menton est abondamment couvert de poils, et qui a l’habitude de les prendre à poignée, ira en enfer, ou, conservant son habitude de faire, le feu dévorera bien vite sa barbe jusqu’à sa main. Alors ouvrant celle-ci à cause de sa chaleur, la flamme brûlera le reste et atteindra la figure, qui sera également détruite.

Un jour, Aroun-al-Raschid, se promenant dans les rues de sa capitale, rencontra, étendu par terre, un pauvre homme dont les haillons, qui riaient de toutes parts, avaient peine à cacher la nudité.

— Qui es-tu ? lui demanda le Sultan.

— Je me nomme Ben Alouïa.

— Et que fais-tu ?

— Je suis pileur de grains.

— Qu’est-ce que tu penses, dit le Commandeur des Croyants, d’un homme qui se couche à la renverse sans prendre le soin de cacher son tota, lequel sort par un vilain trou, comme un borgne curieux de voir les choses de ce monde.

Mais le malheureux répondit par des paroles tellement incohérentes, que le grand Chef, se retournant du côté de ceux qui l’entouraient, leur dit en vers :

Voyez la longue barbe de ce fou,
Elle tombe abondamment sur sa poitrine,
Mais c’est aux dépens de sa cervelle,
Qui nourrit les poils de son menton.

Il y a des noms qui portent bonheur. Ceux qui s’appellent Mohammed, Hamed, Mahmoud, Hamedanitz, Amadoun, sont plus particulièrement sous l’œil de Dieu.

Mais les noms par excellence sont Abd-el-Aziz et Habdelatef. Les musulmans qui auront ceux-là seront presque toujours préservés de malheur ; Allah leur donnera la sagesse et les rendra bons.

Ce sera un heureux présage de faire deux nuits de suite le même songe.

Mais notre esprit court depuis longtemps comme la folie, perdant de vue le but qu’il veut atteindre. Revenons donc promptement au sujet de notre livre et nous dirons des paroles sensées.

Le zeb, à cause de sa grande distinction, méritait une foule de noms indiquant ses grandes vertus.

Quand il se gonfle, il est tout fier ; mais lorsqu’il dort il devient mou et ressemble assez à un pigeon qui couve ses œufs ; s’il se raidit, l’oiseau fait mine de s’envoler pour aller à la recherche d’un nouveau nid : cette situation se nomme hameuc. Il balance alors orgueilleusement sa tête, puis il devint furieux et cherche comme un aveugle la porte du salut qu’il finit pas trouver et envahir.

Le zeb est le mot poli employé par les gens du monde pour désigner la clef qui ouvre si bien le zouque.

Lorsque le zeb est entre les cuisses et en-dessous du tortouche, il est bien près du port ; alors il entre en frétillant, ce qui le fait souvent appeler honiche, serpent.

Quand le tota et le zouque sont en présence, il leur arrive parfois de discourir, et tous deux parlent capitulation. Le zeb est comme un capitaine d’armée en face d’une forteresse ; le zouque s’effraie et veut repousser cet agresseur à la tête humide. Jamais, dit-il, tu ne franchiras la poterne. Mais l’autre qui sourit, balance son front et répond : Soyons amis, notre alliance sera bonne, je t’assure. Puis il approche plus près et le zouque, riant à son tour, se livre tout désarmé et reste tout ébouriffé de la fougue de l’assaillant, qui cherche les coins et les recoins, voulant connaître à fond les moindres secrets que désire encore lui cacher sa victime. Puis il entre, ressort, pénètre jusqu’au fond où il se fait mordre par Aoualda, qui lui crie : Tu es blessé à mort, car voilà ton sang qui coule. En effet, Sidi zeb se retire, des contractions nerveuses font croire à son agonie ; pourtant il n’en est rien, car il remonte bientôt à l’assaut, plus vigoureux que jamais. Mais le succès le perd, et il se retire la tête basse pour s’endormir, comme s’il était ivre.

Donnons maintenant l’explication de quelques-uns des noms donnés au zeb au commencement de ce chapitre.

Zedam, qui pousse fort, est celui qui entre brutalement dans le zouque ; il renverse tout, ne connaît aucun obstacle et éprouve un bonheur aussi grand que s’il avait subi un siècle de continence.

Rebat, le batteur. Celui-là n’entre jamais du premier coup ; il est discret et frappe à la porte avant de s’introduire. Il caresse la femme et la rend heureuse sans chercher son propre bonheur ; puis lorsqu’il en est temps, il envahit le doux sanctuaire en sifflant comme un serpent, criant : Prends tout ; et ne sortant de là qu’après complète satisfaction.

Querat ou Queded, la percerette. Celui-ci entre tout droit, perfore le zouque et jouit sans façon.

Aouham, le nageur. Il navigue en entrant et se balance tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, comme un navire battu par la mer.

Daral et Keradj, qui entre et qui sort. Son nom indique assez sa façon d’agir.

Aoueur, le borgne. Il ne possède qu’un trou qui ressemble à l’œil d’un homme à moitié privé de la lumière.

Oul dema, qui pleure. Celui-là est fort sensible : en colère, il pleure ; en repos, il pleure encore ; lorsqu’il voit une jolie figure, il pleure toujours. Quand il touche une peau blanche, il gémit ; et quand il se souvient, il meurt.

Bou Requehab, le col. Rien n’est plus énorme que ce membre, large de gosier, épais de dos, la tête toujours tendue ; son corps est traversé en tous sens par des veines grosses et apparentes.

Fortass, sans poils. Ainsi nommé parce qu’il n’a pas de cheveux sur la tête.

Ouad el Ayn, le cyclope ; comme Aouham, le borgne.

Heutgéry, l’énorme ; comme Bou Requehab, le col.

Bou Quetaya, le poilu. Il est couvert de poils.

Oul Bass, l’effronté. Celui-là n’a honte de rien ; il fait lever sa chemise avec sa tête et se balance comme les Aïssaouas. Le zouque est heureux de lui accorder ses entrées, car il fait fi des modestes.

Oul Becay, le chagrin ; comme Oul Dema, qui pleure.

Oul Ezez, la balançoire. Celui-là commence par se balancer, puis il s’enfonce tout entier avec ses claouës.

Bou Labah, qui frétille. Celui-ci est fort goûté des femmes ; son travail agréable les fait mouiller bien vite.

Chelbaque, qui bat l’eau. Lorsque celui-là entre dans sa maîtresse, elle jouit bien vite ; alors il nage dans ses eaux, imitant le bruit d’une cascade. Il est solide, fort, entêté, habile à prendre les pucelles. Chelbaque se dit encore d’un membre qui nique avec un zouque qui a des flueurs blanches, parce qu’il fait, en se remuant, le même bruit que s’il battait du beurre.

Fetzeche, le chercheur. Il est indiscret, entre dans tous les coins, ne sait pas rester en place ; il se promène à droite et à gauche, en haut, en bas et au milieu.

Hakeque, le frotteur. Il caresse amoureusement avec sa tête avant d’entrer ; il est câlin et gracieux et non pas sérieux comme le fetzeche, le chercheur, mais perdant son temps aux bagatelles de la porte, il lui arrive souvent d’être heureux sans aller plus loin.

Moutalal, le curieux. Il cherche le bonheur qu’il comprend à merveille. Quand il arrive bien au fond, il rencontre ce que d’autres ne savent pas trouver et parvient là où personne n’arrive.

Moucachef, le raide. Ce dernier est plein d’orgueil, marchant toujours en avant et ne pliant jamais.

En voici suffisamment sur le membre des hommes.



CHAPITRE IX

DES DIFFÉRENTS NOMS
DU SYSTÈME DES FEMMES


Écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu comble de ses faveurs !

Le système des femmes a bien des noms, en voici quelques-uns : El Fordj, l’entrée ; El Keuss, la motte ; El Zehnoun, El Enss, El Zorzor, l’oiseau ; Bou Tortoura, le plumet ; Bou Crichoum, le grand nez ; Oul Confouth, le hérisson ; El Sacoutzi, le silencieux ; El Dekeque, le profond ; Oul Ezoquil, le brûlant, Oul Fichefeche, le bruyant ; El Sebah, le lion ; El Telab, qui demande toujours ; El Assou, le joli ; El Nefar, le palpitant ; Bou Djebah, l’élevé ; Oul Zelour, le puant ; Oul Louessah, le large ; El Arid, le grand ; Bou Belram, le gros ; El Megaar, le profond ; Bou Chelatzine, les lèvres ; Bou Angra, la montagne ; Oul Relbal, le remuant ; Oul Ezez, qui se balance ; Oul Sodi, qui se retire ; Oul Mahïn, qui aide ; Oul Meritz, qui s’effraie ; Oul Mesboul, qui s’étend ; Oul Moulaké, le goulu ; Oul Monkebel, le rapproché ; El Arap, le fuyard ; El Sabear, le mort ; El Laly, le haut ; El Messelar, l’uni ; Oul Meroneur, le puits ; El Atat, l’enragé ; et beaucoup d’autres.

Et les zouques s’appellent ainsi pour les causes suivantes :

D’abord Fordj, l’entrée, parce qu’ils sont fendus. Il ne faut pas confondre fordj, qui veut dire zouque, avec foredj, qui signifie fente de mur. Mais nous reviendrons plus tard à ces explications.

Disons tout de suite que celui qui rêvera au zouque d’une femme, fera un songe de bon augure ; s’il a des chagrins, ses peines seront amoindries ; s’il est attaché à un corps d’armée faisant la guerre, il n’aura rien à redouter et s’il est pauvre, de nombreux secours lui arriveront.

Celui qui rêvera foredj, fente de mur, et qui, à son réveil, adressera à Dieu une fervente prière, verra sa demande exaucée.

Si, pendant son sommeil, on aperçoit un zouque ouvert, on peut se réjouir : tout est pour le mieux. Si c’est le fordj d’une petite fille, on sera plongé dans l’affliction, ce que l’on aura demandé à Allah en se couchant ne sera point accordé, et le malheur sera proche. Si le zouque de cette petite fille est ouvert, on aura grand peine à secouer le mal, et malgré les recherches qu’on pourra faire pour en découvrir la cause on restera plongé dans la nuit.

Celui qui verra en songe un homme prenant le pucelage d’une fille et qui, après la retraite de cet homme, apercevra le fordj de la jeune femme, réussira dans ses entreprises, et le bien lui viendra de celui qu’il aura vu niquer. Si c’est le dormeur lui-même qui a caressé la pucelle, il fera lui-même son affaire sans le secours de personne.

Si l’on rêve que l’on dort avec une femme et que l’on est heureux près d’elle, signe de bonheur ; si l’on caresse la femme sans plaisir, impossibilité de réussir. Celui qui verra une femme jouir, couchée seule dans son lit, et qui, en ce moment, s’approchera d’elle pour la posséder, aura plus tard cette femme pour maîtresse.

Si l’on songe que l’on dort avec sa mère, sa sœur, sa tante ou quelque femme de ses parentes, ce rêve atroce portera malheur.

Si l’on voit son tota coupé, l’on sera un jour, ainsi que sa famille, retranché du monde. Les songes se rapportant au membre des hommes sont toujours mauvais ; nous en avons déjà parlé dans le chapitre précédent ; mais les rêves de zouque portent toujours bonheur.

Celui qui verra des pantalons pendant son sommeil, deviendra grand. Si le Sultan lui-même vous fait présent du Seroual, vous deviendrez officier de sa maison. Le pantalon sera de bon augure, parce qu’il cache les nudités de l’homme et de la femme.

Les amandes donnent l’espérance du succès, pourvu que le fruit soit doux ; si l’amande est amère c’est l’inverse.

Celui qui verra la coiffure d’une femme par derrière en distinguant la couleur du ruban, sera passionnément aimé d’une jeune fille, si la femme dont il a vu la tête est jeune ; et il aimera lui-même une vieille, si la femme du rêve est vieille.

Si une femme rêve qu’elle lit, si le livre est bon elle apprendra de bonnes nouvelles ; si, au contraire, le livre est mauvais, le chagrin viendra la trouver ; si le manuscrit qu’elle a dans la main est une copie du Coran, elle sera aimée de Dieu qui la placera plus tard dans son paradis. Tous les rêves qui se rapportent à ce saint livre sont envoyés de Dieu et, par conséquent, présagent le bien.

Si vous rêvez à une affaire heureusement entreprise, Allah est avec vous.

En général, ceux qui verront en songe de bonnes choses seront aidés de Dieu, et ceux-là qui en verront de mauvaises seront abandonnés de lui.

Si l’on voit des chevaux, des mulets ou des ânes, c’est un excellent signe. D’après le Coran Dieu a dit : Si tu es monté sur un cheval, un mulet ou un âne, Dieu est avec toi. Si l’âne quitte le galop pour marcher l’amble, ta bonne chance s’éloigne ; si l’âne marche tout à fait mal, la misère t’enveloppe ; et si l’âne tombe et que dans ta chute ton turban se détache de ta tête, tu es perdu.

Celui qui rêvera encore qu’il marche la tête et les pieds nus, perdra sa femme dans l’année.

Mais revenons au zouque.

El Keuss, la motte, est le plus joli nom du zouque ; le keuss doit être doux, poli et bombé du haut.

El Relmoun, la motte ; c’est le nom qu’on donne au zouque d’une demoiselle, lorsqu’elle est charmante et un peu grasse.

Oul Enss, la motte ; c’est encore le zouque d’une toute petite fille.

Oul Zorzor, l’oiseau ; c’est celui d’une demoiselle prête au mariage ; elle est mince, joyeuse et a la peau fraîchement colorée comme l’oiseau.

Oul Akeque, le mince ; celui d’une petite femme, toute mignonne.

Bou Tortoura, le plumet ; celui dont le tortouche ressemble à une crête de coq.

Bou Crichoum, le grand nez ; celui dont le tortouche est encore trop proéminent.

Oul Confouth, le hérisson ; pour les vieilles qui ont les poils blancs et rudes.

El Sacoutssi, le silencieux ; parce qu’il n’est pas bavard.

El Dekeque, le profond ; celui-ci se serre de toutes ses forces contre l’homme, pour n’en rien perdre.

Oul Ezoquil, le chaud ; celui-là est toujours trop pressé pour faire entrer le tota : il en userait des centaines.

El Fichefeche, le bruyant. Il y a peu de femmes auxquelles le nom de ce fordj puisse s’appliquer. L’on nomme ainsi les zouques qui sifflent et font grand bruit en pissant.

El Sebah, le lion ; le nom de celui-là indique assez ses goûts ; il est fou de chair humaine.

El Assen, le joli ; zouque extrêmement rare, dont l’espèce se perd de plus en plus.

El Nefar, le palpitant ; celui qui s’ouvre et se ferme en jouissant.

El Telab, le gourmand ; celui-là ne veut pas se séparer une seconde du bon tota, dont il est très friand.

El Megaar, le profond ; il faudrait, pour satisfaire celui-ci, être monté comme un cheval ou tout au moins comme un âne.

Bou Chelatzine, les lèvres ; celui-là, dont les lèvres pendent abondamment, appartient d’ordinaire à une femme maigre et sèche.

Bou Angra, la montagne ; celui qui est bombé, dont l’aspect est sauvage et dont le poil frisé comme la laine des moutons retombe sur les cuisses.

El Relbah, le remuant ; son action est brillante et l’homme parviendra sans efforts à complète satisfaction.

El Ezez, qui se balance ; comme le précédent, le zeb lui donne une impulsion qui amènera bien vite la jouissance, but désiré.

El Sodi, celui qui se retire ; celui-là donne à tort et à travers et toujours à contre-sens ; si le tota va à gauche, le sodi va à droite ; et si le zeb donne à droite, le sodi reviendra à gauche.

Oul Mahïn, qui aide l’homme ; celui-ci, à l’inverse de l’autre, suit exactement les mouvements du zeb ; il l’accompagne lorsqu’il monte et redescend, et le bonheur vient à tous deux ensemble.

Oul Meritz, qui appelle au secours ; il est doux comme une étoffe de soie, bombé comme une coupole de marabout, et désirerait deux totas plutôt qu’un.

Oul Mesboul, qui s’étend ; lorsque la femme se couche, il s’allonge, et se raccourcit lorsqu’elle s’accroupit.

Oul Moulaké, le goulu ; à l’approche de l’homme, il s’ouvre comme la gueule d’un lion furieux. Rien ne l’effraie et, dans ses moments de désir, un sabre prêt à l’éventrer ne lui ferait pas peur ; il est ardent et courageux comme le guerrier le plus intrépide, et de la rencontre de ce zouque et d’un bon zeb, l’éclair jaillit comme de deux lames d’acier qui se brisent en se heurtant.

El Moukebel, le tout prêt ; celui-là attend toujours, sans cesse altéré, et demande constamment à boire.

El Arap, qui se sauve ; il craint l’homme et fuit devant son zeb.

El Sabear, le mort ; il ne dit rien, attend l’homme sans émotion et le voit sans beaucoup de plaisir.

El Marouï, le mouillé ; celui qui se remplit d’eau en jouissant.

El Messefar, l’uni ; il a le poli de l’ivoire. Il est mince, doux, petit et sans poils.

Oul Mezouem, le puits ; il est toujours bouche béante, profond et tellement grand que les mieux établis, renoncent, après de vains efforts, à en trouver le fond.

El Atat, l’enragé ; il dévore le tota et le serre à lui faire perdre le souffle.

Bou Djebah, l’élevé ; il a une petite montagne au-dessus du tortouche.

El Arid, le grand ; les hommes sont fanatiques de sa majestueuse ampleur et de ses proportions charmantes ; ils le préfèrent à beaucoup d’autres.

Bou Belram, le gros. Oh ! celui-ci appartient à la femme aux proportions colossales, à celle qui est grosse à ne pouvoir remuer ; lorsqu’elle croise les jambes l’une sur l’autre, son zouque sortira par-dessus ses cuisses et dans cette position elle aura l’air de porter une cruche entre ses jambes ; celui qui se trouvera assis en face d’elle s’y trompera assurément. Lorsqu’elle marchera, son fordj sera aussi apparent que si elle n’avait pas de pantalons.

Fais-nous goûter, ô Allah, un échantillon de chacun de ces zouques afin que nous puissions nous instruire et dire, sans nous tromper, quel est le préférable. Mais nous renoncerons à ce dernier, car nous avouons, tout humilié, que nous ne pourrions lui donner la moindre satisfaction, puisqu’il lui faudrait un zeb long comme la tige d’un candélabre et large comme le turban d’un turc, ce que nous n’avons pas.

Histoire de Djady et de Fadeaty-el-djamel

Il y avait une fois un comédien dont les hommes et les femmes s’égayaient fort. Son nom était Djady.

Ses accointances avec les femmes, qui se le disputaient, étaient nombreuses, d’autant mieux que sa façon était si bonne, que celles qui l’avaient connu ne pouvaient plus en voir d’autres.

Il avait l’habitude déplorable, selon les maris, mais excellente selon lui, de niquer les dames de tous ceux qui l’appelaient pour les amuser. Personne n’était exempt de ses mauvais tours, ni vizir ni sultan. Malgré cela, ou plutôt à cause de cela, sa réputation croissait tous les jours.

Dans ce monde vicieux l’on fait grandir les mauvais, tandis que les bons pourrissent dans leur triste sphère.

Le proverbe dit ainsi :

Dans cette vie les gens de bien croupissent,
Mais les méchants grandissent toujours.
Celui dont la mère était cahabah,
Dont le fils est encore zamel,
Qui est caouëd depuis sa naissance,
Sera puissant parmi les hommes jusqu’à ce que Dieu fasse justice.

Djady était amoureux d’une femme grande et belle, dont la taille était superbe, malgré son embonpoint. Son zouque, semblable à celui dont nous avons parlé plus haut, était proéminent, et les plis de son séroual en laissaient deviner les formes. Le comédien était son voisin. Chaque jour une nouvelle conquête plongeait les maris du quartier dans une perplexité extrême ; mais lui, indifférent à toutes ces victoires faciles, ne songeait qu’à sa délicieuse voisine, qui lui rendait œillade pour œillade, mais qui rejetait bien loin les douces propositions. À chaque prière du comédien, elle répondait par les mêmes paroles auxquelles il cherchait en vain à donner un sens.

Voici ce qu’elle disait en chantant :

Entre les montagnes j’ai vu une tente admirablement située,
D’une partie du monde on la distingue ;
Mais hélas ! elle n’a pas de colonne pour la soutenir,
Elle reste à terre comme une outre vide,
Affaissée et sans forme,
Sur le sol poli comme l’acier luisant.

Djady demandait inutilement à tous ce que signifiaient ces vers : personne ne pouvait l’éclairer. Alors il partit pour Bagdad afin de consulter un de ses amis dont la ruse était grande.

Cet ami, qui s’appelait Benouoz, était bouffon d’Aroun-el-Raschid. Il lui raconta ce qui se passait dans son cœur, lui avoua son amour, ses chagrins, et lui dit mot à mot cette chanson qu’il savait si bien, l’ayant entendue tant de fois.

Le bouffon saisissant immédiatement le sens de l’énigme, lui dit :

— Djady, le cœur de cette femme t’appartient. D’après ces vers, je suppose qu’elle est d’un caractère voluptueux et sans mari. Mais malgré son désir de s’abandonner à toi, elle craint de se fourvoyer, pensant que ton zeb est de petite dimension, ce qui la satisferait peu, et rendrait sa défaite sans compensation. Je crois encore qu’elle est peu clairvoyante, car à ta tournure, j’imagine que tu dois avoir de quoi la satisfaire largement.

— Je le crois aussi, dit le comédien.

— Eh bien ! reprit Benouoz, écoute et comprends bien la signification de sa chanson. Les montagnes entre lesquelles se voit la tente sont ses cuisses, et cette tente, c’est son zouque, qui est, comme elle le dit, admirablement situé et dont on doit apercevoir le haut bombé quand elle marche. La colonne qui lui manque n’est autre que le tota d’un bon mari, et de même qu’une tente s’affaisse sans un bâton pour la soutenir, elle languit sans époux. Remarque aussi qu’à une superbe tente, il faut un énorme bâton ; sans cela le bois faiblissant, la tente tomberait à terre. Maintenant le sol poli sur lequel l’édifice repose, est sa peau blanche, fine et unie, qui entoure un fordj appétissant comme un plat de couscoussou.

— Ô la méchante femme, s’écria Djady, que ne l’ai-je comprise plus tôt.

— Quand un boulanger fait son pain, reprit l’ami, il emploie la force de ses bras, et si tu manges à une assiette avec une petite cuillère, la nourriture aura le temps de brûler, si elle est encore sur le feu, ou de refroidir, si tu l’as retirée, avant que ton repas soit terminé. Apprends donc à profiter de son amour momentané et presse-toi d’employer les grands moyens. Il faut toujours en user ainsi avec les dames qui résistent pour la forme, lorsqu’au fond elles ne demandent qu’à céder. Si donc tu ne te sers pas, pour faciliter la chute de cette femme, du secours de tes genoux et de ta poitrine, je te le dis, mon pauvre Djady, elle t’échappera et tu ne seras jamais son homme. Mais dis-moi comment s’appelle cette dame ?

— Fadeaty-el-djamel, belle des belles, répondit le comédien.

— Eh bien ! porte-lui cette chanson, reprit Benouoz ; quand tu la lui auras dite, tes affaires seront bien avancées : lorsqu’elles seront terminées viens me trouver pour me raconter ce qui se sera passé.

— Je te le promets, dit Djady.

Fadeaty-el-djamel, entends et écoute.
J’ai compris tes paroles,
Tu seras ma bien-aimée, quoiqu’il advienne ;
Tu es comme les fleurs du matin qui naissent à la rosée.
Mes yeux, mon âme, je veux chanter aussi,
Afin de répondre à ta douce chanson.
Ton amour remplit mon cœur,
Et ma tête perdue te rêve follement ;
Chacun en me voyant m’appelle insensé
Et l’on rit de ma triste folie.
Si tu m’as cru faible, tu t’es bien trompée,
Mon zeb est solide et fort.
Regarde et tu verras si je te trompe.
Bien d’autres l’ont connu et l’ont pleuré.
Lorsqu’il s’allonge, il est comme une colonne,
Je ne sais que devenir, tant il m’embarrasse.
Prends-le, ma bien-aimée, pour soutenir ta tente,
Que l’on aperçoit entre de délicieuses montagnes,

Il la tendra merveilleusement de tous côtés,
Et désormais elle ne s’affaissera plus ;
Prends-le pour soutenir son toit,
Afin que tu puisses accorder dans elle la douce hospitalité.
Viens essayer, je t’appartiens tout entier ;
Le bâton est long et ferme,
Il ne pliera jamais, je te le jure,
Et tu l’appuieras sur ce joli sol
Dont la blancheur fait noircir la neige ;
Prends, mon amour, et cède à mes désirs.

Le comédien, ayant appris ces vers, retourna bien vite près de sa dame.

À peine de retour, il se présenta chez elle et la trouva seule, mais son accueil lui parut glacé.

— Que me veux-tu, mauvais démon ? s’écria-t-elle.

— Livre-moi ce que tu m’as toujours caché, répondit-il.

— Que veux-tu dire ?

— Je m’expliquerai mieux quand ta porte sera close.

— Tu as l’air plein d’audace aujourd’hui. Ton voyage t’a-t-il donc rendu plus courageux ?

— Tu en jugeras par toi-même.

— Mais que te ferai-je, Satan, si tu n’accomplis pas tout ce que rêve ma pensée.

— Tu rendras mes yeux obscurs en me chassant pour toujours de ta présence.

Alors sa figure parut moins sévère et elle fit fermer la porte par son esclave.

Aussitôt il la supplie, comme autrefois, de lui accorder ses faveurs, mais elle lui répondit par l’éternelle chanson, qu’il entendit jusqu’à la fin sans l’interrompre. Puis, à son tour, lui disant les vers de Benouoz, il remarquait, à chaque strophe, les yeux de son amante qui brillaient d’un feu plus ardent ; sa poitrine émue soulevait le voile fin et transparent qui l’abritait ; ses lèvres se séchaient sous ses soupirs brûlants, et son corps tremblant chancelait sur ses pieds sans forces.

Il avança ses bras pour la soutenir.

— Viens, disait-il, quittons cette cour. Vois d’ici les coussins soyeux de ta chambre ; ils nous convient en souriant.

— Laisse-moi, Djinn, je suis épuisée et sans courage, je ne saurais sortir d’ici. Prends-moi, sans plus tarder, car la vie m’abandonne.

— Sortons de ce lieu, insistait Djady, il est peu convenable pour l’amour, quelques pas encore et les deux tapis seront témoins de nos serments et de nos cris d’ivresse.

Mais elle, s’affaissant sur les dalles de marbre, disait :

— Pourquoi, ô mon dieu, me jettes-tu aux mains de ce mauvais, moi dont la vertu est restée ferme devant les plus grands. C’était écrit, Dieu est fort !

Alors, rompant les cordons de soie qui serraient sa taille, son séroual tomba en découvrant ses formes suaves et moelleuses aux regards éblouis du comédien, dont le cœur bondit à rompre sa poitrine.

Le zouque de Fadeaty-el-djamel s’ouvrait et se fermait comme celui d’une jument qui veut l’étalon. Djady, sans voix, se pencha sur elle, qui l’étreignit de ses deux bras.

— Sur la tête de ton père, murmura-t-elle, prends-moi !

Mais à peine eut-elle senti le tota du comédien entre les lèvres de son fordj, que la jouissance, comme un torrent impétueux, envahit tout son être ; le sang s’arrêta dans ses veines, elle tordait ses membres, des cris étouffés sortaient de sa gorge, ses os craquaient, ses ongles blancs se rougissaient dans les chairs de son amant, et ses yeux, perdus dans l’espace, n’avaient plus de regards. Et pourtant le zeb n’avait pas encore possédé ce joli zouque, poli comme de l’ivoire, bombé comme une colline, et que le dégoût ne saurait atteindre.

Cependant Djady entrait dans elle avec précaution, il craignait que la grosseur de son tota ne fît pousser un cri de douleur à la bouche pourprée de sa maîtresse. Mais elle, le serrant plus fort, disait à demi-voix :

— Ô mon amour, joie de mon âme, donne-moi le feu de ton cœur ; prends mon corps que je t’abandonne, et serre-le contre le tien, qu’ils se confondent ; et puis tourne sur moi, comme cela, partout, en haut, en bas ; ensuite de chaque côté, puis trois fois au milieu ; et quand le bonheur viendra, que ton zeb embrasse bien Aoualda.

Alors déchirant ses vêtements, pour mieux sentir Djady, elle poussa un long soupir et tous deux s’affaissèrent, expirants.

Un instant après, le comédien se retira d’elle, et la belle des belles, prenant de l’eau transparente et parfumée, le lava doucement. Le désir vint bientôt les envelopper, et de nouveaux transports en furent les suites. Ils s’embrassaient amoureusement et retardaient, autant qu’ils le pouvaient, le bonheur suprême. Une heure se passa ainsi, puis une douce ivresse les renversa de nouveau sur le sol. Cependant, le comédien revint à lui le premier ; il enveloppa sa maîtresse de ses bras, la pressant sur son sein, et vint la déposer sur un moelleux divan.

La belle des belles lui mit alors dans la bouche un morceau de bois de quebebas, pour empêcher son membre de faiblir.

— Couche-toi, lui dit-elle, je veux à mon tour me placer sur toi.

Alors elle mit elle-même le zeb de Djady dans son zouque ; elle en tenait la base avec sa main pour le diriger plus facilement contre les parois les plus sensibles à la jouissance. Une douce extase la transporta de nouveau ; elle poussa des cris saccadés, d’abondantes larmes coulèrent de ses yeux noyés de langueur, et, de temps en temps, s’appuyant fortement sur son amant, elle faisait entrer dans son corps tout ce qu’il possédait. Puis se soulevant, elle considérait avec attendrissement ce qui la rendait si heureuse, et ensuite remuait comme avant. Elle continua ainsi jusqu’au moment où les forces lui manquèrent.

Mais la satiété n’était pas encore venue, ils se couchèrent l’un à côté de l’autre ; puis le comédien remonta sur elle. Et cela dura jusqu’au soir.

Djady voulut alors se retirer, mais elle ne consentit pas à le laisser partir, et le malheureux disait en soupirant : hélas ! elle mange mon corps ; demain serai-je vivant ? Dieu le sait.

La maison de la belle retentit toute la nuit de leurs amoureux ébats, car ils ne songèrent point à dormir.

Et le lendemain le comédien avait compté vingt-sept niquages, en faisant durer au moins une heure chaque attaque avant l’éruption spermatique. Aussi disait-il, effrayé de leur bouillante ardeur : La mort seule me délivrera de cette femme.

Djady partit quelque temps après pour Bagdad afin de rejoindre son ami, auquel il raconta tout ce qui s’était passé.

Benouoz frémit au récit d’une si redoutable vigueur.

— Cela ne peut pas durer dit-il, et je crois bien que cette femme, dont tu parais très épris, te rendra en gros ce que tu as fait souffrir aux autres en détail.

— Elle veut que je l’épouse, dit le comédien. Ne vaudrait-il pas mieux pour moi ne la conserver que comme maîtresse.

— Je te conseille, reprit le bouffon, de ne la garder ni comme femme ni comme maîtresse, mais de la laisser bien vite ; car une pareille goule sucera ton sang, dévorera tes forces, et te fera cocu, ce qui fait toujours plaisir au monde. Alors on rira de toi et ce sera bien fait ; un homme qui épouse une femme sensuelle est un nigaud : il se condamne lui-même le jour de ses noces, car si son tota mollit, elle prendra le zeb d’un nègre plutôt que de laisser son zouque sans bouchon.

Et il chanta :

Les femmes sont des démons femelles,
Les gens d’esprit n’y ont guère confiance ;
L’amour-propre guide leurs pensées.
Elles rendent fous ceux qui les aiment
Par leur rouerie et leur malice.
Ceux qui ne sont point de cet avis sont amoureux,
Ils verront dans la suite, qui, de moi ou des femmes, les aura trompés,
Alors ils me rendront justice, mais trop tard.

Si tu parviens à satisfaire tous les désirs d’une femme,
Je consens à te suivre en esclave.
La femme dit toujours : Vois mon cœur, il est pur,
Mon œil est innocent, ma parole est loyale ;

Et puis, en même temps : Donne-moi cela,
Achète-moi ceci ; cède à mes désirs.
Si tu refuses, elle te trompe,
Rit de toi et promène partout ta honte ;
Si la rage d’amour la prend, les chaînes de fer sont comme le fil ;
Elle ne vit plus par le cœur, mais pour son zouque,
Elle prendra un nègre, enfin le premier venu.
Crains les femmes, elles ont toujours le fordj ouvert,
Alors il leur faut un zeb pour le boucher.

Que Dieu nous garde de la malice des femmes !



CHAPITRE X

DES DIFFÉRENTS NOMS DES ENGINS
DES BÊTES


Entendez et écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu bénisse !

Il y a des animaux dont le membre reproducteur est à peu près conformé comme celui de l’homme ; ce sont ceux qui ont des sabots aux pieds, comme les chevaux, les mulets et les ânes.

Ceux-là ont des zebs vraiment remarquables comme dimension.

Les bêtes qui ont les pieds à corne fendue sont organisés différemment ; ce sont les chameaux, les bœufs, les moutons et beaucoup d’autres.

Ceux qui ont des ongles aux pattes sont encore montés d’une autre façon : par exemple, le lion, le lézard, le chien, etc.

Nous devons mettre en première ligne les animaux à sabots ; ceux-là sont les mieux fournis de tous.

On appelle leurs systèmes : Relmol, l’énorme ; Oulcoss, Oul Belho, Zelote, le bâton ; Ermac, Nefort, qui se gonfle ; Bou Demah, grosse tête ; Bou Coda, El Cantara, le pont ; Oul Zerem, Bou chemelah, corde de tête. Voilà pour les animaux qui ont des fers aux pieds.

Maintenant la seconde catégorie :

Les chameaux : Molem, mesure de longueur ; El Touil, le long ; Oul Cheretta, El Mustakin, le bien fait ; Oul Hercol, Oul Mekra, le mou ; Oul Michfach, Skidlifaca, le paresseux.

Pour les bœufs : El Ossof, le nerf ; Mesbach, El Soth, la canne ; Kequeross, tête pointue ; El Touil, le long.

Pour les moutons : El Isop, le dur.

Troisième catégorie :

Le lion : El keteab, la canne ; Kebouss, le pistolet ; Moutza-Maroth, le câlin.

Le lion possède la sagesse et la prudence de l’homme, il a de l’esprit et caresse sa lionne de différentes manières.

Il devine les mésalliances et sent fort bien si sa femelle a frayé avec un cochon.

S’il s’aperçoit d’une infidélité, il devient furieux, déchire tout ce qu’il rencontre ; puis il retourne près de sa lionne qui tremble à sa vue. Elle se tient debout, baisse la tête et attend le châtiment avec soumission. Alors le seigneur à la grosse tête pousse un cri qui fait trembler la montagne et fendre les rochers et brise d’un coup de patte les reins de la coupable.

Rien n’est plus jaloux que le lion ; sa clairvoyance est grande et son orgueil immense.

L’homme qui le rencontrera sur sa route, et qui, sans avoir l’air de le craindre, lui parlera poliment, sera bientôt délivré de sa présence : l’animal, devenu doux, suivra lentement son chemin.

Celui qui lui montrera son zeb, verra le lion lui tourner le dos avec mépris.

Et le voyageur attaqué qui prononcera le nom de Daniel, fera tomber la fureur de son ennemi ; celui-ci, passant subitement de la colère au calme, disparaîtra subitement derrière le plus proche buisson.

Le prophète Daniel a fait alliance avec le lion.

Tous ceux qui l’invoqueront en face de cette terrible bête, n’auront rien à redouter d’elle.



CHAPITRE XI

DE LA MALICE DES FEMMES


Écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu protège !

Dieu a donné comme apanage aux femmes la malice ; elles en sont cousues à faire envie au diable. Leurs ruses sont infinies et Satan, qui les redoute, se sent pauvre auprès d’elles et en rougit de honte.

Voici une histoire :

Histoire du mari mystifié

Un homme était amoureux d’une femme jeune, jolie, bien faite, enfin charmante de tous points.

Il la supplia bien des fois de le recevoir chez elle, mais inutilement. Il se ruina en présents, qu’elle accepta, sans être plus avancé.

Lorsqu’il n’eut plus que ses larmes, il les laissa couler abondamment ; mais cette monnaie n’ayant jamais eu cours auprès des dames, il fut repoussé impitoyablement. Il demeura longtemps inconsolable, puis, un beau jour, il raconta ses soucis à une vieille femme fort expérimentée en pareille manière, qui lui promit ses bons offices à la condition qu’il se calmerait, puisqu’elle lui promettait les joies du paradis.

— Je vais, de ce pas, chez celle que tu aimes, lui dit-elle.

Et comme elle s’informait quelques instants après du moyen de parvenir près de la cruelle, les voisins lui répondirent que la chose était impossible, parce qu’une chienne terrible, placée vers la porte par le mari jaloux, se précipitait à la face de ceux qui faisaient mine d’entrer dans la maison.

Je suis servie à souhait, pensa la vieille toute contente, et Dieu veut que ma promesse soit accomplie.

Elle retourna bien vite chez elle, prépara un plat de pâtes mêlées de viandes et se dirigea de nouveau vers l’habitation de la jeune femme. Elle poussa la porte et comme l’animal s’avançait vers elle, l’œil rouge de sang, elle lui tendit le vase de nourriture. La chienne, radoucie, vint caresser la vieille en balançant sa queue, puis elle se mit à manger. L’Adjousa embrassait la bête, passait ses mains sur son dos et disait :

— Ô ma pauvre sœur, je t’ai donc enfin retrouvée, il y a si longtemps que je te cherche que mes cheveux ont eu le temps de blanchir.

Et la maîtresse de la maison, ne comprenant rien à ce qui se passait, regardait avec étonnement :

— Ma mère, dit-elle, connais-tu donc cet animal ?

Mais l’autre, faisant semblant de pleurer, ne disait mot et continuait à flatter la bête.

— Mais réponds-moi donc.

— Ma fille, dit enfin la vieille, cette chienne, il y a longtemps de cela, était mon amie, car alors elle était femme. Un jour, on vint nous prier toutes deux d’assister à la fête d’une de nos parentes ; nous eûmes bientôt revêtu nos plus brillants habits pour faire honneur à celle qui nous conviait. Ma sœur, ainsi parée, était jolie à ravir ; sa beauté étincelante et son regard limpide avaient la grâce de ton délicieux visage, et lorsque je te regarde, il me semble encore la voir. Mon amie rencontra, ce soir-là, un beau jeune homme qui devint éperdûment amoureux d’elle ; il fit tous les sacrifices possibles pour vaincre sa vertu ; sa fortune entière s’épuisa en folles dépenses, mais ma sœur était sage et rien ne put la séduire. Son amant, fou de désespoir, la menaça d’une vengeance terrible.

— Fais, dit-elle, je ne crains ni toi ni tes menaces.

Mais lui, poussé à bout par ses dédains insultants, obtint de Dieu, à force de prières, qu’elle fût changée en chienne.

À peine eut-elle terminé ces mots que de longs sanglots étouffèrent sa voix.

— Ô Allah ! s’écria la jeune femme, s’il m’en arrivait autant.

— Comment cela ? dit la vieille, qui ne perdait rien de ce qui se passait.

— Hélas ! reprit l’autre, un beau seigneur m’aimait follement, pour moi, il a dépensé ses biens, il ne lui reste plus que la salive de sa bouche et je crains qu’il ne se venge de la même façon.

— Prends garde, dit la rouée, Dieu ne pardonne pas aux femmes qui font tant souffrir. Crois-en mon ancienne expérience et cède aux désirs de ton amoureux pour qu’il ne t’arrive aucun mal.

— Mais où le prendre ? Je ne sais où il habite, comment faire pour le trouver ?

— Pour Dieu, je t’aiderai et je jure de le découvrir.

— Ô ma mère, fais cela, je t’en prie, et demain j’irai le rejoindre chez toi.

La vieille sortit, puis alla vite rejoindre son protégé qui promit d’être exact au rendez-vous.

Le lendemain, la jeune dame fut la première arrivée ; elle attendit une heure, deux heures… mais l’amant, retenu sans doute par une affaire grave, ne venait point, et les deux femmes, mécontentes, ne savaient que penser de cet impertinent retard.

— Comment se fait-il qu’il ne vienne pas ? disait la jeune impatiente.

— Je l’ignore, répondait l’autre, je vais même voir si je puis le trouver ; si mes recherches sont vaines, je te présenterai un beau garçon pour conjurer le mauvais sort aujourd’hui, quitte à t’amener demain celui que nous cherchons.

— Va ! s’écria la femme, irritée des dédains de son ancien amant.

La vieille, à peine sortie, rencontra tout près de chez elle un homme grand, bien fait, distingué et richement vêtu. Voilà qui fera bien l’affaire de la femme qui attend chez moi, pensa-t-elle. Aussitôt elle l’accosta :

— Mon Seigneur, je ne suis point surprise de l’amour que tu inspires : ta charmante tournure en a fait rêver plus d’une. Mais béni soit Dieu qui m’a permis de te rejoindre après de nombreuses démarches. Viens chez moi et, tu verras là, une ravissante fille à laquelle tu as fait perdre l’esprit.

— S’il en est ainsi, répondit le beau musulman, marche, je te suis. Prends cette pièce d’or pour ta peine, et, si ma conquête est aussi belle que tu le dis, j’arrondirai ta bourse.

Un instant après, la vieille disait :

— Ma dame, je n’ai pu trouver notre fugitif, mais celui que j’ai entraîné vaut mille fois l’autre.

Et la curieuse, regardant par un trou de la porte, reconnut son mari.

Alors, furieuse, elle s’élança brusquement à sa rencontre et le frappant rudement à la poitrine :

— Misérable, dit-elle, est-ce ainsi que vous me trompez ! Que venez-vous faire ici ? Vous êtes à la poursuite des femmes, tandis que vous me croyez seule à la maison. Voilà longtemps que je doutais de votre cœur. Vous êtes enfin tombé dans mon piège. Où sont les serments de fidélité avec lesquels vous m’assourdissez tous les jours les oreilles. Qu’avez-vous fait de cette sagesse dont vous parliez si haut ? Méchant, votre trahison est découverte ; vous avez suivi la caouada que j’envoie chaque jour à votre rencontre. Allez, votre échafaudage d’hypocrisie est détruit, aujourd’hui même le cadi nous séparera.

Que de cadeaux et de promesses dut faire ce pauvre mari, qui se croyait seul coupable, pour rétablir la paix dans son ménage. Je vous le laisse à penser.

Regardez ce dont sont capables les femmes !

Histoire du Marabout et de la femme ardente

Une femme aimait un marabout qui avait une grande réputation de vertu. Bien des fois elle le fit prier de venir la voir en voisin ; mais il résistait à toutes les séductions, car il craignait Dieu plus que la malice des femmes.

Elle se mettait souvent sur le seuil de sa porte, lui faisant de tendres signes à son passage. Tout était inutile.

Il faudra bien qu’il arrive, pensa la méchante.

Un jour, elle appela sa négresse et lui dit :

— Il faut que j’aie cet homme et, pour cela, tu m’aideras.

— Je ferai selon ta volonté, dit l’esclave.

— Eh ! bien, écoute. Prends une lourde pierre et frappe à la porte de dehors comme si tu voulais l’enfoncer ; un instant après, heurte la seconde porte qui est en dedans, en laissant celle de la rue ouverte. Mais agis de façon que personne ne puisse découvrir notre stratagème ; dès que tu apercevras une figure à l’extérieur, rentre bien vite dans la maison pour que nul ne te reconnaisse.

La négresse ayant commencé le vacarme, le marabout l’entendit ; et comme il était homme de bien, bon musulman et empressé à rendre service, il demanda à sa femme ce que cela pouvait être.

— Les voleurs sont probablement chez notre voisine, répondit-elle.

Sans entendre davantage, il sortit, traversa la rue et franchit la porte laissée ouverte par la négresse. Mais à peine se trouva-t-il dans la maison que l’entrée fut refermée précipitamment derrière lui, et qu’il se vit prisonnier de sa maîtresse qui criait toujours plus fort.

— Mais qu’avez-vous donc ? lui dit-il, et pourquoi tant de bruit ?

— Enfin, te voilà donc ici, dit la femme amoureuse. Je jure que si tu ne fais pas ce que je désire, je dirai à tous que tu es l’auteur de ce tapage ; je raconterai que, depuis longtemps, tu m’obsèdes de tes poursuites et, qu’irrité de mes refus, tu es venu ici comme un insensé pour me faire céder à la force.

— Grand Dieu ! s’écria le marabout, toi dont la puissance est immense, inspire-moi le moyen de sortir des mains de cette tigresse !

Alors il se dirigea vers la porte, qu’il chercha à ouvrir ; mais les deux femmes, recommençant à hurler de plus belle, faisaient accourir autour de la maison tout le voisinage ameuté.

— Je suis vaincu, dit le sage, sauve ma réputation et je t’appartiendrai.

Aussitôt elle l’enferma à clef dans sa chambre, et retournant auprès de la foule qui se pressait autour de l’habitation :

— Merci, mes bons amis, dit-elle, le nigaud s’est laissé prendre comme le rat par la chatte ; je n’ai plus besoin de vos bons secours.

Et la rue redevint bientôt déserte.

La mauvaise rejoignit son marabout, qu’elle garda pendant sept jours, ne renvoyant à sa femme qu’un vilain outil bien usé et impropre au plus petit service.

Voyez, mes frères, et jugez de la malice des femmes.

Histoire du mari trompé par son âne

Une dame avait épousé un porteur qui, pour la commodité de ses corvées, avait acheté un âne superbe.

Cette femme, dont le caractère était acariâtre et boudeur, avait pris son mari en haine parce qu’il avait un zeb tout petit, qu’il jouissait trop vite et niquait rarement.

Il était maigre et faible, tandis qu’elle était grasse et plantureuse ; son zouque magnifique et bien fendu aurait trouvé difficilement, parmi les hommes, un tota à sa mesure.

Chaque soir elle portait l’orge à l’étable ; mais une fois occupée de l’âne, elle oubliait son époux, qui lui dit un jour :

— Pourquoi es-tu si lente à revenir ? J’attends depuis longtemps que tu me serves le repas du soir.

— Votre âne est fatigué des fardeaux énormes dont vous l’accablez, disait-elle ; je l’encourage et le presse de manger afin qu’il ne faiblisse pas sous la charge du lendemain et je ne le quitte que lorsqu’il a broyé son dernier grain.

Elle a quelquefois du bon, pensait l’imbécile, qui allait se coucher et s’endormait sans penser à mal.

Et il continua à la laisser exclusivement chargé du soin de son favori.

Cette femme était mauvaise et sans honte, son dévergondage n’avait pas de limite. Pendant que l’animal mangeait, elle plaçait sur son dos le bât, qu’elle fixait en nouant les sangles sous son ventre ; puis elle s’imprégnait le fordj de fiente d’écurie et, ainsi barbouillée, elle mettait ses mains par terre, élevait son derrière à la hauteur du nez du bourriquet, qui, à l’odeur abominable qu’elle exhalait, la prenait pour une ânesse et, en moins de rien, l’avait enfourchée.

Elle prenait alors par-dessous le membre de l’âne, le tortillait pour le faire arriver à un état satisfaisant, puis, écartant davantage ses jambes, elle s’en frottait le tortouche et l’entrée du zouque. Quelquefois, elle l’introduisait dans l’intérieur, mesurant avec sa main la longueur qui devait pénétrer, en augmentant ou diminuant les proportions, suivant l’ardeur de ses désirs.

Un soir, le mari, se réveillant, aiguillonné par certaines idées lubriques, chercha sa compagne qu’il croyait près de lui ; il étendit les bras jusqu’au bord du lit sans rien trouver. Il se leva furieux, descendit à l’étable et resta ébahi de voir son âne qui allait et venait sans bouger de place.

— Hé ! ma femme ? cria-t-il.

— Méchant, répondit une voix qui semblait sortir de dessous terre, pourquoi Dieu t’a-t-il créé sans pitié ?

— Moi ? sans pitié, fit le cocu, pour quelle raison ?

— Parce que tu ne laisses prendre aucun repos à la pauvre bête. Lorsque je lui ai apporté ce soir sa nourriture ordinaire, elle n’a pu manger ; j’ai caressé son dos qu’elle a ployé sous ma main, et, toute désolée, j’ai voulu la soutenir un instant et me suis mise sous elle. Et il était temps, car tu as vu toi-même comme ses jambes étaient tremblantes. Après cela, si tu veux que ton âne crève, ajouta-t-elle en se dégageant de ses pattes, c’est comme tu voudras, tu porteras la charge.

Le mari remercia sa femme et la pria de donner à l’avenir double ration à l’animal pour qu’il pût faire un meilleur service : ce dont ils ne se plaignirent ni les uns ni les autres.

Voyez et frémissez à la pensée des femmes malignes.

Histoire de la femme qui prit la place de son amie

Deux voisines habitaient la même maison. L’une avait un beau zouque dodu et bien nourri ; l’autre possédait un fordj mince, maigre et de triste apparence.

La première était grande et forte, la seconde petite et courtaude. Cette dernière était chagrine, d’humeur triste et sa paupière rougie soutenait sans cesse une larme prête à tomber. Sa compagne, au contraire, était joyeuse du matin au soir et le sourire restait fidèle à ses lèvres de corail.

— Je suis heureuse, disait-elle à son amie, mon lit est doux, je prends ce que mon mari me cède et je me donne à mon époux qui me caresse. Ses baisers sont de feu ; et il garnit si bien ma chambrette que l’espace compris entre les quatre murs, le plancher et le plafond, est complètement occupé ; et tous deux, de plaisir, arrosons ce petit réduit de nos doux pleurs.

— Mon chagrin est grand, disait l’autre, ma couche est dure et misérable comme mes amours ; nos baisers ont la grâce de ceux qui travaillent pour rien ; et nos cœurs, peu sympathiques, ne se comprennent guère ; mon mari a beau meubler ma chambre, il n’y paraît point, et nos larmes d’ivresse sont taries.

Elles parlèrent longtemps ainsi de leurs joies et de leurs peines ; si bien que la seconde femme, toute jalouse, voulut savoir si le zeb du mari de sa voisine la guérirait de ses soucis. Pour cela, elle tâcha d’éloigner son époux, lui conseillant d’aller faire une visite à sa famille dont les tentes étaient à une journée de marche.

— Va, disait-elle, ne négligeons pas ceux qui nous aiment.

Lorsqu’elle se trouva seule, elle se parfuma d’essences et attendit la nuit avec impatience.

Quand le jour fut tombé et qu’elle pensa que le temps du sommeil était venu pour ses voisins, elle s’introduisit furtivement dans leur chambre, s’approcha du lit, sentit bien doucement la position des deux corps et franchit le premier pour se placer entre eux. Ceux-ci, dans ce moment trop serrés, crurent que l’un tombait sur l’autre ; pour être plus à l’aise, ils se retirèrent chacun de son côté vers le bord du lit.

Bientôt après la voisine entendit la respiration égale et tranquille de son amie qui s’était rendormie ; alors, se rapprochant plus près de celui dont elle convoitait les faveurs, elle laissa une place vide entre elle et la dormeuse. De son côté, l’époux, excité par l’odeur des parfums qui lui montaient au cerveau, ne tarda pas à éprouver l’aiguillon des désirs ardents, et passant ses bras autour du corps de la femme qui était auprès de lui, se rapprocha tout près d’elle, qui disait :

— Mon bien aimé, laisse-moi,

— Tais-toi, répondait le mari, tu vas réveiller les enfants ; tu sais qu’ils ont le sommeil léger ; viens donc contre moi et prends mon tota comme d’habitude.

Elle resta émerveillée des proportions gigantesques de ce membre à nul autre pareil ; et son zouque s’étant grand ouvert, elle l’introduisit avec volupté à l’intérieur.

Le mari, amoureux comme un lion, ne reconnaissait plus la manière d’opérer de sa femme ; mais l’autre se donnait grand mal, et son fordj serrait le zeb de son amant avec tant de violence que celui-ci ne pensa qu’au plaisir, sans regarder plus loin.

La trompeuse, qui n’avait jamais eu tant de bonheur, fut heureuse trois fois de suite et le mari de son amie, abîmé d’un excès de volupté, ne tarda pas à fermer les yeux.

Alors elle se leva avec précaution et, toute satisfaite, regagna sa couche.

Quand le soleil revint, l’époux se réveillant, dit à sa femme :

— Mohima, qu’avais-tu donc hier au soir ? Je ne t’ai jamais vue aussi caressante, et puis tu avais couvert ton corps de toutes les essences du ciel.

— Tu es fou, répondit la femme ; tu as rêvé filles et parfums, et tu veux me faire les honneurs de ton songe. Merci, j’aime mieux la réalité.

L’époux resta tout ébahi.

Voyez, mes frères, de quelles tromperies les femmes sont capables.

Leurs détours sont innombrables, leur adresse infinie. Elles feraient monter un éléphant sur le dos d’une fourmi, et laboureraient avec des insectes imperceptibles de quoi semer la plus abondante récolte.

Dieu a créé les femmes rusées et leurs pensées méchantes.



CHAPITRE XII

DE L’HOMME ET DE LA FEMME


Écoutez, Vizir, bien aimé de Dieu !

Celui qui voudra compléter sa science, fera bien de lire ce livre : le savoir vaut mieux que l’ignorance.

Histoire

Une femme spirituelle et instruite, qui s’appelait Mouirbada, jouissait, auprès des savants, d’une grande réputation ; son érudition portait sur toutes choses et ses conseils étaient droits et sensés. C’était à qui la consulterait, tant la confiance qu’elle inspirait était grande.

Un jour, un thaleb lui dit :

— Ma dame, peut-on savoir ce que les femmes ont dans la tête, ou plutôt dites-nous où elles logent leur esprit.

— Entre les cuisses, répondit-elle.

— Et le bonheur, où le placent-elles ?

— Au même endroit.

— Et qu’entendez-vous par les passions ardentes et les rêves ambitieux des hommes.

— C’est une question de fordj. Les femmes considèrent le zouque comme leur trésor le plus précieux ; et la preuve c’est qu’elles le livrent à ceux qu’elles aiment, tandis qu’elles abandonneront plutôt leurs richesses que de céder aux désirs d’un homme qui ne leur inspire aucune sympathie. Un rien, venant de leur amant préféré, leur paraîtra merveilleux ; si la fortune les abandonne, une simple caresse leur suffira ; mais elles fuiront l’or, les perles et les bijoux de celui qui leur est indifférent.

— Et comment comprenez-vous l’amour ? lui demanda-t-on encore.

— L’histoire tout entière de l’amour est contenue dans ces trois mots : l’œil, le cœur et le zouque. L’amour commence par la vue, se fixe ensuite au cœur, qui est le sanctuaire de ce doux sentiment, et dans le zouque réside la jouissance physique, qui est, pour ainsi dire, le complément du bonheur moral. Quand les yeux aperçoivent un homme beau de corps et d’intelligence, ils se sentent éblouis et communiquent au cœur la passion qui l’enchaîne à son tour ; l’amour prend naissance dans les yeux, mais c’est au cœur qu’il reste fixé : c’est là qu’il habite tout entier. Mais ce cœur a des désirs immenses qu’il ne peut assouvir seul ; il a besoin d’un aide qui les matérialise en partie, car dans son sein est uniquement renfermée l’essence de l’amour, la portion idéale : il appelle à lui le fordj, qui le seconde à merveille et termine la série des sensations amoureuses.

Et comme on lui demandait, à cette femme pleine de science, de compléter ses renseignements, elle ajouta :

— L’amour dégénère souvent en passion essentiellement physique. Il y a des femmes folles de leur corps, d’autres dont l’insensibilité est absolue. Chacune a une façon différente de sentir, cela dépend souvent de leur constitution ; leurs zouques n’étant pas conformés de même, le tota qu’elles envient doit être de plusieurs façons. Celles qui ont l’aoualda rapproché des lèvres, voudront un zeb court mais gros ; celles qui auront, au contraire, l’aoualda profondément placé dans le fordj, rechercheront un membre grand, gros et long. Elles rejetteront avec mépris un tota petit et mince. Il y en a qui repousseront l’approche de l’homme ; ce sont les femmes maladives. Celles qui ont l’habitude noire, c’est-à-dire qui ne sentent rien, repousseront aussi les caresses. Celles qui ont l’habitude de sang ou les fureurs de l’amour, seront, au contraire, insatiables, ainsi que celles qui jouissent en toussant. Ces dernières sont ordinairement faibles de poitrine ; si elles pouvaient trouver un zeb de fer, elles l’useraient tant elles sont ardentes ; les hommes qui épouseront de pareilles femmes seront bien vite sur les dents, et ils pourront s’estimer bien heureux s’ils ne sont pas cornards. Il y a encore celles qui sont capricieuses ; celles-là aiment les membres de toutes les dimensions, selon le désir du moment. Les femmes grandes aiment ordinairement les petits hommes, et les petites envieront ceux de belle taille. Les femmes peu estimées et dont il faudra se garer, sont celles dont le caractère est avare, qui se disent pauvres lorsqu’elles sont riches, qui parlent de leur bienfaisance. Ce sont celles encore dont la voix est forte ; celles dont la jalousie est fatigante ; celles qui crient plus fort que l’homme qui les réprimande ; celles dont la langue ne peut rester en paix dans la bouche ; celles qui détachent leurs voiles devant des étrangers ou que l’on rencontre sans cesse dans la rue ; celles qui crient constamment et se tiennent de préférence sur le seuil de leurs portes ; celles-là sont de vraies cahabah de la pire espèce. Les mauvaises créatures sont encore indiscrètes, toujours mécontentes, faisant de grands gestes en parlant ; mettant à vide la bourse de leurs maris sans autorisation, toujours colères, reniant leurs bienfaiteurs et aimant mieux courir que d’habiter chez elles ; contredisant tout, discutant à propos de rien et faisant à tous de la peine avec satisfaction. Il y a encore les femmes fausses qui regardent en dessous et cherchent à faire le mal en cachette ; elles sont ordinairement menteuses, rusées et trahissent leurs serments. D’autres auront l’impudence de demander les premières à faire l’amour ; elles crieront sans honte et de toutes leurs forces dans les bras de leurs amants.

Que Dieu vous préserve de pareilles rencontres !



CHAPITRE XIII

DE LA JOUISSANCE


Écoutez, Seigneur Vizir, qui êtes aimé de Dieu !

Six choses poussent l’homme à l’amour : 1o La chaleur du sang ; 2o l’abondance du sperme ; 3o la vue d’une jolie femme ; 4o une nourriture substantielle ; 5o de gentilles caresses ; 6o une parfaite santé.

L’homme dont le cœur est sans chagrins, dont l’âme est reposée, qu’une satisfaction complète environne, qui se nourrit confortablement et qui change souvent de femme, alternant les couleurs, les caractères et les positions sociales ; celui-là sera toujours en l’air.

Ceux qui auront besoin d’avoir recours à certains moyens pour montrer quelque vigueur, pourront employer avec avantage la graine de Dro pilée dans un peu d’huile et mélangée ensuite avec du miel. Ils mangeront ce médicament le matin, à jeun, pour bien s’en trouver le soir.

Le fiel de chacal pourra rendre aussi de bons offices ; si l’on en met une petite quantité soit au fordj, soit au tota ; c’est un violent aphrodisiaque.

Djam Amous, le médecin savant disait autrefois, bien avant Sidna Aïssa (Jésus-Christ) que les hommes impuissants retrouvent leur ancienne force en prenant, le matin, un verre de miel et en mangeant par-dessus vingt amandes et trois cents graines de l’herbe de dro ; et cela trois jours de suite.

Il conseillait encore les graines d’oignons pilées avec le miel, ou bien la graisse fondue de la poitrine du chameau, avec laquelle on fait des frictions sur le membre mort ; quelque proportion qu’il acquière après le traitement, il entrera dans la femme la plus étroite sans lui causer la moindre douleur.

Il conseille aussi de prendre dans sa bouche du bois de quebebah, puis d’en piler une parcelle pour en saupoudrer la tête du zeb ; l’on peut également frotter celui-ci avec l’huile de la fleur de Balassen.

Un moyen excellent est encore de se passer sur les cuisses et les parties une mixture de digantast, de gingembre et d’huile ; les graines de moutarde produiront aussi un bel effet. Une nourriture bien épicée et saturée de piment et de gingembre est merveilleuse ; mais si l’on ajoute une légère friction de gingembre à son tota, celui-ci prendra la fermeté de l’acier, ne s’usera jamais et rendra la femme folle d’ardeur.

Les bains de lait d’ânesse donnent beaucoup de force ; mais un aliment parfait, dont l’usage agréable au goût ne peut amener aucune conséquence fâcheuse, est le mélange de krémissahs, d’oignons bien cuits et de gingembre.

Ceux qui emploieront ces différents procédés, pourront vieillir et rajeunir à la fois.



CHAPITRE XIV

CONSEILS AUX FEMMES STÉRILES
POUR AVOIR DES ENFANTS


Écoutez, Vizir vénéré.

Les médecins les plus lettrés, après avoir inutilement cherché dans leurs têtes le moyen de rendre fécondes les femmes stériles, se sont mis à fouiller la terre et à sonder la mer, afin de découvrir quelques remèdes pour atteindre leur but.

Les causes de la stérilité de la femme sont nombreuses. Peut-être leur Aoualda est-il trop fermé, ou bien a-t-il un dérangement intérieur qui empêche l’écoulement du dem ; ce qui amène chez elle une inflammation grave qui s’oppose à la conception ; leur ventre est sensible et l’approche de l’homme est pour elles une souffrance inutile puisque la semence ne peut engendrer !

Peut-être leur sang est-il appauvri ?

Peut-être encore une sorcière malfaisante leur a-t-elle fait boire un philtre enchanté, ou bien un démon s’oppose-t-il au bonheur de la famille en provoquant l’extinction de la race ?

Le mal peut venir aussi des assiduités d’un mari trop vigoureux près de sa femme trop faible.

Une femme très grosse dont le mari est petitement muni, n’arrivera pas à ses fins non plus que celle dont l’époux sera de grosse carnation.

Un excellent remède pour guérir les irritations de matrice, consiste à prendre de la moelle d’os de jambe de chameau, en imbiber un morceau de coton qu’on introduira au fond du fordj après avoir été préalablement au bain, de suite après l’écoulement du dem.

Voici une autre méthode : Il faut écraser des fruits de raisin sauvage, auxquels on aura enlevé la peau et l’on ajoutera au jus, une fois extrait, une pareille quantité de vinaigre. La malade boira pendant sept jours une faible partie de cette potion, puis elle ira au bain. Après un jour de repos, elle pilera dans un mortier des grains d’anis, pour en tirer de l’huile dont elle prendra un poids égal à un kremissah, qu’elle ajoutera au vinaigre préparé dont nous avons parlé plus haut ; elle boira une cuillerée de cette liqueur pendant trois jours, au bout desquels la maladie sera chassée, si Dieu le veut !

L’on pourra encore mélanger du levain et du fiel de mouton ou de bœuf avec du musc et un peu de zercka, puis imbiber de cette préparation une petite boule de laine d’agneau que l’on approchera quelque temps d’Aoualda.

Avec l’aide de Dieu, ces différentes formules sont parfaites et les époux sans enfants s’en trouveront bien.



CHAPITRE XV

DES HOMMES IMPUISSANTS


Écoutez, Vizir, grand parmi les grands.

Les hommes qui ont la jouissance froide ont la semence froide aussi ; ils sont glacés, cela vient de ce qu’ils ont une maladie de la moelle épinière. Il en est qui ont la mauvaise habitude de se promener tête nue, c’est une imprudence grave. L’humidité agissant sur leur cerveau, amènera peut-être une paralysie qui causera l’impuissance. Quelques-uns ont leur tota tordu, d’autres ont le membre percé de travers ou trop bas ; il est évident que leur sperme, au lieu d’être projeté vers l’Aoualda, se perdra contre les parois du zouque. Ceux-là sont tout à fait mauvais.

Il y a de touts petits zebs qui ne donnent que de l’eau claire ; ils ne feront pas plus d’enfants que deux femmes qui jouissent ensemble. L’homme dont le tota est mahine, c’est-à-dire petit et mou, pourra tout au plus niquer une fente ouverte, mais prendre un pucelage, jamais.

Il faut se garder, pendant les fortes chaleurs, de manger des mets trop échauffants, et, pendant les jours froids, des aliments rafraîchissants. La nourriture a une grande influence sur les forces amoureuses ; il ne faut ni trop irriter ni trop débiliter son corps.

Pour combattre l’impuissance on fera bien de se servir de confiture de piment. Le gingembre, le stigentoche, l’ail, la cannelle, la noix muscade, le poivre ; tout cela mêlé avec le miel, est excellent pour accroître les forces et ralentir le moment critique de la jouissance, qui vient toujours assez tôt.

Mais les malheureux dont le tota est de travers et mal percé ne guériront jamais.

Que Dieu les aide !



CHAPITRE XVI

DES FAUSSES COUCHES


Écoutez, Grand Vizir.

Il y a de misérables créatures, qui, pour cacher le résultat de la débauche, emploient des moyens que Satan leur inspire, dans le but de délivrer leur corps, avant le temps, du fruit de leurs amours illicites.

Après avoir vu moi-même et recueilli bien des faits, j’ai pu former le résumé suivant de ces malheureuses, que Dieu punisse !

Il y en a qui introduisent dans leur zouque, aussitôt après le coït, un petit bâton poli, de façon à déranger la liqueur reproductive de son travail de conception.

D’autres boivent de l’infusion de bois de garance.

D’autres encore exposent leur fordj aux vapeurs d’un vase de chaux posé sur le feu.

D’autres resserrent l’entrée d’Aoualda avec des lotions aluminées, avant le coït, afin d’empêcher le sperme d’entrer à l’intérieur.

Le goudron remplit le même office que l’alun, mais, au bout de quelque temps, il rendra la femme qui s’en sert stérile à tout jamais.

Le goudron employé par une femme enceinte fera mourir l’enfant qui sortira de son corps par petits morceaux.

L’eau de goudron dans laquelle on fera infuser du piment, amènera une fausse couche en faisant revenir le sang.

Un morceau de coton trempé dans cette composition et introduit dans le zouque, produira le même effet.

Qu’Allah maudisse celles qui disposent d’une vie qui n’appartient qu’à Dieu !



CHAPITRE XVII

DES TOTAS MOUS


Écoutez, Grand Vizir, aimé de Dieu !

L’impuissance des jeunes hommes a trois causes différentes : la première vient d’un maléfice qui noue le tota ; la seconde, de ce qu’il jouit avant d’entrer dans le fordj ; et la troisième est produite par une si grande paresse qu’il met un temps infini à se dresser.

Celui qui a le zeb noué prendra du gingembre, de la cannelle, de la vanille, de la noix muscade, de l’herbe appelée langue d’oiseau, de l’arascinine et du poivre ; mettra le tout ensemble dans un vase de jus de poulet ou d’une viande quelconque, fera bouillir ce mélange et exposera son membre malade à une fumigation prolongée de ce remède. Si l’on remplace le bouillon par du miel, l’effet sera plus prompt.

Celui qui jouit trop vite pilera de la noix muscade avec de la résine pour en faire une excellente confiture à son usage.

Enfin le paresseux remuera dans un même plat des graines d’orties, des fleurs de chanvre, du hatschich, du gingembre et de la cannelle avec du miel et prendra cette nourriture le soir.

Tous seront guéris par les moyens que nous venons d’indiquer, si Dieu le veut.



CHAPITRE XVIII

MOYENS DE GRANDIR
LES PETITS TOTAS


Écoutez, Seigneur Vizir.

Nous avons vu les moyens de raidir les totas mous, étudions maintenant ceux de grandir les petits.

Ce point est d’autant plus important qu’il s’agit de rendre les femmes heureuses ; elles aiment mieux se passer complètement d’hommes que d’en avoir d’insuffisants, parce que ces derniers leur donneront des désirs qu’elles ne pourront satisfaire, ce qui les mécontentera grandement et rendra l’époux tout honteux de son petit mérite.

L’homme insuffisant fera donc bien, avant de niquer, de frotter son tota avec de l’eau bien fraîche jusqu’à ce qu’il s’échauffe, se gonfle et devienne rouge-sang ; alors il enduira son zeb de miel de gingembre qui irritera son membre, en doublera les proportions et causera à sa Mohima un tel plaisir qu’elle le conservera dans son zouque jusqu’à ce que mort s’en suive.

Il peut encore employer le moyen suivant : Il prendra du piment, de la fleur de jasmin, du roudjelan et du musc, de tout cela en égale quantité, pilera le tout ensemble et s’enduira comme devant.

Il peut aussi, après s’être bien frotté avec de l’eau fraîche, comme nous l’avons dit plus haut, s’envelopper le membre dans un parchemin bien doux contenant du goudron chaud qu’il remplacera de temps en temps à mesure qu’il refroidira, jusqu’à ce qu’il prenne une proportion convenable, ce qui ne tardera point.

Nous lui conseillerons encore ce dernier procédé, qui est excellent. Il placera dans un verre autant de sangsues que le cristal pourra en contenir, versera par-dessus un peu d’huile et exposera le tout au soleil. Aussitôt les sangsues, irritées par la chaleur, se tortilleront en jetant une bave visqueuse qui se déposera au fond du récipient, se mêlera avec l’huile et formera un onguent avec lequel il se frottera pendant cinq ou six jours. Il verra croître à vue d’œil son zeb, qui, ayant atteint une dimension satisfaisante, ne demandera plus qu’à servir.



CHAPITRE XIX

DU TRAITEMENT
QUE DOIVENT SUIVRE LES PERSONNES
DONT LA BOUCHE,
LE ZOUQUE, ET LE CORPS
ONT UNE MAUVAISE ODEUR


Écoutez, Grand Vizir.

Rien n’est plus affreux qu’un homme qui sent mauvais et qu’une femme dont les exhalaisons repoussent l’amour ; ceux-là feront bien de se laver souvent le corps dans une eau saturée d’herbe amère rouge mélangée de fleurs d’héliotrope. Ces bains atténueront les odeurs fâcheuses.

Ils pourront encore piler des fleurs de jacinthe dans de l’eau de rose, humecter, avec cette composition, un morceau de laine douce qu’on approchera du feu pour donner plus de force au mélange, et de frotter ensuite tout le corps dont l’odeur empoisonnée disparaîtra.

La femme qui voudra rétrécir son zouque trop largement accusé, le lavera souvent avec de l’eau dans laquelle on aura mis quelques cristaux d’alun, mêlés avec du sonac.

Celle qui voudra relever un peu Aoualda pour lui faire reprendre la place qu’elle doit occuper, fera bouillir, dans une même eau, des gousses de tamarin sans graines et des écorces de grenades ; puis, le remède suffisamment refroidi, elle prendra des bains locaux. Après quelques jours de ce traitement, et pour se guérir complètement, elle soumettra son fordj à des fumigations d’excréments de bœuf. Les meilleurs tebibs recommandent cette médication aux femmes souffrant de la matrice.

Ceux dont le dessous des bras répand une odeur forte et insupportable, jetteront dans un bassin d’eau un mélange d’odida et de musc et frotteront leur peau avec un morceau de laine trempé dans ce parfum jusqu’à ce que leurs bras rougissent ; et le succès les paiera largement de leurs peines.



CHAPITRE XX

COMMENT ON VOIT
QUE LA FEMME EST ENCEINTE
ET DE QUEL SEXE SERA L’ENFANT


Écoutez, Vizir, que Dieu bénisse.

Au moyen des observations que nous indiquons, il sera tout à fait impossible de méconnaître la grossesse d’une dame enceinte et de se tromper sur le sexe de l’enfant qu’elle doit mettre au monde.

Tout d’abord son dem est arrêté, son zouque se sèche, l’Aoualda attire à lui la semence de l’homme qui en sent l’entrée avec son zeb ; la femme devient paresseuse, son corps s’appesantit, sa tête est troublée et capricieuse ; son fordj devient étroit et se ferme de manière à pouvoir à peine y introduire le petit doigt, puis le bout de ses zizas noircit.

Si ton épouse, dans cet état, maigrit, si les traits de sa figure s’étirent, si une teinte jaunâtre envahit sa peau ; si enfin elle se sent souffrante de tout le corps, c’est qu’elle porte une fille dans son sein.

Mais, au contraire, si elle paraît mieux portante que jamais ; si son teint reste blanc et son sein rose, c’est qu’elle deviendra mère d’un garçon.

Lorsqu’elle doit mettre au monde une fille, elle sentira son côté gauche pesant et quelquefois saignera par le nez, de ce côté. Les médecins, amis de la science, disent ainsi.

Lorsque la femme accouchera, si le placenta reste à l’intérieur de son corps, ou que l’on ne puisse la délivrer d’un enfant mort, il sera bon de lui faire prendre une infusion de la fleur de jonc.

Ainsi le conseillent les savants.



CHAPITRE XXI

DANS CE CHAPITRE,
QUI TERMINE LE LIVRE,
NOUS TRAITERONS DE L’EXCELLENCE
DES ŒUFS
ET DE TOUTE BONNE SUBSTANCE
POUR ARRIVER À UNE FORCE SUPERBE
EN MATIÈRE AMOUREUSE


Écoutez, Seigneur Vizir. Que Dieu vous garde et étende sur vous sa sainte bénédiction !

Ô Ministre ! ce chapitre renferme des choses de la plus haute importance et des exemples utiles. Par lui, les vieux et les jeunes apprendront l’art de forcer la nature parfois rebelle au coït.

Maître Mossa prétend que si l’on mange tous les jours, à jeun, des œufs mêlés d’oignons pilés, on contentera les femmes les plus gourmandes.

Il dit encore que si l’on fait frire dans du beurre certains insectes de couleur verte, en y ajoutant un jaune d’œuf avec des aromates pulvérisés, on acquiert une vigueur effrayante.

Le lait de chamelle et le miel sont d’excellentes choses. Aussi un ordinaire d’œufs grillés au poivre, avec du lait de chamelle pour boisson, donnera au zeb une telle force qu’il restera toujours en l’air, ne s’endormant ni jour ni nuit.

Mais il peut arriver qu’une aventure subite vous laisse au pied du mur ; dans ce cas, il faut promptement remédier à sa faiblesse et, en peu de temps, obtenir la rigidité nécessaire à la satisfaction commune.

Pour cela, on prendra autant d’œufs que l’on en pourra manger, on les fera griller dans de la graisse fraîche, on les arrosera ensuite de bon miel et l’on absorbera tout ce que l’estomac pourra supporter.

Celui qui suivra ce conseil passera certainement une nuit orageuse.

Histoire de Zora

On a fait, à propos d’une histoire que nous allons dire plus loin, les vers suivants :

Depuis quand son zeb s’est-il dressé ?
Trois jours après avoir vécu d’oignons.
Et combien de pucelages a-t-il pris ?
Quatre-vingts vierges sans être rassasié.
Mais aussi il buvait et mangeait
Du lait de chamelle et du miel ;
Et, sans se forcer, pendant cinquante jours,
Son sperme a coulé avec aisance.
Il ne voulut prendre aucun repos
Et ajouta dix jours aux cinquante qu’on lui imposait.
Et le lendemain Mimoun s’occupait encore
À manger des œufs pour recommencer.

L’aventure de Bou-el-haïa, de Bou-el-haïlour et de l’esclave Mimoun est connue. C’est une histoire célèbre et curieuse que je rapporterai, s’il plaît à Dieu, pour compléter ce livre.

La voici :

Le Cheir Nacer raconte qu’il y avait autrefois, bien avant nous, dans des temps éloignés, un roi très magnifique parmi les Sultans, qui descendait de hauts et puissants ancêtres.

Il avait sept filles.

Tout ce que l’imagination peut créer de grâce, de beauté, d’intelligence, de perfection, de coquetterie et de séduction était leur partage.

Aucune n’était mariée : aussi la cour saluait-elle chaque jour l’arrivée de nouveaux princes qui venaient demander la main d’une de ces merveilles. Mais le Sultan les congédiait avec courtoisie et gardait pour lui ses filles, dont le plaisir favori était de s’habiller en hommes, de suspendre à leurs côtés de brillants cimeterres et, montées sur des chevaux richement caparaçonnés, de combattre en champ clos les plus redoutables seigneurs de ses états.

Chacune d’elles avait un palais magnifique, une foule de serviteurs et d’esclaves obéissaient à leurs moindres caprices. Les unes s’occupèrent exclusivement de leur toilette, les autres préparaient les sorbets glacés, le café parfumé et les mets exquis.

Elles étaient heureuses ainsi et chaque fois que leur père leur demandait si elles avaient fait choix d’un époux, elles répondaient :

— Jamais nous ne changerons notre existence grande et libre contre l’esclavage doré du harem.

Leur décision s’était répandue dans le public, et les langues enchantées de parler inutilement, comme toujours, disant, les unes : Elles ont raison ; les autres : elles ont tort. Puis elles se turent, s’occupèrent d’autre chose et personne ne songea plus à elles jusqu’au moment où, leur père venant à mourir sans héritier mâle, l’aînée monta sur le trône, à la joie universelle.

Celle-ci s’appelait Fouja, la victoire ; la seconde Sultana, la sultane ; la troisième Bdia, la petite perfection ; la quatrième Ouréda, la rose ; la cinquième Mahamouda, digne de louanges ; la sixième El Kumelah, la plus parfaite ; et la septième Zora, la plus belle ; celle-là, plus jeune que ses sœurs, était douée d’un jugement droit et d’une intelligence supérieure ; elle aimait passionnément la chasse et occupait presque tout son temps à la destruction des animaux malfaisants.

Un jour qu’elle parcourait une forêt voisine de son bordj, elle rencontra un cavalier suivi de dix esclaves, qui la salua gracieusement ; elle lui rendit de même son salut ; mais, surprise à l’improviste, Zora ne songea pas à déguiser sa voix et le jeune chef comprit que ces habits de chasseur cachaient les formes suaves d’une charmante jeune fille.

Mettant leurs chevaux à la même allure, ils firent quelque temps route ensemble et ils se plaisaient à leur conversation vive et enjouée.

Après quelque temps d’une douce causerie, le jeune homme, arrêtant son coursier, ordonna aux gens de sa suite de servir le déjeuner sur la mousse verte qui s’étendait à leurs pieds comme un brillant tapis d’émeraude, et conviant sa compagne, il la pria de vouloir bien partager son repas, ce qu’elle accepta gaiement.

Cependant les yeux de notre héros admiraient les mains délicates et la taille mince et flexible de la jeune fille, puis ils fixaient son œil noir largement fendu ; il tâchait d’étudier chaque mouvement de son sein qui soulevait doucement la broderie d’or de sa veste de velours.

Le cœur du beau cavalier s’échappait à la vue de tant de charmes irrésistibles qui faisaient rêver sa pensée.

— Avez-vous de l’amour pour quelque chose, Mohima ? dit-il enfin.

— Je ne sais, répondit-elle, mais je pense en ce moment que la société d’un homme ne convient pas à une femme, car les désirs se rencontrent quelquefois, et la perfidie du démon rend deux êtres malheureux.

— L’amour des honnêtes gens est sans perfidie et n’est point un mal.

— Lorsqu’un homme et une femme s’aiment, leurs secrets deviennent communs, et la désillusion arrive trop vite, car ils ne savent se cacher leurs vilains défauts.

— L’amour est voilé, il s’endort sur le mal et ne voit que le bien.

— Je voudrais qu’il en fût ainsi et que mon esprit conservât toujours cet espoir.

Et leurs regards se rencontrant, ils restèrent tout émus, car ils sentaient bien qu’ils s’aimaient.

Il dit encore :

— L’amour, les joies de l’âme, le bonheur du cœur, l’ivresse des sens, les caresses voluptueuses, la générosité de l’amante qui sait donner à celui qui souffre ; ne sont-ce point là choses précieuses et richesses ?

— Votre langage est doux et le sourire de votre bouche entraînant, répondit-elle.

— Le vôtre est plein de grâce et me fait perdre la raison ; aussi un sentiment profond vient-il de s’emparer de tout mon être, je sens la vie m’abandonner et, à votre seule présence, je dois peut-être de ne pas mourir.

À ces mots, la princesse se leva toute tremblante :

— Séparons-nous, dit-elle, et s’il plaît à Dieu, nous nous reverrons encore.

Ils se dirent tristement adieu et chacun se dirigea du côté de sa demeure.

Quand le cavalier fut rentré chez lui, il devint impatient ; son habitation lui parut isolée et les bruits de la ville n’arrivaient pas à son oreille car il se croyait au désert.

Le père de notre amoureux, avec lequel il demeurait, était un riche négociant qui s’appelait Riroum ; on l’avait surnommé Bou-el-haïu, le somptueux. Il y avait un jour de marche de son palais à celui de la jeune fille.

Dès que le soir eut répandu son voile sombre sur la cité, le cavalier quitta ses vêtements brillants, se vêtit d’habits de couleur foncée, fixa un sabre à sa ceinture et montant son cheval le plus rapide, il partit secrètement, protégé par les ombres de la nuit et suivi par son serviteur Mimoun.

Il marcha jusqu’au jour et s’arrêta près d’une caverne qui présentait aux voyageurs sa bouche béante. Là, il confia son coursier aux soins de son esclave et parcourut la campagne, cherchant la demeure de sa bien-aimée.

Après quelques heures d’une course pénible, il se trouva en face d’un monument superbe ; c’était là qu’habitait la belle princesse. Il se cacha derrière un rocher et observa toute la journée ce qui se passait dans le château ; mais il ne vit pas forme humaine et revint tout découragé à l’abri où il avait laissé Mimoun. Là, exténué de lassitude, il se coucha par terre et s’endormit bientôt, la tête sur les genoux de son fidèle serviteur.

À peine le sommeil enveloppait-il de ses bras caressants le corps de Bou-el-haïar, qu’il fut réveillé tout à coup par la voix de son esclave, qui criait : Ô mon maître ! regarde là-bas ; et ses yeux à peine ouverts purent remarquer une lueur qui perçait une fente de rocher tout au bout de l’antre. Aussitôt il se lève, court à la lumière et reste tout surpris d’apercevoir par la fissure du roc, qui laissait filtrer l’étoile de feu, sa tendre Zora, entourée d’une centaine de jeunes filles, dans un palais souterrain d’une splendeur inouïe.

Les jeunes filles folâtraient et riaient autour d’une table d’or richement dressée.

— Oh ! que n’ai-je, pensait-il, un bon compagnon qui m’aide à enfoncer le maudit rocher qui me sépare de celle que j’aime !

— Mimoun, cria-t-il, prends mon cheval qui vole et ramène-moi bien vite mon bon frère en Dieu, Bou-el-haïlour.

Bou-el-haïlour, fils du ministre du Sultan, était le meilleur et le plus cher ami de Bou-el-haïar. Ces deux compagnons et Mimoun étaient les trois hommes de leur temps les plus robustes et les plus beaux, pour eux la guerre n’était qu’un jeu et les obstacles n’avaient pas de barrières.

Cependant Mimoun, qui était arrivé à la ville, racontait à Bou-el-haïlour, tout surpris, ce qui venait de se passer. Nous sommes tous à Dieu et nous retournerons fatalement à lui, pensait-il. Ô mon pauvre ami ! que t’est-il advenu pendant notre absence ? Et montant à cheval, suivi de l’esclave de son frère et d’un serviteur à lui, ils voyaient fuir les vallées et les plaines sous les jambes nerveuses de leurs coursiers bondissants.

Peu de temps après les deux amis étaient dans les bras l’un de l’autre et Bou-el-haïa racontait ses aventures amoureuses à Bou-el-haïlour, qui l’aurait cru fou, si un vacarme épouvantable, partant du fond de la grotte, n’était venu garantir la vérité des paroles qu’il venait d’entendre. La nuit était arrivée et, comme la veille, un rayon étincelant sortait du rocher.

— Avance et regarde, tu obligeras ton frère, dit l’amant de Zora à son compagnon.

Celui-ci s’étant approché, fut séduit par la beauté des femmes qu’il avait sous les yeux.

— Mais, dis-moi, frère, demanda Bou-el-haïlour, laquelle parmi ces jeunes filles est la dame de tes pensées, car je les trouve toutes charmantes et j’ai de la peine à distinguer la plus belle.

— Regarde bien, dit Bou-el-haïa, c’est celle dont la taille est svelte, le sourire passionné, le front éclatant, le balancement séduisant ; celle qui, parée de vêtements couverts de perles, est assise là-bas à l’écart sur ce trône ciselé et garni de clous d’argent ; c’est celle dont les petits pieds sont surmontés d’énormes anneaux d’or et dont la main blanche rend la neige jalouse. Mon cœur et mes yeux la voient sans cesse parmi toutes comme le guerrier distingue le drapeau du prophète qui le rallie au combat. Mais écoute, ami préféré, j’ai besoin de tes conseils ; je t’ai prié de venir pour m’aider de sages avis. Je crois que cet endroit qui rassemble chaque nuit une si grande quantité de femmes est un lieu de débauche. Je te dis cela, à toi seul, car je ne voudrais pas souiller celle que j’aime en livrant ainsi ma pensée à un indifférent.

— Qui sait ? reprit Bou-el-haïlour, il est possible que les jeux du soir soient les seuls motifs de réunion de ces divines créatures. Mais, avec l’aide de Dieu, tâchons de pénétrer dans ce séjour enchanté et, si nous y parvenons, Allah t’accordera cette faveur de t’unir à tout jamais à la souveraine de ton âme.

Aussitôt que parut l’aurore les serviteurs se mirent à creuser la pierre, de façon à pouvoir passer le corps, et ayant attaché solidement les chevaux dans la caverne, ils pénétrèrent dans le palais.

Ils avaient tous le sabre à la main, mais ne voyant personne, ils le remirent bien vite au fourreau ; puis ils cachèrent avec des débris de rochers l’ouverture qu’ils avaient faite, et comme ils se trouvaient dans la plus grande obscurité, ils allumèrent un flambeau et se mirent à rôder dans tous les coins du séjour mystérieux.

Ils trouvèrent alors un trésor de choses rares et curieuses, une quantité de coussins brillants, de meubles recherchés, de candélabres élégants, et puis encore des vivres et des vins fins à profusion.

Plus loin, était une chambre longue, couverte de tapis épais et dont les tentures paraissaient plus riches que celles de la pièce précédente. Ils parcoururent émerveillés tous les appartements jusqu’au dernier, dont la porte close devait s’ouvrir chaque soir devant les femmes de Zora.

— Mon frère, dit Bou-el-haïlour, maintenant que notre curiosité est satisfaite, rentrons dans la chambre au tapis et restons-y patiemment jusqu’à ce que la nuit nous ramène celles que nous attendons.

À peine le soleil passait-il derrière la montagne, qu’une négresse parut avec une lumière ; elle alluma les lustres, rangea les coussins, égalisa les tapis et couvrit les tables de plats d’or contenant des mets délicieux dont l’odeur remplit en un instant la salle de parfums appétissants.

Quelques instants après les jeunes filles entraient avec apparat.

Elles s’assirent sur les divans et se mirent à boire et à manger en disant les chansons les plus folles.

Lorsque le vin commença à produire sur elles son effet enivrant, nos quatre compagnons sortirent de leur retraite et fondirent sur les femmes le poignard à la main, en cachant le bas de leur figure avec un pan de leur haïk.

— Quels sont ceux qui nous attaquent ainsi pendant la nuit ? Que voulez-vous ? s’écria Zora, pleine de colère.

— C’est toi que nous désirons, répondit Bou-el-haïa.

— Mais qui donc es-tu ?

— Souviens-toi de celui qui t’a rencontrée dans la forêt.

— Et comment êtes-vous entrés ici ?

— Par la puissance de Dieu.

La belle Zora se mit à réfléchir : elle aurait bien voulu sauver les jeunes filles qui l’entouraient. Aucun homme ne les avait jamais possédées ; et elle semblait déjà pleurer sur sa vertu et sur celle de ses protégées, lorsqu’elle se souvint d’une femme nommée Mina, qu’aucun homme n’avait jamais pu rassasier et qui se trouvait justement au palais ; elle pensa qu’au moyen de cette dame elle pourrait donner le change à ceux qui étaient venus si méchamment envahir sa demeure, et se sauver de leurs violences.

— Qu’exigez-vous de moi ? dit-elle aux deux amis.

— Nous nous soumettons nous-mêmes à vos désirs, belle Zora, répondit Bou-el-haïa, dites-moi à quelles conditions je pourrai vous voir céder à mon amour.

— Et si vous ne remplissez pas complètement celles que je vais ordonner, vous reconnaîtrez-vous loyalement mes prisonniers et jurez-vous d’obéir à mon bon plaisir ?

— Nous le jurons, dirent-ils tous.

Et la princesse scella le pacte en mettant sa main dans celle de celui qui l’aimait.

— Voici donc mes ordres, dit Zora ; toi, Bouel-haïa, tu niqueras cette nuit même ces quatre-vingts pucelles sans jouir.

— J’accepte, dit le cavalier ; et on le fit entrer immédiatement dans une pièce charmante, où on lui envoya, l’une après l’autre, toutes les jeunes filles réunies dans le château.

Il les eut toutes et pas une goutte de liqueur spermatique ne perla sur la tête de son tota. Zora resta toute émerveillée de cette vigueur physique et morale sans exemple, car il fallait une terrible force de volonté pour prendre quatre-vingts pucelages sans jouir.

— Quel est ton nom ? demanda-t-elle le lendemain au serviteur de Bou-el-haïa, sorti vainqueur de l’épreuve.

— Mimoun, répondit l’esclave.

— Eh bien, Mimoun, tu niqueras cette femme cinquante nuits de suite sans faiblesse, et il faut que le bonheur te vienne constamment, sans cela tu compromettras la cause de ton maître.

— Je ferai suivant ton désir, dit Mimoun ravi, qui fut enfermé avec Mina dans une pièce voisine de celle où son maître avait eu un si joli succès. Mina devait prévenir Zora à la moindre hésitation de son amant.

— Er comment t’appelles-tu ? dit encore la maîtresse du bordj au troisième compagnon.

— Bou-el-haïlour.

— Je te commande de rester en face de mes femmes et de mes filles pendant trente-trois jours, le zeb en l’air. Si ton tota manque de raideur un seul moment, c’en est fait de toi et des tiens ; vous êtes tous perdus.

Et se tournant ensuite du côté du quatrième et dernier, dont le nom était Fellah, elle l’avertit qu’il aurait à servir instantanément au premier signe.

Avant le commencement des épreuves, Zora avait demandé à chacun quelle nourriture il désirait, ne voulant pas que l’on puisse lui reprocher la moindre indélicatesse envers ses prisonniers sur parole.

Bou-el-haïa avait réclamé pour boisson du lait de chamelle et du miel, sans aucun mélange d’eau, et, pour ses repas, des pois kremissah, de la viande rôtie et beaucoup d’oignons.

Bou-el-haïlour demanda le plus d’oignons possible, mêlés à de la viande et encore du jus d’oignons pilés, exprimé sur du miel liquide.

Mimoun ne voulut exclusivement que des jaunes d’œufs et du pain.

Cependant Bou-el-haïa, ayant le premier satisfait aux exigences de la princesse, attendait patiemment auprès d’elle l’achèvement des épreuves qu’elle avait exigées pour les siens.

Dans le principe, Zora pensait que ses prisonniers ne pourraient jamais accomplir les travaux impossibles qu’elle leur avait imposés, et elle se réjouissait en songeant qu’ils seraient bientôt tous à sa discrétion. Aussi devenait-elle chaque jour plus gracieuse, se promettant d’être plus tard sévère pour les vaincus.

Mais après les trente-trois jours qui fixaient la fin de la lutte de Bou-el-haïlour, lorsqu’elle vit sortir celui-ci avec les honneurs de la guerre, elle se prit à pleurer, désespérant de vaincre.

Les deux amis, se retrouvant ensemble, buvaient à longs traits à la coupe du bonheur, attendant tranquillement, entourés de charmantes filles, la fin de leur singulière aventure. Et Mimoun, qui ne semblait point se lasser, restait comme dernière planche de salut à la malheureuse Zora, qui faisait prendre à chaque instant des nouvelles détaillées sur son état.

Mais Mina répondait que sa force et son zeb grandissaient chaque jour.

Un soir, la belle, toute chagrine, voulant tromper Bou-el-haïa, lui dit :

— Ton esclave a faibli, je pense que sa maîtresse le tuera.

— Je n’en crois rien, répondit le beau cavalier, mais s’il a commis la moindre infraction aux ordres qu’il a reçus de toi, je lui ordonne, en punition de son incartade, un supplément de dix jours d’épreuves.

Ce ne fut donc qu’au bout de soixante jours que la pauvre Mina se crut délivrée de ce taureau ; elle en était toute satisfaite, car elle se sentait mourir d’épuisement. Mais il n’en était rien, Mimoun voulait encore dix autres jours pour faire grandement les choses.

Alors la trop heureuse femme envoya dire à Zora :

— Ma chère maîtresse, les conditions que tu as imposées à mon amant sont plus que dépassées ; et pourtant il ne se sépare pas de moi, j’en prends Dieu à témoin ; qu’il me conserve la vie pour l’amour de lui ! J’ai les cuisses rompues et il ne m’est pas permis de m’asseoir un instant pour me reposer.

Zora voulut alors faire cesser cet homme cheval, mais tout fut inutile et seulement soixante-dix jours après il revint près de ses amis émerveillés qui le complimentèrent ; et il le méritait certes bien.

Ils se partagèrent alors tout ce qu’il y avait dans le palais, filles, femmes et trésors. C’était leur droit de vainqueurs.

Bou-el-haïa ne garda pour lui que la sublime Zora, qui valait tout le reste ensemble.

Cette histoire donne l’explication des vers qui se trouvent au commencement de ce chapitre.

Voici la recette de la boisson qui excite par excellence au coït ; que celui qui en aura besoin s’en serve.

Ayant pelé des oignons, tu les pileras pour en exprimer le jus, que tu mêleras à deux parties de miel purifié. Tu feras cuire cela sur un feu doux jusqu’à ce que l’eau soit complètement évaporée et que le miel reste seul au fond du vase. Prends une quantité de ce produit, que tu augmenteras de trois parties égales d’eau dans laquelle tu auras fait macérer des pois kremissah pendant un jour et une nuit et tu composeras ainsi une boisson ardente qui te donnera plus de raideur que tu n’en désires peut-être.

Les personnes faibles de tempérament feront bien de s’en abstenir si elles tiennent à ne devenir ni poitrinaires ni aveugles. On se gardera bien aussi d’en faire usage pendant plus de trois jours de suite, ou pendant les grandes chaleurs sous peine de vieillir vite ou de devenir impuissant à tout jamais.

Ici nous finissons ce livre en rendant grâce à Dieu.

Que son aide nous soit propice !



SUPPLÉMENT


L’édition autographiée contient, au chapitre XI, cinq histoires qui ne figurent pas dans notre manuscrit. Les voici :

Histoire de la femme aux deux maris

On raconte qu’un homme, au bout de quelque temps de séjour dans un pays où il venait d’arriver, éprouva le désir de se marier. Il s’adressa, pour trouver une épouse, à une vieille femme dont les services lui parurent pouvoir être avantageusement utilisés en cette circonstance, et qui lui dit :

— Je puis te procurer une fille douée d’une grande beauté et de toutes les perfections du corps. Elle te conviendra sûrement, car, outre ces qualités, elle est vertueuse et pure. Seulement le métier qu’elle exerce l’occupe pendant tout le jour ; mais la nuit elle t’appartiendra complètement. C’est pour ce motif qu’elle se tient dans la réserve, craignant que ce soit une raison pour que tu ne l’agrées pas.

L’homme répondit :

— Que cette femme se rassure. Moi, également, je ne suis pas libre le jour, et je n’aurai besoin d’elle que pendant la nuit.

Il la demanda alors en mariage. La vieille la lui amena et elle lui plut. Ils vécurent dès lors ensemble, en observant toutefois ce qui avait été convenu.

Cet homme avait un ami intime, auquel il fit connaître la femme qui avait arrangé le mariage, ainsi que les conventions de cette union, et qui le pria de solliciter d’elle le même service pour lui. Il y consentit et alla trouver la vieille, à laquelle il dit :

— J’ai un ami qui désirerait que tu lui trouvasses une femme convenable.

— C’est facile, lui répondit-elle. J’en connais une remarquable par une beauté merveilleuse, qui dissipe les plus noirs chagrins. Seulement, le métier qu’elle exerce l’occupe pendant toute la nuit, et elle ne pourra se trouver avec ton ami que pendant le jour.

— Peu importe ! répondit-il.

Elle conduisit alors la jeune fille à l’ami. Celui-ci en fut satisfait et l’épousa suivant les conditions qui avaient été convenues.

Mais il ne se passa pas longtemps sans que les deux amis reconnussent que les deux femmes que leur avait fait épouser la vieille n’en faisaient qu’une seule.

Apprécie, d’après cela, les ruses des femmes et ce dont elles sont capables.

Histoire de Bahia

On raconte qu’une femme mariée, nommée Bahia (beauté éclatante), avait un amant dont les relations avec elle ne furent bientôt plus un mystère pour personne, ce qui la mit dans l’obligation de s’éloigner de lui. Cet éloignement l’affecta tellement qu’il tomba malade du désir de la revoir.

Il alla un jour trouver un de ses amis et lui dit :

— Ô mon frère, un désir effréné s’est emparé de moi, et il m’est devenu impossible de patienter davantage. Ne pourrais-tu pas m’accompagner dans une visite que je veux faire à Bahia, la bien-aimée de mon cœur ?

L’ami lui répondit qu’il était à sa disposition.

Le lendemain ils montèrent à cheval et, après avoir voyagé pendant deux jours, ils arrivèrent près de l’endroit où demeurait Bahia. Là, ils s’arrêtèrent. L’amoureux dit à son ami :

— Va trouver les gens de ce pays et demande-leur l’hospitalité ; mais surtout ne divulgue rien de nos affaires et vois, avant tout, la servante de Bahia, à laquelle tu apprendras que je suis ici et que tu chargeras de demander un rendez-vous à sa maîtresse.

Puis il dépeignit la servante.

L’ami partit, rencontra la servante et la mit au courant de l’affaire. Celle-ci se rendit vers Bahia et lui répéta ce qui venait de lui être dit.

Bahia fit répondre :

— Préviens celui qui t’a envoyé que le rendez-vous aura lieu cette nuit même, près de tel arbre, à telle heure.

L’ami retourna alors vers l’amant et lui fit part de ce qu’avait décidé Bahia pour le rendez-vous.

À l’heure indiquée, les deux jeunes gens étaient près de l’arbre. Ils n’eurent pas à attendre longtemps pour voir apparaître Bahia. Dès qu’il l’aperçut, son amant se leva, s’élança au-devant d’elle, l’embrassa, la serra contre sa poitrine, et ils se mirent à se baiser, à se caresser et à s’accoler.

L’amant lui dit :

— Ô Bahia, n’aurais-tu pas un moyen pour que nous puissions passer la nuit ici, sans que ton mari soupçonnât de mal ?

Elle répondit :

— Oh ! par Dieu ! si cela te fait plaisir, il ne manque pas de moyens.

— Hâte-toi donc, reprit l’amant, de m’en faire connaître un.

Elle lui demanda alors :

— Ton ami t’est-il dévoué et est-il intelligent ?

— Oui, répondit-il.

Elle se leva, se dépouilla de ses vêtements et les donna à l’ami qui lui remit les siens, dont elle se revêtit ; puis elle lui fit mettre ceux qu’elle portait. L’amant, surpris, lui dit :

— Que veux-tu donc faire ?

— Tais-toi, lui répondit-elle.

Puis, s’adressant à l’ami, elle lui donna les explications suivantes :

— Rends-toi à ma maison et couche-toi à ma place. Mon mari viendra près de toi après le premier tiers de la nuit, afin de te demander le pot dans lequel on trait les chamelles. Tu ne soulèveras pas ce vase pour le lui mettre dans les mains, mais tu le garderas dans les tiennes jusqu’à ce qu’il vienne le prendre. Puis il se retirera et reviendra ensuite avec le pot plein de lait, en te disant : « Voilà le pot. » Mais ne le prends pas qu’il n’ait répété ces paroles une seconde fois. Alors prends-le-lui des mains, ou bien laisse-lui le soin de le poser à terre lui-même. Puis tu ne le verras plus jusqu’au matin. Lorsque le pot aura été posé par terre et que mon mari se sera éloigné, bois-en le tiers et remets-le à sa place.

L’ami partit, observa toutes les recommandations de Bahia et, lorsque le mari vint avec le pot plein de lait, il ne lui prit pas de ses mains qu’il n’eût répété une seconde fois : « Voilà le pot ! » Malheureusement, il retira ses mains du vase lorsque le mari voulut le poser ; celui-ci, croyant qu’il était soutenu, le lâcha ; le vase tomba à terre et se brisa. Le mari, s’imaginant parler à sa femme, s’écria :

— Où as-tu donc l’esprit ?

Puis, saisissant une verge, il l’en frappa jusqu’à la briser, en prit une autre et le roua d’une cinquantaine de coups, au point de lui rompre les reins. La mère et la sœur de Bahia accoururent pour le tirer des mains de ce furieux. Il avait perdu connaissance. Heureusement, elles parvinrent à emmener le mari hors de la chambre.

La mère de Bahia ne tarda pas à revenir, et, s’approchant de lui, lui parla si longuement qu’il était près d’être suffoqué de tout ce qu’elle lui disait, car il ne pouvait que se taire et pleurer. Elle terminait en disant :

— Aie confiance en Dieu et obéis à ton mari. Quant à ton amant, il ne peut venir te voir maintenant pour te consoler, mais je t’enverrai ta sœur pour te tenir compagnie.

Puis elle partit.

Elle lui envoya, en effet, la sœur de Bahia, qui se mit à lui prodiguer les consolations et à maudire celui qui l’avait frappé. Elle pleurait, et lui gardait le silence. Il sentait que son cœur s’attendrissait pour elle, car ses yeux lui avaient appris qu’elle était d’une beauté éblouissante, qu’elle réunissait toutes les perfections et qu’elle ressemblait à la lune dans la nuit de sa plénitude. Il posa alors la main sur sa bouche en rapprochant ses lèvres, de manière à l’empêcher de parler, et lui dit :

— Ô femme, je ne suis pas ce que tu penses. Ta sœur Bahia est maintenant avec son amant, et j’ai affronté le danger pour lui rendre service. Ne me couvriras-tu pas de ta protection ? Si tu me dénonces, ta sœur sera couverte d’opprobre ; quant à moi, j’en ai pris mon parti, mais que le mal retombe sur vous !

La jeune fille se mit alors à trembler comme un rameau, en songeant aux conséquences de l’acte de sa sœur ; puis, se prenant à rire, elle s’abandonna à l’ami qui montrait un pareil dévouement. Ils passèrent le reste de la nuit dans le bonheur, les baisers, les étreintes et les plaisirs réciproques. Il la trouva la meilleure des meilleures. Il oublia entre ses bras les coups de bâton qu’il avait reçus, et ils ne cessèrent de jouir, de badiner, de s’embrasser et de faire l’amour que lorsque brilla l’aurore.

Il partit alors pour aller retrouver son compagnon. Bahia lui ayant demandé des nouvelles de ce qui s’était passé, il lui dit :

— Interroge ta sœur. Par ma religion ! elle n’ignore rien à ce sujet ! Sache seulement que nous avons passé la nuit dans des plaisirs mutuels, dans des baisers et dans des étreintes, jusqu’à présent.

Puis ils firent de nouveau l’échange de leurs vêtements ; chacun reprit les siens. L’ami raconta alors à Bahia, dans tous les détails, ce qui lui était arrivé.

Apprécie, d’après cela, les ruses des femmes et ce dont elles sont capables !

Histoire de l’homme expert en stratagèmes
dupé par une femme

On raconte qu’un homme avait recueilli toutes les ruses et les stratagèmes que les femmes ont inventés pour tromper les hommes et prétendait qu’aucune ne saurait le tromper.

Une femme d’une grande beauté et pleine de charmes eut connaissance de ces propos. Elle prépara alors à son intention, dans le medjelés, une collation où plusieurs espèces de vins figuraient et où rien ne manquait comme accessoires, en fait de mets rares et recherchés. Puis elle l’envoya prier de venir la voir. Comme elle était renommée pour sa grande beauté et pour la rare perfection de sa personne, elle avait excité ses désirs et il s’empressa de se rendre à son invitation.

Elle avait revêtu ses plus beaux vêtements et exhalait les parfums les plus suaves, et assurément n’importe qui l’aurait vue ainsi serait tombé dans le trouble. Aussi, lorsqu’il fut admis en sa présence, fut-il fasciné par ses charmes et plongé dans l’admiration par sa beauté.

Cependant cette femme paraissait préoccupée de son mari et laissait entrevoir la crainte qu’il ne vînt à rentrer d’un instant à l’autre. Il est nécessaire de faire connaître que ce mari était très orgueilleux, très jaloux et très violent, et n’aurait point hésité à répandre le sang de celui qu’il aurait rencontré rôdant près de sa maison. Qu’aurait-il fait, à plus forte raison, à celui qu’il aurait trouvé dans l’intérieur !

Pendant que la femme et celui qui se flattait de la posséder se divertissaient dans le medjelès, un coup fut frappé à la porte de la maison ; le cœur de l’amant se remplit aussitôt de crainte et d’inquiétude, surtout quand la femme s’écria : « C’est mon mari qui rentre ! » Elle le fit cacher tout tremblant dans une armoire qui se trouvait dans la chambre, en ferma la porte sur lui et laissa la clef dans le medjelès ; puis elle alla ouvrir la porte.

Son mari, car c’était lui, vit, en entrant, le vin et tous les préparatifs qui avaient été faits. Surpris, il demanda ce que voulait dire.

— C’est ce que tu vois, répondit-elle.

— Mais pour qui est-ce ? répliqua-t-il.

— C’est pour un amant que j’ai ici !

— Et où est-il donc ?

— Dans cette armoire, dit-elle, en montrant du doigt celle où était enfermé le patient.

Le cœur du mari se serra à ces paroles. Il se leva et alla à l’armoire, mais il en trouva la porte fermée.

— Où est la clef ? dit-il.

Elle répondit :

— La voilà !

Et elle la lui jeta. Mais comme il l’introduisait dans la serrure, elle se mit à rire aux éclats. Il se tourna vers elle en lui disant :

— De quoi ris-tu ?

— Je ris, répondit-elle, de la faiblesse de ton jugement et de ton peu de raison et de réflexion. Ô homme sans discernement, crois-tu donc que si j’avais eu réellement un amant et que je l’eusse fait entrer dans la chambre, je t’aurais dit qu’il s’y trouvait en t’indiquant l’endroit où il s’était réfugié ? Non, ce n’est pas admissible ! Je n’ai eu d’autre idée que de t’offrir une collation à ton retour, et j’ai voulu simplement plaisanter avec toi en agissant ainsi. Si j’avais eu un amant, certes ! je ne te l’aurais pas confié !

Le mari laissa alors la clef à la serrure de l’armoire sans ouvrir et, revenant vers la table où était la collation, il dit :

— C’est vrai ! je me suis levé, mais je n’ai pas eu le moindre doute sur la sincérité de tes paroles.

Puis ils se mirent à boire et à manger ensemble ; après quoi ils firent l’amour.

L’homme dut rester dans l’armoire jusqu’au départ du mari. La femme alla le délivrer et le trouva défait, ses effets souillés d’urine et d’excréments. Au moment où il en sortait, venant de courir un péril imminent, elle lui dit :

— Eh bien ! monsieur le connaisseur en ruses de femmes, parmi toutes celles que tu as recueillies, y en a-t-il une qui vaille celle-là ?

Il répondit :

— Je suis convaincu maintenant que vos stratagèmes sont innombrables.

Apprécie, après cela, les ruses des femmes et ce dont elles sont capables !

Histoire de l’amant surpris par l’arrivée
inopinée du mari

On raconte qu’une femme, mariée à un homme d’un caractère violent et brutal, se trouvant avec son amant lors de l’arrivée inopinée de son mari qui rentrait de voyage, n’eut que le temps de le faire cacher sous le lit. Elle se voyait forcée de le laisser dans cette position dangereuse et désagréable, car elle n’imaginait aucun expédient pour le faire sortir de la maison. Dans son inquiétude, elle ne tenait pas en place. Étant allée à la porte de la rue, une de ses voisines remarqua son état de trouble et lui demanda ce qu’elle avait. Elle lui confia ce qui lui était arrivé et en reçut cette réponse :

— Rentre chez toi. Je me charge du salut de ton amant et je te promets de le faire sortir sain et sauf.

Elle rentra donc.

La voisine ne tarda pas à venir la rejoindre, et elles préparèrent ensemble la nourriture et la boisson, puis ils commencèrent tous à manger et à boire. La femme se trouvait placée devant son mari, et la voisine en face du lit. Celle-ci se mit à raconter des histoires et des anecdotes sur les ruses des femmes, et l’amant écoutait tout ce qui se disait, de dessous le lit.

La voisine, poursuivant ses histoires, arriva à la suivante :

— Une femme mariée avait un amant qu’elle aimait avec tendresse et dont elle était non moins aimée. Un jour que le mari était absent, l’amant vint la voir. Or, il arriva que le mari rentra à l’improviste, à l’instant même où l’amant se trouvait en compagnie de sa femme. Celle-ci, ne trouvant pas de meilleur endroit pour le cacher, le fit mettre sous le lit, puis vint s’asseoir près de son mari qui prenait quelques rafraîchissements, et lui tint compagnie en plaisantant et en jouant avec lui. Au milieu de ses jeux, elle prit une serviette et lui couvrit les yeux. L’amant profita de cette occasion pour sortir de dessous le lit et s’échapper, sans que le mari le vît.

La femme, devant qui ce récit était fait, comprit le profit qu’elle devait en tirer ; elle prit une serviette et en couvrit les yeux de son époux en disant : « C’est au moyen de cette ruse que l’amoureux put sortir sans être vu du mari ! » et son amant, profitant de cet instant, réussit à sortir de dessous le lit et à s’échapper, sans que le mari s’en aperçût. Bien loin de se douter de ce qui se passait, celui-ci, au contraire, riait de toutes ces histoires, et sa gaîté s’était encore accrue des dernières paroles de sa femme et des simulacres dont elle les avait accompagnées.

Apprécie, d’après cela, les ruses des femmes et ce dont elles sont capables.

Histoire des précautions inutiles

On raconte qu’un homme avait une femme douée de toutes les beautés et de toutes les perfections : elle était comme la lune dans la nuit de sa plénitude. Lui était très jaloux, car il connaissait toutes les ruses des femmes et leurs façons d’agir. Aussi ne sortait-il jamais sans fermer soigneusement la porte de la maison et celle de la terrasse.

Un jour sa femme lui dit :

— Pourquoi agis-tu ainsi ?

— C’est parce que je connais vos ruses et vos coutumes ! répliqua-t-il.

— Ce n’est pas en agissant de cette façon, dit-elle, que tu réussiras. Car, certes ! lorsqu’une femme veut une chose, toutes les précautions sont inutiles.

— Bon ! bon ! répliqua le mari ; il est toujours plus prudent de fermer les portes.

— Non, répliqua la femme, car la clôture des portes ne sert à rien, si la femme s’est mis dans la tête de faire ce à quoi tu penses.

— Eh bien ! si tu peux faire quelque chose, s’écria le mari, fais-le !

Dès que son mari fut sorti, la femme monta tout en haut de la maison et fit, dans le mur, une petite ouverture par laquelle elle se prit à regarder ce qui se produisait au dehors. À ce moment, un jeune homme vint à passer dans la rue. Il leva les yeux, vit la femme et désira la posséder. Il lui dit :

— Comment puis-je arriver à toi ?

Elle lui apprit qu’il n’y avait aucun moyen et que toutes les portes étaient fermées.

— Comment pourrions-nous nous réunir ? reprit-il.

Elle lui répondit :

— Je ferai un trou dans la porte de la maison ; toi, guette mon mari, lorsqu’il reviendra de la prière du soir et quand, après avoir ouvert et refermé la porte, il aura pénétré dans l’intérieur, fais passer ton membre, auquel je ferai rencontrer ma vulve. Tu me besogneras ainsi : de toute autre manière, ce serait impossible.

Le jeune homme guetta en effet le mari jusqu’à sa rentrée de la prière du soir ; et, dès qu’il l’eut vu pénétrer dans sa maison et refermer la porte sur lui, il alla au trou qui y avait été pratiqué afin d’y faire passer son membre. La femme était également sur ses gardes. À peine eut-elle vu son mari dans la maison, et comme il était encore dans la cour, elle alla à la porte sous prétexte de s’assurer si elle était bien fermée ; puis, s’empressant de placer sa vulve en face du membre qui sortait du trou, elle l’introduisit tout entier dans son vagin.

Cela fait, elle éteignit la lampe et appela son mari, en le priant d’apporter la lumière. Il lui demanda pourquoi.

— Le bijou que je porte sur ma poitrine est tombé et je ne puis le retrouver, répondit-elle.

Il arriva alors avec une lampe. Le membre du jeune homme était encore dans la vulve à ce moment et venait d’éjaculer.

— Où est donc tombé ton bijou ? demanda le mari.

— Le voilà ! s’écria-t-elle, et, se retirant précipitamment, elle laissa à découvert la verge de son amant, qui apparut sortant de la vulve et encore tout humectée de sperme.

À cette vue, le mari tomba par terre de rage. Dès qu’il fut relevé, sa femme lui dit :

— Eh bien ! et ces précautions ?

— Que Dieu me fasse repentir ! fut sa réponse.



TABLE EXPLICATIVE
DES MOTS ARABES CONTENUS DANS LA
TRADUCTION


Acacas, Femmes qui font l’amour entre elles, lesbiennes.

Adjousa, Vieille femme.

Aïssaouas, Convulsionnaires arabes, psylles, jongleurs.

Amine, Syndic, chef de corps.

Aoualda, Matrice.

Ayni, Mon œil, mes yeux, expression amoureuse.

Boudroul-boudour, Belle des belles.

Bordj, Château fort.

Cadi, Juge.

Cahabah, Femme de mauvaise vie.

Caïd, Chef de tribu.

Caouada, Entremetteuse, procureuse de femmes.

Claouës, Les bourses, testicules.

Dem, Le sang, les menstrues.

Djinn, Démon, lutin.

Fordj, Parties sexuelles de la femme.

Goule, Vampire femelle des légendes orientales.

Guitzera, Guitare.

Hameue, Érection.

Haniche, Serpent.

Heuléma, ou Uléma, savant.

Mohatssib, Lettré.

Keul, Noir bleuâtre dont les femmes se teignent les paupières.

Krâb-krâb, Gros anneaux, bracelets qu’on porte aux chevilles.

Kremissah, Espèce de pois.

Mohima, Petite mère, ma bien aimée, terme d’affection.

Muphti, Président du tribunal.

Niquer, de Niqua, coït.

Québir, Québira, Grand, grande, puissant.

Sief, Bourreau.

Seroual, Pantalon.

Sidi, Seigneur, monseigneur, terme honorifique et respectueux.

Silos, Trou où l’on conserve les grains.

Taleb, Homme savant.

Tebib, Médecin.

Tortouche, Le clitoris.

Tota, Le membre viril.

Zamel, Pédéraste passif.

Zaniah, Femme légère.

Zeb, Membre viril.

Zemouka, Le périnée.

Zizas, Les seins.

Zouque, Autre nom des parties sexuelles de la femme.

Les mots dont l’orthographe n’est pas tout à fait conforme à celle de la table sont inexacts et doivent être corrigés.

Charles de Lasalle.
25 mars 1875.


NOTICE


Avant de parler de la présente traduction, et des conditions dans lesquelles elle est parvenue jusqu’à nous, il nous faut parler des précédentes éditions.

La plus ancienne est une édition autographiée, tirée à 35 exemplaires, et ornée d’illustrations. On en trouvera une description minutieuse dans ma Bibliographie du Roman érotique au XIXe siècle[1]. En voici le titre exact :

Tiré à 35 exemplaires.

Exemplaire No 21.
CHEIKH NEFZAOUI.
Traduit de l’arabe
par Monsieur le baron R***
Capitaine d’État-Major.

1850.

La date de 1850 n’est pas celle de l’édition. En effet, on trouve à la fin du volume une Préface qui débute ainsi :

AU LECTEUR

En l’an de grâce 1876, plusieurs amateurs passionnés de littérature arabe se sont réunis pour mener à bien la reproduction à plusieurs exemplaires, par l’autographie, d’une traduction française de l’ouvrage du Cheikh Nefzaoui, qu’un heureux hasard a fait tomber entre leurs mains.

Page 284, une autre note nous donne la date de copie du texte arabe :

La copie de ce livre a été faite avec l’aide de Dieu, le Tout Puissant, le Généreux, en l’année 1264 (1848). Note de l’éditeur : Il s’agit là du manuscrit sur lequel le baron R*** a fait sa traduction.

Le Cheikh Nefzaoui, selon la Notice qui est consacrée à son ouvrage par le traducteur, aurait vécu au xvie siècle. On trouvera, plus loin, ladite Notice, en Appendice.

Ainsi, ce serait sur un manuscrit arabe copié, en 1848, que le baron R*** aurait fait, en 1850, sa traduction.

Mais, celle qui fut publiée en 1876, comme on pourra s’en rendre compte par la Postface de cette édition autographiée, qu’on trouvera plus loin, serait une traduction entreprise en commun par trois arabisants.

L’un d’eux serait un certain M***, capitaine d’État-Major, l’autre le docteur L***.

C’est à n’y rien comprendre !

Peut-être une lettre de Guy de Maupassant, que nous avons fait connaître en 1930, dans notre Bibliographie, apporte-t-elle la clef de l’énigme ?

Voici le texte de cette lettre :

Oasis de Bou Sâada, 25 août 1884.
Monsieur et cher Éditeur,

Je reçois aujourd’hui seulement, en plein Sahara, votre carte postale.

Envoyez-moi, je vous prie, le recueil chez moi, à Paris, 83, rue Dulong (Batignolles), c’est encore le plus sûr. Je le trouverai, dans un mois, à mon retour.

Maintenant, autre chose. Je viens de découvrir ici un livre arabe, lubrique, remarquablement traduit par un officier supérieur français.

L’histoire de ce livre est curieuse. Un écrivain arabe allait être mis à mort par ordre d’un bey (celui de Tunis, je crois) quand il obtint sa grâce à la condition qu’il écrirait un livre capable de réveiller les passions mourantes de son souverain.

Il a écrit ce livre et fut gracié. Les dessins de cette traduction sont faits par un officier d’État-major. Tous sont remarquables. Un d’eux me paraît être un vrai chef-d’œuvre. Il représente deux êtres épuisés après l’étreinte.

Ce livre, absolument inconnu de tout le monde me paraît singulièrement intéressant pour les amateurs de Raretés, Vous irait-il de le publier ?

L’officier traducteur hésite beaucoup, ayant grand peur que son nom soit prononcé. Je lui ai affirmé que dans le cas où cet ouvrage vous agréerait, il pourrait être assuré de la plus absolue discrétion.

Malheureusement, il n’a pas osé traduire un des chapitres concernant un vice fort commun en ce pays, « la Pédérastie », mais, en somme, le livre est, en son genre, un des plus curieux qu’on puisse trouver.

Si cette trouvaille vous tentait, vous pourriez écrire directement de ma part à M. le Commandant Maréchal, Commandant supérieur du Cercle Militaire de Bou Sâada (Algérie).

M. le Commandant Maréchal ne voudrait point entendre parler de question d’argent. Vous lui donneriez tout simplement quelques exemplaires.

Une autre question serait embarrassante. Il a fait autographier ce livre, en secret, par des subordonnés et il hésiterait beaucoup à se séparer de ce volume original relié magnifiquement. Pour les dessins cela pourrait créer un embarras.

Veuillez toujours me répondre un mot, car si la chose ne vous convenait pas, je connais quelqu’un qui la prendrait, immédiatement.

Recevez, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments empressés et tout dévoués.

Guy de Maupassant.

Du 5 septembre au Ier octobre on peut m’écrire à Erbalunga, commune de Brando, près Bastia, Corse.

On n’a pu identifier l’éditeur à qui s’adressait Maupassant.

Toujours est-il que la description de l’ouvrage concorde avec celle du Jardin Parfumé et que la mention du manuscrit autographié fait penser aussitôt aux 35 exemplaires autographiés de 1876.

Nous sommes, quand Maupassant écrit, en 1884, huit ans après. Le commandant Maréchal, de Bou Sâada, ne serait-il pas le Capitaine d’État-Major M***, dont parle le texte de 1876 ?

C’est vraisemblable.

Comme il est vraisemblable que la mention portée sur le titre : Traduit de l’arabe par Monsieur le baron R***, et la date 1850, n’ont été mis là que pour égarer les recherches et détourner les soupçons qui auraient pu se porter sur le capitaine Maréchal.

Nous croyons pouvoir en déduire que la mention du traducteur de 1850 est fausse, comme serait fausse la date de copie du texte arabe (1848), comme sont fausses les indications de la Postface relatives à un travail en commun et à la collation de plusieurs manuscrits[2].

Et nous pensons que la traduction autographiée, en 1876, est l’œuvre du capitaine Maréchal, le même qui, devenu commandant en 1884, fit connaître à Guy de Maupassant le « livre arabe lubrique » dont il parle dans sa lettre.

Donnons ici quelques brèves précisions sur l’édition autographiée de 1876, renvoyant pour le reste à ma Bibliographie du Roman érotique au XIXe siècle.

La couverture, sur papier bleu vif (verso blanc) porte le titre arabe en lettres d’or. La feuille de garde offre un curieux filigrane : un grand papillon phallique, dans un cadre. Au bas du titre intérieur, calligraphié et autographié comme tout le volume, figure un monogramme en anglaises entrelacées : J. M. P. Q. Il y a un Frontispice et 13 lithographies libres, plus 43 figures au trait, dans le texte, dont beaucoup sont libres.

Cette édition originale est difficile à trouver. L’édition de 1912 du Jardin Parfumé[3] assure qu’un exemplaire s’est vendu en 1886, sur papier ordinaire, 600 francs, et 2 autres, sur Japon, 1.200 francs. Mais il y a évidemment là une confusion.

L’édition originale, la véritable originale, avec le filigrane au papillon phallique, n’a jamais connu de tirage sur Japon.

Il s’agit d’exemplaires d’une contrefaçon faite bien plus tard. Un catalogue de la librairie Lehec, en 1885, annonce cette contrefaçon en la présentant comme l’originale. Il y manque la page au filigrane, si le reste est assez exactement reproduit.

Est-ce que cette contrefaçon est due à l’intervention de Maupassant ? La lettre du romancier est de 1884 et ladite contrefaçon ne fut mise en vente qu’en 1885.

Est-ce plutôt l’éditeur Liseux, qui, en 1886, réalisa le désir de Maupassant ?

On en est réduit aux hypothèses.

L’édition donnée, en 1886, par Isidore Liseux est, en tout cas, un peu différente de celle de 1876. Évidemment, elle n’est pas illustrée. Mais le texte n’est plus tout à fait le même. Le titre porte d’ailleurs : Traduction revue et corrigée.

Il est vraisemblable que, faite sur les indications de Maupassant ou simplement sur la contrefaçon Lehec, l’édition Liseux s’est bornée à corriger la traduction précédente.

On nous dispensera de mentionner ici les éditions ultérieures, qui se bornent à reproduire le texte Liseux, avec, parfois, la Postface de 1876.

On a vu qu’il faut fixer, en réalité, aux années 1875 et 1876, la date de la traduction du commandant Maréchal.

Celle que nous avons publiée pour la première fois dans le présent volume lui est certainement antérieure.

Elle est due à Antonin Terme.

Quel est cet Antonin Terme, que les biographies ne mentionnent pas ?

On y trouve, en revanche, Joannès-Marie Terme, ancien député (1823-1888) et Frédéric Terme, journaliste (1825-1881).

Ces deux frères étaient nés à Lyon.

On remarquera qu’Antonin Terme fait hommage de son manuscrit au poète Joséphin Soulary, également né à Lyon.

Nous sommes donc, vraisemblablement, en présence d’un autre frère ou d’un cousin des précédents. Car il ne peut s’agir du fils de l’un d’eux.

D’après une note de Charles de Lasalle, l’auteur du Glossaire, note reproduite à l’Appendice, Antonin Terme était fixé à Liège, en 1875. Or, il avait offert sa traduction à Joséphin Soulary, antérieurement à 1864, puisque celui-ci publia, cette année-là, la pièce adressée à la Mauresque Nefissah. En outre, Terme nous apprend, dans sa Préface, qu’il a effectué sa traduction à Alger.

En fixant à 1862, au plus tard, le séjour à Alger d’Antonin, nous ne croyons pas nous tromper. Or, en 1862, l’aîné des frères Terme avait 39 ans et le second 37.

À moins d’admettre que Joannès-Marie ait eu un fils avant sa vingtième année, on voit que cette hypothèse doit être abandonnée.

Il nous a été plus impossible encore d’identifier Charles de Lasalle, qui adjoignit au Parfum des Prairies un court Glossaire et, comme on le verra à l’Appendice, exécuta, en 1875, l’une des trois copies connues du manuscrit d’Antonin Terme, celle-là même qui est aujourd’hui en notre possession, et nous a servi pour établir la présente édition.

Les stances de Joséphin Soulary, écrites après réception du manuscrit d’Antonin Terme, ont été publiées par lui, en 1864, dans la nouvelle édition complète, revue, corrigée et augmentée, de ses Sonnets, Poèmes et Poésies, dédiée à la Ville de Lyon.

On a lu ces stances en tête du Parfum des Prairies, ainsi que la Préface d’Antonin Terme. On a trouvé, à la suite, le Glossaire de Charles de Lasalle. À l’Appendice qui termine ce volume, on trouvera quelques documents dont la publication nous paraît devoir compléter ce volume.

Ce sont, dans l’ordre :

1o La note de Charles de Lasalle qui termine notre manuscrit.

2o La Notice du Traducteur sur le Cheikh Nefzaoui, qui précède l’édition autographiée de 1876.

3o La Postface : « Au Lecteur » de la même édition autographiée.

Comme nous l’avons écrit dans l’Avertissement placé en tête de ce volume, la traduction parlée de la Mauresque Néfissah, rédigée en français par Antonin Terme, nous semble serrer de plus près le texte arabe que celle du Commandant Maréchal.

Ce n’est pas que nous croyons à un texte arabe unique et invariable. Comme tous les contes orientaux, il est probable que le Parfum des Prairies s’est transmis surtout par la tradition orale et que les manuscrits représentent des copies exécutées de mémoire.

D’où l’existence possible de textes arabes différents.

On remarquera cependant que les deux traductions — car la version Liseux n’est qu’une variante de la traduction Maréchal — suivent un même plan, avec les mêmes chapitres et, dans chaque chapitre, les mêmes histoires.

Quoi qu’il en soit, il nous semble que la version d’Antonin Terme est préférable, qu’elle suit de plus près le texte arabe, qu’elle est, en un mot, plus littérale.

Un exemple permettra d’en juger. Il est pris dans le Ier chapitre.

Traduction Maréchal-Liseux. — On raconte qu’un certain jour Abdel el Melick ben Merouane alla trouver Leïlla, sa maîtresse, et lui posa des questions sur beaucoup de choses. Entre autres, il lui demanda quelles étaient les qualités que les femmes recherchaient dans les hommes.

Traduction Terme. — Un jour entre les jours, Abd el Malek ben Merouar ayant rencontré la belle Lila, Lila la Sauvage, il lui demanda bien des choses et entre autres celles-ci : — Quelles sont, gracieuse Lila, les distinctions que les femmes aiment à voir chez les hommes ?

Veut-on un second exemple ?

Le chapitre X est intitulé par Maréchal :

Concernant les organes de la génération chez les animaux.

Terme l’intitule :

Des différents noms des engins des bêtes.

Et voici le début de ce chapitre :

Maréchal. — Sache, ô Vizir ! (Que Dieu te fasse miséricorde !), que les organes sexuels des mâles des divers animaux ne ressemblent pas aux différentes natures de membre viril que j’ai mentionnées.

Terme. — Entendez et écoutez, Seigneur Vizir, que Dieu bénisse ! Il y a des animaux dont le membre reproducteur est à peu près conformé comme celui de l’homme ; ce sont ceux qui ont des sabots aux pieds, comme les chevaux, les mulets et les ânes. Ceux-là ont des zebs vraiment remarquables comme dimension.


Comme on voit, Terme traduit en conservant au style arabe sa saveur, et se garde d’employer des termes scientifiques empruntés aux ouvrages de physiologie pour gens du monde.

Si ce n’est une traduction vraiment littérale, c’est, du moins, celle qui nous donne l’idée la plus exacte de ce remarquable ouvrage où se marient harmonieusement la poésie et la sensualité orientales.

Helpey,
bibliographe poitevin.

APPENDICE

I

NOTE

(Manuscrit Augustin Terme)


La malheureuse guerre Franco-Allemande de 1870 m’ayant forcé à quitter Metz, ma ville natale livrée à l’Allemagne, je vins m’établir à Bruxelles. J’eus la bonne fortune d’y faire la connaissance de Terme, Français comme moi, fixé à Liège. Dans une visite que je lui fis, il me donna à lire la traduction de ce manuscrit arabe et, sur le désir que je lui en exprimai, me permit très gracieusement d’en prendre une copie, que je fis moi-même pour éviter un manque de fidélité chez un copiste. Je ne crois pas qu’il ait donné cette permission à d’autres depuis. Il n’existe donc que trois exemplaires de la traduction du livre de Nef-Zaouï ; celui que possède Terme, celui qu’il a offert à Soulary, comme en fait foi sa lettre d’envoi qui sert de préface à l’ouvrage, et la copie que je fis à Bruxelles, en 1875.

Pour rendre plus facile la lecture de l’ouvrage, je ne me suis pas astreint à suivre la coutume orientale qui met le commencement du livre à la dernière page, d’après nos habitudes. À l’ouvrage lui-même j’ai ajouté un petit glossaire arabe des mots qui y sont conservés dans cette langue et la copie d’une pièce de Soulary qui est la réponse à la dédicace du livre.

Charles de Lasalle.

II

Notice du traducteur


SUR LE CHEIKH NEFZAOUI[4]

(1850)

(Édition autographiée de 1876)


Le nom du Cheikh Nefzaoui n’est passé à la postérité que par l’ouvrage dont la traduction est ci-après, et qui est le seul qui soit connu de lui.

Malgré la nature du sujet qui y est traité et les erreurs multipliées qui s’y rencontrent, suite de la négligence et de l’ignorance des copistes, on reconnaît que ce traité est dû à la plume d’un homme d’une grande érudition et réunissant généralement plus de connaissances en littérature et en médecine que l’on est habitué à en rencontrer chez les Arabes.

D’après la notice historique qui se trouve dans les premiers feuillets du manuscrit, et nonobstant l’inexactitude qu’elle semble renfermer au sujet du nom du Bey qui régnait à Tunis, il est présumable que cet ouvrage a été composé dans le commencement du xvie siècle, vers l’an 925 de l’Hégire.

Quant à la patrie de l’auteur, on est autorisé à penser, en raison de l’habitude qu’ont les Arabes de joindre souvent à leur nom celui de leur pays, qu’il est né à Nefzaoua[5], ville située dans le canton de ce nom, sur les bords du lac dit Sebkha Melrir, au sud du royaume de Tunis.

Ainsi que le dit le Cheikh lui-même, il habitait Tunis, et c’est dans cette ville qu’il aurait composé son ouvrage. Un motif tout particulier, et que rapporte la tradition, l’aurait amené à s’occuper d’un travail auquel ses goûts simples et retirés semblaient devoir le rendre étranger.

Ses connaissances en jurisprudence et en littérature, ainsi qu’en médecine, l’ayant signalé au Bey de Tunis, celui-ci aurait voulu lui faire remplir l’emploi de cadi, et cela malgré sa répugnance à occuper des fonctions publiques.

Hésitant toutefois à mécontenter le Bey par un refus formel, qui aurait pu ne pas être sans danger pour lui, il demanda seulement un court délai pour mettre la dernière main à un ouvrage qu’il avait entrepris.

Ce délai accordé, il l’employa à composer le traité dont il s’agit, traité qui, lorsqu’il fut connu, appela tellement l’attention sur son auteur qu’il devint dès lors impossible de lui confier des fonctions de la nature de celles de cadi[6].

Mais cette version, qui n’est appuyée d’aucun témoignage authentique, et qui tendrait à faire passer le Cheikh Nefzaoui pour un homme d’une morale peu sévère, ne me paraît pas devoir être admise. Il suffit, en effet, de jeter un coup d’œil sur ce livre, pour se convaincre que son auteur, en le composant, a été animé des plus louables intentions et que, loin d’être blâmable, il s’est créé, au contraire, par les services qu’il a cherché à rendre à l’humanité, des droits à sa reconnaissance, ainsi qu’à celle de la postérité.

Contrairement à l’habitude des Arabes, il n’existe aucun commentaire de ce livre ; peut-être faudrait-il rechercher la cause de cette lacune dans la nature même du sujet qui y est traité et qui aurait effrayé, mal à propos, les esprits sérieux et adonnés à l’étude. Je dis : mal à propos, parce que cette œuvre, plus que toute autre, avait besoin de commentaires ; des questions graves y sont traitées et ouvraient un vaste champ au travail, à la méditation.

Quoi de plus important, en effet, que l’étude des principes sur lesquels repose le bonheur de l’homme et de la femme, en raison de leurs relations mutuelles, relations qui, elles-mêmes, sont toutes assujetties à des causes de caractère, de santé, de tempérament et de constitution qu’il appartient aux philosophes d’approfondir ? J’ai cherché à combler cette omission par des notes qui, bien qu’incomplètes, je l’avoue, peuvent cependant, jusqu’à un certain point, servir de guide.

Dans les cas douteux et difficiles, et lorsque la pensée de l’auteur ne me semblait pas ressortir d’une façon suffisamment claire, je n’ai point hésité à chercher la lumière auprès des savants de l’une et de l’autre religion, et c’est grâce à leur obligeant concours que bien des difficultés, que je croyais insurmontables, ont été vaincues. Je me plais à leur adresser ici tous mes remerciements.

Parmi les auteurs qui ont traité de matières semblables, on n’en trouve point qui puissent être complètement comparés au Cheikh, car son œuvre tient à la fois de l’Arétin, de l’Amour Conjugal et de Rabelais ; ses rapports avec ce dernier auteur m’ont même quelquefois paru si frappants que je n’ai pu résister au désir de mettre en regard de la traduction quelques passages analogues tirés de cet ouvrage.

Mais ce qui fait surtout de ce traité un livre tout à fait à part, et peut-être unique en son genre, c’est le sérieux avec lequel les questions les plus lascives et les plus obscènes sont présentées ; on voit que l’auteur est persuadé de l’importance des questions qu’il y traite et que le désir d’être utile à ses semblables est le seul mobile de ses efforts.

Il n’hésite point d’ailleurs, pour donner plus de poids à ses recommandations, à multiplier les citations religieuses et, en plusieurs circonstances, il invoque l’autorité du Koran, le livre sacré par excellence chez les musulmans.

Il y a lieu de penser que cette œuvre, sans être précisément une compilation, n’est pas due tout entière au génie du Cheikh Nefzaoui et que plusieurs emprunts ont été faits à des auteurs arabes et indiens. Ainsi tout ce qui est relatif à Moçaïlama et à Chedjâ est tiré de l’ouvrage de Mohammed ben Djerir el Taberi ; les diverses positions décrites pour le coït, ainsi que les mouvements qui leur sont applicables, proviennent de livres indiens ; enfin le Traité des Oiseaux et des Fleurs, par Azeddine el Mocadecci, paraît avoir été consulté en ce qui est relatif à l’interprétation des songes. Mais on ne peut qu’approuver l’auteur d’avoir cherché à s’entourer des lumières des savants qui l’avaient précédé, et il y aurait de l’ingratitude à ne pas reconnaître les bienfaits que son livre a répandus chez un peuple encore dans l’enfance en ce qui concerne l’art d’aimer.

Il est à regretter seulement que cet ouvrage, complet sous tant de rapports, présente cependant une omission fâcheuse relativement à une habitude trop commune chez les Arabes pour ne pas mériter une attention particulière. Je veux parler de ce goût si répandu chez les Grecs et chez les Romains, et qui consiste à préférer un jeune garçon à une femme, ou bien à considérer celle-ci comme un jeune garçon.

Il y avait, à ce sujet, de bons et salutaires conseils à donner, ainsi que sur les plaisirs que prennent entre elles les femmes tribades. Le même silence est gardé par l’auteur à l’égard de la bestialité ; cependant les deux contes qu’il rapporte et qui parlent, l’un de deux femmes se caressant mutuellement, et l’autre d’une femme recherchant les caresses d’un âne, prouvent que ces genres de plaisir ne lui étaient pas inconnus : il est dès lors inexcusable de n’être pas entré dans quelques détails au sujet de ces diverses manières d’entendre l’amour. Certes, il eût été intéressant de connaître quels sont les animaux qui, en raison de leurs mœurs et de leur conformation, sont le mieux appropriés pour servir au plaisir soit de l’homme, soit de la femme, et quels peuvent être les résultats de ces accouplements.

Enfin le Cheikh garde également le silence sur les jouissances qu’est susceptible de donner la bouche ou la main d’une jolie femme, ainsi que sur les cunnilinges.

Qui a pu motiver un pareil oubli à l’égard de questions aussi intéressantes ? Le silence de l’auteur à ce sujet ne peut être attribué à l’ignorance, car, dans le cours de son ouvrage, il a donné des preuves d’une érudition trop étendue et trop variée pour qu’il soit permis de suspecter son savoir.

Faut-il rechercher la cause de cette lacune dans l’espèce de mépris qui existe réellement chez le musulman pour la femme et qui l’amène à croire qu’il dégraderait sa dignité d’homme s’il s’abaissait à des caresses paraissant s’écarter des règles qu’a tracées la nature ? Ou bien enfin l’auteur s’est-il tu, craignant, s’il abordait de pareilles matières, de laisser présumer qu’il partageait des goûts que beaucoup de personnes regardent comme dépravés ?

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage, tel qu’il est, contient encore un grand nombre de renseignements utiles et de faits curieux, et j’en ai entrepris la traduction parce que, comme le dit le Cheikh Nefzaoui dans le préambule de son ouvrage : « J’en jure par Dieu, certes ! la connaissance de ce livre était nécessaire ; il n’y aura que l’ignorant éhonté, ennemi de toute science, qui ne le lira pas ou qui le tournera en ridicule. »



III

AU LECTEUR

(Édition autographiée de 1867)


En l’an de grâce 1876, plusieurs amateurs passionnés de littérature arabe se sont réunis pour mener à bien la reproduction à plusieurs exemplaires, par l’autographie, d’une traduction française de l’ouvrage du Cheikh Nefzaoui, qu’un heureux hasard avait fait tomber entre leurs mains. Chacun a apporté à l’œuvre le concours de sa spécialité, et c’est ainsi que ce travail de longue haleine a pu être achevé par des profanes, au milieu d’obstacles sans nombre qui ont failli bien souvent rebuter leur enthousiasme.

Ainsi, comme le Lecteur l’a certainement deviné depuis longtemps, ce n’est pas une individualité, mais bien un groupe qui a profité d’une réunion de circonstances favorables et de facilités qu’on ne rencontre pas tous les jours, pour offrir à ses amis la primeur d’un ouvrage intéressant, mais si peu répandu qu’il n’avait été donné jusqu’à présent qu’à bien peu de gens de le lire : encore ces privilégiés n’en avaient-ils pu prendre connaissance que dans des manuscrits informes, copies dénaturées de traductions incomplètes ! C’est à cette association d’efforts, dans laquelle le principe fécond de la division du travail a été largement appliqué pour la plus grande réussite de l’entreprise, que ce livre doit le jour.

L’Éditeur (c’est sous ce nom que la Société J. M. P. Q. a été, est et sera désignée) est sûr d’emblée, malgré les imperfections de sa production, des sympathies de ses lecteurs, qui sont tous ses amis ou les amis de ses amis, et à l’intention desquels il a travaillé. Aussi ne vient-il pas ici réclamer une indulgence qui lui est acquise d’avance : il veut uniquement éclairer chacun sur la valeur exacte et la nature de l’œuvre qu’il lui présente, et, pour cela, lui faire connaître sur quelles bases le travail a été exécuté, dans quelles limites la traduction remarquable de M*** a été respectée, quel fond, en un mot, il faut faire sur ce titre : Traduit de l’arabe par M***, capitaine d’État-Major.

Il importe, en effet, qu’il n’y ait aucun malentendu sur ce point et que le lecteur ne se figure pas avoir entre les mains la copie fidèle de cette traduction ; car nous l’avons modifiée, nous le confessons, et c’est pour justifier les changements que nous y avons apportés et qui nous ont été imposés par les circonstances que nous avons tenu à fournir ces explications.

Il n’a été fait, jusqu’à présent, à notre connaissance, que deux traductions sérieuses du Cheikh Nefzaoui. L’une, celle dont nous sommes servi, est due, comme on le sait, à M***, arabisant fanatique et distingué ; l’autre est l’œuvre de M. le docteur L*** ; elle n’est jamais tombée entre nos mains. Un savant interprète en avait commencé une, qui promettait de laisser loin d’elle ses devancières ; malheureusement la mort est venue interrompre l’accomplissement de cette tâche, qui n’a pas trouvé de continuateur.

Notre intention n’était, au début, que de reproduire servilement la première de ces traductions, sauf, toutefois, à opérer les rectifications nécessitées par les fautes grossières d’orthographe et de français qui pullulaient dans le manuscrit que nous en possédions. Nos vues n’allaient pas au delà. Mais à peine étions-nous entré un peu avant dans le livre, que nous nous apercevions qu’il était impossible de conserver la traduction intacte. Des omissions patentes, des erreurs de sens, provenant sans nul doute de l’incorrection du texte arabe que le traducteur avait eu à sa disposition et qui ne pouvaient échapper à l’œil le moins attentif, nous mirent dans la nécessité d’aller puiser des éclaircissements à d’autres sources. Nous fûmes ainsi conduit à consulter, comme moyen de contrôle, tous les manuscrits arabes de l’ouvrage qu’il nous fut possible de nous procurer.

Trois textes furent ainsi mis à contribution. Ces trois documents traitaient les mêmes sujets dans le même ordre et présentaient la même succession de chapitres correspondant du reste, de point en point, sous ce rapport, avec celui sur lequel avait dû travailler notre traducteur ; mais deux d’entre eux donnaient, en quelque sorte, un résumé des questions traitées, tandis que le troisième semblait, au contraire, s’étendre à plaisir sur chaque sujet.

Nous nous appesantirons un peu sur ce dernier texte, car son étude nous a permis d’éclaircir un certain nombre de points sur lesquels M***, malgré ses recherches consciencieuses, n’avait pas jeté une lumière suffisante.

Le caractère principal de ce texte, qui n’est pas exempt de fautes, quelquefois même grossières, est d’affecter une plus grande recherche dans le style et dans le choix des expressions, d’entrer dans des détails méticuleux et fréquemment techniques, de multiplier les citations de pièces de vers, souvent, il faut bien le dire, sans beaucoup d’à-propos, d’abuser, en certaines circonstances, d’images ordurières pour lesquelles l’auteur semble avoir un attrait tout particulier ; mais, comme compensation à ces défauts, de donner, au lieu de froides et sèches explications, des tableaux, dans beaucoup de cas, charmants, ne manquant parfois ni de poésie, ni d’originalité, ni de talent de description, ni même d’une certaine élévation de pensées, et portant un cachet oriental dont la délicatesse ne saurait être niée. Nous pouvons citer comme exemple le Chapitre des Baisers, qui ne se trouve ni dans notre traduction ni dans aucun des deux autres textes que nous avons compulsés et dont nous lui avons fait l’emprunt.

En notre qualité de Gaulois, nous ne saurions nous plaindre des gravelures qui y sont semées comme à dessein pour exciter la grosse gaîté ; mais ce que nous devons regretter, ce sont les longueurs fatigantes, les pages entières de remplissage qui déparent l’ouvrage et sont comme le revers de la médaille. L’auteur lui-même l’a senti, puisqu’en terminant son ouvrage, il prie le lecteur de le lui pardonner en considération de la bonne intention qui a guidé sa plume. En présence des qualités de premier ordre qu’on était obligé de lui reconnaître, nous eussions préféré ne pas y rencontrer ces défectuosités ; nous eussions aimé, en un mot, à lui trouver un caractère plus homogène et plus sérieux, surtout si l’on considère que la circonstance que nous relevons est de nature à faire naître des doutes sur la véritable origine des choses nouvelles qui y ont été découvertes et qui pourraient facilement passer pour des interpolations dues à la fantaisie d’un ou plusieurs copistes par les mains desquels l’ouvrage a passé avant de nous arriver.

Chacun connaît, en effet, les graves inconvénients qu’offrent les manuscrits et les services qu’a rendus l’imprimerie à la science et à la littérature en les détrônant. Aucune copie ne sort complète et parfaite des mains de l’écrivain, surtout de l’écrivain arabe, moins scrupuleux que tout autre. Celui-ci, non seulement y sème involontairement les incorrections dues à son ignorance et à sa négligence, mais encore ne se fait pas faute de corriger, de modifier, d’ajouter surtout, suivant son caprice. Le lecteur lettré lui-même, entraîné par l’attrait du sujet, vient aussi bien souvent par là-dessus annoter le texte en marge, insérer l’anecdote du jour, l’idée qui a cours, la recette médicinale préconisée, et tout cela se retrouve ensuite dans le corps de l’ouvrage, au grand détriment de sa pureté, dès qu’il est livré à un nouveau copiste.

Il n’est pas douteux que ce fait se soit produit pour le Cheikh Nefzaoui. Nos trois textes et celui sur lequel a travaillé le traducteur offrent, en effet, des dissemblances frappantes et de tous les instants, quoique, soit dit en passant, celui de la traduction semble se rapprocher davantage, comme style, du texte étendu dont nous venons de parler. Mais une question d’un autre ordre vient se poser à nous à propos de ce dernier, qui renferme plus de quatre fois la matière des autres. Est-il en entier l’œuvre du Cheikh Nefzaoui, ayant subi toutefois les modifications auxquelles ne peuvent échapper les manuscrits, et constituerait-il alors un ouvrage à part, à l’usage des raffinés, tandis que les autres ne seraient qu’un abrégé, un ouvrage élémentaire à l’usage du vulgaire ? Ou bien ne serait-il que le produit d’additions nombreuses faites successivement à l’ouvrage et qui l’auraient grossi au point de lui donner l’importance que nous constatons ?

Nous n’hésitons pas à nous prononcer pour la première de ces hypothèses. Le Cheikh, dans l’historique qu’il en fait, raconte que son ouvrage est le second de son espèce qu’il compose et qu’il n’est autre que le premier, intitulé le Flambeau de l’Univers, considérablement augmenté sur les conseils du vizir Mohammed ben Ouana ez Zouaoui. Ne serait-il pas possible qu’un troisième ouvrage, plus complet encore que le second, et dans le même goût, eût été le résultat de nouveaux travaux de notre auteur ? Des sujets tout à fait spéciaux ont été, effectivement, traités dans l’ouvrage dont nous parlons. En nous reportant à la notice qui figure comme préface en tête de cette traduction, l’attention est attirée sur des reproches adressés par le traducteur à l’auteur parce que deux questions intéressantes à plus d’un titre, la tribadie et la pédérastie, n’avaient même pas été effleurées. Eh bien ! le Cheikh répondrait victorieusement à son critique en se présentant à lui l’ouvrage en question à la main, car le chapitre de celui-ci, qui constitue à lui seul plus de la moitié de l’œuvre, est le vingt et unième dont le titre est : Chapitre vingt et unième et dernier du livre, traitant de l’utilité des œufs et de quelques autres choses favorables au coït ; de la tribadie et de la femme, qui, la première, a imaginé ce genre de plaisir ; de la pédérastie et de ce qui s’y rapporte ; du maquerellage et des diverses ruses au moyen desquelles on peut arriver à la possession de la femme qu’on aime ; de farces, de plaisanteries, de quelques anecdotes et de plusieurs questions se rattachant généralement au coït.

Quelle serait la surprise du traducteur en constatant la communauté de vues et de sentiments qui existait entre lui, un représentant de la civilisation moderne, et cet Arabe qui vivait il y a plus de trois cents ans ! Il ne lui resterait plus qu’à regretter d’avoir eu une aussi mauvaise opinion de son maître et d’avoir pu, un seul instant, croire à une omission de sa part et mettre en doute sa compétence sur les sujets variés que comporte la matière.

Cette découverte d’un texte aussi complet n’autorise-t-elle pas à admettre l’existence de deux ouvrages : l’un élémentaire, l’autre savant ? Et ne serait-ce pas par un reste de pudeur que l’auteur a réservé pour le vingt-unième chapitre, sans les avoir indiqués au début, les sujets scabreux que nous ne trouvons exposés que là ?

Poser la question de cette façon, c’est en même temps la résoudre, et la résoudre par l’affirmative. Cet interminable chapitre ne saurait être le résultat d’interpolations. C’est un travail trop long et trop sérieux pour que cela soit admissible. Le peu que nous en avons pu voir nous semble porter en soi un parfum d’originalité trop prononcé et être composé avec trop de méthode pour n’être pas l’œuvre du maître et de lui seul.

On pourra s’étonner peut-être que ce texte soit si peu répandu. La réponse à cette objection est bien simple. Comme le dit judicieusement le traducteur dans sa notice, les questions que nous trouvons traitées au vingt et unième chapitre sont de nature à effaroucher extérieurement beaucoup de gens. Or, tel Arabe, qui professe en secret un culte pour la pédérastie, affecte des dehors rigides et austères, tandis qu’on le voit discuter sans contrainte, dans sa conversation, tous les sujets qui se rapportent à l’acte naturel. On conçoit aisément, d’après cela, qu’il ne doit pas faire montre d’un pareil livre, qui compromettrait sa réputation aux yeux de ses coreligionnaires, alors qu’il n’éprouve aucun embarras à exhiber celui qui ne s’occupe que du coït. Une autre considération, d’ailleurs, suffit à expliquer d’une façon complète la rareté de l’ouvrage : son étendue lui donne une grande valeur, et le manuscrit, en raison du prix qu’il atteint, ne peut être à la portée de toutes les bourses.

Quoi qu’il en soit de l’origine de ce texte et étant donnés les trois documents que nous avions entre les mains, y compris celui-là, nous avons retouché dans une large mesure la traduction de M***. Chaque point douteux a été l’objet de recherches minutieuses dans les trois textes et a pu être, en général, éclairci au moyen de l’un ou de l’autre. Entre plusieurs versions acceptables, nous avons choisi celle qui se reliait le mieux à l’ensemble de l’ouvrage, et un grand nombre de passages tronqués ont été ainsi rétablis. Nous n’avons pas craint non plus de faire des additions, en empruntant au texte étendu ce qui nous a paru digne d’être reproduit, et que le lecteur lui-même ne nous aurait pas pardonné d’avoir laissé de côté. Nous avons eu soin, toutefois, de ne pas trop surcharger l’ouvrage et de n’y introduire que ce qui ne portait pas atteinte au caractère particulier de la traduction primitive. C’est en partie pour ce dernier motif, mais surtout parce que le travail que cette entreprise nous eût imposé dépassait nos forces à tous les points de vue que nous avons dû renoncer, à notre grand regret, à mettre au jour les richesses que recèle le vingt et unième chapitre, ainsi qu’un certain nombre de contes nouveaux non moins séduisants que ceux que nous donnons et dont ce texte a été grossi.

Nous ne devons pas dissimuler qu’en dehors de ces remaniements, nous ne nous sommes pas fait scrupule de polir les phrases, d’arrondir les périodes, de modifier les tournures, en un mot de porter la main sur la forme même de la traduction, qui, sous ce rapport, laissait à désirer en beaucoup d’endroits. Il était essentiel que la lecture en fût agréable : or, le traducteur, dans un but des plus louables, il est vrai, s’était trop attaché à conserver le cachet de la langue arabe et était arrivé par des phrases coupées, heurtées, sans liaison, à en rendre la lecture pénible. Il est même à supposer, d’après l’examen de quelques passages, qu’il n’avait fait, principalement à la fin, qu’ébaucher et n’avait pu, pour une raison ou pour une autre, donner une dernière façon, qu’il réservait sans doute pour plus tard. Il y avait, à coup sûr, grand avantage à laisser à cette littérature toute sa saveur originelle, mais il était non moins important de donner à la traduction une allure française, tout en ne dénaturant pas l’original. C’est là le but que nous avons cherché à atteindre, sans pouvoir nous flatter d’y avoir réussi.

Les éléments nouveaux que nous avons introduits ainsi nous ont entraîné à des modifications dans les notes du traducteur et à l’addition de nouvelles notes indispensables pour l’intelligence des sujets non encore traités. Nous avons observé, à cet égard, la même circonspection que pour le texte, nous efforçant, en toutes circonstances, de respecter, dans la limite du possible, le travail personnel du traducteur.

Maintenant que le lecteur est renseigné sur l’édition française du Cheikh Nefzaoui que nous lui offrons, qu’il nous permette de terminer par des considérations rapides sur l’ensemble de l’ouvrage.

On y rencontre beaucoup de passages qui ne sont pas d’une lecture bien attrayante. Les idées extraordinaires qui y sont développées, celles, par exemple, qui touchent à la médecine et à l’application de songes, choquent trop directement les idées modernes pour ne pas provoquer à un moment donné, chez le lecteur, un sentiment plutôt d’ennui que de plaisir.

L’ouvrage est, assurément, embarrassé de ces choses qui ne peuvent que paraître ridicules à des gens civilisés, mais il ne nous appartenait pas de l’en dégager. Nous étions tenu de le livrer intact, tel que nous l’avait confié notre traducteur. En pareille matière, c’est toujours un crime de retrancher, et toute idée de sélection devait être repoussée. Nous avons estimé, avec le proverbe italien, « Traduttore, traditore », qu’un ouvrage est suffisamment dénaturé déjà quand on le fait passer de sa langue dans une autre, et nous espérons avoir, sur ce point, l’approbation de tous. Ces bizarreries sont, d’ailleurs, d’un enseignement utile. Elles font connaître, sous une face particulière, les mœurs et le caractère de l’Arabe, et non seulement de l’Arabe contemporain de notre auteur, mais encore de celui de nos jours. Ce dernier, en effet, n’est, en réalité, guère plus avancé que son ancêtre. Ce sont encore maintenant, malgré notre contact qui devient chaque jour plus immédiat, nous dirons même pressant, tant en Tunisie qu’au Maroc, en Égypte et dans les autres pays musulmans, les mêmes préceptes de médecine, les mêmes croyances dans la divination, le même ramassis d’idées saugrenues dans lesquelles le sortilège et l’amulette jouent un rôle considérable et qui, pour nous, ne prêtent qu’à rire. On peut aussi constater, dans les passages qui nous occupent, que ce peuple n’est pas resté aussi étranger qu’on pourrait le croire aux jeux de l’esprit, car le calembour occupe une place importante dans les explications de songes dont l’auteur a parsemé les chapitres des organes sexuels, on ne sait à quel propos du reste, mais sans doute pour qu’aucun genre d’intérêt ne fît défaut à son œuvre.

Le lecteur trouvera peut-être aussi que la vraisemblance a été fréquemment sacrifiée à l’imagination. C’est là un des signes distinctifs de la littérature arabe, et notre ouvrage ne pouvait être exempt du défaut inhérent au génie de ce peuple, qui brille par son amour du merveilleux et qui compte, parmi ses principales productions littéraires, les Mille et une nuits. Mais si les contes font apparaître ce défaut au grand jour, on ne saurait, d’un autre côté, leur refuser des qualités charmantes : de la naïveté, de la grâce, de la délicatesse, toutes choses qui en font une mine précieuse que bien des auteurs modernes ont exploitée. Nous avons relevé, dans quelques notes, le points de contact que nous avons reconnus entre ces contes et ceux de Boccace et de La Fontaine, mais nous n’avons pu les faire tous ressortir. Nous en avons involontairement passé sous silence, et des plus frappants, entre autres celui qui se rapporte à la bluette intitulée : L’homme expert en stratagèmes dupé par une femme, que nous trouvons reproduite, avec l’art inimitable de Balzac, à la fin de la Physiologie du mariage.

Nous nous arrêterons là dans cet aperçu beaucoup trop long déjà. Si, au lieu d’ouvrir ce livre par une préface, nous avons cru devoir nous mettre en communication avec le lecteur à la fin seulement, c’est que nous voulions ne pas nous imposer à lui, ni même le mettre dans la nécessité de nous enjamber pour arriver à l’ouvrage. Que ces lignes, donc, soient lues par lui ou ne le soient pas, nous croyons avoir rempli notre devoir en le renseignant fidèlement sur la direction qui a été donnée à notre travail. Nous tenions, d’une part, à bien établir tout le mérite qui revient au traducteur pour nous en avoir fourni la base, c’est-à-dire la portion qui exige la science et en même temps le plus d’efforts laborieux, de l’autre, à ne pas laisser ignorer que sa traduction avait été l’objet d’une refonte.

La voie reste ouverte à l’arabisant de bonne volonté qui voudra entreprendre une traduction meilleure et surtout compléter l’œuvre, en livrant à l’admiration de ses contemporains les beautés ignorées dans le vingt et unième chapitre.


  1. Paris, Fourdrinier, 1930. Tome I, p. 171 et suivantes.
  2. Ces fausses indications et ces antidates sont des supercheries classiques en pareille matière.
  3. Bibliothèque des Curieux.
  4. Note de l’édition autographiée (1876). — Le lecteur voudra bien ne pas oublier, en parcourant cet ouvrage, que les Notices et les Notes qui le précèdent ou l’accompagnent, et qui émanent de l’éminent Traducteur, ont été rédigées à une époque où l’Algérie était peu connue, où la Kabylie, en particulier, ne l’était pour ainsi dire pas. Il ne trouvera, dès lors, pas surprenant que quelques détails qui y sont donnés ne soient pas à la hauteur des connaissances actuellement acquises.
  5. Le canton de Nefzaoua renferme beaucoup de villages isolés les uns des autres ; tous sont en plaine et entourés de palmiers, au milieu desquels il y a de grands réservoirs. Les pèlerins croient qu’on appelle ce pays Nefzaoua parce qu’il y a mille zaoua (chapelle où est enterré un marabout), d’où, prétendent-ils, on a d’abord dit El Afoun Zaouia, puis par corruption Nefzaoua. Mais cette étymologie, qui est arabe, ne paraît pas exacte, car, d’après ce que disent les historiens arabes, les noms des localités sont antérieurs à l’établissement de l’islamisme. La ville de Nefzaoua est entourée d’un mur construit de pierres et de briques ; elle a six portes, une mosquée, des bains et un marché ; les environs offrent partout des fontaines et des jardins.
  6. Il ne serait pas impossible que le livre composé en cette circonstance par le Cheikh ne fût l’abrégé de celui-ci, abrégé dont il parle dans le premier chapitre de cet ouvrage et qu’il désigne sous le nom de Flambeau de l’Univers.