Le Parapluie de l’escouade/Inconvénients du baudelairisme outrancé

INCONVÉNIENTS
DU
BAUDELAIRISME OUTRANCÉ


Faut du Baudelaire, c’est entendu, mais pas trop n’en faut. L’historiette qui suit indiquera, pour la partie intelligente de ma clientèle, ce qu’on doit prendre du Baudelairisme et ce qu’il conviendrait d’en laisser.

Un grand jeune homme blond, à l’âme d’azur, était élève dans une excellente pharmacie de Paris. Son temps s’écoulait entre les préoccupations officinales et la lecture, jamais close, des Fleurs du Mal.

Pas un mot murmuré près de lui ; pas une image évoquée, pas un rien du tout, quoi ! qui ne déclanchât en sa tête, et tout de suite, un vers ou deux du divin beau-fils du général Aupick.

Or, un jour, une dame entra dans la pharmacie et lui dit :

— Nous venons, mon mari et moi, de mettre du vin en bouteilles, mais le fond de la barrique est affreusement trouble, et je viens vous prier de me donner un filtre.

Le jeune potard donna le filtre.

Soit que ce filtre fût, vraiment, composé d’une matière irrésistante, soit que la dame y eût, trop brusquement, versé le liquide, le filtre creva.

Et la dame revint à la pharmacie, disant au jeune homme :

— Vous n’auriez pas de filtre plus fort ?

Alors, subitement déclanché par ces mots, le jeune Baudelairien clama :


Ah ! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revenir les morts !


Légitimement froissée de ce quatrain interpellatif qu’elle n’avait aucunement mérité, et auquel, disons-le, elle était loin de s’attendre, la dame alla conter la chose à son mari, lequel s’empressa de venir administrer à l’éthéré potard une raclée notoire.

Avais-je pas raison de dire en débutant : Faut du Baudelaire, c’est entendu, mais pas trop n’en faut ?