Le Pape/Malédiction et bénédiction

Le PapeOllendorfŒuvres complètes, tome 29 (p. 53-55).


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MALÉDICTION ET BÉNEDICTION


Les malédictions sont sur les multitudes,
Les tonnerres profonds hantent les solitudes,
Rien n’est laissé tranquille en ce sombre univers.
Les prêtres sont pareils à des gouffres ouverts ;
Qui regarde dedans voit des choses affreuses.

Si tu planes, tout fuit ; tout croule, si tu creuses.
Ô morne angoisse !

Ô morne angoisse ! Hélas ! l’anxiété partout.
Que de rêves tombés ! Que de spectres debout !
L’homme, en proie à la nuit dont le prêtre est complice,
Peut-être a devant lui l’échelle d’un supplice
Quand, sentant des degrés dans l’ombre, il dit : Montons.
Le genre humain ignore, erre, marche à tâtons,
Souffre, et ne voit, s’il cherche une lueur propice,
Qu’un flamboiement farouche au fond d’un précipice.
Tout est-il donc fatal ? Rien n’est-il donc clément ?
La vie est une dette et la mort un paiement ;
Satan règne ; le mal fait loi ; l’enfer, c’est l’ordre.

Et j’entendais gémir et je voyais se tordre,
Dans la brume que nul n’explore et ne connaît,
Les tristes nations sur qui tout s’acharnait,
Prêtres, juges, bourreaux, scribes, princes, ministres ;
Les innombrables flots ne sont pas plus sinistres ;
Le tragique Océan n’est pas plus torturé
Par les souffles confus du vent démesuré.

L’homme, en ces profonds cieux qu’il nomme noirs royaumes,
Regarde un effrayant penchement de fantômes,
Et tremblé. L’inconnu lui jette des clameurs.
Le matin lui dit : Pleure ! et le soir lui dit : Meurs !
Dans l’Inde, tous les dieux taillés dans tous les marbres,
Les blêmes hommes nus vivants au creux des arbres,
En Grèce Bacchus ivre et traîné par des lynx,
Les molochs en Afrique, en Égypte les sphinx,
Le Baal monstrueux, le Jupiter inique,
Au Vatican le pâle et sanglant Dominique,
Tout menace. Partout les peuples sont maudits.
Les rois seuls, noirs élus, sont dans des paradis,
Joyeux, superposés aux supplices des hommes ;
Les courtisans dorés sont les vils astronomes
Qui contemplent d’en bas les rois, ces faux soleils ;
Et les rois sont contents de vivre ; et leurs sommeils,
Leurs réveils, et leurs lits de pourpre, et leurs carrosses,
Leurs trônes, leurs palais, leurs festins, sont féroces.
La guerre en sort. Le prêtre est reptile au tyran.
Le Talmud n’est pas moins lâche que le Koran.
César vainqueur se fait du ciel une province.
Loyola, dur au peuple, est complaisant au prince.
Le fakir est atroce et le bonze est hideux ;
Le crucifix est glaive au poing de Jules Deux ;
Caïphe, âme où l’enfer profond se réverbère,
Interprète Moïse au profit de Tibère.
Ô deuil ! Accablement du morne genre humain !
Pleurs et cris ! Sang des pieds aux cailloux du chemin !
Noirceur du ciel empli par l’immense anathème !

La faute est dans Je hais ! La faute est dans Je t’aime !
Tout est la chute. Hélas ! que faire ? Hommes damnés !
Responsables de vivre et punis d’être nés !
Je médite éperdu dans la nuit formidable.

Quel labeur que jeter la sonde à l’insondable !
Quel gouffre que l’azur qui devient de la nuit !

Terreur ! tout apparaît et tout s’évanouit.
Le deuil reste.

Le deuil reste. Oh ! disais-je, où donc est l’espérance ?
Soudain il me sembla, comme, dans leur souffrance,
Pensif, je regardais les peuples douloureux,
Voir l’ombre d’une main bénissante sur eux ;
Il me sembla sentir quelqu’un de secourable.
Et je vis un rayon sur l’homme misérable.
Et je levai mes yeux au ciel, et j’aperçus,
Là-haut, le grand passant mystérieux, Jésus.