Arthème Fayard et Cie (p. 47-59).

CHAPITRE IV

La solidarité des blancs

Les institutions politiques d’un peuple interviennent dans ses destinées pour une part bien moindre que ses qualités et ses défauts. Témoin la différence qui existe entre les États-Unis des Anglo-Saxons et les États de l’Amérique du Sud peuplés d’indigènes avec un appoint espagnol et portugais ; bien que ces États possèdent les mêmes institutions que les États-Unis (parlement, ministres, séparation des pouvoirs), ils ne sont pas arrivés à la stabilité politique de ceux-ci, et la dictature y est le régime le plus souvent appliqué.

L’âme de la race peut devenir une cause d’arrêt dans le progrès, quelquefois même une cause de décadence si elle ne s’adapte pas aux nécessités du siècle.

Il y a parfois dans l’histoire des nations, disait un jour M. Paul Claudel dans une conférence à Tokio, des moments où, pour rester fidèle à l’esprit et à la vocation de la race, il faut savoir briser courageusement des formes qui ont eu leur valeur et leur utilité, mais qui ne s’accordent plus avec ce besoin de tout être vivant le plus sacré qui est de continuer à vivre. Ce moment est venu pour la France en 1789, il est venu pour le Japon en 1868.

L’âme de la race puise sa force dans le passé, et plus ce passé est long, plus l’âme y est attachée et a de mal à se faire aux conditions du monde moderne. Au contraire dans les pays pour ainsi dire, sans passé, l’âme individuelle constamment modifiée par les événements s’y plie sans peine.

Par là s’explique la différence dont nous parlons entre les États-Unis et les Républiques du Sud ; par là s’explique également le fait que ces dernières, — avec elles le Mexique, — n’excluent pas les jaunes mais les accueillent et parfois même les attirent. Elles ne craignent pas la déformation de leur esprit national par ces éléments ethniques étrangers à leur sol ; elles estiment qu’elles se les assimileront plus ou moins et que ce ne sont pas en tout cas ces nouveaux venus qui dessécheront les racines profondes de leur long passé. Tandis que les États-Unis qui cherchent à être autre chose qu’une masse d’hommes assemblés au hasard, redoutent de plus en plus l’immigration. Si leur stabilité politique et leurs progrès grandissent, d’autre part ils se ferment chaque jour davantage aux étrangers.

Ainsi, dès que l’on quitte les pays de langue anglaise du Pacifique, l’exclusivisme ne se pratique plus. Ce que nous avons appelé le principe des races, qui tend à constituer un lien de solidarité ethnique entre riverains du Grand Océan, n’a en effet, son application qu’entre les États-Unis et les Dominions britanniques.

La sympathie n’est pour rien dans leur rapprochement.


Les Australiens et les Néo-Zélandais, écrit M. André Siegfried, n’éprouvent traditionnellement pour les Américains aucune instinctive amitié : jalousie de parents pauvres, étroite tradition britannique dans les mœurs, loyalisme sans réserve à l’Angleterre. Cependant, à mesure que le péril jaune s’est précisé davantage pour cette petite colonie de six millions de blancs, perdue au bout du monde dans un isolement à la vérité effrayant, il est certain que la puissance américaine a tendu à leur apparaître sous un autre jour. À un moindre degré une évolution psychologique analogue s’est produite en Colombie britannique, peut-être dans le Canada tout entier… L’Australie, le Canada, les Dominions du Pacifique en général comptent sur la puissance britannique pour les défendre éventuellement contre un agresseur asiatique ; mais ils estiment que leur sécurité dépend encore d’une autre condition : la collaboration, dans ces régions, de la race blanche tout entière, pour la défense de la civilisation occidentale. Voilà pourquoi les Australiens, les Canadiens aussi, tiennent si instamment à demeurer en bons termes avec les États-Unis[1].


À ces considérations s’en ajoutent d’autres d’ordre économique, qui, bien que ne servant pas directement notre thèse doivent être mentionnées. États-Unis et Dominions ont une activité économique tellement associée qu’il est naturel qu’ils soient tentés de s’appuyer politiquement les uns sur les autres. Les articles américains d’exportation plaisent énormément au Canada et en Australie ; d’autre part, les ventes du Canada et de l’Océanie aux États-Unis ont augmenté, ces quinze dernières années, de plus de 200 %. On concevrait difficilement que de tels rapports économiques fussent sans influence sur la politique réciproque des pays intéressés.

Cependant ni la politique, ni les intérêts économiques ne suffiraient à expliquer un rapprochement qui oblige les peuples entre lesquels il se produit, à surmonter certaines préventions. Seule la défense de la race blanche intervient d’une façon assez forte pour le réaliser.

Quelle que soit la part qui revenait naguère à des puissances comme la Grande-Bretagne et la France dans la suprématie de la race blanche, il semble qu’à présent dans la zone du Pacifique, les États-Unis soient appelés avant tous autres à représenter et à grouper les blancs autour d’eux.

On a l’impression que pourvu que lui reste l’allégeance politique de ses Dominions, le gouvernement britannique abandonne ce rôle aux États-Unis. Il faut tenir compte sans doute de l’opportunisme britannique et de la désinvolture incomparable avec laquelle Londres change de politique si le besoin s’en fait sentir ; en tout cas les Dominions qui ne tiennent nullement à se trouver dans une situation délicate entre les États-Unis et l’Angleterre, ne se refusent pas à l’allégeance. La charte du 19 novembre 1926 ne consacre qu’une évolution dans les relations de la Grande-Bretagne avec ses Dominions et non pas une rupture, comme l’ont cru des juges superficiels ou trop rigoureusement logiques. En somme tout ce qui pourrait ressembler à une dépendance des Dominions par rapport au gouvernement de la Grande-Bretagne est éliminé, mais le rôle de la couronne comme centre de l’empire britannique subsiste dans la liberté, et ce serait singulièrement méconnaître la souplesse de la politique de Londres et la simplification des moyens, chère aux hommes d’État britanniques, que d’imaginer autre chose[2]. Quoi qu’il en soit un groupement de puissances blanches paraît en train de se constituer dans le Pacifique, en fonction d’une opinion qui n’accorde plus la primauté aux intérêts politiques mais à ceux de la race.

À vrai dire, il ne semble pas que l’opinion américaine tout entière ait conscience du rôle primordial que les États-Unis sont appelés à jouer dans un pareil groupement. Ce n’est guère que dans les États de l’Ouest où la race jaune s’oppose d’une manière pour ainsi dire tangible à la race blanche, qu’un sentiment de solidarité et un besoin de défense sont nés précisément de ce fait patent, quotidien et renouvelé qu’est la rencontre d’un Japonais dans une rue de San-Francisco ou de Los-Angeles. Pourtant, ce rôle, les États-Unis ont déjà commencé à le jouer, et la Conférence de Washington où ils se vantent d’avoir brisé l’alliance anglo-japonaise, fut aux cousins d’Europe un rappel sévère dont l’habileté du reste est contestable, mais qui n’en marque pas moins une volonté de direction morale dans la zone du Pacifique[3].

Quand on sait avec quelle rigueur les États-Unis entravent l’immigration jaune sur leur territoire et cherchent à brider les noirs qui l’habitent, on juge quelle inquiétude leur donne le voisinage du Mexique. La population de ce pays est évaluée à 15 millions et demi d’habitants sur lesquels on ne compte que 2 millions de blancs, Indiens et métis formant le reste. Mais le pire est que le Mexique s’est ouvert aux émigrés par une loi du 31 octobre 1925, et que les métis, par haine des blancs, et les Indiens, par haine des blancs et des métis, ont tendance à favoriser l’immigration des Japonais.

Or, surtout depuis leur exclusion des États-Unis, les Japonais déverseraient volontiers sur le Mexique une partie de leur population toujours croissante. Et tandis que les agriculteurs japonais viennent y travailler, ce pays vend au Japon industriel quantité de matières premières qu’il n’a pas chez lui. Un traité du 8 octobre 1924 règle leurs rapports commerciaux.

Peut-être y a-t-il de la part du Mexique quelqu’imprudence à s’ouvrir sans restriction à l’émigration japonaise. Le flot asiatique quand il devient impétueux n’est pas aisément arrêté. Nous l’avons constaté aux îles Hawaï, et c’est précisément à un risque analogue que la Californie n’a pas voulu s’exposer. En tout cas nous voyons le Brésil, où les Japonais sont bien accueillis, faire preuve de plus de prévoyance. Dans son livre Le Crépuscule des nations blanches (p. 171) (Payot), M. Maurice Muret cite le Jornal do Brazil commentant l’arrivée à Rio d’une commission d’études japonaises :

Nous ne saurions ouvrir entièrement nos portes aux Japonais, écrit ce journal. Il ne nous convient pas non plus de les fermer. Mieux vaudrait tracer des limites au concours de ces étrangers, de manière à n’avoir rien à craindre d’eux au cas où ils ne s’assimileraient pas. Cette question devra être résolue par une législation prévoyante destinée à épargner aux générations futures un trouble problème de race.

On voit le doute prudent émis sur l’assimilation des Asiatiques, malgré la garantie qu’offre à un pays un long passé de civilisation contre la déformation de l’esprit national par l’apport d’éléments étrangers. Il faut dire que les Japonais se sont rendus acquéreurs d’un territoire considérable au Brésil, et qu’ils sont toujours prêts à l’augmenter avec l’intention déjà en partie réalisée dans le Sud, d’y faire de grandes plantations de coton. Au Pérou également l’acquisition de vastes étendues pour la culture du coton est envisagée par des hommes d’affaires japonais.

En somme l’émigration japonaise a trouvé son chemin vers l’Amérique du Sud. Pour le moment, vu la situation troublée du Mexique, elle va surtout au Brésil et au Pérou, mais en vingt ans, le commerce japonais avec les trois pays a centuplé d’importance. Il n’en est pas de même au Chili. La crainte de l’immigration japonaise y est plus accentuée encore qu’au Brésil.

Plus un pays sud-américain est de race blanche, poursuit M. Muret, plus il s’afflige de cette invasion. Placé entre un danger nord-américain et le « péril jaune », il en arrive alors le plus naturellement du monde à préférer encore le secours onéreux des États-Unis à l’invasion des Japonais. C’est au Chili, le pays le plus « blanc » du Sud-Amérique, que l’immigration japonaise suscite les pires craintes[4].

La défense des blancs a pris aux États-Unis la forme d’une lutte pour l’intégrité physique de la race. Depuis la guerre surtout, la théorie de Gobineau sur l’inégalité des races y est reprise et développée, et la thèse de l’hérédité l’emporte de plus en plus sur celle du milieu, chère à Renan ; des écrivains tels que MM. Lothrop Stoddard et Madison Grant l’ont répandue dans le public[5].

Jaloux de l’avenir de la « race américaine », M. Madison Grant, anthropologiste, se montre dans le Déclin de la grande race, impitoyable contre l’immigration étrangère plus dangereuse, dit-il, qu’une conquête armée », parce qu’elle risque d’altérer la « grande race », c’est-à-dire la race nordique, celle qui a le premier rang. « L’immigration libre, dit-il encore, ferait de notre nation une mosaïque comme l’ancien empire d’Autriche, au lieu d’une unité homogène comme était l’Amérique d’il y a un siècle ». Car les immigrés, lorsqu’ils sont assez nombreux, réclament des privilèges ou au moins des règlements et une administration qui leur soient propres. Le manque d’unité de race entraîne par conséquent ou risque d’entraîner l’unité de lois et par là de rendre impossible une société démocratique essentiellement composée de citoyens égaux devant la loi.

Ces idées et d’autres encore, sur le danger de l’immigration pour l’élément anglo-saxon de la population, ont été propagées et exagérées par les eugénistes. Mais en réalité, ce que l’on redoute, c’est moins l’altération physique de la race que son remplacement par une autre qui aurait nécessairement un autre idéal national et d’autres institutions. Sous couleur d’eugénisme, il n’y a en tout cela qu’une préoccupation politique causée par ce fait qu’en dehors du Sud et de certaines parties de l’Ouest, la natalité chez les immigrants est beaucoup plus élevée que chez les Anglo-Saxons. Il s’agit de remédier à cet inconvénient pour conserver à ces derniers la direction de la nation.

Quoi qu’il en soit, le mouvement eugénique a pris aux États-Unis une très grande ampleur ; l’ambition de ses partisans les plus enthousiastes est de créer « une nouvelle éthique de la race avec toute une législation de la reproduction ». L’étudier nous entraînerait en dehors de notre sujet. Aussi bien les exagérations qu’on y rencontre sont-elles loin d’être d’usage courant, sans parler de celles qui n’existent encore qu’à l’état de projets. Toutefois nous ne pouvions pas ne pas mentionner un des mouvements les plus typiques des États-Unis d’aujourd’hui ; nous le pouvions d’autant moins, qu’un tel mouvement dénote malgré tout un souci plus ou moins sincère de l’avenir de la race même, qui le rattache à notre présente étude.

Ce n’est d’ailleurs pas qu’aux États-Unis que l’eugénisme est de mode ; il l’est également en Australie et en Colombie britannique, pays anglo-saxons du Pacifique qui tendent à sauvegarder avant tout les intérêts de la race.

Or, si grandes que soient les exagérations auxquelles peut évidemment conduire l’eugénisme, il n’est pas, encore une fois, à notre sens, une forme négligeable de cette sauvegarde, car peut-être faut-il y voir l’application, la plus simple, sans doute, mais la plus tangible du principe des races. On dirait que les peuples intéressés à s’en faire une règle, ne veulent pas s’attarder aux nationalités et pensent, comme on l’a dit, « sous l’angle de la race ». Le point de vue ethnique paraît chez eux primer tous les autres. La politique reléguée au second plan n’apparaît plus que comme une notion consécutive à l’idée de race, et les combinaisons qu’elle engendre ou laisse prévoir semblent n’être que des conséquences du principe des races. Témoin l’attitude politique des Dominions britanniques du Pacifique en face de l’alliance anglo-japonaise.

Lorsque cette alliance arriva à échéance en 1921, le Canada, puis l’Australie insistèrent auprès de Londres pour qu’elle ne fût pas renouvelée, sous prétexte qu’elle était un scandale pour la race blanche. Parallèlement, les accords de Washington peuvent être regardés comme une entente des blancs contre les jaunes.

Nous avons fait des réserves plus haut et plus spécialement dans notre livre Le Problème du Pacifique (Delagrave), sur l’opportunité de cette politique à la fameuse Conférence.

On aurait tort de conclure de ce qui précède à des événements prochains et redoutables. Il faut y voir pourtant la préparation assez troublante encore que virtuelle d’une activité internationale où les liens ethniques prévaudront sur les rapports politiques.

  1. André Siegfried, op. cit., p. 337.
  2. Voir, dans le Temps des 18 et 26 février, 5 mars 1927, les articles de M. Jacques Bardoux sur « L’Évolution de l’empire britannique ».
  3. Le sénateur Lodge disait au Sénat américain, le 8 mars 1922 : « Le point capital et le plus important du traité est la fin de l’alliance anglo-japonaise. C’était l’objet principal du traité ».
  4. Il ne faut pas s’imaginer que la question de l’émigration japonaise puisse être réglée par le Mexique et certains pays de l’Amérique du Sud, dans l’état actuel des choses. Même au Brésil, où les Japonais vont le plus volontiers, ce n’est que lentement que l’émigration japonaise par familles, la seule qui vaille, peut s’organiser dans des conditions indispensables d’hygiène et de confort relatif. Au reste, les environs de Sao-Paulo sont déjà encombrés et c’est vers les régions de l’Amazone que devront dorénavant se diriger les émigrés japonais.
  5. Les campagnes pour la sauvegarde de la race anglo-saxonne sont facilitées par les incroyables méfaits du monde interlope et puissamment acoquiné qui, dans les grandes villes, comme par exemple Chicago, émerge bruyamment et souvent tragiquement des bas-fonds de l’émigration.