Le P. Jean de Cronstadt/Ma vie en Jésus-Christ/Chapitre V


Le P. Jean de Cronstadt, archiprêtre de l’Église russe
Traduction par Dom Antoine Staerk, o. s .b..
P. Lethielleux (I. Son ascétisme, sa morale. — « Ma vie en Jésus-Christ »p. 90-115).


CHAPITRE V

DES TENTATIONS ET DE LA VICTOIRE




§ I. — Des Tentations


Le Seigneur permet la tentation de l’ennemi afin de nous éprouver, augmenter notre force spirituelle dans notre lutte avec l’esprit du mal et nous montrer de quel côté penche notre cœur, si c’est la patience, la foi, l’espérance et l’amour qu’il préfère, ou l’emportement, l’incrédulité, le murmure, le blasphème, la colère et le désespoir. Nous ne devons donc pas nous décourager, mais supporter tranquillement et avec patience l’obscurité qui envahit parfois notre âme, l’influence du démon qui l’énerve et la porte à l’impuissance et à la colère. Nous devons également supporter l’affliction et l’angoisse du cœur, sachant bien que tout cela est un élément inéluctable dans l’ordre spirituel et que ce n’est qu’une épreuve que le Seigneur nous fait subir pour voir si nous ne maudissons pas le chemin de la vertu et si ce n’est pas celui du mal qui a toutes nos préférences. Nous sommes libres et nous devons faire tout notre possible pour rester fermes dans la foi et dans la vertu jusqu’à notre dernier souffle. Or, comment pourrions-nous le faire, si nous étions exempts de tentations ?[1].

— L’ennemi agit cruellement sur notre cœur par différentes voies, entre autres par la voie de la nature visible, comme il en a été de Job, c’est-à-dire au moyen du vent, de l’eau et du feu. Ce sont ses embûches qui causent quelquefois les incendies, les inondations, les tempêtes ; qui détruisent les habitations sur terre et les vaisseaux sur mer. En d’autres occasions, l’ennemi profite d’un temps humide, et, se dissimulant dans l’humidité et dans les vapeurs, il nous tourmente intérieurement, nous appesantit, nous opprime, nous engourdit d’un froid qui nous rend insensibles à tout ce qui est vrai et saint. Oh ! les embûches du prince des ténèbres sont incalculables et il est bien difficile de les découvrir ![2].

— Une tentation particulière survient quelquefois dans le chagrin, — c’est l’endurcissement, l’engourdissement, la froideur du cœur pour tout ce qui est vrai, bon et saint. On se sent devenu comme une pierre, comme une bûche, on reste sans foi, sans envie de prier, sans amour, sans espérance en la miséricorde de Dieu. Or, il est bien pénible de ressembler à une pierre ou à une bûche, d’être sans foi et sans amour, quand on est créé pour croire, pour sentir, pour espérer, pour aimer ! Et pourtant, il faut le souffrir avec patience et prier en même temps le Seigneur d’ôter la pierre glaciale qui encombre l’entrée du tombeau de notre cœur, de nous délivrer de notre cœur de pierre, et de nous rendre notre cœur de chair, notre cœur qui est fait pour aimer. Que signifie donc cet endurcissement ou cet engourdissement chez l’homme ? Il nous montre la présence du démon dans notre cœur, oui, du démon qui, après s’être emparé de lui à cause de notre incrédulité, chasse loin de nous toute bonne pensée et ne la laisse pas pénétrer dans notre cœur, lui arrachant toute foi, tout bon sentiment, et rendant l’homme insupportable à lui-même. C’est un fait qui arrive en réalité chez les hommes. Qu’ils sachent donc ce qu’il signifie pour tâcher d’en triompher.[3].

— L’ennemi agit quelquefois à l’aide d’hommes méchants. Tels sont les orgueilleux qui nous font subir l’humiliation et le mépris, les impies qui nous inspirent l’incrédulité, les fausses idées, la raillerie en matière de religion, les tyrans qui nous tyrannisent et nous torturent, les gourmands qui nous entraînent aux plaisirs et aux excès de la table (notre propre chair pourtant y est aussi pour beaucoup) ; les dépravés qui corrompent nos mœurs et nous privent souvent de la chasteté, les voleurs qui nous prennent ce qui nous appartient, les haineux et les envieux qui nous font souffrir, les endurcis qui nous privent de pain, de vêtements, de logement. En un mot, l’ennemi met à profit tout ce qui appartient à la terre et comme prince de ce monde (Joan. XVI, 11), comme prince des esprits de malice répandus dans l’air, comme prince de ce siècle de ténèbres, (Ep. VI, 12), il agit avec la persuasion de Dieu sur le genre humain, pour le pervertir et l’attirer à lui à l’aide de toutes sortes de tentations et d’oppressions. Si le très-sage, le tout-clément et le tout-puissant Père céleste ne veillait sans cesse sur nous et ne dirigeait vers de bons résultats les efforts que le démon fait pour nous perdre, si nous-mêmes nous ne correspondions à la grâce de Dieu, il y a longtemps que le tentateur aurait subjugué le monde entier et il ne resterait plus sur la terre aucun rejeton de la grâce sainte (Is. VI, 13).[4].

— Pour comprendre le vrai sens des paroles de la prière dominicale : ne nous laissez pas succomber à la tentation, il ne faut pas oublier que cette prière a été donnée aux apôtres qui demandaient à Jésus de leur apprendre à prier. Elle leur a été donnée avant la descente du Saint-Esprit, lorsque Satan demandait au Seigneur de lui abandonner ses disciples pour les cribler comme le froment (Luc XXII, 31). Les Apôtres étaient encore très faibles alors et pouvaient facilement succomber à la tentation (comme cela arriva à Pierre). C’est pourquoi le Sauveur a ajouté ces paroles : ne nous laissez pas succomber à la tentation. Or, quant à nous, nous ne pouvons pas vivre sans éprouver des tentations dans le domaine de la foi, de l’espérance et de l’amour. Ces tentations de notre for intérieur sont nécessaires à l’homme pour qu’il puisse apprendre à se connaître lui-même et à se corriger. Oui, les tentations sont indispensables, car c’est par là que les pensées cachées au fond des cœurs d’un grand nombre seront révélées (Luc II, 35). C’est dans les tentations qu’éclatent au grand jour notre fermeté et notre faiblesse dans la foi, le savoir ou l’ignorance, la dépravation ou la pureté de notre cœur, notre confiance en Dieu ou en la matière, notre amour de nous-mêmes et du périssable ou de l’impérissable, c’est-à-dire de Dieu.[5].

Les démons tremblent non-seulement devant la Croix, mais devant le signe même de la croix, parce que le Fils de Dieu a été cloué à l’arbre de la croix et l’a sanctifiée par ses souffrances. À quel point donc les démons doivent-ils trembler devant la Reine des cieux, la Mère de Dieu, au seul appel même de son très-saint nom ? Semblable à un astre lumineux, elle est toute rayonnante de lumière divine. Semblable à un charbon incandescent, elle est toute étincelante comme le feu. Il est facile de comprendre que si Dieu est la lumière et la sainteté, elle — sa Mère, doit être aussi la lumière et un modèle de sainteté pour les hommes.[6]

— Fais toujours le contraire de ce que le démon t’inspire. S’il t’inspire de haïr ceux qui t’ont offensé, fais leur voir ton amour ; bénis ceux qui te comblent d’injures et ne garde pas rancune à ceux qui te privent de ce qui t’appartient, donne toujours sans regret ce que tu possèdes. Si tu as envie de rire, pleure, si tu te sens découragé, tâche d’être gai. Si tu éprouves l’envie, cherche à être content du bonheur d’autrui ; si tu veux contredire ou te rebeller, acquiesce à tout et soumets-toi. Si tu es en proie à des pensées luxurieuses, rappelle ton cœur à la pureté en songeant à l’insigne honneur d’être chrétien, d’être, pour ainsi dire, un homme divinisé en Jésus-Christ, et rappelle-toi que nos membres sont ses membres à lui. Si c’est l’orgueil qui s’empare de toi, fais preuve d’humilité ; si c’est la méchanceté, montre le plus de bonté possible ; si c’est un emportement, garde ton calme ; si c’est l’avarice, sois généreux ; si c’est la distraction, détourne à l’instant tes pensées des objets qui les attirent et concentre-les sur l’idée qui doit t’occuper ; si c’est le doute, le manque ou l’absence de la foi, appelle à ton secours la foi dans ses manifestations les plus puissantes, évoque les souvenirs des exemples de la foi des hommes d’élite de l’Ancien et du Nouveau Testament, des miracles produits par la foi, etc. Tiens-toi à ce système pour combattre les ruses de l’ennemi, et oppose-lui une résistance énergique, car toutes nos passions, toutes nos faiblesses, tous nos caprices sont ses œuvres et ses subterfuges.[7].

— Si l’ennemi ne réussit pas à abattre le chrétien dans la voie de son salut par le chagrin, le malheur, la misère et toute sorte de privations, pas les maladies et autres souffrances, il se jette dans une autre extrémité ; il l’accable par la surabondance de la santé, par le désœuvrement, par le bien-être, par la prostration morale, par l’indifférence pour les biens spirituels, ou par les richesses de la vie temporelle. Oh ! combien ce dernier état est dangereux ! il est plus dangereux que le précédent, que l’état de chagrin, de malheur, de maladie etc. Il nous fait facilement oublier Dieu et nous prive de la faculté de ressentir ses faveurs : Nous nous assoupissons, nous nous endormons moralement. Et comme l’époux tardait à venir, elles sommeillèrent toutes et s’endormirent. Or, vers minuit un cri s’entendit : voilà que l’époux vient, venez au devant de lui. (Math. XXV, S. 6). Oui, dans le malheur nous recourons toujours malgré nous à Dieu pour demander son secours, nous sentons toujours que Dieu est le Dieu de notre salut, le Dieu Sauveur, qu’il est notre vie, notre souffle, notre lumière, notre force. Par conséquent, il vaut mieux que le chrétien éprouve des malheurs.[8].

— Si tu vois quelqu’un qui, sous l’influence du démon, est préoccupé d’une bagatelle, s’en fait un tourment et ne cesse d’en parler et d’en fatiguer les autres, ne te fâche pas contre lui, et sois persuadé que tu as devant toi un homme malade d’esprit, grâce au démon. Sois bon et doux avec lui et adresse à l’instant même une prière à Dieu en récitant avec une foi tranquille et inébranlable le verset suivant composé en l’honneur de la sainte Face : nous saluons votre très-sainte image, ô Seigneur Jésus, Dieu clément, en vous demandant de nous accorder le pardon de nos péchés, car vous avez bien voulu être attaché à la croix pour délivrer de la violence du démon ceux que vous avez créés. C’est pourquoi, pénétrés de reconnaissance, nous nous écrions : Vous avez rempli de joie toute la création, ô notre Sauveur, en venant sauver le monde.[9].

— Le démon attaque le cœur des prêtres par la paresse, l’aridité et la stérilité de la pensée, afin de les empêcher de prêcher les vérités de l’Évangile et de faire entendre aux hommes la volonté de Dieu dans toute son étendue. Il agit aussi sur eux dans leur prière en frappant leur cœur de froideur, pour ôter toute sincérité à leurs paroles et les rendre pharisaïques. C’est lui encore qui leur oppose mille obstacles pour les empêcher de contempler dans la prière les perfections de Dieu, les grandeurs de la Sainte-Vierge, des Anges et des Saints… Le démon agit ainsi sur ceux qui ont pour devoir d’enseigner la religion, en envoyant à leur cœur la sécheresse, l’aridité, le malaise du doute, pour les empêcher de prêcher avec des lèvres ardentes et convaincues la vérité divine aux jeunes cœurs…

Ici-bas, dans ce monde de vanité, dans ce monde d’adultère et de péché, notre âme et notre corps sont souvent et même sans cesse imperceptiblement dévorés par la rouille et les vers, fouillés et dérobés par les voleurs (Math. VI, 19) spirituels qui déterrent les trésors de l’âme : la justice, la paix et la joie que donne le Saint-Esprit. (Rom. XIV, 17). Quel est donc le moyen le plus sûr de se prémunir contre cette corruption continuelle et coupable, contre ces voleurs spirituels ? La prière de la pénitence et de la foi. C’est elle qui ranime, qui ressuscite notre âme, croupissant dans d’impurs désirs, c’est elle qui chasse les voleurs spirituels. Pour eux, elle est un fléau, pour nous, une source de force, de vie et de salut. Gloire en soit rendue au Seigneur ! La prière nous préserve et nous délivre du péché. La prière et la foi rend la vie douce, car en priant nous vivons avec le Seigneur, qui a promis tous les biens à ceux qui les lui demandent : demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et il vous sera ouvert. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche, trouve ; et l’on ouvre à celui qui frappe. (Math. VII, 7-8). Gloire, Seigneur à vos paroles pleines de vérité ! Ô Seigneur ! soyez généreux envers tous ceux qui vous implorent par mes prières indignes, et donnez-leur les biens divers dont leurs cœurs ont besoin. Amen. Ainsi soit-il ![10]


§ 2. — Du Combat Spirituel.


Le royaume des cieux souffre violence et les violents le ravissent. (Math. XI, 12). Si nous négligeons de faire tous les jours des efforts pour vaincre les passions qui nous assiègent et de conquérir dans notre cœur le royaume de Dieu, les passions ne cesseront jamais de nous dominer cruellement, et d’assaillir à loisir notre âme, comme des malfaiteurs. L’attrait des choses terrestres augmentera chez nous, tandis que la foi et l’attrait des biens célestes, l’amour de Dieu et du prochain, dépériront de plus en plus, et la paix de notre conscience disparaîtra peu à peu. Il faut travailler au salut de son âme et en faire son but le plus cher. Tout ce qui tient à la terre ne doit pas avoir plus de valeur pour nous que la poussière et le songe ou l’illusion. Le Seigneur seul et les biens du ciel sont cette vérité invariable qui contient le bonheur et qui dure éternellement.[11].

— Ceux qui mènent une vie spirituelle ont à soutenir à chaque instant dans leurs pensées une guerre sourde, imperceptible, mais rude, la guerre spirituelle. Il faut être armé à chaque instant de pénétration, de perspicacité, pour découvrir les pensées qui sont introduites dans notre âme par l’esprit du mal et pour les repousser. Pour livrer ces rudes batailles, on doit toujours avoir le cœur brûlant de foi, de soumission et d’amour ; sans cela, ce faible cœur donnera facilement accès à la malice diabolique ; puis peu à peu à l’affaiblissement ou à la disparition de la foi, enfin à toutes les variétés du mal dont il lui sera difficile de se purifier même par les larmes. C’est pourquoi tu ne dois pas laisser refroidir ton cœur, surtout pendant la prière. Évite surtout l’indifférence. Il arrive souvent que les lèvres prient tandis que le cœur est plein de négligence ou même d’une malicieuse incrédulité. L’homme semble être près de Dieu par le mouvement de ses lèvres, mais son cœur est loin de Lui. Or, pendant la prière, l’esprit du mal fait tout son possible pour glacer et corrompre notre cœur sans que nous puissions même nous en apercevoir. Prie donc le Seigneur, mais arme-toi de toute la force de ton cœur.[12].

— Pour ne pas se sentir journellement esclave des passions et du démon il faut se créer un but, ne le perdre jamais de vue et tâcher de l’atteindre, en surmontant, au nom du Seigneur, tous les obstacles. Quel est donc ce but ? Le royaume de cieux, la gloire éternelle, promise aux croyants depuis la création du monde. Mais le but ne pouvant être atteint que par certains moyens à sa disposition, quels sont donc ces moyens ? La foi, l’espérance et l’amour, mais surtout l’amour. Crois, espère et aime, surtout aime Dieu malgré tous les obstacles et surtout aime aussi ton prochain comme toi-même. Si tu n’as pas la force de conserver dans ton cœur ces trésors inappréciables de l’esprit humain, prosterne-toi plus souvent devant le Dieu d’amour, demande, cherche, frappe ; l’on te donnera, tu trouveras, il te sera ouvert. (Math. VII, 7-8). Celui qui l’a promis est fidèle à sa promesse. Si tu marches ou restes assis, si tu es couché, si tu converses ou si tu t’occupes d’un travail quelconque, à chaque moment enfin, demande dans ton cœur que la foi et l’amour te soient accordés. Tu n’as pas encore demandé cette faveur comme tu dois la demander, avec ardeur et avec instance. Tu n’as pas encore formé la ferme résolution de les obtenir. Et bien, prends-la et dis : Voici, j’ai commencé.[13].

Le Seigneur est pour moi tout. Il est la force de mon cœur et la lumière de mon intelligence ; il pousse mon cœur vers tout ce qui constitue le bien ; il le fortifie, il m’inspire les bonnes pensées, il est ma paix et ma joie. Il est ma foi, mon espérance et mon amour ; il est ma nourriture, ma boisson, mon vêtement, ma demeure. Comme une mère est tout pour son enfant, — discernement, volonté, vue, ouïe, nourriture, boisson… — de même le Seigneur est pour moi tout, lorsque je lui suis entièrement fidèle. Mais, hélas ! lorsque je me détache de lui, le démon s’introduit dans mon cœur et si je ne portais pas le regard de mon âme vers le Seigneur, si je n’invoquais son secours aux moments de ma détresse, le démon, comme cela m’arrive, m’aurait rempli de toute espèce de mal : de colère, de découragement, d’impuissance pour tout ce qui est du ressort du bien, de désespérance, de haine, d’envie, d’avarice, de blasphème, de toutes sortes de méchantes et mauvaises pensées, de dédain envers tous. En un mot, c’est lui qui devient dans des moments pareils mon intelligence, ma volonté, ma vue, mon ouïe, mon goût. Espère donc dans le Seigneur : il est celui qui Est, le Maître Suprême, sans borne dans sa sainteté, dans sa puissance, dans sa clémence, dans sa miséricorde, dans sa générosité et dans sa sagesse.[14].

— Les forces de l’homme, tant spirituelles que corporelles, se perfectionnent, augmentent et se fortifient par l’exercice. Exerce souvent ta main à écrire, à coudre, à faire un ouvrage quelconque, tu y deviendras passé maître, comme on dit ; tu finiras par coudre, écrire, faire les ouvrages à la perfection. Exerce-toi dans la composition, tu composeras avec promptitude et habileté. Exerce-toi à faire le bien ou à vaincre les passions et les tentations, tu parviendras avec le temps à accomplir les œuvres de charité sans difficulté et avec plaisir ; tu vaincras les passions facilement avec l’aide de la grâce toute-puissante de Dieu. Mais cesse d’écrire, de coudre, de travailler ou bien fais-le rarement, tu écriras mal, tu coudras mal, tu fera mal ton ouvrage. Cesse de composer ou compose rarement, passe ta vie exclusivement dans les plaisirs matériels, tu en viendras bientôt à ce point de stupidité de ne pouvoir lier quelques mots ensemble, surtout s’il s’agit d’un sujet religieux, et la composition qui te sera confiée sera impossible pour toi. Cesse de prier ou prie rarement, la prière te deviendra odieuse et d’un poids énorme. Cesse de combattre tes passions, ou bien ne leur oppose qu’une rare et faible résistance, et bientôt tu auras une grande difficulté à lutter contre elles ; tu seras souvent vaincu, elles ne te laisseront pas tranquille et empoisonneront ta vie. Apprends donc de bonne heure à dompter ces ennemis domestiques et féroces, qui résident toujours dans ton cœur. — Toutes ces considérations nous prouvent que la persévérance et l’activité sont indispensables à chacun. La vie sans l’activité n’est pas la vie, mais un fantôme de la vie, une chose horrible. C’est pourquoi la lutte, une lutte continuelle, opiniâtre, contre la paresse de la chair constitue le devoir de tout homme. Que Dieu garde le chrétien de succomber à la chair ! Or ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair paresseuse, méchante, coupable, avec ses passions et ses désirs déréglés (Gal. V, 24). Car on donnera à celui qui possède, et il sera dans l’abondance ; mais à celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il semble avoir.[15].

— Rappelle-toi les paroles de l’Écriture Sainte : ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien (Rom. XII, 21). On t’injurie, on t’irrite, on t’accable de mépris et de colère, ne le rends pas aux autres avec la même monnaie ; mais sois bon, doux, affable, respectueux et charitable envers ceux qui se comportent indignement envers toi. Si tu te révoltes de ton côté, si tu réponds avec irritation, avec rudesse, avec mépris, c’est-à-dire d’une manière peu charitable, tu peux être considéré comme vaincu, et ceux qui t’ont offensé ont le droit de te dire : Médecin, guéris-toi toi-même (Luc. IV, 23) ; ou : Pourquoi voyez-vous une paille dans l’œil de votre frère, et ne voyez-vous pas une poutre dans votre œil ? Ôtez premièrement la poutre de votre œil (Matth. VII, 35). Ne sois pas étonné si tu te vois souvent exposé à des méchancetés de la part de ceux qui t’offensent, car ils remarquent ta faiblesse et ne manquent pas de t’irriter pour leur bon plaisir. Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien. Montre à celui qui t’a offensé que ce n’est pas toi, mais lui-même qui est l’offensé ; plains-le sincèrement de ce qu’il se laisse si facilement dominer par les passions, de ce qu’il se trouve moralement malade. Que ta douceur, ta charité envers lui croissent avec ses injures, ses vengeances et sa haine ; alors tu peux être sûr que tu l’auras vaincu. Le bien est toujours plus puissant que le mal, et par conséquent il est toujours victorieux. Rappelle-toi encore que nous sommes tous des êtres faibles, que nous nous laissons facilement dominer par chaque passion, et, pour cette raison, sois doux et complaisant envers ceux qui te font du tort, sachant que souvent tu peux être toi-même sujet aux défauts de ton frère. Pardonne les offenses à ceux qui t’ont offensé, afin que le Père céleste te pardonne celles que tu commets à son égard et qui sont bien plus nombreuses que les offenses que tu endures. Reste toujours calme, noble, grand et digne, chasse loin de toi toute susceptibilité ; que ton esprit soit ferme et ton cœur plein de simplicité et de bonté. Voilà les conditions qui te donneront toujours le triomphe sur tes ennemis. Celui qui reprend le moqueur s’expose à la raillerie. Ne reprenez point le moqueur de peur qu’il ne vous haïsse. Enseignez le juste, et il croîtra en science. (Prov. IX, 7-9).[16].

— Lorsqu’un homme impatient et maladroit entreprend d’adapter certain objet à un usage quelconque et n’y parvient pas comme il le voudrait, à cause de son peu d’expérience ou de savoir, le voilà qui se fâche, qui s’emporte, qui jette et parfois brise l’objet, comme si ce dernier était un être animé et intelligent dont la volonté résistait à la sienne. Il arrive que l’homme en question fait tomber ceci, accroche cela, déchire un objet, entrave le mouvement d’un autre, ne trouve pas moyen de fixer un troisième à l’endroit voulu, en un mot on dirait que tout se met contre lui au point qu’il est prêt à pleurer de dépit. Mais si un maître habile prend la place de cet homme, tout marche à merveille. D’où cela vient-il ? De ce que ce dernier est un homme intelligent, ingénieux, qui en prenant en mains ce travail y emploie toute son énergie. Quel est le but de cette digression sur une question d’habileté ou de maladresse ? C’est de nous montrer que partout c’est l’intelligence de l’homme qui maîtrise la matière ; que sans l’intelligence rien ne peut se produire, par exemple, un mouvement régulier quelconque. De même rien ne peut s’adapter de soi-même à un but quelconque, ni l’atteindre ; car il n’est possible d’atteindre le but qu’en suivant certaines lois qui, en leur qualité de lois, proviennent de l’intelligence. Passons à l’univers. D’où vient cet ordre inouï dans la matière inanimée et chez les animaux privés de raison ? D’où vient cette beauté, cette merveilleuse métamorphose de la matière difforme et inanimée en matière animée et belle ? D’où vient cette aptitude de la matière créée à atteindre des milliers de buts divers et cette sagesse qui sait les procurer par des moyens tout à fait simples ; et cela, dans des choses qui par elles-mêmes ne peuvent avoir un but ni l’atteindre ? Qui est ce Maître invisible de la matière ? Quelle est cette intelligence qui manifeste son étonnante sagesse dans la matière, de même que dans les êtres animés ? Qui est ce permanent artiste et sculpteur, qui, en restant lui-même invisible, se manifeste par les merveilles de son art ? C’est celui qui a dit de lui : Je suis ; c’est vous, ô Seigneur, notre seul créateur à tous ! Je vous contemple des yeux de mon cœur à chaque point de l’espace. C’est vous, ô mon Dieu, qui, voilé à nos yeux mortels, créez continuellement et nous donnez tout avec la coopération de votre Fils et de votre Saint-Esprit ! Mon cœur vous adore en tout lieu, je me prosterne devant vous, je vous glorifie et je chante vos louanges à jamais ![17].

— Nous éprouvons l’effet de deux forces opposées qui agissent dans notre cœur. L’une d’elles y rentre par la violence et l’astuce, attaque énergiquement l’autre et finit par la tuer. La seconde, chastement offensée par chaque impureté, s’éloigne doucement ; mais, lorsqu’elle agit en nous à elle seule, elle tranquillise, adoucit, ranime et réjouit le cœur. Ces deux forces personnellement opposées l’une à l’autre, suffisent pour nous persuader de l’existence indubitable du démon, l’homicide perpétuel, et de celle de Jésus, le Dispensateur perpétuel de la vie et notre Sauveur. Le premier est — l’obscurité, la mort ; le second — la lumière et la vie. C’est pourquoi, si tu aimes Dieu et si parfois tu remarques dans ton esprit et dans ton cœur extrême obscurité, douleur, angoisse, contrainte et incrédulité, qui forment comme une force réunie pour s’opposer à la foi en Dieu, sois sûr qu’une force hostile à Jésus réside en toi, et cette force est celle du démon. Cette force obscure et meurtrière, qui se glisse dans notre cœur par la voie d’un péché quelconque, nous empêche souvent d’invoquer le Seigneur et les Saints qu’elle cache à nos regards dans le brouillard de l’incrédulité. Dans quel but agit-elle ainsi ? Dans le but de nous torturer ; car notre ennemi sait bien que la foi nous sauve de ses embûches. Mais, en même temps, ces agissements nous prouvent qu’il y a une force suprême contraire, celle de Jésus-Christ, notre Seigneur. La force satanique nous en écarte par l’abomination de l’incrédulité ; mais la force du Christ, par l’effet de notre foi, détruit la force ennemie et l’enchaîne de chaînes éternelles et dans de profondes ténèbres, et la réserve pour le jugement du grand jour (Jud. I, 6). Invoquons donc avec foi Jésus notre Sauveur. Chaque chrétien doit absolument acquérir l’habitude de recourir promptement à Dieu en lui demandant tout ce dont il a besoin, comme un impuissant qui s’approche de la toute-puissance et de la toute-clémence : Présentez à Dieu vos demandes par des prières et des supplications accompagnées d’actions de grâces. (Philip. IV, 6), Rendez grâces à Dieu en toutes choses (1 Thes. V, 18), en glorifiant Dieu, comme font les anges, qui chantent toujours : Alleluia.[18].

— Oh ! combien la vie que nous traversons ici-bas est pleine de dangers, de peines et de fatigues ! Chaque jour, du matin au soir, nous avons à soutenir un pénible combat contre nos passions, qui attaquent notre âme, contre les principautés, contre les puissances, contre les princes des ténèbres de ce monde des ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l’air, (Eph. VI, 6), dont la méchanceté et la perfidie n’ont pas de borne, sont dirigés avec un art infernal et sont toujours prêts à nous assaillir ! — Ô notre très doux Sauveur, qui appelez à vous tous ceux qui sont fatigués et chargés pour les soulager ! Vous voyez : notre cœur et notre âme sont exténués de fatigue par notre lutte de chaque jour ; nous sommes brisés, la force nous manque et nous marchons comme des ombres. Nos ennemis méchants saisissent sans cesse nos âmes et s’efforcent de nous entraîner dans l’abîme du désespoir. Étendez, ô Seigneur, votre bras souverain, et délivrez-nous des embûches de l’ancien dragon homicide. Si quelqu’un veut venir à moi, avez vous dit, qu’il se renonce soi-même et qu’il porte sa croix tous les jours et me suive (Luc. IX, 23). Mais qui est celui qui, chaque jour, est la cause de notre croix, de nos fatigues et de nos peines ? Le vieil homme, l’homme charnel qui est en nous et le démon, avec ses embûches continuelles ![19].


§ 3. — Du Triomphe de la Grâce.


Que serait-il de nous, si la grâce divine n’était pas là pour nous prévenir, si elle ne pénétrait pas subitement d’une manière inattendue tout notre être après les péchés que nous avons commis, et si elle ne nous disposait pas au repentir et aux larmes ? Que serait-il de nous, si nous étions obligés, pour arriver au repentir, d’user de nos seuls efforts ? Oh ! que nous serions malheureux ! Il serait bien rare que quelqu’un de nous pût se délivrer du fardeau de ses péchés ; car nous sommes généralement peu portés à un labeur assidu, surtout lorsqu’il s’agit de notre vie spirituelle ; et si nous n’étions pas secondés, si le travail de notre sanctification ne nous était pas facilité et adouci depuis longtemps, nous aurions abandonné l’œuvre de notre salut. Mais Dieu, ce père si sage et si clément, nous allège quelquefois le poids de notre fardeau spirituel. D’autres fois, au contraire, il le rend plus lourd, afin de nous éprouver, de nous habituer à la patience et à la mortification de notre chair corrompue et pervertie. Quelle sagesse infinie il montre en usant alternativement de ces deux moyens ! Il en résulte que l’œuvre de notre salut, par l’effet de la grâce divine, reste toujours possible, exempte de trop de difficultés, et souvent même nous fait plaisir.[20].

— Jamais il n’est plus difficile de dire sincèrement : Que votre volonté, ô Père, soit faite, que quand on souffre d’un grand chagrin ou d’une grave maladie, surtout si on est victime de l’injustice humaine, ou de la violence et des embûches de l’ennemi. Il est de même difficile de dire sincèrement : Que votre volonté soit faite, lorsque nous sommes nous mêmes la cause d’un malheur ; car nous sommes persuadés que ce n’est pas la volonté de Dieu, mais notre volonté à nous qui nous a mis dans un tel embarras, oubliant que rien n’arrive sans la volonté de Dieu. En somme, il n’est pas facile de se persuader que nous puissions souffrir par la volonté de Dieu, lorsque notre cœur nous dit par la foi et par l’expérience que Dieu est notre félicité. C’est pourquoi il est bien difficile de dire dans le malheur : Que votre volonté soit faite. Nous faisons la réflexion suivante : est-il possible que la volonté de Dieu puisse être de m’envoyer le mal dont je souffre en ce moment ? Pourquoi donc Dieu nous tourmente-t-il ainsi ! Pourquoi les autres sont-ils tranquilles et heureux ? Qu’avons nous fait ! Notre souffrance aurait-elle une fin ? etc. Mais c’est précisément alors, quand notre nature corrompue refuse de reconnaître la volonté de Dieu qui la gouverne et sans laquelle rien ne se fait, c’est alors qu’elle doit se soumettre à cette volonté. C’est précisément alors qu’elle doit apporter au Seigneur son offrande la plus précieuse, sa soumission sincère, non seulement dans le repos et dans le bonheur, mais aussi dans le chagrin et dans le malheur. Qu’elle abandonne son raisonnement puéril à l’arbitre de la sagesse divine qui est parfaite ; car autant les cieux sont élevés au dessus de la terre, autant les voies de Dieu sont élevées au dessus des nôtres. (Is. LV. 89) Que chaque homme offre à Dieu en sacrifice son Isaac, son fils unique, son bien-aimé, sur lequel repose la sagesse divine, promesse de repos, de félicité et non de souffrance ; qu’il lui donne une preuve de sa foi et de son obéissance, et qu’il se rende par là digne des dons du Très-Haut qu’il a déjà reçus ou qu’il doit recevoir plus tard.[21].

— Notre corps puise sa vie dans les éléments dont il est formé et tire sa nourriture de l’air, de l’eau et de différentes substances organiques. Notre âme puise sa vie dans l’Esprit divin, dont elle est issue, et pour maintenir sa vie, elle se nourrit de la vie de la Sainte-Trinité par la lumière intellectuelle, par les saints désirs du cœur et par la ferme volonté du bien. Notre corps ne peut pas vivre et meurt s’il n’est pas nourri par les matières qui lui sont indispensables ; notre âme meurt aussi, si elle n’est pas nourrie par la prière ou par les bonnes pensées et les bonnes actions. En examinant les conditions de l’existence de notre organisme corporel, nous remarquons que la nourriture et la croissance du corps se produit jusqu’à un certain temps sans entrave ; mais si un poison quelconque se trouve ajouté à la nourriture, à la boisson, ou si un principe contagieux est répandu dans l’air que nous respirons et pénètre dans notre organisme, le corps devient tout de suite malade et subit la mort, à moins qu’un secours n’intervienne pour le sauver. La même chose a lieu dans notre organisme spirituel : tout va bien pour un certain temps, mais dès que le démon se met à l’attaquer, l’âme commence à souffrir péniblement. Elle devient, pour ainsi dire, inanimée et éprouve le besoin d’un prompt secours de la part du Médecin Céleste, le Dieu des esprits. Ce secours ne s’obtient qu’à force de prières et de foi. Les ruses que le démon déploie dans l’âme d’un homme, correspondent aux poisons de la nature matérielle, avec cette différence que le poison matériel pénètre rarement dans notre corps, au lieu que les ruses de l’esprit du mal sont toujours auprès ou autour de nous. De même que la lumière, l’air, l’eau, les aliments, plantes et animaux, qui forment le milieu dans lequel notre corps habite, sont toujours là pour maintenir sa vie, de même notre âme peut disposer toujours en abondance des forces nécessaires pour maintenir sa vie, des aliments et des vêtements spirituels qui sont dans la sainte-Trinité, Dieu se trouvant pleinement en chaque endroit, comme l’air ou comme la lumière intellectuelle des âmes. Il est prêt à tout moment, selon la mesure de notre foi et de notre ferveur dans la prière, à maintenir les forces de notre âme par sa grâce incessante, à être pour nous la lumière de notre intelligence et de notre cœur, à être l’air que notre âme respire, la nourriture dont elle se nourrit et se fortifie, la chaleur vivifiante dont elle se réchauffe et le vêtement qui non seulement recouvre sa nudité coupable, mais lui sert d’ornement et comme de manteau royal, c’est-à-dire, le vêtement de notre rédemption par notre Seigneur-Christ. L’homme se trouve à chaque instant de son existence dans deux milieux, dont l’un est matériel, et l’autre spirituel, et qui pourvoient tous les deux à tous ses besoins ; le premier contribue à sa nature corporelle, le second à sa nature spirituelle ; le premier, c’est la nature visible, le second, c’est l’éternel Esprit de Dieu dans Sa Trinité. L’Esprit divin étant pleinement partout est au dessus de tout ; et comme il renferme tout, il n’a pas de limite. Nous sommes par nous-mêmes si nuls et si faibles que nous recevons non de nous, mais de dehors tout ce qui est nécessaire à notre existence ; l’homme par lui-même n’est rien. Et de même que notre corps se fortifie par l’air et les aliments, notre âme se fortifie par la prière, par la lecture de l’Écriture Sainte, et par le Saint-Sacrement. D’un autre côté, le royaume du très-clément et tout-puissant Seigneur, renferme des esprits méchants, déchus, qui habitent principalement l’air et la terre ; et comme ils ont dès le commencement entraîné l’homme au mal et qu’ils ont toujours existé, existeront, ainsi que le genre humain, jusqu’à la fin des siècles, ils forment, pour ainsi dire, un milieu dont nous sommes entourés et dans lequel nous vivons. Les hommes étant des êtres libres, mais en même temps déchus, quoique rachetés par le Fils de Dieu, et se trouvant dans cet état de grâce librement, à cause de leur foi, de leur amour pour Dieu et de leurs bonnes œuvres, les hommes, dis-je, doivent par une prière incessante à Dieu se prémunir contre les forces hostiles qui attaquent notre âme et veulent nous capturer pour faire de nous leurs esclaves et leurs pareils en esprit. Nous devons tous être bien sur nos gardes et ne pas nous allier aux esprits du mal qui parcourent le monde, afin qu’ils ne deviennent pas le souffle de notre âme et ne remplacent pas en elle celui de Dieu, et que le mal, qui constitue leur nature, ne devienne pas notre mal à nous. Cependant nous ne devons jamais oublier que Celui qui est en nous est plus grand et plus fort que ces ennemis invisibles, et que le Seigneur les tient en son plein pouvoir. S’il les laisse agir autant que sa clémence et sa sagesse le permettent, ce n’est que pour le bien des hommes… Partout dans le monde nous voyons le dualisme, un principe opposé à l’autre : l’esprit et le corps, le bien et le mal. Satan a ses adeptes et ses alliés pour établir sa puissance parmi les hommes. Dieu a ses alliés pour établir sa puissance parmi les hommes ; Dieu a ses Anges auxquels il confie chaque chrétien pour le défendre et lui enseigner la voie qui mène au bienheureux royaume du Christ.[22].

Quel lien peut-il y avoir entre la justice et l’iniquité ? (2 Cor, VI, 14). Aucun. Le Seigneur hait les discours étudiés du méchant, (Prov, XV. 26) et il abandonne le cœur qui recèle ses pensées. Nous le ressentons d’ailleurs nous-mêmes. Par conséquent, pour que le Seigneur daigne s’unir à quelqu’un, il faut que cet homme soit entièrement pur de tout péché et qu’il possède la vertu, autrement dit, qu’il croie en notre Seigneur Jésus-Christ qui a pris sur lui les péchés du monde entier ; qu’il reconnaisse ses péchés, qu’il les condamne sincèrement, qu’il les trouve insensés, absurdes et qu’il en demande pardon au Seigneur du fond de son âme, avec une ferme résolution de ne plus les commettre à l’avenir. C’est ainsi que tous les Saints se sont unis au Seigneur et sont devenus des Saints. Quelle sainteté doit donc être celle de la très-sainte Vierge, si Dieu le Verbe lui-même, la lumière éternelle, la véritable lumière qui illumine tout l’homme venant en ce monde. (Joan. I, 9) s’est intimement uni à elle, et si le Saint-Esprit est survenu et la vertu du Très-Haut l’a couverte de son ombre ? (Luc, I. 35). Combien la bienheureuse Vierge est au dessus des Saints, combien elle est non seulement sainte, mais supérieurement sainte, si elle est devenue le temple immaculé de la divinité ; si elle a été entièrement pénétrée du Saint-Esprit dans toutes ses pensées, dans tous ses sentiments, dans toutes ses actions, et si le Créateur lui-même a créé pour lui un corps de son sang ? En vérité, elle possède une sainteté suprême, absolue, inébranlable, éternellement invariable et divine ; car Dieu, l’Être tout-parfait, devenu son fils comme homme, l’a rendue toute-parfaite à cause de son humilité infinie, de sa pureté et de son amour pour la source de toute-pureté, c’est-à-dire pour Dieu, de son renoncement complet au monde et de son attachement intime au royaume d’en haut. Mais la plus haute preuve de sa perfection, c’est qu’elle est devenue la Mère de notre Seigneur, c’est qu’elle l’a porté dans son sein… Puis elle a souffert à cause de lui, elle a versé des larmes pour lui, et elle lui a voué toute sa vie, absorbée dans son esprit et ne formant avec lui qu’un même cœur, une même âme, une même sainteté. Oh ! elle est sublime cette union d’amour et de sainteté de la très-sainte Vierge Marie et de son Fils divin, notre Seigneur Jésus-Christ ! Les saints du ciel sont dignes aussi d’admiration à cause de leur amour sans borne pour le Seigneur et à cause des flots de sang et de sueur qu’ils ont versés pour cet amour.[23].

— Il est bon, il est très-bon de posséder la vertu, dans le sens purement humain de ce mot. Un homme de bien jouit toujours de la paix du cœur, il est aimé de Dieu, et ceux qui le connaissent éprouvent pour lui une réelle sympathie. Un homme vertueux attire, malgré lui, les regards de tous ceux qui l’approchent. D’où vient cela ? Cela vient du même attrait qu’une fleur au doux parfum exerce sur nous : sans y penser, nous l’approchons de notre odorat pour en sentir l’arôme. Observez les traits d’un homme vertueux ! Quelle expression, qui ressemble à celle d’un ange ! Vous y voyez tant de douceur, tant de modestie et même d’humilité, que malgré vous, vous en êtes saisi et que vous ne pouvez vous lasser de les admirer. Approfondissez les paroles qu’il vous dit, vous y trouverez un parfum plus suave encore. Il vous découvre, pour ainsi dire, toute son âme et vous restez séduit par le charme de ses pensées.[24].

— Notre vie spirituelle se partage visiblement en deux états tout-à-fait opposés : l’état de la paix, de la joie, du bien-être du cœur et l’état de la souffrance, de la crainte et de l’angoisse de l’âme. Le premier se produit toujours lorsque l’âme agit conformément aux lois du Créateur, le second survient quand elle enfreint ses saintes lois. Je puis toujours remarquer et je remarque en effet le moment où je me sens livré à l’un ou à l’autre de ces deux états, mon intelligence me le fait toujours comprendre. Aussi arrive-t-il qu’après avoir réussi à détruire la cause qui m’a jeté dans l’état de souffrance et d’angoisse, je détruis en même temps ce qui en était la suite, c’est-à-dire la souffrance et l’angoisse de l’âme.[25].

— Un chrétien doit surtout avoir soin de la pureté absolue du cœur, car c’est par le regard du cœur que nous contemptons Dieu tel qu’il est, avec son amour pour nous et avec toutes ses perfections. C’est le regard du cœur qui contemple les Anges, la gloire de la Reine du ciel, la beauté de son âme, et ce rôle sublime que lui donne son nom de Mère de Dieu. C’est ce même regard qui nous fait voir la beauté des âmes des Saints, et leur amour pour nous : ce sont les yeux du cœur qui nous les montrent tels qu’ils sont réellement, qui nous font reconnaître les vérités de la religion chrétienne avec tous ses sacrements, qui nous font sentir à quel point ces vérités sont sublimes. Ces mêmes yeux nous dévoilent l’état de nos âmes et surtout nos péchés. Le cœur impur, c’est-à-dire celui qui est attaché aux choses terrestres, celui qui est souillé par la convoitise des yeux et de l’orgueil mondain, ne peut rien voir, ni rien comprendre à tout ce que je viens de dire.[26].

— La pauvreté d’esprit consiste à nous envisager comme si nous n’existions pas, à ne voir que Dieu qui est le seul qui existe pour nous, à considérer ses paroles au dessus de tout au monde, à ne rien épargner, même notre vie, pour remplir ses commandements, elle consiste à se soumettre en tout à sa volonté absolue tant pour nous que pour les autres et à rejeter entièrement notre volonté à nous. Le pauvre d’esprit désire de tout son cœur et ne cesse de répéter : Que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite ! Il disparaît, pour ainsi dire, personnellement, partout et en tout ; il veut voir Dieu tant en lui-même que dans les autres. Que tout soit à vous, ô Seigneur, dit-il, et rien à moi ! Il désire contempler cette sainteté de Dieu. Il veut ardemment voir arriver son règne, il ne veut connaître que sa volonté suprême, et tout cela, remarquons le bien, non seulement dans lui, mais aussi dans les autres. Il voudrait que les cœurs humains ne fussent remplis que de Dieu (comme c’est d’ailleurs un devoir rigoureux), car Dieu seul est celui qui est, celui qui a tout créé, qui est la toute-clémence et la toute-perfection. Quant au démon et à son entourage ainsi qu’aux hommes qui désobéissent à Dieu, il les envisage comme des larrons au royaume de Dieu et comme des adversaires du Seigneur. Pour le pauvre d’esprit, le monde entier, pour ainsi dire, est nul. Partout il ne voit que Dieu qui anime et gouverne tout ; il n’y a pour lui ni aucun endroit, ni aucun instant qui existe sans Dieu ; partout et à chaque instant il est avec Dieu et, pour ainsi dire avec lui seul. Le pauvre d’esprit n’aura jamais l’audace de prétendre concevoir l’inconcevable, de dévoiler les mystères de Dieu, d’approfondir ce qui est au dessus de l’homme. Il ne croit qu’à la parole du Seigneur qui donne la vie, persuadé qu’il n’y a que cette parole qui est la vérité, l’esprit et la vie éternelle ; en un mot il ne croit qu’à son Église, toujours inspirée par le Saint-Esprit dans tout ce qui constitue la vérité. Il croit comme l’enfant croit à son père ou à sa mère, sans exiger de preuves et s’en rapportant entièrement à eux. Le pauvre d’esprit croit être personnellement le plus méprisable et le plus coupable des hommes et se laisse fouler aux pieds par le monde entier.[27].

— Vous tous qui embrassez la vocation de servir le Seigneur dans la prière, apprenez à être doux, humbles et vrais de cœur comme lui. N’ayez dans votre cœur ni malice ni dissimulation ; ne soyez pas froids ; tâchez d’avoir l’esprit du Seigneur, car celui qui n’a pas l’Esprit de Jésus-Christ, n’est point à lui. (Rom. VIII. 9). Le Seigneur veut que vous lui ressembliez et que vous ayez avec lui comme une parenté divine pour vous inoculer sa grâce. Souvenez-vous qu’aucune parole n’est prononcée inutilement dans la prière, si vous la dites du fond du cœur. Souvenez-vous que le Seigneur entend chaque mot que vous prononcez et le pèse dans sa balance. Il nous semble quelquefois que nos paroles se dissipent sans aucun résultat dans l’air, qu’elles ne sont qu’une voix qui retentit dans le désert. Non, mille fois non ! Il faut se rappeler que le Seigneur, s’il est possible de s’exprimer ainsi, nous comprend dans la prière, ainsi que nos paroles, avec le même sens, les mêmes nuances que les hommes justes les comprennent quand ils prient, car l’homme est l’image de Dieu. Le Seigneur répond à chaque désir de notre cœur, qu’il soit ou qu’il ne soit pas exprimé par les paroles.[28].

— Lorsque tu te promènes dans une forêt, dans un jardin ou dans une prairie, examinant les jeunes branches, les fruits des arbres et la variété des fleurs champêtres, une voix éloquente et une leçon doivent jaillir pour toi de cette végétation et, cette leçon la voici : chaque arbre donne en été un nombre considérable de branches, il augmente nécessairement en circonférence et en hauteur ; chaque arbre s’efforce, pour ainsi dire, de progresser annuellement par la force qui lui vient de Dieu. De même, dis à toi-même : Moi aussi je dois absolument de jour en jour, d’année en année, progresser moralement, devenir toujours meilleur et plus parfait, ne jamais abandonner la voie qui mène au royaume du ciel et au Père céleste, par la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ et de Son Esprit qui habite et agit en moi. De même que la prairie s’embellit de milliers de fleurs, de même mon âme doit s’embellir de toutes les fleurs de la vertu. De même que les arbres produisent des fleurs et des fruits, de même mon âme doit produire les fruits de la foi et des bonnes œuvres.[29].

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